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AGATHE UWILINGIYIMANA, SUR LA SITUATION AU RWANDA ET L'IMPACT DES

EVENEMENTS AU BURUNDI

BRAECKMAN,COLETTE

Lundi 6 décembre 1993

Agathe

Uwilingiyimana

Sur la situation au Rwanda et l'impact des événements du Burundi.

Dans quelle mesure les événements du Burundi pèsent-ils sur votre pays?

- Il y a toujours eu une interpénétration entre nos deux pays, vu les similitudes économiques et
sociopolitiques. Trois cent cinquante mille Burundais se sont réfugiés chez nous et cela nous
pose beaucoup de problèmes. Parmi les réfugiés, il y a une majorité de Hutus mais aussi des
Tutsis et on ne peut les mettre ensemble, il faut les séparer. Par ailleurs, les réfugiés tentent
d'exciter notre propre population, de la pousser à s'en prendre aux Tutsis. C'est ainsi qu'il y a eu
des troubles dans le Bugesera, qui ont fait 5 morts, une dizaine de maisons brûlées et mis 400
Tutsis en fuite. J'ai tenté de calmer les réfugiés burundais et fait arrêter 47 fauteurs de troubles,
ce qui a calmé le mouvement. Il est vrai que le Haut Commissariat aux réfugiés a protesté en
assurant que des entraînements militaires étaient donnés dans les camps de réfugiés. J'ai fait
vérifier cette information et il est apparu qu'en fait, on pratiquait des entraînements physiques
dans les camps, une sorte de gymnastique, mais qu'il n'y avait pas d'armes. De toute manière,
j'ai fait arrêter cela.

On a accusé le Palitehutu de vouloir attaquer le Burundi depuis le Rwanda.

- Il y eu une attaque du Palitehutu depuis la Tanzanie. Quant à moi, j'ai déclaré aux réfugiés que
je ne pouvais tolérer des attaques du Burundi depuis le Rwanda. Ceux qui le feront ou le
projetteront seront chassés du territoire. Tout d'abord parce que nous devons respecter les
accords internationaux, ensuite parce que nous ne pouvons nous permettre l'ouverture d'un
nouveau front dans le nord. En effet, des membres du Front patriotique se trouvent à Bujumbura
pour aider l'armée burundaise à garder les camps où se trouvent des Tutsis. S'il y a attaque du
Palitehutu, ils ouvriront un nouveau front dans le sud. Alors qu'après trois ans de guerre, nous
nous acheminons difficilement vers la paix, nous ne pouvons prendre un tel risque.

Assisterez-vous aux funérailles du président Ndadaye?

- Non, car j'estime que ma sécurité ne serait pas assurée.

Quels sont les besoins des réfugiés?

- L'aide actuelle ne suffit pas: ils ont surtout besoin de médicaments pour stopper les épidémies
de dysenterie, de rougeole ou de choléra qui ravagent les camps surpeuplés et qui commencent
à contaminer notre propre population.

En plus de cet afflux de réfugiés, quels sont les problèmes du Rwanda?

- Nous avons encore 400.000 déplacés à cause de la guerre dans le nord et nous allons devoir
faire face à une famine dans le sud du pays. Les régions de Butare, de Kibuye, de Gikonogoro
sont ravagées par la sécheresse. Le nord, jadis grenier du pays, est sinistré par la guerre; le sud
fait face à la sécheresse et au surpeuplement. Sur les marchés, les vivres commencent à
manquer et notre déficit alimentaire s'élève à 590.000 tonnes. En outre, les réfugiés déboisent
tout: des collines sont rasées, des forêts brûlées...

Des tracts circulent, critiquant la présence de militaires belges au sein des forces de l'ONU.

- Ils sont le fait de certains groupes minoritaires. La réalité, c'est que la population considère que
les militaires français - qui ont annoncé leur retrait d'ici le 15 décembre - étaient là pour soutenir
le chef de l'Etat, tandis que les Belges sont là pour assurer la sécurité des gens. Le peuple et
mon gouvernement attendent beaucoup de la présence des Belges ici et nous ferons tout pour
déjouer les pièges qu'on pourrait leur tendre, pour les aider à rester, pour leur permettre de nous
aider.

Un camion de la Croix-Rouge de Belgique a sauté sur une charge explosive, onze enfants ont
été tués par un colis piégé. Comment expliquez-vous ce regain de violence?

- Depuis que j'ai prononcé un discours assurant que mon parti allait aller aux élections pour
renverser le MNRD, le parti du président, le chef de l'Etat refuse d'assister au Conseil des
ministres et le terrorisme, qui avait cessé depuis trois mois, a repris. Comme si on voulait à tout
prix freiner le processus de paix. Le ministre de la Défense a voulu qu'après les dernières
violences, le gouvernement mette fin aux négociations de paix. J'ai refusé en déclarant qu'il fallait
d'abord que l'enquête détermine les vrais coupables. Je n'ai pas voulu couper le contact avec le
Front patriotique rwandais et, depuis lors, je ne peux plus sortir après 18 heures: j'ai reçu des
menaces de mort. La «Radio des 1.000 collines», qui appartient au chef de l'État, a déclaré que
le président de mon parti et moi-même étions condamnés à mourir... Je prends donc mes
précautions mais je maintiens que cette paix à laquelle chacun aspire, il faut avoir le courage de
la faire.

Quelle est le calendrier de la transition?

- La constitution d'un gouvernement de transition élargi, avec à sa tête le président de mon parti,
a mis du temps, car la force internationale de l'ONU a tardé à se mettre en place. Cette fois,
enfin, les Belges sont là. Les troupes du Bangladesh vont arriver cette semaine. Entre le 15 et le
25 de ce mois, un nouveau gouvernement pourra donc être installé. D'ici là, j'espère bien que les
divisions au sein même de mon propre parti seront résolues. C'est pourquoi, des congrès de
réconciliation et d'union sont prévus dans le pays à tous les niveaux.

Propos recueillis à Kigali par

COLETTE BRAECKMAN

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