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La France au Rwanda :
raison du prince, dé-raison d’État ?
L
depuis
’IMPORTANCE de l’engage-
ment de la France au Rwanda
(( l’invasion N . d’octobre
direction des trois pays enclavés de
la Crète Congo-Nil scandée par les
déplacements constants de hauts
1990 (1) est remarquable : vingt-huit fonctionnaires de la Direction
mois de présence militaire continue Afrique-Madagascar, voire les mis-
avec à son m a x i ” au moins sept sions de Marcel Debarge et de Guy
cents soldats de la Force d’action Penne à Kigali, Kampala et Bujum-
rapide, élite de l’armée française, bura. L’intervention de la France
plus d‘obus tirés par les Français ne se limite pas à ces chiffres. E h
dans ce petit pays d’Afrique centre- particulier l’action des militaires est
orientale que durant toute l’opéra- beaucoup plus opérationnelle que
tion Daguet dans le Golfe, une acti- généralement admise. En 1992, u n
vité diplomatique sans précédent en officier français, le lieutenant-colo-
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nel Chollet exerçait le commande- ment la réalité africaine tout en cul-
ment opérationnel de l’armée rwan- tivant la veine du para fonceur
(( ))
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contingences locales et l’élaboration à ses débuts. Celle-ci dément la ((
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tion armée dans la région d’origine français n’ont pas permis l’éclosion
du président aurait eu le plus mau- du débat démocratique dont la fonc-
vais effet sur les donateurs occiden- tion première est de peser sur les
taux. I1 est donc vraisemblable que processus de prise de décision dans
Kampala a laissé faire le FPR. I1 est le sens de la rationalisation. La
par contre tout à fait erroné de lui presse n’a pas non plus joué son rôle.
prêter la paternité du projet, l’ambi- Seuls deux quotidiens - Libération
tion de créer un vaste Tutsiland
(( )) et L’Humanité - ont couvert
et d’assumer qu’il puisse soutenir l’affaire avec soin. Les divers chaî-
l’invasion par stricte anglophilie. nes de télévision ne se sont pas
Sans doute faut-il reconnaître que déplacées pour un conflit où pour-
certains éléments de la NRA conti- tant les images sensationnelles à com-
nuent d’apporter un soutien logisti- mencer par celle d’une capitale enva-
que et en particulier en munitions au hie par plus de 800 O00 réhgiés, ne
FPR. Mais malgré la proximité des manquent pas. Ozì sont passés les
((
le sud-ouest ne manque pas de faire Brie (2) à propos du silence des intel-
peser sur Museveni, il est peu pro- lectuels français pendant la guerre du
bable qu’il ait pris le risque d’aider Golfe. La question pourrait être
massivement ses anciens camarades. reprise pour le Rwanda. Au niveau
Sympathies et laisser-faire plus international, la position française
qu’appui réel sont les attitudes de n’a été contrecarrée par aucune des
Kampala vis-à-vis du FPR. Elles ne autres puissances occidentales. Au
justifient pas les représentations géo- contraire même, l’Allemagne a aligné
politiques que le gouvernement fran- sa position sur celle de la France,
çais a adoptées sur la question et qui trop ‘contentesans doute de céder sur
lui servent de justificatif. une question jugée peu importante,
alors même que la politique alle-
Les carences d’une politique mande par rapport à la Yougoslavie
animait la diplomatie européenne. A
tous les niveaux le désintérêt ou le
L’attitude de l’opinion française consensus mou ont de fait joué en
vis-à-vis de l’Afrique en général et du faveur de l’engagement.
Rwanda en particulier, n’a pas per- De plus pour comprendre l’inter-
mis l’émergence d’un véritable débat vention et l’enlisement de la France
autour de l’engagement de la France au Rwanda, il faut également pren-
sur les Virunga. Si le pouvoir socia- dre en compte la personnalité des
liste n’attend plus rien de l’Afrique, acteurs et en particulier des chefs
l’opposition de droite, soit par désin- $Etat français et rwandais. François
térêt soit par convergence de, vue Mitterrand cultive les amitiés fidèles.
avec la politique menée, n’a pas fait Or ses relations privilégiées avec le
de ce dossier un thème de duel. -président Habyarimana sont con-
L’affaire rwandaise n’a pas suscité de nues. Le qualificatif de très bon
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pos du Rwanda. L‘entêtement fran- prouver l’utilisation de l’affaire rwan-
çais à soutenir le régime de Kigali daise comme couverture et espace de
trouve ici ses racines 15s plus pro- redistribution dans un trafic d’armes
fondes. Le chef de 1’Etat n’a pas par des personnes bien placées ainsi
manqué non plus d’être sensible à que les fumeurs ont un moment
l’argument pseudo-humanitaire selon couru.
lequel l’intervention de ses soldats Toujours est-il que la présence
éviterait une répression sanglante au française au Rwanda apparaît pour
cas où le FPR parviendrait à ses le moins curieuse et qu’elle contri-
fms. La logique française au Rwanda bue de fait à maintenir en place un
apparaît ainsi sur ce point particu- pouvoir autoritaire. Malgré l’appa-
lier en accord avec celle qui gou- rente libéralisation politique du
veme l’ensemble de la politique afri- régime incarnée par le multipar-
caine de la France vis-à-vis de tous tisme, il est prouvé que les milices
les mouvements contestataires du présidentielles - le fameux Réseau
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crédité par ses pratiques et ayant l’envoi de troupes et s’expose en défi-
perdu toute légitimité politique et nitive à être récupérée et son action
pratiquement toute force militaire. detournée à leurs profits par les gou-
Comme dans d‘autres pays africains, vernements locaux.
la France reste le dernier rempart des
maîtres des lieux. Elle compense
l’absence de stratégie politique par Jean-Christophe Ferney
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