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Pédiatrie

Douleur abdominale aiguë


de l’enfant
Orientation diagnostique
Pr Antoine BOURRILLON
Service de pédiatrie générale et urgences pédiatriques médicales, hôpital Robert-Debré, 75019 Paris

Points Forts à comprendre rapide (en quelques minutes), progressive (en quelques
heures).
– La topographie initiale et actuelle :
• Les douleurs abdominales aiguës sont . le plus souvent ombilicale ou péri-ombilicale sans spéci-
un symptôme d’une grande fréquence chez l’enfant. ficité étiologique,
• L’orientation diagnostique doit être assurée . hautement suspecte d’organicité si le territoire abdomi-
au mieux par une démarche d’analyse, orientée nal concerné est épigastrique ou se situe dans l’hypocondre
par l’interrogatoire et étayée par un examen droit ou gauche ou dans la fosse iliaque droite ou gauche.
clinique rigoureux. – L’intensité : sévère si elle conduit à l’arrêt de l’activité
• L’objectif premier est de ne pas méconnaître des jeux ou si elle est insomniante.
une affection chirurgicale. – Des facteurs éventuels d’exacerbation (marche, toux, ins-
• Un interrogatoire bien conduit, un examen piration profonde, miction...) ou de soulagement (repas,
clinique complet et des examens complémentaires vomissements, alimentation, antéflexion).
limités et orientés suffisent le plus souvent – L’évolution immédiate : diminuée, inchangée, augmen-
à préciser la cause. tée ; si prolongation éventuelle (quelques heures). L’évolu-
• Une topographie localisée non péri-ombilicale tion à court terme, intermittente, continue ou paroxystique.
est toujours très suspecte d’une affection organique.
• L’incertitude nécessite la vigilance et souvent 3. Signes associés
la décision d’intervention chirurgicale. • Avant tout généraux : fièvre surtout, parfois asthénie,
• Mieux vaut opérer une adénolymphite aiguë anorexie voire perte de poids.
que méconnaître une appendicite. • Mais aussi : digestifs : nausées, refus du biberon chez le
jeune nourrisson, vomissements (préciser si sanglants),
troubles du transit inférieur (constipation ou arrêt des
Les douleurs abdominales aiguës constituent un motif fré- matières : préciser alors l’heure et l’aspect de la dernière
quent de consultation en pratique pédiatrique. Il convient selle (glaire, pus, sang) ; respiratoires : rhinorrhée, toux,
d’adopter vis-à-vis de l’orientation diagnostique une douleurs basithoraciques ; urinaires : brûlures miction-
démarche d’analyse avant tout clinique rigoureuse et cohé- nelles, pollakiurie, urines troubles ; neurologiques : cépha-
rente. lées, troubles du comportement ou de la conscience ;
arthralgies ; myalgies ; purpura ou autres éruptions ; signes
pubertaires : premières règles...
Orientation diagnostique
Elle implique en premier lieu un interrogatoire de l’enfant,
s’il est en âge de s’exprimer, ou celui de sa famille.
Examen clinique
Celui-ci doit être rigoureux et non suggestif. Il comporte un examen méthodique de l’abdomen ; un exa-
1. Contexte men général conduit de façon systématique et complète.
• Conflit familial apparent ou difficultés scolaires. 1. Examen de l’abdomen
• Antécédents de douleurs abdominales aiguës du même Il est assuré chez un enfant déshabillé et placé en décubi-
type : une telle éventualité permettrait d’intégrer la dou- tus dorsal, jambes fléchies. Il comporte :
leur abdominale aiguë dans un contexte de douleurs abdo-
• un temps d’inspection à la recherche de cicatrices, d’un
minales récidivantes.
météorisme localisé ou diffus, d’une anomalie de la respi-
2. Caractères de la douleur ration abdominale (signe de gravité témoignant de l’irrita-
• Circonstances de survenue : date et heure de début, situa- tion péritonéale) ;
tion éventuelle par rapport aux repas. • un temps de palpation effectué de manière douce, les
• Modalités initiales : brutale (en quelques secondes), mains réchauffées, commençant par les régions supposées

