You are on page 1of 35

BIBLIOTHÈQUE INTERNATIONALE D'ÉCONOMIE POLITIQUE

publiée sous la direction d'Alfred Bonnet

LA DÉFLATION
EN PRATIQUE
(Angleterre, Étsts..Unis, France, Tchéco-Slbvaqule)

PAil

CHARLES RIST
Professeur d'économie politique à l~ Faculté de Droit de Paris

MARCEL GIARD
X.iBRAIltE-ÉDITEUR
16, RUE SOUn.tOT' ET 12, RUE TOULLIER
PARIS (5')

1924,
. ~..5. ~,;.\ -';._

......

AV ANT~ PROPOS' ',. "


,!. " ,

.~ ,,:

Nous assistotisdepuis la guerre aU3)·expér,i'enêes,·mone-


taires les plus çariées et les. pius instru-ctives "fUele monde
ait jamais çues.
y
VoulOir découçrir à toute .force la péri fication de telle
ou telle théorie, a priori, serait aùssi contrai~e' à la méthode
-scientifique qu'à la' bonne foi. Par contre, l~ contrôle des
théories anciennes et le~ adaptatio'rt aux faits nouçeaux
est pour l'économiste une tâche d'un grand intér3.t. '
L'expérience en économie politique comme en toute autre
science est le souperain màître. Obserper les laits, puis 8S-
sayel' de les interpréter, en tenant compte de toutes les obser- '
pations sérieuses, c'est la seule méthode féconde.
Or, les faits qui se déroulent depuis quatre ans en Angle-
tel're, aux Etats- Unis, en France, en T'chéco- Sloçaquie, ne
paraissent pas confirmer la conception de la déflation
telle que la logique rationnelle la lorme a priori. Le méc,a-
nisTYte par lequel s'accomplit dans un pays troublé par l'in-
flation le rétablis~ement monétaire, est plus compliqué que
celui qu'on imagine 'd'or4inaire, sans cesser pour cela de
rester conforme à ,ce que nous' sapons des lois générales ,des
prix. Nous apons essayé; dans nos conclusions, d'exposer
ce mécanisme tel q~'ilnous est apparu.
De noupelles expériences se poursuiçent sous nos yeux.
Les .anciennes se continuent, Nous en c~nfronterons plus
tard les résultats aÇeC ceux que nous exposons ici. Il ne
VI AVANT· PROPOS

nous a pas semblé nécessaire d'attendre que tous les pays


lusSent repenus à une monnaie saine pour raconter l'his-
toire de ce retour, après le fait accompli. Nous croyons plus
profitable, même au risque d'apoir un jour à modifier nos
conclusions, 'd'exposer dès maintenant les résultats auxquels
les récentes expériences condui8tmt l' obserpateur sans parti
pris que nous avons essayé d être. S'ils poupaient, t~ls
j

qu'ils sont, servir si peu que ce soit à éclairer notre .politi-


que monétaire et surtout à j·endre plus énergique et plus
sincère ~otr~ po.litique budgétaire, l'a'mbitii)1i de l'auteur
serait pleinûn:ent satisfaite (1).

(1) Quelques-unes des pages qui 'suivent ont paru sous forme d'ar-
ticles dans ie Moniteur des Intérêts matériels dè 1922 et 1923. Nolis re-
mercions le journal qui avait bien voulu les accueillir dans leur forme
première, de nous avoir autorisé à les reproduire ici, très sensiblement
modifiés. ' ,

,'"
\

LA DÉF'LATION'
EN PRATIQUE

CHAPITRE PREMIER

Qu'entend-,;>n par Déflatiqn?

Le mot déflation est employé dans des acceptions très


diverses. Il importe de les préciser pour éviter des équi-
voques et mettre quelque clarté dans l'exposé, qui va
suivre, de politiques trè~ différentes, cataloguées cepen-
dant par l'opinion courante sous une seule et même ru-_
brique.
i 0 Dans son acception la plus radicale" déflation signi-
fie réduction matérielle des instru,inents de circulation.
L'opération comporte non seulement le retrait, mais la
destruction définitive d'une partie du « pouvoir d'achat»
supplémentaire (dont la création constitue justement l'in-
flation) avec interdiction' de la remettre en circulation.
Evidemment, ce type de déflation ne peut s'appliquer
qu'au cas où l'inflation a eu lieu par l'émission, soit de
billets de banque à cours forcé, soit de billets d'Ét~ts,
tous susceptibles d'une destructiou totale.
Quand le « pouvoir d'achat» a été créé, non sous forme
de billets, mais sous forme d'inscrip~ions en compte cou-
rant, - de simples crédits en banque circulant pâr le
Riet i
2 J.A ,DÉVLATIO!'l EN PRATIQUE

m~yen de chèques (et l'on sait que cette méthode a été


largement employée pendant la guerre, aussi bien par
les banques de dépôt privées, que par certaines banques
d'émission, comme la Banque d' Angleterre), - la destruc-
tion matérielle de ces crédits (une fois remboursés) ne
peut naturellement avoir lieu. S'il s'agit d'une banque cen-
trale dont le statut est réglé par la loi, on pourrait cepen-
dant concevoir une interdiction d'accorder de nouveaux
crédits après le remboursement des premiers. Cette me-
sure correspondrait à la destruction des billets de banque
ou des billets d'État, dans les pays où l'inflation a eu
lieu sous cette dernière forme. En fait, nous ne connais-
sons pas d'exemple d'une mesure semblable. Quant aux
banques de dépôts privées, elles sont évidemment tou-
jours libres de créer de nouveaux crédits, même au profit
de l'État, pour remplacer les crédits remboursés. En
pratique cependant cette liberté n'est pas absolue, car
leur sécurité repose sur la facilité avec laquelle elles
trouveront auprès d'une instance supérieure (Banque
d'émission, ou Trésor) les 'instruments de payement né_
cessaires en cas de retrait de leurs dépôts. Leur faculté
de créer des crédits est donc limitée par les possibilités
de. création monétaire, soit de la Banque centrale
d'émission, soit du Gouvernement. Ces possibilités fixent
aux banques de dépôts privées des limites difficiles ou
même impossibles à franchir.
Le problème de la déflation - au sens radical du mot
- se ramène donc au problème de restreindre la mon-
naie de circulation créée par la Banque centrale ou par
l'État, monnaie dont l'abondance fixe, en définitive, les
limites de création du, pouvoir d'achat par les autres
banques. Tant que cette monnaie de circ.ulation n'a
pas subi de diminution, les banques de dépôts n'ont
QU'E:iTEND'O:'/ l'AR DÉFLATION? ·3

aucun motif de restreindre le chiffre des crédits qu'elles


peuvent accorder même à l'État, ou aux particuliers dé-
sireux de prêter à l'État.
20 Ceci nouS conduit au deuxième sens souvent donné
au mot déflation, sens plus modéré, si l'on peut ainsi dire~
que le précédent.. ..
On entend souvent, par déflation, le simple rembourse,-
ment aux banques des moyens de paiements créés par
.elles au profit de l'État (billets ou crédits) -les banques
restant, d'ailleurs, li bres de les employer à nouveau au
:gré des besoins du commerce. Déflation n'est plus alors
synonyme de contraction monétaire par destruction de
moyens de paiement. Le mot signifie subst·itution. de
-moyens de paiement gagés sur des ?pérations commer~
oeiales, à des moyens de paiement gagés ·sur les promesses
.de l'État, ou encore restitution par l'État en tapeur du
-commerce et de l'industrie d'instruments de paieme.nt pri-
mitivement créés à son seul profit~
Avec cette méthode, le chiffre des instruments moné~
taires, soit sous forme de billets (de banque ou d'État),
soit sous forme d'inscriptions en compte courant ùtili-
sables par chèques, peut rester inchangé, au moins en
prmClpe.
En pratique, évidemment, la remise en circulation de~
billets ou des crédits remboursés pourra se faire attençlre
.plus ou moins longtemps .. Elle dépendra de l'intensit~
.des bésoins de crédit du commerce et de l'industrie. EIl~
.s'effectuera plus ou moins vite, suivant que l'on sera en
période de dépression ou d'essor économique. Elle res~
tera cependant toujours possible, tandis qu'elle était
,exclue dans la conception précédente de la déflation.
L'effet du remboursement des crédits accordés par
les banques à l'État ne sera plus aiors de rédl!ire

