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Histoire Épistémologie Langage

Abū Hāshim al-Ğubbā’ī sur le langage de l’art


Marwan Rashed

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Rashed Marwan. Abū Hāshim al-Ğubbā’ī sur le langage de l’art. In: Histoire Épistémologie Langage, tome 36, fascicule
2, 2014. pp. 85-96;

http://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_2014_num_36_2_3498

Document généré le 20/02/2018


ABŪ HĀSHIM AL-ĞUBBĀ’Ī SUR LE LANGAGE DE L’ART

Marwan Rashed
Université Paris 4 Sorbonne

Les théoriciens arabes du langage – grammairiens, mais aussi philosophes, juristes


et théologiens – ont réfléchi sur les rapports entre l’énoncé (lafẓ) et le sens (ma‘nā).
Je ne reviendrai pas en détail sur la reconstitution des rapports historiques entre
ces deux notions tels qu’ils ont été mis en lumière par Djamel Eddine Kouloughli
dans un article majeur1. L’idée essentielle qu’il y a développée est la découverte
progressive – encore que non linéaire – d’une correspondance bi-univoque entre lafẓ
et ma‘nā, culminant avec la mise au jour, par ‘Abd al-Qāhir al-Ğurǧānī (XIe siècle),
d’une distinction qu’on peut assimiler à celle que la linguistique moderne postule
entre signifiant et signifié. Djamel E. Kouloughli a montré comment, partant d’une
vision plus simple où à un seul sens pouvait correspondre plusieurs expressions et
où, du même coup, le « sens » (ma‘nā) est avant tout lié à la visée ou intention du
locuteur, les grammairiens arabes se sont progressivement dirigés vers une autre
vision des choses, où le sens s’apparente au signifié. Comme l’auteur en est bien
sûr parfaitement conscient, il ne s’agit pas seulement, à la fin de ce parcours, avec
Ğurǧānī donc, de l’idée innocente qu’à toute expression correspond un seul sens.
Il s’agit, bien plutôt, d’une construction grammaticale rigoureuse de l’isomorphie,
passant par la théorisation précise des catégories du langage comme système de
signes. C’est parce que le langage n’est, en termes leibniziens, rien d’autre qu’une
caractéristique, c’est-à-dire que l’expression d’un système de relations par un
autre, que la doctrine d’al-Ğurǧānī dépasse le statut d’un postulat lexical qu’on
pourrait retrouver dans d’autres contextes – qu’on pense, par exemple, à l’oikeios
logos d’Antisthène2.
Un vecteur important de l’invention linguistique des théoriciens arabes leur est
fourni par leur réflexion sur le statut du texte coranique. Assez vite s’est imposée
l’idée que le Coran était « inimitable » (mu‘ǧiz). Djamel E. Kouloughli a bien
vu que dans la théorie d’Abū Hāshim, l’excellence rhétorique consiste dans
l’adéquation de la forme et du sens, que seul le Coran a portée à sa perfection3.
Autrement dit, la catégorie générique d’un texte (naẓm) ne suffit pas à établir sa

1 Kouloughli 1983, p. 43-63 (reproduit ici en p.15-43, augmenté de traductions par Jean-
Patrick Guillaume).
2 Cf. Brancacci 2005.
3 Cf. Bohas, Guillaume et Kouloughli 1990, p. 115-116.

Histoire Épistémologie Langage 36/2 (2014) p. 85-96 © SHESL


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supériorité puisque, à catégorie égale, un texte peut être stylistiquement meilleur


qu’un autre. D’où la conclusion d’Abū Hāshim : la supériorité stylistique du
Coran, son « inimitabilité » (i‘ǧāz), se réduisent à la façon dont son texte tient
compte des exigences de l’énonciation (lafẓ) et de celles du sens (ma‘nā). La
découverte de Ğurǧānī est donc déjà en filigrane – encore qu’à l’état embryonnaire
– chez Abū Hāshim. Celui-ci insiste en effet sur la nécessité que l’énoncé exprime
adéquatement le sens et que les moyens qu’il peut mettre en œuvre relèvent de la
« conjonction selon une voie spécifique » (bi-al-ḍammi ‘alā ṭarīqatin makhṣūṣa).
Cette conjonction recouvre trois aspects : la sélection des termes, leur marquage
casuel et, enfin, leur position relative4.