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DOULEUR ABDOMINALE AIGUË DE L’ENFANT

les moins douloureuses et s’attachant aux réactions et • Les examens complémentaires utiles peuvent être :
mimiques de l’enfant. – une numération formule sanguine : hyperleucocytose
Cet examen apprécie la souplesse et la dépressibilité de (souvent supérieure à 10 000 à polynucléaires) (en fait
l’abdomen ; l’existence d’une zone douloureuse, provo- inconstante) ;
quée, plus ou moins localisée ; l’éventualité d’une défense – un abdomen sans préparation : examen de face, couché
(paroi partiellement dépressible) ou d’une contracture et debout : la visualisation (inconstante) d’un stercolithe
(paroi non dépressible). appendiculaire se projetant dans la fosse iliaque droite et
La palpation peut être affinée lorsque le diagnostic d’ap- mobile aux manœuvres de compression, est un signe patho-
pendicite aiguë est suspecté par la mise de l’enfant en décu- gnomonique et l’appendicite aiguë. L’iléus localisé dans la
région du carrefour iléocaecal donnant une image d’« anse
bitus latéral gauche (les anses intestinales susceptibles de sentinelle » serait plus fréquente et souvent évocatrice ;
recouvrir le caecum basculent alors vers la gauche permet- – l’échographie abdominale ne saurait être pratiquée que
tant une palpation plus précise de la région appendiculaire). par un échographiste pédiatre entraîné, si un doute dia-
La palpation évalue en outre le volume du foie et de la rate, gnostique venait à persister (après 24 h de surveillance).
les fosses lombaires, les orifices herniaires. Un tel diagnostic, avant tout clinique, peut être plus diffi-
• Un temps de percussion à la recherche d’un tympanisme cile encore chez le nourrisson, ce d’autant que la sympto-
ou d’une matité déclive. matologie digestive prédominante (vomissements ou diar-
• Un temps d’auscultation pour l’évaluation des bruits rhée) peut être trompeuse. L’enfant est alors le plus souvent
hydroaériques (normaux, exagérés ou absents). inexaminable. Le moindre doute conduirait à une inter-
• Le toucher rectal doit être largement indiqué si une étio- vention « facile » dans la crainte de la survenue d’une péri-
logie chirurgicale est suspectée. Son interprétation est cepen- tonite souvent rapidement constituée.
dant difficile chez l’enfant en l’absence d’identification d’une
masse pré- ou latérorectale (abcès appendiculaire), d’un bou- 2. Invagination intestinale aiguë
din ou de sang (invagination intestinale aiguë). • Elle est évoquée chez le nourrisson (entre 6 et 18 mois
surtout devant des accès douloureux intermittents avec cris
2. Examen général paroxystiques, pâleur, parfois troubles de la conscience ;
Il apprécie l’aspect du faciès (pâle, gris, ictérique...). des vomissements ou un refus du biberon ; des difficultés
Il ne saurait omettre : l’examen cardiovasculaire complet : de l’examen abdominal au cours de la crise (avec souvent
auscultation cardiaque, pouls, prise de la pression arté- normalité dans l’intervalle des crises). La vacuité de la fosse
rielle ; l’examen pulmonaire : fréquence respiratoire, aus- iliaque droite ou la palpation d’un boudin d’invagination
souvent perçu au toucher rectal ont une bonne valeur cli-
cultation, percussion en position assise ; l’examen des arti- nique d’appoint diagnostique, notamment dans les formes
culations des muscles et des téguments : purpura ; l’examen atypiques (formes neurologiques avec troubles du com-
otorhinolaryngologique (ORL) complet. portement, voire convulsions, formes « pseudo-enté-
Au terme de cet examen purement clinique, trois éventua- riques » avec diarrhée aiguë).
lités sont possibles : une origine chirurgicale, la plus sou- L’échographie ou le lavement opaque permettent d’affir-
vent redoutée, apparaît probable ou certaine. L’hospitali- mer ou d’éliminer le diagnostic. La réduction non opéra-
sation urgente est décidée dans un environnement toire de l’invagination peut être souvent obtenue par le lave-
chirurgical à compétence pédiatrique. Au terme de ment. Les critères radiologiques de désinvagination
quelques investigations complémentaires limitées (numé- complète sont l’inondation du grêle et la disparition de toute
ration formule sanguine, abdomen sans préparation, voire image lacunaire cœcale. L’enfant devra être gardé sous sur-
échographie abdominale), les indications de l’intervention veillance pendant 24 h pour dépister une récidive toujours
possible.
seront précisées ; une origine médicale, la plus fréquente, • Chez l’enfant plus grand, l’invagination intestinale aiguë
est mise en évidence. Les examens complémentaires est avant tout secondaire (adénolymphite mésentérique,
« orientés » peuvent, si nécessaire, confirmer le diagnos- diverticule de Meckel) ou s’intègre dans le cas d’un pur-
tic et rationnaliser le traitement ; le diagnostic est impré- pura rhumatoïde.
cis. Les règles d’une surveillance étroite doivent être pro-
posées. 3. Torsion du testicule et de ses annexes
Elle est aisément évoquée devant la survenue de douleurs
scrotales associées à un testicule augmenté de volume et
Diagnostic étiologique très douloureux à la palpation. L’intervention chirurgicale
urgente s’impose sans aucun examen complémentaire.
Causes chirurgicales 4. Chez la jeune fille
1. Appendicite aiguë La torsion d’une tumeur de l’ovaire doit être évoquée
• Le diagnostic est évoqué dans sa forme typique devant devant des douleurs abdominales, associées à des vomis-
la coexistence de signes cliniques : fièvre le plus souvent sements et la palpation d’une tumeur pelvienne ou pelvi-
abdominale (toucher rectal).
modérée (38,5 °C) ; douleurs spontanées localisées dans la
fosse iliaque droite ; troubles digestifs (nausées, vomisse- 5. Étranglement herniaire
ments) ; douleurs à la palpation ou à la décompression de Il doit être recherché systématiquement. La palpation des
la fosse iliaque droite, pouvant s’accompagner d’une orifices herniaires met en évidence une masse douloureuse
défense ayant une topographie fixe, persistante. et irréductible.