r ......
4 LA DÉFLATION EN PRATIQUE

directement les instruments monétaires, mais d'accroître


la marge de crédit dont disposent les banques au bénéfice
des besoins privés. Les banques useront-elles ou non de
cette marge ? C'est une question de fait. Mais si elles
sont amenées à en user, cette marge accrue évitera le
risque que l'on courrait sans cela, d'obliger la Banque
d'émission à franchir la limite maximum d'émission que
la prudence élémentaire commande, comme nous le ver-
rons, delui assigner en régime de papier-monnaie.
3 0 Quel que soit le système adopté -le type radical
ou le type modéré - dans les deux cas la préface de la
déflation est le remboursement par l'État (soit sur le
produit d'emprunts à long terme, soit sur lei!! e'xcédents
budgétaires) des s.ommes qui lui ont été avancées par'
les banques. Une autre méthode consiste pour les banques
à céder au public les titres d'emprunt ou les bons du Tré-
sor qu'elles avaient elles-mêmes mis en p'ortefeuille, et
dont elles avaient avancé le prix à leur clientèle en créant
des crédits. Cette seconde méthode, comme la première,
~boutit à ramener à la banque le pouvoir' d'achat origi- '"
naire'ment créé par elle ex nihilo, retour qui s'accomplit
grâce à des sommes prélevées cette fois sur l'épargne
véritable du public, c'est-à-dire au moyen d'un revenu
efiectif que le public renonce à consommer.
Ce remboursement des crédits est u~e opération dis-
tincte de la remise ou de la non-remise ultérieure en cir- ,""..

culation des crédits remboursés. Nous appellerons dans


ce qui suit « déflation' financière Il ce ·remboursement. La
déflation financière est ou non accompagnée d'une dé-
flation monétaire, selon qu'en fait elle 'aboutit ou non à
une restriction des instruments monétaires en circula-
tion, ou des d~pôts en. banque utilisables par chèques.
II importe de distinguer les deux opérations. La défia-
QU'E~TE:;D·ON PAR DÉFLA;TION! 5

ti-on financière précède toujours la' déflation moné~aii'e.


Mais la seconde n'intervient pas néces~airementquand.
la première est réalisée. Il peut y avoir. défl.ation ,
financière sans déflation monétaire consécutive. Il ~~f­
,fit pour cela que les crédits ou les billets rembouI:sés
soient remis ensuite en circulation.
On voit, dès maintenant, quels conflits d'intérêts vl)nt .'
naître d'une politique de déflation.
L'opér~tion se résume en une amputation du revenu'
des particuliers, tel qu'il s'est établi à la suite de.l'infla- .
tion. Amputation définitive si les crédits remboursés
sont· définitivement détruits (déflation radicale) - am-
putation momentanée si les banques les remettent en
circulation (déflation modérée). Même dans ce dernier
.cas, les particuliers ne retrouveront qu'à titrede·prêts
-des sommes qu'ils possédaient en pleine propriété avant
de les verser à l'État ou aux banques.
Cette amputation est-elle légitime? En apparence on
rentre simplement dans l'ordre. La dépens'e d'État ini-. ,
tiale, cOJ.1trairement à la nature des choses, et grâce à la
-création monétaire en quoi consiste'justement l'inflation,
n'avait exigé de personne aucun sacrifice de revenu. 'Le
remboursement, ultérieurement prélevé sur la véritable
épargne, constitue tardivement ce sacrifice, et permet de
faire disparaître la monnaie créée qui en tenait lieu.
Mais ce n'est qu'une apparence. Car le remboursement
intervient généralement quand tout le système économi-·
que a eu le temps d'être transformé par la hausse .des .
prix, conséquence elle-même de l'inflation originaire. Or,
cette hausse des prix, si elle s'est prolongée, a forcé in-,
direct,ement le s!lcrifice de revenu que l'on avait cru·,
esquiver à l'origine. La dépréciation générale de la mon-
naie, en réduisant le pouvoir d'achat d'u revenu no~i,nal,
6 LA DÉFLATION E~ PRATIQUE

réduit le revenu réel des particuliers du montant de tous


les biens et services que l'État, par le papier-monnaie, a
détournés à son profit.
·La déflation, en amputant à son tour le revenu, n'opère
donc pas une restitutio in integrum, mais ajoute un sa-
crifice nouyeau à celui que l'inflation. avait déjà con-
sommé en sourdine.
Ce nouveau sacrifice, succédant au premier, ne peut se
justifier que de deux manières : soit par des avantages
monétaires, - tels que le retour du change national au
pair ou l'obtention d'une marge d'élasticité garantissant
contre une inflation nouvelle; - soit par le désir de ren-
. dre au revenu des personnes dépouillées par l'inflation
un pouvoir d'achat plus élevé. On admet, en effet, que
réparties sur une assez longue période et fréquemment
répétées, les amputations successives de revenu réagissent.
sur le niveau des prix pour l'abaisser. D'où un déplace-
ment du revenu réel inverse de celui qui s'était effectué
au cours de la période d'inflation, car l'appréciation de
la monnaie profitera surtout aux bénéficiaires de .revenus
fixes, les plus éprouvés par la crise précédente de dépré-
ciation.
Seulement cette baisse des prix met elle-même toute
l'économie dans un grave état de malaise, très défavora-
bleà la production.
Il arrive un moment où les avantages purement moné-
taires de la déflation, risquent d'être compensés par ses
inconvénients économiques.
Au lieu d'employer l'épargne des emprunts ou des ex-
cédents budgétaires à réduire le chiffre des instruments
de circulation, c'est-à-dire à détruire des revenus ~omi­
naux,ne vaudrai1;~il pas mieux laisser les particuliers
l'employer productivem~nt ? Au lieu de relever, en les

,.
Î

détruisant, le pouvoir d'achat des billets de banque (sou~


prétexte de rembourser l'emprunt forcé originairemen,t
réalisé par l'émission) - n'est-il pas préférable de re~­
bourser les souscripteurs des emprunts volontaires, - ce
qui allégerait les finances de l'État, tout en laissant aux
mains des particuliers le capital remboursé, et en facili-
. tant ainsi une reprise de la production, très favorable à
l'appréciation même de la monnaie?
Telles sont les questions que soulève la déflation, et
c'est dans la balance à établir entre ses avantages mo-
nétaires et ses inconvénients économiques, que réside
toute la 'difficulté.
Celle-ci s'accroît encore si l'expérience démontre que
les effets monétaires eux-mêmes, généralement at-
tendus d'une déflation radicale, ne se produisent pas
toujours, - si l'on constate par exemple que la monnaie
retirée d'un côté par l'impôt ou l'emprunt, réapparaît de
l'autre sous forme de crédits de banque, les particuliers,
pour payer l'impôt ou souscrire à l'emprunt, étant
obligés de recourir aux avances de leurs banquiers.
C'est ce qui s'est produit, nous le verrons, en Tchéco~
Slovaquie.