1. LANGAGE, ALGÈBRE ET COMBINATOIRE D’APRÈS ABŪ HĀSHIM


Il ne semble pas qu’on ait souligné combien cette approche du style paraît marquée
par un mode de pensée combinatoire. L’idée d’adéquation entre forme et fond,
au cœur de la théorie d’Abū Hāshim, pointe déjà vers celle de correspondance
bi-univoque entre différents ensembles composés d’unités discrètes et en nombre
fini, celui des signifiants et celui des signifiés. Du côté du signifiant, les trois
plans sur lesquels peut jouer le style sont du même type : le choix des termes, en
arabe, est évidemment celui des racines, c’est-à-dire d’un arrangement de lettres
particulier choisi parmi tous les arrangements de lettres possibles, eux-mêmes
constituant le sous-ensemble des combinaisons phonétiquement réalisées dans
l’ensemble des combinaisons formellement possibles. On affectera ensuite à ce
choix d’une combinaison l’un des trois marqueurs casuels. Enfin, on réfléchira
sur les combinaisons possibles des mots déjà obtenus, pour déterminer laquelle
exprimera de la plus éloquente façon son signifié.
Cette conception du langage et de l’éloquence comme application d’un
schéma combinatoire (cf. le terme même de « conjonction », ḍamm) n’est pas
inconsciente, mais bel et bien revendiquée. C’est Abū Hāshim lui-même qui, dans
un texte resté inaperçu, assimile le langage à un fait mathématique, lui-même
formulé à la lumière de l’algèbre naissante. Voici ce qu’il écrit :
La science du calcul (ma‘rifa al-ḥisāb) ne saurait être qu’innée, car elle est la
science de l’addition (ǧam‘) de quantité à quantité, en sorte que son caractère
revient à ce que nous avons présenté. Il n’y a de fait aucune différence entre la
science de la différence entre le circulaire et le carré et la science de la différence
entre dix et cent, pas plus qu’il n’y a de différence entre la science de ce qui,
lorsqu’on conjoint (inḍamma) l’une de ses parties à une autre, produit un carré
et celle de ce qui, lorsqu’on combine l’une de ses parties à une autre, produit
cent – dès lors que tout cela ne saurait avoir lieu que de manière innée, et quand
bien même cela présente des difficultés et des ambiguïtés (à la façon dont toutes
les données de la perception présentent des difficultés) et nécessite, dans son

4 Bohas, Guillaume, Kouloughli, ibid.


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discernement, un usage répété et fréquent de la perception (ce qui n’interdit


cependant pas que la science de ce type soit innée).

Ce texte défend une double assimilation. La première, qui saute aux yeux,
est celle des mathématiques à la connaissance des données sensibles. Il n’y a là
aucune naïveté de la part d’Abū Hāshim, mais une prise de position concertée
sur le statut des mathématiques. En vertu du matérialisme de son ontologie, Abū
Hāshim refuse de voir, dans les êtres mathématiques, quoi que ce soit de distinct du
sensible. Au contraire, ils n’en sont que des déterminations, que nous connaissons
avec autant d’évidence que d’autres aspects du sensible. Comme Abū Hāshim le
note lui-même, cela ne signifie pas que nos sens ne puissent parfois nous tromper.
Mais un usage sain de la sensation produit, en principe, une connaissance certaine.
La seconde équivalence est plus diffuse, mais aussi plus profonde. Il s’agit du
rapprochement opéré entre arithmétique des entiers et géométrie des polygones5.
L’exemple d’Abū Hāshim – l’équivalence de la conjonction produisant la figure
géométrique carrée et de la conjonction produisant le nombre (carré) cent – n’est
évidemment pas choisi au hasard. Ce rapprochement n’est possible que parce que
nous nous écartons de la théorie aristotélicienne de la science. Dans les Analytiques
Seconds, Aristote écrit :
La démonstration arithmétique a toujours le genre du sujet duquel a lieu la
démonstration ; et, pour les autres sciences, il en est de même. Il en résulte
que le genre doit nécessairement être le même, soit d’une façon absolue, soit
tout au moins d’une certaine façon, si la démonstration doit se transporter
d’une science à une autre. Qu’autrement le passage soit impossible, c’est là
une chose évidente, puisque c’est du même genre que doivent nécessairement
provenir les extrêmes et les moyens termes : car s’ils ne sont pas par soi, ce
seront des accidents. C’est pourquoi on ne peut pas prouver par la Géométrie
que la science des contraires est une, ni même que deux cubes font un cube.
On ne peut pas non plus démontrer un théorème d’une science quelconque par
le moyen d’une autre science, à moins que ces théorèmes ne soient l’un par
rapport à l’autre comme l’inférieur au supérieur, par exemple les théorèmes de
l’Optique par rapport à la Géométrie, et ceux de l’Harmonique par rapport à
l’Arithmétique. La Géométrie ne peut pas non plus prouver des lignes quelque
propriété qui ne leur appartienne pas en tant que lignes, c’est-à-dire en vertu des
principes qui leur sont propres : elle ne peut pas montrer, par exemple, que la
ligne droite est la plus belle des lignes ou qu’elle est la contraire du cercle, car
ces qualités n’appartiennent pas aux lignes en vertu de leur genre propre, mais
en tant qu’elles constituent une propriété commune avec d’autres genres.