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6. Autres occlusions intestinales aiguës • l’adénolymphite mésentérique est une éventualité fré-
Elles évoluent dans un contexte le plus souvent évident : quemment évoquée chez l’enfant : elle survient dans un
douleurs abdominales, vomissements, arrêt des matières et contexte fébrile au cours d’un tableau d’infection rhino-
des gaz, ballonnement abdominal dans les occlusions pharyngée ou respiratoire, évoquant habituellement une
basses. L’abdomen sans préparation confirme la suspicion atteinte virale. La suspicion d’un tel diagnostic doit
clinique (niveau liquide et distension intestinale) et permet conduire à une surveillance rapprochée et à des réexamens
de départager les étiologies possibles dont le diagnostic cliniques successifs. La difficulté diagnostique différen-
sera confirmé par l’intervention : occlusion sur bride, vol- tielle avec le diagnostic d’appendicite aiguë peut conduire
vulus du grêle, diverticule de Meckel. à l’intervention chirurgicale. Celle-ci découvre alors un
appendice sain ou très peu inflammatoire et des adénopa-
7. Diverticule de Meckel thies mésentériques uniques ou multiples parfois associées
Il peut être également suspecté devant des douleurs abdo- à une discrète réaction péritonéale.
minales récidivantes, associées à des hémorragies digestives 2. Enfant non fébrile
basses avec déglobulisation. La recherche de sang dans les
selles et l’identification d’une anémie microcytaire sont On doit évoquer, si des troubles digestifs sont associés,
autant d’arguments d’appoint pour un diagnostic qui est, en l’éventualité d’une gastroentérite aiguë non fébrile (après
fait, plus souvent celui de douleurs abdominales chroniques « intoxication alimentaire »), voire d’une constipation
et que seules la scintigraphie au technétium, voire l’inter- (recherche de fécalomes).
vention chirurgicale pourront confirmer. Il convient aussi de rechercher, qu’il existe ou non des
troubles digestifs, l’éventualité d’une parasitose intestinale
Causes médicales (oxyures, ascaris) pouvant conduire à un « traitement dia-
gnostique d’épreuve » par Fluvermal ou Combantrin.
Elles peuvent être orientées en démarche clinicienne pra- Parmi les causes non fébriles de douleurs abdominales
tique, selon que les douleurs abdominales surviennent chez aiguës, il convient de rechercher enfin une gastrite à Heli-
un enfant fébrile ou non fébrile. cobacter ou un ulcère gastroduodénal (fibroscopie gastro-
1. Enfant fébrile duodénale avec biopsie) ; une lithiase urinaire qui, le plus
souvent radiopaque, devra être soigneusement recherchée
Il convient de rechercher avant tout : sur la radiographie de l’abdomen sans préparation. Une
• une pneumopathie franche lobaire aiguë. On retient en échographie de l’appareil urinaire, voire une urographie
faveur de ce diagnostic : une fièvre franchement élevée intraveineuse pourront être contributives au diagnostic ;
(supérieure à 39 °C), une toux souvent sèche. L’ausculta- ou selon les signes associés, pâleur : une anémie hémo-
tion pulmonaire peut être initialement normale. Un lytique aiguë ; syndrome œdémateux avec oligurie : une
« méningisme » n’est pas rare. glomérulonéphrite aiguë, un syndrome néphrotique, un