Nous nous bornons, pour le moment, à signaler la dif-,


ficulté, sans l'examiner de près.
Deux remarques cependant doivent être faites tout de
suite:
La première, c'est qu'il n'y a pas de solution a priori
au problème de la déflation. Quoi qu'en disent ou pensent
certains publicistes -les uns toujours disposés à déclarer
l'éeonomie politique en état de faillite, les autres trop
enclins à donner de simples préférences person,nelles pour'
des dogmes éternels de la « Science ll, -'- il n'y a' pas sur
8 J..\ DÉFLATlO:-r ElX PRATIQUE

cette question de solution orthodoxe ni de solution héré-


tique. Il s'agit d'un problème pratique, comportant,
comme tous les problèmes pratiques, des solutions di-
verses suivant les époques et les circonstances. Les effets
de la quinine sont scientifiquement connus. Mais son
dosage ou même son emploi varie suivant les personnes
et les maladies. Il en est de même de la déflation. Tout au
plus pourrait-on noter qu'il existe de la part des hommes
politiques et des hommes d'affaires une tendance à sous-
estimer les risques permanents des maladies monétaires
et à s'exagérer, par contre, - les inconvénients écono-
miques momentanés qu'entraîne leur guérison. Ce qui
les incline volontiers à traiter de dogmatiques les éco-
nomistes, plus sensibles qu'eux aux dangers d'une mau-
vaise monnaie, parce qu'ayant gardé une mémoire plus
fidèle des expériences du passé.
D'ailleurs - et c'est notre deuxième remarque - le
conflit d'intérêts signalé tout à l'heure ne se présente
que lorsqu'un État est devenu capable de rembourser sa
dette, c'est-à-dire quand son budget est en équilibre.
Jusque-là il ne saurait véritablement s'agir pour lui de
déflation, mais seulement d'un arrêt plus ou moins com-
plet de l'inflation. Et, par suite, les « dangers» de la dé-
flation peuvent y être négligés.
4 0 Jusqu'ici nous avons distingué deux types de dé-
flation mo~étaire, basés l'un et l'autre sur une déflation
financière préalable.
Or, il en existe un troisième, fort différent des précé-
dents. C'est celui dont la crise de 1920 nous a donné le
spectacle. Et c'est lui que l'on vise très souvent - sur-,
tout en Angleterre et aux États-Unis - par le mot
« déflation ».
On entend par là le fait de provoquer par une hausse
QU'E~TENO'ON PAR OÉFLATIO:'l? 9

du tattX de l'escompte une baisse des prix et un arrêt de


la spéculation, quand celle.ci s'est développée au point
de devenir dangereuse. Les États-Unis ont recouru à ce-
mode de déflation, au début de 1920, afin de protéger
leur étalon d'or menacé. Les banques d'émission euro-
péennes, en suivant leur exemple, n'ont fait que s'incliner
devant une inéluctable nécessité. La dépression consécu-
tive s'est accompagnée d'une réduction, cette fois spon-
tanée, de la circulation, tenant à la baisse générale des
prix. Cette déflation spontanée s'oppose à la déflation
voulue, envisagée plus haut.
C'est celle à laquelle on assiste à la suite de toute grande
période d'essor économique. La provoquer est un devoir
pour toute grande ~anque d'émissi?n consciente de son
rôle économique.
Elle s'oppose essentiellemÈmt aux types précédents,
en ce qu'il s'agit ici d'une déflation des crédits privés, et
non d'une déflation des crédits créés au profit de l'État,
la seule dont il ait été question plus haut. NQUS propo-
sons de l'appeler déflation de crédit pour l'en distinguer.
Ces deux types de déflation ont cependant quelque chose
de commun: ils impliquent l'un et l'autre une réduction
des revenus nominaux des particuliers, la baisse des prix
consécutive à la hausse du taux de l'escompte équivalant
à une diminution de tous les revenus. Seule~ent la réd uc.
tion résulte dans un cas de la baisse des prix,dans l'autre
d'un prélèvement direct sous forme d'emprunt ou d'impôt.
D'ailleurs, la déflation spontanée de crédit peut conduire
à une déflation lloulue. On peut profiter, en effet, du
retour de la monnaie dans les banques ou au Trésor pour
en supprimer définitivement une certaine portion. C'est
la méthode suivie en Angleterre pour la réduction des
Currency- Notes.
10 LA OÉFlATlO~ EN PI\ATIQUE

Seulement, dans ce cas, comme précédemment, 1111


déflation n'est réelle que si I;État: est en ~esure, soit.
grâce à des excédents budgétaires, soit grâce à des em-
prunts à long terme, de ne pas remettre en circulation
sous une autre forme la monnaie de papier qui .lui est
spontanément revenue.
Les types de déflation que nous venons de distinguer·
_ne le sont pas toujours nettement, même par ceux qUÏJ
sont chargés de formuler la politique monétaire des.
grands pays. Il est vrai qu'ils se mêlent fréquemment
dans la réalité. Cependa~t, comme on va le voir, ni leur-
origine, ni leurs effets, ni leur mécanisme ne sont les.
;mêmes.
Nous abordons maintenant l'examen des méthodes
-. pratiques de déflation, telles qu'elles ont été conçues
et appliquées depuis la fin de la guerre. Nous résume-
rons, dans un chapitre final, les conclusions qui sem-
blent se dégager de ces expériences.
Nous commençons par la méthode anglaise.
CHAPITRE IV

La déflation en Franoe

En France, la politique de déflation n'a jamais été


officiellèment définie avec la même précision qu'en An-
gleterre, ou aux États-Unis.
Théoriquement ou, si ·l'on préfère, juridiquement, le
problème se pose dans les termes les plus simples.
L'inflation s'étant effectuée sous la forme d'aYancea
successivement consenties par la Banque de France au
gouvernement - avances qui avaient a~teint 17.150 mil·
lions à la fin de la guerre (31 décembre 1918) et 26 mil- '
liards un an après -la déflation doit, semble-t-il, se réa-
liser tout naturellement par l'opération inverse: le rem-
boursement graduel des dites avances par les soins du
gouvernement, jusqu'à complet acquittement de la dette.
Mais c'est là une manière toute formelle de poser le
problème. En fait, le lien juridique spécial qui unit la
Banque d'émission à l'État et qui résulte de la méthode
adoptée en France (comme en Allemagne et en Italie) pour
émettre le. papie~-monnaie, a simplement pour consé-
quence que la politique monétaire à laquelle on s'arrêtera
ne pourra se définir et se réaliser que d'accord avec la
Banque. Des conventions interviendront nécessairement.
Seulement, ces conventions devront être et seront cer-
LA DÉFLATION EN FRANCE 6'1

.talDen
' lent dominées par une conception non étroitement
,Jun'd'que
l ,
mais économique du problème monétaire, . et
ar ce large souci de l'intérêt général qui a toujours
p
caractérisé la grande b " françalse.
d " emlSSlOn
anque '
Laissant donc de côté l'aspect juridique, nous envisa-
gerons, ici, le seul aspect économique de la question.

Les principes

Et, d'abord, quel est le but auquel on tend?