Abū Hāshim s’écarte doublement du modèle aristotélicien. Tout d’abord,


il n’accorde plus la moindre importance à la distinction des genres-sujets
scientifiques, qui joue un rôle fondamental chez Aristote lorsqu’il s’agit de définir
le domaine de chaque science. Il n’y a « aucune différence », nous dit ainsi Abū
Hāshim, entre la somme (arithmétique) de deux nombres et la somme des aires de

5 Abū Hāshim étant un atomiste, il est probable qu’il voyait dans le cercle un polygone
constitué d’un grand nombre de côtés.
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deux figures rectilignes. En second lieu, notre auteur confère de l’importance au


critère psychologique de la certitude. L’identité des deux sciences paraît fondée
au moins en partie sur le fait qu’à la fois la nature et le degré de la certitude dont
s’accompagnent leurs opérations sont identiques. Or ce critère est absent de la
discussion des Analytiques Seconds. Aristote définissant l’unité d’une science par
la nature de ses premiers principes et par celle de ses objets, il évacue tout recours
à la psychologie de l’acte de science. Jusque dans sa description du sullogismos
scientifique, où il affirme que les prémisses doivent être « mieux connues » que la
conclusion, on sent Aristote soucieux de ne pas définir la science par la certitude de
ses actes cognitifs6. Parce qu’il détache la science de l’évidence sensible, Aristote
ne peut en effet associer la science à l’évidence tout court. En revanche, parce
qu’il réduit la science à la connaissance des sensibles, Abū Hāshim n’a plus cette
difficulté. C’est ce qui explique, à un niveau plus profond d’analyse, qu’Abū
Hāshim refuse la logique aristotélicienne, et lui substitue une canonique dont
l’évidence sensible est le critère de vérité7.
On aura deviné quel nouveau cadre épistémologique permet à Abū Hāshim
un tel renversement : c’est la naissance récente de l’algèbre qui explique avec
quelle facilité Abū Hāshim peut assimiler arithmétique et géométrie des figures
rectilignes. Le déplacement du centre de gravité de la définition de la science du
genre-sujet scientifique aux méthodes est en effet caractéristique de la nouvelle
science inaugurée par al-Khwārizmī8. Les formes canoniques des équations
des deux premiers degrés qui sont au centre de l’ouvrage ont vocation explicite
à s’appliquer à tout ce qui relève de la quantité. L’idée est de déplacer le lieu
théorique de la science, en postulant qu’une même science, en l’occurrence
l’algèbre, s’applique à différents genres-sujets scientifiques. Une critique plus
subtile pourrait objecter que dans une telle opération, l’on déplace moins le lieu de
la science que celui du genre-sujet scientifique pris en considération. D’ailleurs,
Aristote lui-même admettait l’existence de genres scientifiques subordonnés. Mais
il est notable que ce n’est pas ainsi que les défenseurs de la théorie aristotélicienne
de la science ont tenté d’intégrer l’algèbre à un cadre aristotélicien. Pour al-Fārābī,
tout particulièrement, l’algèbre est rangée du côté des sciences mathématiques
pratiques et, plus précisément, des « procédés ingénieux »9. Autrement dit,
l’universalité de l’algèbre n’est pas directe ou entièrement « naturelle », mais
résulte d’une ruse humaine, qui parvient à manipuler, en vertu d’un certain

