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une cité radieuse des ob curit Ja histoire dun drél a “gs arlt dans le Perigord | Gppoeer 26 1S put étre une cont : Pee milieu du XIX siécle pour une enfance. Gaby escent province qu’en 1894 lorsqu’il sera nommé s Feation de fa statistique judiciaire au minis Entre ces deux dates, Tarde est un éléve t superieures Janssaville natale, Au cocur de cette existence, la place desi de droit le conduiront & devenir a prépondérante en ce quils peuvent nous transmettre et fire approcher ce que nulle part ailleurs nous ne saurions uvriz, A la mort de son pére, Tarde n'a que sept ans, Anne Aline Roux, sa mére, passionnée de littérature, prend en chat féducation de son fils. Le jeune Tarde s'y nourrit sans compter puis fait apprentissage rigourcux et fécond, au collége jéswite de Sarlat, du grec, du latin, de I'histoire et des mathématiques Ness sources fondamentales s‘ajouteront de nombreuses autres ibetires, celles de Maine de Biran, et surtout de Cournos, de Hegel, Leibniz, Taine et Renan, pour ne citer que cou la Le jeune homme est un esprit curieux, électiques ouvert, qui Ne Pouvait qu’obrenir un baccalauréat és lettres, d'abord, puis U autre és sci mou xix qui conduit Véla- Ia sociologics Gabriel en sopposant aux le Jc social sur —" le mouvement intellectuel de « ation et 4 la formation d'une science ver Sa place, sent de penser Ta de ne manquera pas de tro Oncene;, ' ‘ ceptions naturalistes qui PrP? ” de théories évolutionnistes et biol socle d’un ensemble nt un strict déterminisme historique. Dans la méme per suiva! : Tarde sétaitillustré déja, dans le domaine de la crimino pective, logie, lorsquiil criminalistes italiens, pour lequel le criminel était positivement prédestiné & n’étre que s était opposé aux conceptions alors en vogue des et notamment celle de Cesare Lombroso, ce quill était. C’est contre cette vision déterministe, cest contre ces visions positivistes des sciences sociales qui sélaborent sur des données et des idéologies relevant du biologique et de l’or- ganique, c'est contre le corset du naturalisme et du vitalisme, et contre encore l'idée d’un mouvement irrépressible de l'histoire, contre le fatalisme et le déterminisme historiques, en d'autres termes, contre la conception de rapports qui s’établissent sur la concurrence et la sujétion, sur l’asservissement et l’exploitation, que sélabore la sociologie de Tarde, notamment dans son ou- vrage majeur : Les lois de limitation, ot se trouvent proposées les théses selon lesquelles s’élabore une pensée de la contingence et de Pimprévisible, ott se trouve mise en jeu une dialectique sub- tile entre le singulier et le général, la contingence et la nécessité, entre ’hétérogéne et I'homogéne, oii prend place finalement le mouvement créatif du possible, voire des possibles, contre les prétendues lois de la réalité. En ce sens, dans un passage saisis- sant de Monadologie et sociologie, Gabriel Tarde ne manque pas daffirmer son propos : Exister, cest différer ; la difference, a vrai dire, est en un sens le coté substantiel des choses, ce qu'elles ont a la fois de plus propre et de plus commun. Il faut partir de la et se défendre d expliquer cela, & quoi tout se raméne, y compris Videnvité doit Von part faussement (...) La difference est Valpha et Loméga 92 elle tout commence t ners 5 pal ’ fe , : Lexemple des sociétés est précisément trés propre a saisir toes! fait et a suggérer en — — sa vraie signification, en que dans cette série ott Lidentité et la différence, lindis- op et de caracterise Semploient réciproquement plusieurs fois de Je terme initial et le terme final est la difference, le caractére, ce quily 4 de bizarre et dinexplicable qui sagite au fond de tout ce qui, toujours plus net et plus vif, réapparait apris des effacements suocessifi. Toure oeuvre de Tarde s‘inscrit sous cet accent fonda- mental. Parmi cette profusion intellectuelle de haut rang, émerge Grangement cette fantaisie philosophique : Fragment d histoire future, Cente fantaisie peut étre inscrite indiscutablement dans la famille des utopies. Mais