En Angleterre, le but nettement affirmé, dès l'origine,
par la Commission Cunliffe, a été le retour de la livre
sterling au pair,
En France, le retour du franc au pair - quoiqu'à di-
verses reprises la possibilité en ait été formellement ré-
servée - est toujours apparu comme un idéal trop loin-
tain pour pouvoir dès à présent fournir une directive
pratique, Le but prochain -le seul qu'il soit intéressant
de préciser - a toujours été formulé par la Banque d'une
manière beaucoup plus circonspecte et moins ambi-
tieuse : il consiste simplement à rendre à l'émission l'élas-
ticité qui lui manque, en substituant à la circulation gagée
par des bons du Trésor une circulation gagée par des
garanties commerciales. A plus d'une reprise la Banque,
dans ses compt~-rendus, a exprimé cette idée, que les
billets remboursés par l'État ne devaient pas, dans sa
pensée, être r~tirés sans retour, mais seraient, au con·
traire, restitués à la circulation au fur et à mesure que
les besoins commerciaux l'exigeraient (1). C'est le type
de déflation que nous avons qualifié de déflation « mo·

(1) La même idée a été émise constam~ent par M. Decamps dans


ses nombreuses et intéressantes communications sur la politique de
la Banque de France,
ii2 J.A DÉFLATJO!'I E!'I PRATIQUE

dérée», par opposition à la déflation radicale, qui con-·


si~te 'dans la réduction définitive de la circ.ulation.
Les déclarations du gouverneur de la Banque à l'As-
semblée générale des actionnaires ne'laissent aucun doute-
à cet égard,
Si, dans l'assemblée du 30 janvier 1919, il se bornait
à constater que « l'excédent de billets de banque ... pèse-
sur les conditions des échanges et aggrave la crise des
prix », et concluait simplement à la nécessité « d'alléger
progressivement notre circulation »! dans celle du 27
janvier 1921, il précisait sa pensée. Il s'agissait, di-
sait-il, de « récupérer une certaine marge d'émission,
non pour provoquer une déflation trop rapide que les cir-
constances ne permettraient pas, mais pour l'appliquer,
au contraire, dans toute la mesure néèessaire aux besoins
industriels et commerciaux -». Dans l'assemblée de jan-
vier 1922, il revenait sur cette idée à l'occasion des rem- .
boursements effectués par l'État en 1921. Il voyait,
d'abord, dans ceux-ci « une étape décisive vers une liqui-
dation progressive des emprunts que les nécessités de la,
guerre ont obligé l'État à faire à la circulation », puis il
ajoutait: « ils restituent, enfin, à notre pouvoir d'émis-
sion l'élasticité nécessaire pour nous permettre de fairé
face à tous les besoins du crédit commercial et industriel. »
Tel étant le but - au moins le but prochain - à pour-
suivre, la méthode à employer pour le réaliser 'a été for-
mulée successivement dans les conventions des 14 avril
et 29 décembre 1920 : elle consiste dans le rembourse-
ment par l'État d'une somme. de 2 milliards, chaque
année, de manière à ramener successivement la dette
de l'État à 25 milliards le 1 er janvier 1922, puis à 23 mil-
liards le 1 er janyier 1923, et ainsi de suite, jusqu'à com-
plet remboursement.· Cette méthode a été inspirée visi-


LA IJÉFJ.ATIO~ EN FJUl\CE

blement de celle qui avait été adoptée après la guerre·


franco-allemande, quand par la loi' du '21 juin 1871,
l'État prenait l'eng~gement de rembourser ·la Banque à
raison de 200 millions par an. C'est ce précédent que-
M. Ribot rappelait dans son célèbre exposé des motifs du
budget de 1915, et qui a inspiré l'article 3. de la Conven-
vention avec la Banque du 21 septembre 1914, signée·
par lui, article confir~é depuis par toutes les conven-
tions subséquentes et ainsi conçu :cc L'État s'engage à.
rembourser dans le plus court délai possible les avances.
faites à l'État par la Banque, soit au moyen des res·
s{)Urces ordinaires du budget, soit sur les premiers em·
prunts, soit sur les autres ressources extraordinaires dont.
il pourra disposer. » Les conventions de 1920 n'ont fait
que préciser les modes d'exécutiôn de cet engagement.·
général, pris à vrai dire li une époque où personne ne
soupçonnait ni la durée, ni le montant formidable des.
avances qu'exigerait la guerre.
A première vue, on trouvera que la méthode formulée
par ces conventions dépasse singulièrement le but pour-
suivi, si ce but est simplement. de rendre à l'émission de·
la Banque l'élasticité nécessaire. Ph~s d'un passage des
rapports du gouverneur pourraient faire croire effective-
ment à une ambition plus vaste: les mots cc rétablir la
situation monétaire » (Rapport de 1920) ou cc rétablir un-
régime monétaire normal » (Rapport de 1919) (1), sem-

(1) Parlant de l'actif de 20 milliards immobilisés constitué par la


dette de l'Etat le rapport .dit : « Il faut maintenant s'efforcer de·
dégager cet actif dans le plus bref délai possible. L'excédent de bil-·
le.t~ de banque, qui en est le passif, la contre-partie, pèse sur les con-
ditIOns des échanges et aggrave la crise des prix. Il importe donc
d'alléger progressivement notre circulation. Le remboursement d&
la dette de l'Etat envers la Banque est la condition nécessaire de cet
allègement et l'unique mC!,yen de rétablir un régime monétaire normal».
-64 LA DÉFLATION E:-I PRATIQUE

blent signifier l'intention de revenir à la situation d'avant-


guerre. Mais, nous l'avons dit déjà, le devoir de la Banque
.et de l'État était de réserver la liberté de leur politique
monétaire dans l'avenir. Et, d'autre part, il s'agissait
avant tout de barrer la route définitivement à toute infla-
tion future. Il fallait, contre toute tentative" de cet ordre,
élever une barrière, qu'on ne pouvait construire ni trop
haute ni trop solide, si, comme le disait encore le gou-
verneur, le 27 Janvier 1921, on voulait;qu'il en résultât
,« rindicati~n formelle que l'on peut désormais, en toute
sécurité, contracter en francs, à long comme à court
terme, parce que la valeur -du franc sera, enfin, résolu-
ment soustraite à l'influence artificielle des besoins de
l'État )J.
Soustraire résolument la raleur du franc à l'influence
,artificielle des besoins de l'Etat, voilà probablement la
formule qui, à l'heure actuelle, traduit le plus heureuse-
ment le but prochain de la politique monétaire française.
C'est une formule de non-inflation, bien plus qu'une for-
mule de déflation. Cependant les conventions conclues
imposent formellement une certaine déflation, au moins
pour le présent.
La politique monétaire française, n'est donc pas exempte
.dans ses formules d'un certain flottement. Elle ne dépend
pas d'ailleurs de la Banque seule, mais aussi des pouvoirs
publics. Rien d'étonnant si ce même flottement se re-
trouve dans l'application.

L' ap plication

On distingue dans les pratiques suivies depuis l'armis-


tice trois phases : .
iODe décembre 1918 jusqu'à décembre 1920 la circu'
LA DÉFLATION EN FRANCE 65
-
lation a constamment augmenté. ,Loin d'assister à 'une
déflation, on observe une inflation croissante.
20 En 1921, tout' change. La pirculation diminue.
L'État fait à la Banque ses premiers remboursements.
On pourrait croire à un tournant décisif. Il n'en est rien.
Car à quoi tient, en réalité, cette réduction de la circula-
tion ? A l'amélioration de la situation budgétaire? Nulle-
ment. Il s'agit - nous allons le voir - d'une « déflation
de crédit» semblable à celle que nous avons constatée en
Angleterre.
30 Aussi voit-on, dès la fin de 1922,lès difficultés
réapparaître avec la reprise des affaires. L'État demande
une nouvelle prorogation. Ses remboursements pour cette
année sont limités à un milliard au lieu des deux prescrits
par les conventions.
Les chiffres correspondant à ces trois phases sont néces-
saires à rappeler ici.
D'abord, l'augmentation de l'inflation de décembre
1918 à décembre 1920 :

En décembre r 918, la oirculation s'élevait à ••• 30.2~9 millions;


le maximum légal de l'émission élait fixé à •• 33 milliard~;
le maximum des avances à l'Étal élail arrAté à. 21 milliards ;
la delle du Trésor se mon lait à. • • 17 .150 millions (1).

Deux ans après, en décembre 1920, nous trouvons


la circulation à. . . . . • 37.552 millions;
son maximum légal fixé à. • • • . • 41 milliards ;
le maximum des avances à l'État porté à . 27 milliards;
el la delle effecti ve de l'Elal élevée à 26.600 millions.

(1) Nous ne mentionnons pas les' 3.526 millions empruntés à la


Banque pour faire des avances aux gouvernements alliés; ils subissent
le taux ordinaire d'escompte et ne sont pas compris dans le montant
utilisable des avances à l'état. l'
Rist 5
66 LA DÉFLATION EN PRATIQUE

Que s'est-il pasilé dans cet intervalle?