6 Cf. Analytiques Seconds, A 1, 71b 16-72a 1.


7 Pour la fin de non recevoir opposée par Abū Hāshim à la logique (manṭiq), qui n’est à ses
yeux rien de plus que l’énonciation (nuṭq), voir Abū Ḥayyān al-Tawḥīdī 1951, p. 265. Les
similitudes, sur ce point, entre les deux intuitionnistes (au sens défini par J. Vuillemin, cf. en
particulier Vuillemin 1986) que sont Epicure et Abū Hāshim (qui lui aussi refuse le principe
logique du tiers-exclu) sont frappantes. J’y reviendrai dans un travail ultérieur.
8 Cf. Al-Khwārizmī 2007, p. 94-95.
9 Cf. Abū Naṣr al-Fārābī 1968, p. 109.
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artifice, toutes les grandeurs (arithmétiques et géométriques, en particulier mais


pas seulement) d’une même manière. Ce sont les procédés réglés et apodictiques
de l’algèbre qui sont cette « manière ». D’où le paradoxe, enregistré par la tradition
des philosophes arabes : l’algèbre est à la fois apodictique et applicable en droit à
des objets épistémiques divers10.
Abū Hāshim développe l’analogie dans les lignes qui suivent :
Aucune de ces sciences ne s’écarte de ce que nous avons rappelé, même si
les formulations diffèrent à ce sujet. Car la multiplication d’un nombre par un
nombre ne relève que du chapitre de l’addition, à ceci près que ce que l’on
entend par « multiplication » est l’addition de cinq cinq fois, tandis que ce
que l’on entend par addition est l’addition de cinq à cinq. Ainsi, l’appellation
diffère, mais le sens s’accorde. On dira la même chose au sujet de la division :
celle-ci est une séparation de l’addition, en sorte que la connaissance de sa
spécificité est semblable à la connaissance de l’addition. En effet, de même
que nous connaissons de manière innée que lorsqu’un certain corps est conjoint
à un autre, on obtient un carré, de même nous savons, si l’on sépare l’un de
l’autre, ce qu’il advient. Il en va de même avec les nombres. (Al-Mughnī, XVI,
p. 313.1-7)

L’insistance d’Abū Hāshim sur les notions d’addition (ǧam‘) et de séparation


(tafriqa) est intéressante. Celle-là fonde la multiplication (ḍarb), celle-ci la
division (qisma). On doit tout d’abord noter, dans ce contexte, que le titre d’une
œuvre perdue d’al-Khwārizmī était Sur l’addition et la séparation (Fī al-ǧam‘
wa-al-tafrīq)11. Tout laisse donc supposer qu’Abū Hāshim s’appuie, dans tout ce
passage, sur des idées algébrisantes développées par al-Khwārizmī. Il emprunterait
au mathématicien aussi bien l’anti-aristotélisme de sa théorie de la science que le
point plus particulier de sa théorie de la multiplication et de la division.
Bien que cette idée paraisse sans parallèle dans la littérature mathématique
conservée, il est possible que ce soit al-Khwārizmī lui-même qui, dans le traité
perdu, ait souligné l’équivalence structurelle, en dépit des appellations diverses,
entre multiplication et addition des nombres d’une part, division et soustraction
d’autre part12. Cette remarque lui aurait permis de réduire les quatre opérations
à deux d’entre elles, l’addition et la soustraction, c’est-à-dire enfin, comme le
précise Abū Hāshim en toutes lettres, à la seule opération d’addition, accompagnée
de l’opération inverse. Ces idées mathématiques auraient attiré l’attention d’Abū
Hāshim car elles lui permettaient de fonder rigoureusement à son tour le caractère