La mise en évidence d’un foyer pulmonaire clinique et syndrome hémolytique et urémique... syndrome polyuro-
radiologique peut être retardée. La défervescence rapide polydypsique : une acidocétose diabétique ; des douleurs
(24 à 48 h) sous antibiothérapie adaptée (amoxicilline) prémenstruelles.
vient confirmer la suspicion diagnostique ;
• les gastroentérites aiguës peuvent être précédées par des 3. Contexte de douleurs abdominales aiguës
douleurs abdominales. L’abdomen sans préparation peut récidivantes
montrer, dans un tel contexte, des niveaux hydroaériques
précédant la diarrhée clinique ; Certains signes d’orientation doivent être recherchés :
• les infections de l’appareil urinaire peuvent être révé- contexte ethnique (crises douloureuses abdominales aiguës
lées par des douleurs abdominales parfois localisées (fosses de la drépanocytose) ; habitat insalubre (saturnisme).
lombaires ou hypocondres) en cas de pyélonéphrite aiguë. Surtout il convient d’identifier des douleurs psychogènes
Ces douleurs accompagnent plus rarement les infections apparemment aiguës inaugurales évoquées sur l’existence
urinaires basses (brûlures mictionnelles, dysurie, polla- d’un terrain prédisposant : mésentente parentale, sépara-
kiurie). L’identification de nitrites dans les urines (Com- tion ou divorce, difficultés scolaires ; l’absence de reten-
bur-test) parfois associée à une protéinurie modérée doit tissement somatique.
conduire à la pratique urgente d’un examen cytobactério-
logique des urines qui pourra confirmer le diagnostic dès De telles douleurs ne sauraient être banalisées le temps
l’examen direct ; d’une consultation pour douleurs abdominales aiguës, mais
• l’hépatite virale à la phase prodromique peut s’accom- doivent conduire à revoir l’enfant pour évaluer dans sa glo-
pagner de douleurs abdominales et de vomissements. Il balité les modalités de l’accompagnement médico-psy-
convient de rechercher un subictère conjonctival, une déco- chologique face au stress dont il peut être victime.
loration débutante des selles ou un caractère anormalement Une observation exigeante et étroite apparaît nécessaire.
foncé des urines ; Celle-ci nécessite le non-recours à un traitement antalgique
• le purpura rhumatoïde est une cause fréquente de dou- susceptible de masquer toute expression sémiologique
leurs abdominales aiguës (avec ou sans invagination) en d’orientation diagnostique ; des examens cliniques répétés,
contexte modérément fébrile. Le diagnostic en est facile, non seulement abdominaux mais aussi somatiques complets ;
s’il coexiste des signes cutanés (purpura quel qu’en soit le
type) et articulaires. Il peut être plus trompeur lorsque les la pratique, au besoin renouvelée, d’examens complémen-
douleurs abdominales sont inaugurables ; taires : radiographie du thorax ou abdomen sans préparation,
• les angines s’accompagnent souvent de douleurs abdo- recherche de protéines et de nitrites dans les urines.
minales. Elles impliquent un examen ORL systématique La rigueur d’une telle surveillance impose le plus souvent
chez tout enfant atteint de douleurs abdominales aiguës ; une hospitalisation.

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