Deux ordres différents de circonstances expliquent
l'aggravation.
D'une part, au cours de l'année 1919, l'État a
demandé et obtenu l'élévation, à deux reprises, du maxi-
mum de ses avances :. d'abord à 24 milliards (13 février
1919), puis à 27 milliards (convention du 24 avril 1919).
La première augmentation fut accordée assez aisément
par la Banque, ét~nt motivée, en partie, par le retrait des
coupures locales émises pendant la guerre dans les régions
envahies, et par l'introduction du franc en Alsace et en
Lorraine. Mais la deuxième ne fut consentie qu'après
un premier refus. Elle ne pouvait s'expliquer, en effet,
que par l'imprévoyante politique financière du ministre
d'alors, M. Klotz. Elle s'accompagna d~ l'élévation à
. 40 milliards du maximum d'émission.
L'année 1919 pèse lourdement, encore aujourd'hui, sur
la situation monétaire fran«.{aise.
Au cours de l'année 1920, ce sont les circonstances éco-
nomiques générales et la crise mondiale qui ont fait
craindre, . un moment, que la marge d'émission de la
Banque ne fût trop étroite pour ,répondre aux besoins
du commerce. Le portefeuille commercial passait de.
1.268 millions le 24 décembre 1919 à 3.276 millions au
24 décembre 1920, et s'élevait, un moment, jusqu'à
3.660 millions (3 novembre 1920). A la veille des va-
cances parleIl!-entaires, le gouvernement se fit autoriser (1)
à élever, par décret, le cas échéant, la limite d'émission
des billets de 40 à 43 milliards pour les besoins du com-
merce. Le 28 septembre, il \fit usage de ce droit en .
fixant
la limite à 41 milliards. Le maximum, effectivement

(1) Article 74 de la loi de finance du 31 juillet 1920.


LA DÉFLATION EN FRANCK 67

atteint au cours de l'année, fut celui de 39.645 millions


(le 3 novembre). Incident qui prouvait la nécessité d'une
marge d'émission suffisante, si l'on voulait à l'avenir
éviter qu'un essor un peu vif des affaires n'aboutît à une
inflation supplémentaire.
Avec 1921, la déflation commence, enfin. C'est la
deuxième phase. .
Une série de remboursements ramènent au 31 dé-
cembre 1921 le montant des avançes à l'État à 24.600
millions.
Les premiers mois de 1922 voient l'opération se conti-
nuer, et la dette de l'État, au 16 mars, touche le mini-
mum de 21.200 millions.
En même temps, la circulation est rédui,te ,en dé-
-cembre 1921 à 36.417 millions, soit de plus d'un milliard
par rapport à l'année précédente.
Quels ont été les caractères de cette déflation et ses
-conséquences? Pourquoi, après avoir suscité quelques
.espoirs, a-t-elle été interrompue au mois de décembre
1922, si bien qu'aujourd'hui les billets en circulation
.atteignent de nouveau 37 milliards et demi?
Nous assistons ici à un phénomène tout à fait ana-
logue à celui que nous avons vu se produire en Angle-
terre et aux États-Unis.
De même qu'en Angleterre, la « déflation de crédit »)
-déclanchée en 1920 a provoqué la baisse des prix, le ra-
l&ntissement des affaires' et, par voie de conséquence,
,une réduction des besoins d'argent liquide permettant le
reflux des Currency Notes à la Banque d'Angleterre et
-au Trésor, - de même en France, les réserves moné-
taires du public, multipliées par la crise, ont reflué vers
les bons de la Défense nationale dont l'émission continue
Iournit un placement rémunérateu,r (beaucoup plus rému-
68 LA DÉFLATION EN PRATIQUE

nérateur que les comptes courants en banque) pour ses


disponibilités. Le Œ'résor, ainsi directement approvisionné
par le public, a pu se passer de la Banque. D'où la réduc-
tion de sop. compte courant, graduellement descendu
jusqu'à 21.200 millions, chiffre du 16 mars 1922.
La déflation, loin d'être une cause; n'a été qu'une con-
séquence de la baisse des prix.
Par suite dès 'qu'en 1922 s'est dessinée de nouveau
la reprise des affaires, on a vu se produire ce que
des observateurs perspicaces, tels que M. Maroni, dans
ses chroniques des Débats, annonçaient depuis longtemps:
une partie des disponibilités du public a cessé d'aller
au Trésor, pour se porter vers des opérations plus fruc-
tueuses (1). Au lieu d'un excédent de souscriptions des
bons de la Défense sur les remboursements, ces derniers,
dans les six derniers mois de l'année, ont excédé les sous-
criptions de près de 4 milliards (2).

(1) A plus d'une reprise, M. Maroni a expliqué le mécanisme par


lequel le public règle en quelque sorte lui-même la q",antité des billets
en circulation, suivant qu'il demande ou ne demande pas le rembour-
sement des bons de la Défense. Comme c'est l'État qui règle, par sa
politique budgétaire, l'augmentation ou la diminution de3 bons, -
c'est lui, en dernière analyse, qui, règle la circulation de la Banque elle-
même. Voici, par exemple, comment s'exprimait, le 16 octobre 1922,
l'éminent publiciste:
«. Quand le public a besoin de billets, où les prend-on? Autrefois,
c'était à la Banque de France que l'on s'adressait. Les banquiers et les
établissements de crédit qui détenaient' les dépôts des particuliers
n'avaient d'autre moyen pour faire face à des retraits de fonds que de
se faire escompter du papier par la Banque. C'était par l'augmentation
du portefeuille commercial que se faisait l'accroissement de la circu-
lation. Ma~s aujoui'd'hui il n'en est plus de même. Les établissements de
crédit emploient en Bons de la Défense la presque totalité des dépôts ;
aussi, quand leur clientè1e leur retire de l'argent, ils se bornent à en-
caisser à leur échéance; une partie des Bons de la Défense qu'ils ont en
portefeuille, au lieu de les re:Qouveler. Les particuliers qui placent tero-
LA DÉFLATION EN FRANCE 69

Le contre-coUp de cette situation s'est aussitôt fait


sentir dans les rapports de l'État av~c la Banque. La
dette de l'État atteignait de nouveau 23.400 millions au
21 décembre dernier. L'impossibilité de la réduire à
23 milliards, comme le commandait.la convention du
29 décembre 1920, devenait évidente. D'où la nouvelle
convention du 22 décembre, fixant pour 1923 le maxi-
mum des avances à l'État à 24 milliards au lieu de 23,
et limitant ainsi son remboursement à un milliard au
lieu de deux .

porairement leurs disponibilités en Bons agissent de même lorsqu'il~


ont besoin d'argent liquide. Directement ou indirectement c'est donc
, 'au Trésor que les demandes de billets du p~blic aboutissent et le Trésor
ne peut se procurer des billets qu'en àyant recours aux avances de la
Banque de France.
«En somme, toute augmentation des besoins de la circulation, pro-
voquée par des phénomènes tels que l'activité des transactions ou la
hausse des prix, qui dépend elle-même de la dépréciation du change,
entraine fatalement un ralentissement du placement des Bons du Trésor
et, par éonséquent, une augmentation du chiffre des avances de la
Banque à l'État. Il ne peut en être autrement puisque le publie a
constamment la faculté de demander au Trésor le remboursement des
Bons arrivés à maturité et que c'est la manière la plus commode et la
plus économique d'obtenir des billets ..... Tant que les dépenses et les
recettes ne s'équilibrent pas, l'État est donc exposé théoriquement au
risque d'avoir à payer en billets le montant exact du déficit du bud-
get... »
(2) V. Rapport général sur le budget de 1923 par M. Bokanowski
p.136, 'l.t Pierre Guébhard: Le marché monétaire en 1922 dans La France
économique en 1922, p. 17-18 (Ténin, édit.). Nous voudrions pouvoir
donner ici la situation des souscriptions aux bons du Trésor au cours
, de l'année 1923. Cette situation est indispensable pour analyser le
mécanisme de la 'circulation. Malheureusement le régime de non-
publicité qui s'est installé chez nous depuis la guerre dans tous les
~omaines qui intéressent la vie « publique », fleurit également en ma-
tIère financière. Le ministre des Finances, comme celui des Affaires
étrangères, pense avoir accompli tout son devoir quand il a mis les
" Commissions parlementaires» au courant de~ faits. C'est, en réalité.
70 LA. DÉFLATION EN PRATIQUE

La 8ituation budgétaire et la déflation

Telle est l'histoire d'hier.