10 Sur ce point, voir R. Rashed 1984a, p. 29-39, p. 34.


11 Ce traité est perdu. Il est mentionné dans les bibibliographies et cité par le mathématicien
al-Baghdādī dans Al-Takmila. Cf. Saidan 1997, p. 11.
12 Cette dernière affirmation s’explique sans doute du fait que lors d’une division, l’on soustrait
autant de fois que possible le diviseur du divisé. Abū Hāshim n’explique pas ce qui se
passe si cette soustraction produit un reste. En vertu de son ontologie atomiste, il considère
sans doute que dans une division réelle, si l’on soustrait le reste du quotient, etc., on finira
toujours par aboutir à une soustraction sans reste.
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« inné » des sciences mathématiques. Unifiant en effet par l’algèbre les opérations
qu’on applique à la géométrie et à l’arithmétique, puis s’efforçant de réduire ces
opérations à celle d’addition (jam‘), et enfin cette dernière à l’idée parfaitement
générale de conjonction (ḍamm, inḍimām), Abū Hāshim en arrive finalement à
asseoir tout l’édifice mathématique sur cette dernière.
Il intéresse directement notre propos qu’Abū Hāshim associe, aux différentes
sciences mathématiques, la science du langage. Celle-ci est aussi « innée »,
donc certaine, que la science du nombre. La raison théorique sous-jacente est
évidemment que la science du langage est, en dernière instance, réductible à
la science de la quantité et de l’ordre. Abū Hāshim est ici le fils de son temps.
La filiation khalīlienne est nette, et tout le contexte d’un rapprochement de la
combinatoire, de la linguistique et de l’algèbre13. Citons ses propres mots :
Il en va aussi de la sorte pour la science du langage et de sa composition, car celui
qui en fait usage doit posséder la science des unités de langage, les conditions
pour qu’elles soient conjointes et connaître, quand on conjoint une unité à une
autre, quel fait de langage se produit, et ce qui le distingue de ce qui est autre
que lui. On dira de même pour la séparation des unités. La science de cela est
donc innée, comme nous l’avons mentionné. (Al-Mughnī, XVI, p. 213.7-10)

Après ce qui vient d’être dit, il ne faut pas prendre l’assimilation de la science
de la langue à celle des figures et des nombres comme un vœu pieu, fondé sur une
analogie vague. La réduction n’est permise que parce que l’on a préalablement
montré que le ressort fondamental de l’unité des sciences « innées » était fourni
par les opérations de l’algèbre. C’est parce que tout ce qui est combinatoire est
algébrique, et que le langage est combinatoire, que l’on peut traiter ensemble de
l’arithmétique, de la géométrie et du langage.

2. LA SIGNIFICATION, ENTRE INTENTIONNALITÉ ET COMBINATOIRE


C’est dans le contexte de ce rapprochement que la difficulté surgit pour les
défenseurs de l’inimitabilité. Si la langue est susceptible d’un traitement
mathématique, devra-t-on dire que les mathématiques donnent lieu à l’i‘ǧāz, ou
bien que la langue s’y soustrait ? Ou l’alternative est-elle insatisfaisante ? En
d’autres termes, la théorie purement combinatoire de la langue qui se dessine
ici prête le flanc à l’objection du singe tapant Hamlet sur un clavier. La théorie
de l’inimitabilité coranique valant y compris pour un verset unique, il était à la
portée des savants de l’époque de calculer l’éventualité que le singe tape un verset
coranique d’une longueur donnée. Cette voie a d’ailleurs été frayée par un quasi
contemporain d’Abū Hāshim. Le littérateur al-Tawḥīdī, dans ses Muqābāsāt,
nous dit que le philosophe Yaḥyā b. ‘Adī (m. 974) avait recherché le nombre de