bien que rédigée dés 1879, cette fan- ) ; par elle tout finit, Ex sociologique ( retouches. Je niaurais Journal des années ; Cette fantaisie is découvert, dans le par sociologie, en 1896, donne de SS en se réfugiant sous terre pour y suivre un mode de vie troglodyte ¢¢ quelques milliers d’étres humains échappent au cataclysm créer une société nouvelle. On a pas manqué de souligner, & juste titre, que l'utopie de Tarde avait toutes les couleurs d'un anti-platonisme, puisque la caverne, dans le récit, n'est plus le lieu des illusions et des faux acres, mais bel et bien le lieu méme de l’étre, ou des possibles de Pétre, dans l’organisation et la confection d’une cité radieuse des obscurités. René Schérer ne manque pas d’insister sur ce point : I faut accorder a ce changement de lieu et d orientation sa pleine signification philosophique. Il faut y voir, non un choix arbitraire, une originaltié gratuite, mais un véritable « renversement des va- leurs », une « tranvaluation » a la maniére de 'Umwertung de Nietzsche. Ce qui est abandonné, c'est bien le platonisme, toute la tradition céleste, toute la lignée solaire de la pensée rationnelle et de Limaginaire quelle véhicule. Le monde souterrain, le peuple troglo- dytes de Tarde, sont & Vinverse de la Cité du soleil de Campanella, platonicienne encore dans sa formule ott résonne le mythe central de la République, celui de la sortie de la caverne, de l'ascencion initia- tique, salvatrice, vers le soleil. Chez Tarde, tout au contraire, cest la remonteée vers la superficie de la planéte glacée qui sera mortelle, et la descente, source d'enrichissement infini. Suivant ce fil conducteur de lantiplatonisme, ou du platonisme inversé, on peut déchiffrer les sens divers de tous les choix utopiques de Tarde, dans la variété pittoresque de leur détail. Si le catalogue n'en est pas strictement systématique, il n'est jamais dépourvu de raison. Il sagit de prendre le contre-pied de la « Cité idéale », platonicienne ou platonisante, dont toute Varchitecture, Vactivité, la finalité répondent @ des fone- 94 4 ginsallation- de défense, de production et de reproduction, 10! i pél ri e V4 ad pesoin de murs ni Becphenanes ni intra-urbains, lorsque sinue dans des galeries et des grottes, a volonté extensibles les matisons sont inutiles, chacun pouvant 41 son gré creuser opre logement. Plus besoin de quéte nt de production de nour- sor rune, alors 46> fénorme banguise-congélateur en quoi la terre se trouve transformée (aomusante anticipation des surgelés !). Plus besoin, évidemment, de uerrien [a on il n'est plus a craindre aucun ennemi. Plus besoin de senproduire, et meme danger ale faire, alors que le bonheur de Thu- manité, loin de consister dans son expansion, dépend de sa concen- srtion et de son petit nombre. Plus de « Cité » proprement dite—la ricilleetillustre Polis, avec son appareil économico-politique. Déja la prenite partie, celle de Visnmédiat aver’ exprime aversion pour n derision. Aprés 1a bienbeurense catastrophe, en utopie, Ia société se soutient delle-méme, er cultivant un anarchisme heureux : une société sans Eat, libérée 4 la fois des pouvoirs humains et des pressions d'une nature hostile. que la rédaction du Fragment II ne faut pas perdre de vue est bien antérieure aux publications scientifiques de son aureh™ Faudrait-il y suppose comme Une sorte intuition = cf lei iosuvte x venic ?:Allted Espinas end cemble-ril, convaincu, lorsqu il écrit q4© cet ouvrage jouée et paradoxale, un résumé srs exuk ET attention il systéme. Cet opuscule appelle route notre hh image de Vérat d’esprit de Lauteur aun te is entre la Dabermrme Lapogse de so oct métaphysique et la période sociologiqh® ores et déja, celle-ci est conservée et présente dans les passions politiques, tournées © faudrait-il regarder ce Fragment comme un concentté ot sony mis & Pessai des concepts dans quelque chose comme une 12. verie, puisqu’il ne s'agit pas, jamais, comme dans toute science expérimentale, de théories soumises & I'épreuve du calcul et de la verification, mais de sortes d'intuitions conceptuelles expéri- mentées & l’aune du seul réel 4 méme de les mettre a l’épreuve jusqu’au bout et véritablement, a savoir l'exercice de la littéra- ture. Il serait en effet, je pense, particulitrement vain de chercher ici une quelconque science expérimentée en vue de sa confirma tion, tandis que ne cesse de s'y livrer 'expérimentation d’un sa- voir (puisse-t-il étre encore parfaitement intuitif) au coeur méme du creuset d'une fiction. Au tournant des xix‘ er xx* sidcles, l'ceuvre scientifique de Gabriel Tarde connaitra finalement la renommée. Bien qu’agé déja, Gabriel Tarde enseignera la sociologie et les sciences po- litiques & partir de 1896 a I’Ecole libre des sciences politiqu Puis 1900 le verra obtenir deux honneurs de rang : la chaire de Philosophie du Collage de France, puis son élection & l'Aca- démie des sciences morales et politiques (section philosophic). Pourtant, Gabriel Tarde, de fait, disparaitra rapidement, sans avoir fait école et sans produire de disciples. Seuls quelques au- teurs, comme Gilles Deleuze et Félix Guattari, Bruno Latour, ou encore Peter Sloterdijk, retrouveront sa trace au cours du sigcle dernier. Faut-il y voir comme une sorte d'injustice, comme le proclame Jean Milet, quand il écrit : L’histoire commet diétranges injustices. Elle a été particulidrement sévére pour Gabriel Tarde, Cet homme fit salué par ses contemporains comme un des plus grands penseurs de son époque (...) Or, le méme homme connait, quelques 96 0 ss sa mort, uN inexplicable oubli. Un lourd silence vient vom aeuure. Pendant ces cinguante dernitres années, ces -.s dudes et quelques articles (souvent d'origine al Juilleurs) rappellent Uexistence de ce grand socologue et _ En cet endroit, rappelons aussi qu’ Henri Bergson lui- cédera a la chaire de philosophic du Collége de d’honorer la mémoire de Gabriel Tarde ‘meme, qui Jui suc France, ne manquera pas dans une lettre envoyée en vue de l’inauguration du monument eTarde, & Sarlat, en 1909 : Lhistoire de la philosophie nous ap- rend a distinguer deux genres de penseurs. Il en est qui choisissent eardirection et qui marchent méthodiquement au but, sélevant, de degré en degré, une synthése voulue et préméditée. Men est d'autres qui vont, sans méthode apparente, oi leur fantaisie les méne, mais dont esprit est si bien accordée a l'unisson des choses que toutes leurs dis saccordent naturellement entre elles. Leur réflexion, partant denimporte ois, et Sengageant dans niimporte quelle vote sarrange pour les ramener toujours au méme point. Leurs intuitions, 11 ‘wont rien de systématique, sorganisent dielles-mémes e” systéme. Ils | cherché ix Uéere, sans y avoir pensé. A la curieusement stimulante et riche d'intérét, des cavernes, tunnels et aguleries ot se tapit Vinsaisissable vraie pensée de M. Tarde, cela, a Vintention de ceux qui ont souci de la suivre, de sen emparer et de la comprendre. Enfin, il existe 4 mes yeux dans l’existence de Gabriel Tarde une série d’événements qui mériterait d’étre regardée dans la perspective du Fragment. La biographie de notre auteur nous apprend en effet que Gabriel Tarde dut longuement lutter contre de graves crises d’ophtalmie le conduisant a souffrir par périodes d'une cécité presque totale, Pour pallier & la soif de lecture et de découverte de son fils, c'est alors sa mére qui lui lit les livres qu'il désire découvrir. Fort heureusement, Gabriel Tarde finira par guérir de ces troubles. Toutefois, il marrive quelquefois de me demander si les découvertes que Tarde put faire a ces époques, alors quil était plongé dans cette nuit, il m’arrive de me deman- der si, trouvant en lui-méme sa propre lumiére a travers la voix de cette mére, il n'y a pas comme en germe, en puissance, l’idée de ce Fragment ott les hommes se retrouvent dans la nuit la plus vaste et la plus compléte pour trouver leurs propres lumiéres au sein d’eux-mémes comme au coeur des plus mystérieuses pro- fondeurs de la terre, qu'il ne serait pas indélicat, je pense, de considérer ici comme une sorte de nouvelle terre-mére. franck guyon, juillec 2014

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