Elle met dans tout son relief le fait que nous avons
déjà noté à propos de l'Angleterre: le lien étroit qui unit
la situation monétaire et la situation budgétaire, et l'ac-
tion prépondérante de cette dernière sur le change.
En France comme en Angleterre, il y a eu réduction.
des moyens de paiement en circulation comme consé·
quence de la situation économique: il y a eu « déflation ».
Mais cette déflation s'est accompagnée en Angleterre d'une
amélioration continue du change, alors qu'en France il
n'en a rien été. (Nous renvoyons le lecteur au graphique
reproduit à la page 32).
Pourquoi? Parce qu'en Angleterre le œrésor, grâce
aux excédents budgétaires, non seulement absorbait dé-
finitivement les Currency-Notes rapportés par le public,
ce qui, nous l'avons dit, est relativement secondaire, mais
surtout consolidait sa dette flottante et diminuait sa
dette globale en écartant ainsi toute chance d'inflation
future.
En France, au contraire, d'un côté la dépression éco-
nomique augmentait les disponibilités du public et les
ramenait au œrésor, de l'autre, le déficit budgétaire obli-
geait le œrésor, non seulement à les remettre constam-
ment en circulation, mais à augmenter sa dette flottante.
Si, d'un côté, la marche des affaires permettait à l'État
de rembourser la Banque, par contre ses propres em-

un nouveau régime c~nstiiutionnel. Les pays de véritable liberté


oomme l'Angleterre, n'hésitent pas à publier chaque semaine toutes
les données indispensables pOUl' apprécier la situation des finances
publiques.
LA DÉFLATION EN 'FRANCE ';1

barras l 'obligeaient à faire au public des


, emprunts très
, 'eurs au montant de ses r'emboursements.
superl .• •
La situation est très nettement represen,tee dans le
tableau où le rapporteur général du budget de 1923 a
résumé la situation de la dette flottante aux deux dates
du 31 mai 1921 et du 31 août 1922.

t.apilal Capital
au 31 Dlai '!Jal au 31 août '922 Différences
Bons de la défense
en circulation .• ~I,8Il1,038,ooo 62,662,605,000 + 1O,85ci,567,000
Avances de la Rao-
que de France. 26,200.000,000 23,900,000,000 - 2.300,000,000

L'État réduit bien de 2.300 millions sa dette à l'égard


de la Banque. Mais, dans le même temps, il accroît sa
dette flottante de 10.850 millions (1). Comment, du reste,
ferait~il autrement, puisqu'en 19211e seul budget général
(nous ne parlons pas du budget spécial des régions libé-
rées, dit des « dépenses recouvrables ») s'est clôturé par
un déficit de 5.415 millions, qui, en 1922, a atteint
5.4'80 millions? Le budget sorti en juillet 1923 des
longues délibérations des Chambres se présente avec un .
é'quilibre apparent. Mais cet équilibre ne comprend ni
remboursement à la Banque ni d'autres dépenses portées
à tOrt suivant nous au budget des dépenses recouvrables.
En comparant la situation française à celle de l'Angle-
terre, nous n'entendons pas dire que la France aurait dû

(1) La situation est compliquée au point de vue comptable du fait


que les remboi.lrsements à la Banque figurent hors budget, et que
'd'~utre part les remboursements ont été .opérés pour une grosse' part.
grace au compte d'amortissement constitué à la Banque même. Les
r~cettes ~~ ce compte sont des recettes de l'Etat, de sorte que l'emprunt
n a,pas ete contracté directement en vue de rembourser la Banque.
M3.1s le résultat est le même que s'il l'avait été.
LA DÉFLATION EN FRANCE 77

lique une production accrue, laquèlle, à son tour, im-


Plique que toutes les épargnes disponibles sont orientées
~ers les entreprises industrielles et agricoles.
Or, dans la mesure où l'État emprunte - et à part
une exception que nous allons mentionner - l'épargne
disponible est détournée par lui des emplois productifs
pour défrayer les dépenses généralement improductives
des fonctionnair.es et des rentiers. L'emprunt, en tant
qu'il couvre des dépenses économiquement improduc-
tives de l'État, enlève l'épargne à son emploi normal,
accroît la proportion du revenu national immédiatement
consommé aux dépens de celui qui servirait sans cela aux
progrès de la production. La supériorité des budgets en
équilibre est de laisser libre pour ces progrès toute
l'épargne disponible. Ils préparent ainsi pour l'avenir
une offre croissante de marchandises' nouvelles, et, par
suite, une appréciation inévitable et dans ces conditions
bienfaisante de la monnaie nationale.
Mais, dira-t-on, l'équilibre suppose l'accroissement des
impôts. Or, si l'État s'y décide, celui-ci (quand le contri-
buable, comme aujollrd'hui, est déjà très chargé)' ne
sera-t-il pas, autant que l'emprunt, prélevé sur les
sommes mêmes destinées par le contribuable à l'épargne
productive? L'économie du pays n'en sera-t-elle pas
affectée au même degré que par l'emprunt?
Soit un déficit de 5 milliards: qu'importe à l'économie
nationale que l'État le comble par l'emprunt ou l'impôt,
si dans les deux hypothèses le contribuable en est réduit
à prélever ces somm~s sur son épargne habituelle et si
dans les deux cas l'État les dépense improductivement ?
D'abord il restera toujours cette différence que l'im-
pôt ne grève pas l'avenir. L'emprunt charge les budgets
futurs du poids de l'intérêt, menace ainsi ~euf équilibre,
']8 LA DÉFLATION EN PRATIQUE

-et crée, par là, cette inquiétude sur l'avenir financier si


déprimante pour le marché des changes.
D'autre part, le contribuable prélève en général l'impôt
sur sa consommation. Pour l'acquitter, ou bien il con-
somme moins, ou bien il travaille I>lus ; mais il cherche
à maintenir son épargne au niveau habitu~l. En comblant
le déficit par l'impôt, on risque IItoins d'entamer l'épargne
du pays qu'en recourant à l'emprunt qui, normalement,
provient de sommes dépassant la consommation cou-
rante.
Dans tous les cas, l'impôt est plus pénible au contri-
huable que l'emprunt. Par suite, la pression de l'opinion
dans le sens d'une réduction des dépenses publiques sera
plus forte dans les pays où l'on préfère le premier. Et
·c'est encore une raison de supériorité (1).
Ce qui précède s'applique uniquement aux emprunts
improductif$·

(1) Dans une note intéressante d'octobre 1922 intitulée: Ré{f9xions


.sur le déficit, MM. Wolf et Bokanowski comparent très minutieu-
sement les effets économiques de l'inflation et de l'emprunt. Ils con-
cluent que l'emprunt, même à long terme, constitue lui-même une
forme d'inflation quoique préférable à l'autre. Nous avons montré
plus haut que l'emprunt sous forme de bons du Trésor constitue effec-
tivement au moins .en puissance une inflation toujours menaçante. Par
contre, nous ne voyons pas que . l'emprunt à long terme crée un
nouveau pouvoir d'achat. L'effet de l'emprunt d'Etat est de dé-
tourner vers la consommation improductive des sommes épargnées
qui sans cela eussent été consacrées à un accroissement de la production.
L'emprunt modifie au détriment de cette dernière la répartition spon-
tanée du revenu qui sans lui se serait établie entre la consommation
et la production; c'est par là qu'il retarde 'le relèvement du pouvoir
d'achat du franc. A ~ai dire, .dans les pays anglo-saxons les emprunts
de guerre, même à long terme, ont été souvent souscrits par les ban-
ques, non avec leur capital mais par de simples inscriptions en compte
courant au crédit du ,gouvernement, et l'émission de ces emprunts a
été l'occasio~ d'une inflation certaine. Mais nous ne croyons pas que
cette méthode ait été employée en France sur une échelle importante,
LA. DÉFLATION' EN FRANCE . 79

... ' '1 Y a des emprunts productifs. C'est l'exception


lUaiS 1
noUS faisions allusion tout à l'heure, Tels sont,
à laqueIle 1

'e aU moins (car une autre est affectée à des seJ.'-


en par t l ' . '
, d'l'ntérêts et au serVIce des penSIons), les emprunts,
VICes
' s en France au bénéfice des régions libérées et
cont ra ete .
figurant au budget dit des Il dépenses recouvrables ».
Que fait ici l'État? Il se substitue simplement aux
entrepreneurs privés en quête de capitaux. L'épargne
u'il'attire est cédée aux sinistrés pour être (en majorité)
!ansformée en usines, stocks de matières premières, ma-
chines, etc. Elle sert à fortifier la puissance productive
de la nation. Elle n'est pas détournée au profit de
la consommation. Les conséquences fâcheuses signalées
tout à l'heure ne peuvent donc se manife~ter. Loin de
déprécier le franc, de telles dépenses, à condition bien
entendu de ne pas être détournées de leur but. en pré.
parent au contraire l'appréciation pour un avenir pral'
chain. '
Faisons toutefois une restriction. Ces emprunts, comme
les autres, ne cessent d'alourdir la charge des intérêts qui
pèse d'un poids croissant sur le budget. Comme les autres,
ils augmentent les chances de déficit pour l'avenir, et,'
par suite, les risques d'inflation auxquelles nous savons
que la spéculation sur le change est si sensible.

Différences entre 1871-1876 et 1918-1923

En résumé, une interprétation trop simpliste de la


méthode employée ,après la guerre de 1870-71 a trompé
sur la portée réelle des remboursements à la Banque de
France.
Si de 1871 à 1876 ces remboursements se sont accom-
pagnés d'une amélioration rapide du change, ce n'est
80 LA DÉFLATIO:"i El'! PRATIQUE

pas en raison d'une action quasi mécanique sur la quan-


tité de monnaie en circulation; c'est parce qu'ils tradui-
saient une situation financière chaque année plus favo-
rable. Dès 1874 on considérait l'équilibre budgétaire
'comme acquis par les seules rentrées des impôts.
Des remboursements poursuivis, au contraire, comme
ceux de 1921 et 1922, sans politique financière corres-
pondante, ne pouvaient avoir le même effet. N'oublions
pas qu'en Angleterre le Trésor n'a entrepris sa politique
de déflation qu'après s'être assuré que. la dette n'augmen-
terait plus.
Il y a bien d'autres différences à relever entre la situa-
tion de 1871 et celle d'aujourd'hui. Il n'est pas inutile d'y
consacrer quelques lignes. Les souvenirs de cette épo-
que, maintenant lointaine, voilent pour certains esprits
la vue nette des phénomènes d'aujourd'hui.
Le mot même de déflation appliqué à la période 1871
à 1876 est singulièrement mal choisi, car on ne saurait
parler d'inflation pendant la guerre relativement brève ,
de 1870-71.
Les billets émis alors - (qu'on relise le fameux rapport
de Léon Say) - ont remplacé poUl;' la plus grande partie
l'or thésaurisé ou expédié à l'étranger, sans accroître la
·masse des instruments monétaires en circulation. L'index
des prix a moins haussé en France qu'en Angleterre,
entre 1871 et 1873!
La guerre finie, on n'a pas assisté - en dépit des rem-
boursements de l'État à la Banque - à une réduction
correspondante du nombre de billets. Voici les chiffres de
la circulation de 1871 à 1876 (en millions de francs) :

18ïl . 2,07 5 18j4 . 2,59 6


18ï2 . 2,400 1875 . 2,46 1
1873 . 2,856 18ï6. • 2,484
U DÉFLATION E~ ,RANCE 81

La circulation reste supérieure dè .1.tOO millions a~


chiffre maximum de la période de paix antérieu!e (1.35~
millions en 1869). .
Pendant ce teIp.ps l'État a bien remb01!rsé 1,OS7 mil·
lions sur les 1.425.qu'il avait reçus de la Banque. .Maïa
comme, au fur et à mesure des. r,emboursements de'
l'État, la Banque' remettait en. circulation des billets
(représentant l'or nouveau qui affluait dans ses caisses)
la circulation totale des instruments le paye~ent est
restée sensiblement la même. Ce n'est pas à Ul;J.e déflation
que nous assistons de 1871 à 1877 ; c'est à la reconstitu-
tion, grâce à un change fJite refJenu au pair, d'une base
méta.llique à une circulation accrue. .
. La France de cette époque a v.u se produire chez elle
ce que nous constatons, non sans envie aujourd'hùi, aux
.États- Unis : une augment~tion de circulation qui' reste
sans action sur le change parce qu'elle est convertible en
or. Elle a profité des mê~es avantages dont bénéficie~t
actuellement nos associés : un change à peine ~épréc~é
pendant la guerre, une balance despaiemen~s créditrice,
'. .\;

un rapide rétablissement budgétaire.

Bien différentes .sont les circl;lDstances prés,entes avec


une circulation sextuplée, une dénivellation prolongée
.des prix, un cha~ge adapté à cette dénivellation, et si
écarté du pair qu'on peut douter que la politique finan-
cière la plus sage, accompagnée de la balance des comptes
la plus favorable, l'y raDlène jamais. D'où l'éloignement
iRdéfi'ni de to~te perspective d'un retour spontané de l'or.
Dans ces conditions, les directives de la politique mo-
nétaire ne saurai~nt être purement' et si~plement em-
pruntées à la traditiori financière d'il y a cinquante ans.
Un :sremier point est hors de conteste : la nécessité
Rist 6
8Z LA OÉFLATIO:'l EN .PRATIQUE

·pour la Banque de s'assurer à toute éventualité une marge


d'éinission suffisante, sans avoir à dépasser la limite
maximum actuelle.
Quél que soit le système monétaire - papier ou espèces
métalliques - le stock· de la monnaie étalon doit être
soustrait aux interventions du pouvoir. Ce principe, faci-
lement applicable dans un système métallique où les
mines fixent à la production· monétaire sa limite, et où
l'équivalence de l'or et de la monnaie fiduciaire doit être
constamment assurée, demande une volonté persévé-
rante pour être maintenu dans un régime de papier-mon-
naie inconvertible. D'autre part, il faut que les besoins
commerciaux soient assurés d'une émission fiduciaire
adaptée à leurs proprès fluctuations. Cette élasticité qui
. ne saurait être indéfinie trouve sa 'limite naturelle dans un
système métallique quand l'or commence à fuir à l'élian-
. ger. Les banques savent qu'à ce moment la limite de la
marge de crédit est atteinte. A cette limite naturelle un
système de papier-monnaie doit substituer la limite
artificielle d'un maximum légal infranchissable. Pour être ,
"Sûre qu'il ne sera jamais dépassé, la Banque. doit main-
tenir l'émission normale assez au-desseus de cette limite,
pour disposer toujours d'une marge importante. Il ne
faut pas que les circonstances économiques obligent une
fois encore la Banque, comme dans l'été 1920, à élever
son maximum d'émission.
Ainsi un maximum légal définitif et une marge d'élas-
ticité suffisante, voilà la double exigence qui domine le
. problème des remboursements de l'État. La marge ac-
tuelle de 4 milliards paraît un peu faible· encore pour les
. . ~
éventualités qui peuvent se produire. Son élargIssement
à 6 ou 8 milliards ne paraît pas exagérée.
On peut concevoir aussi un système où l'émission aU
LA DÉFLATION F.:'I FRANCE 83

profit de l'État ~erait fixée à .un chitrre i~fra~chissable,


mais où l'émisSIOn commercIale pourraIt depasser ce
chiffre dans toute la mesure des besoins commerciaux,
au Il'eu , comme nous le pro,posollsÎci,
. .'. de fi:x:~r un,. e lj:qlite
,
définitive à l'ensemble des deux émissions, gouvernexnen~
tale et commerciale. Le premier système fonctionne,
comme on le verra plus loin, en Tchéco-S~ovaquie. Le
seco~d nouS paraît mieux convenir à'la situatio,n présente
de la France, où les menaces d'inflationrestentd~nge-
reuses.
Mais l'obtention d'une marge même ainsi limitée ref\-
tera naturellement illusoire si l'État par, l'émission con-
tinue de nouveaux bons d~ Trésor, crée constamment
par ailleurs les moyens de l'entamer. La marge d'élasticité,
tant que cette émission se poursuit, n'a qu'une valeur
d'avertissement. L'exigence des remboursements dans
les conditions actuelles est surtout un moyen de n'en
pas laisser prescrire le principe.
'Ainsi l'équilibre b':ldgétaire reste la condition pre-
mière. Tant qu'il n'exIste p~s, on ne saurait, à vrai dire,
parler de d~flation. Seulement le problème monétaire ne
s'arrête pas là. .
Le jour où, comme on doit j'espérer, l'équilibre budgé-
taire sera atteint,et où la marge d'élasticité dont nous
parlions tout à l'he tlre sera jugée suffisante, un problème
,nouveau se posera: - celûi que nous' avons appelé précé-
demment : le problème du '« résidu» d'inflation.
Quel « résidu d'inflation » la France devra-t-ellè con-
sentir à garder? puisqu'elle devra ,comme l'Amérique,
comme l'Angleterre, se résigner, bon gré, mai gré, il en '
garder un.
La réponse à donner à cette question sera influencée
,par,une eirconsta~ce qui n'existait pas en 1871. C'est' une
84 LA DÉFLATION E:ol PRATIQUE

nouvelle et grave différence enire la situation financière


d'aujourd'hui: et celle léguée à la France par la guerre
précédente.
, En 1871, les emprunts de guerre ont été insignifiants.
Le service ·des deux grands emprunts de libération ~ pu
être presque aussitôt assuré par des ressources normales.
De 1869 à 1872 la dette s'accroit de dix milliards.
En 1918, la France est sortie de la guerre avec une
dette intérieure grossie de cent milliards qui, avec les
emprunts d'après-guerre, atteint aujourd'hui 250 mil-
1iards et qui s'aggrandit tous les jours.
-'Or, les finances de l'État, ne peuvent pas mieux que
'le marché monétaùe ~e passer d'élasticité. Le souci cons-
'tani de tous les gouvernements sérieux a toujours été,
après les périodes d'emprunts multipliés, d'en rembour.ser
:une partie. C'est la politique suivie actuellement par l'An-
gleterre et les États-Unis, Si donc, l'hypothèse se réalise
enfin d'un budget en équilibre ou même en plus-value,
"alternative qui se posera devant les pouvoirs publics et
. qui ne se présentait pas en 1870-71, sera ou de rembourser
les emprunts portant intérêt ou de rembourser la dette
contractée en billets de banque.
Entre les deux méthodes, ni l'opinion, ni les pouvoirs
publics n'hésiteront longtemps. La première, au lieu de
détruire le produit de l'impô'f"comme le fait la seconde,
restitue au contribuable les billets en vue d'emplois pro-
ductifs ; elle allège, en outre·, le budget de tout l'intérêt
de la dette remboursée, et diminue ainsi le poids de l'im-
pôt futur.
C'èst . dans ces termes que se' posera :d'abord le pro-
blème du {( résidu d'inflation» : remboursement à la
. .
Banque, oU,remboursement au public.
L'hésitation sera d'autant moins possible que, par une
LA DÉFI,.ATJO~ EN fRANCE 85

. de'tournée cette méthode provoquera elle-même le


VOle' , ' . '
retour spontané des billets à la Banque ~ et l'élargisse- ,
ment de sa marge d'élasticité - bieùplus, sûremen"t que,
la déflation directe. " , J

Car le rétablissement de l'équilibre budgétaire est, nous,


l'avons vu, le plus sûr moyen de relever le cha.nge, et le ,
relèvement du change,_ à son tour, pl'ov,oquera la baisse'
intérieure des prix. Celle-ci libérera des instruments de
circulation qui reflueront spontanément, soit au Trésor,
soit à la Banque, entraînant comme première consé-
quence une -baisse du loyer de l'argent. L'experience
tchéco-slovaque, dont nous allons parler, comme l'expé"
rience britannique, ont mis ce processu!! en pleine lumière.
A ce moment-là se posera ùne fois de plus, mais sous
une autre forme, le problème du résidu d'inflation. ,
Car le relèvement, spontané du franc rendra nécessaire"
enfin de fixer sa limite: poursuivra-t-on le retour à l'an-,
cien pair? Le hâtera~t-on par une déflation monétaire?
ou se résignera-t-on à la dévaluation?
L'Angleterre s'est décidée dans le premier sens.
Que devra faire la France ?
Il est trop tôt pour le dire encore. Il n'est pas dans les,
habitudes françaises de préciser longtemps à l'avancej-.
comme en Angleterre ou aux États-Unis, les buts et les'
moyens de la politique monétaire. A chaque jour suffit
sa peine. L'inflation, chez nous, est menaçante encore:
Il suffit, pour le moment, de s'opposer par tous les moyens
à son retour possible.
Cependant, il faut l'avouer, les raisons qui ont fait
longtemps redouter 'la dévaluation, perdent de leur force
à mesure que s'écoulent, sims aDiélioratio~ sensible dû
Cours du franc, les mois et les années. Plus le temps dure,
plus se manifestent les avantages d'u'u prompt retour à
86. LA DÉFLATIO:-i E:-i PRATIQUE

l'or. Plus s'accroît le nombre des pays revenus à une cir-


culation métallique, plus s'alourdit la charge des em-'
pruntS' conclus en monnaie dépréciée, - plus aussi la
dévaluation cesse d'apparaître comme une révolution,
pour prendre l'aspect rassurant d'une consécration con-
servatrice des faits acco,mplis.
Pour le moment nous n'en sommes pas là.
Qu'on se borne à rendre à la Banque de France une
certaine marge d'élasticité. Qu'on rétablisse, avant tout,
l'équiliQre' budgétaire en faisant rentrer dans le budget
général les pensions et tous les intérêts de la d€.tte.
tI'oute autre déflation sera parfaitement inutile. L'ac-
croissement spontané de la production, l',amélioration
du change feront hausser le franc bien assez vite pour
'qu'aucune « déflation » supplémentaire n'apparaisse
comme souhaitable ou efficace. A l'heure où nous écri-
vons, le franc baisse encore. L'orsque, le problème des
réparations enfin rêsolu, sa stabilité n'apparaîtra plus
comme constamment menacée par ,les initiatives géné-
falement fâcheuses de la politique, l'économie 'française
s'accommodera fort' bien d'un « résidu d'inflation »
comme s'en accommodent aujourd'hui l'Amérique et
l'Angleterre.

You might also like