13 Sur ces imbrications, voir R. Rashed 1984b, p. 245-257 et surtout R. Rashed 2011, p. 111-
132.
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significations de la phrase al-qā’im ghayr al qā‘id, selon les différentes nuances


temporelles attribuables à ses éléments14. Le problème revient à une manipulation
combinatoire de l’énoncé, qui aboutit à plus de vingt mille interprétations
possibles. De telles manipulations d’un énoncé simple font planer leur menace
sur l’inimitabilité coranique. Ce que le théologien chrétien Ibn ‘Adī obtient sur
un énoncé au prosaïsme trop ostentatoire pour être sans malice – l’arabe signifie
« celui qui est debout n’est pas assis » – pourrait être obtenu sur n’importe quel
verset du Coran, même d’un nombre supérieur de lettres (du moment qu’il est fini).
Il suffit de faire varier non plus les temps mais, simplement, les lettres. Et dans
ce cas, l’inimitabilité s’écroule : si l’on a assez de patience pour écrire toutes les
combinaisons de groupes de lettres de longueur plus ou moins égale à quatorze
lettres, on finira tôt ou tard par obtenir mécaniquement des versets coraniques.
Le danger théologique était d’autant plus vif que durant le siècle qui avait
précédé Abū Hāshim, les bons esprits avaient rapproché le Coran des grands
ouvrages de science. En quoi cette œuvre était-elle plus inimitable que les Eléments
d’Euclide ou l’Almageste de Ptolémée ?15 Abū Hāshim répond de manière implicite
à la première aporie – beaucoup plus profonde – en répondant de manière explicite
à la seconde. Voici ce qu’écrit le Qāḍī ‘Abd al-Ğabbār, une centaine de pages plus
bas dans le même livre :
Et si quelqu’un disait : « Et Euclide, et l’auteur de l’Almageste, et l’auteur
de la Métrique, et Sībawayh, et d’autres encore, se sont distingués, grâce aux
sciences qu’ils ont produites, dans des domaines où d’autres qu’eux se sont
illustrés. Cela n’a pourtant jamais prouvé leur qualité de prophètes. Que l’on
n’aille pas chercher, à leur propos, de défi pour cela ! Ne faut-il donc pas dire
la même chose pour le Coran, même s’il s’est distingué par son excellence,
puisque son excellence ne surpasse pas celle de ce qui est apparu dans les livres
que nous avons mentionnés ? », qu’on lui réponde que notre maître Abū Hāshim
a répondu à cela de la manière suivante. (Al-Mughnī, XVI, p. 304.18-305.3)

Abū Hāshim met en place une batterie d’arguments pour répondre à l’attaque
effectivement percutante d’Ibn al-Rāwandī (puisque c’est de lui qu’il s’agit). Après
avoir critiqué l’argument adverse en se réclamant de critères formels, il propose
divers types de réponses. La première est gnoséologique, c’est-à-dire fondée
sur la spécificité de la connaissance mathématique. La deuxième est historico-
sociologique, Abū Hāshim s’appuyant sur le fait qu’une production mathématique,
dans l’Antiquité, ne donnait pas forcément autant lieu à la compétition qu’une
composition littéraire à l’époque du Prophète. La troisième réponse est purement
historique, et fondée sur les vicissitudes – très bien décrites – de l’histoire des textes.
La dernière, enfin, est épistémologique, s’appuyant sur la nature essentiellement
accumulative de la science, qui seule explique ses progrès16 :

14 Abū Ḥayyān al-Tawḥīdī 1960, p. 127.5-8.


15 J’ai consacré un article à cet argument. Cf. M. Rashed 2008, p. 277-293.
16 Al-Mughnī, XVI, p. 305.3-306.10..
92 MARWAN RASHED

a. Critique formelle de l’argument adverse

« Cette question implique que ces choses soient miraculeuses et non pas
qu’elles mettent à mal le caractère miraculeux du Coran, car nous avons déjà
montré à son propos, de manière probante, son caractère miraculeux : si en
effet ce dont ils veulent parler a les mêmes caractéristiques que lui, il s’ensuit
que ce dont ils veulent parler est miraculeux, car la voie unique de toute preuve
et de toute cause consiste en ce que leur existence à l’une et l’autre implique
corrélativement le jugement qui en dépend, et non que l’on mette à mal ce qui
est prouvé, puisque justement l’on a affaire à une cause ou à une preuve. Et il
ne s’oppose au propos concernant les choses qui relèvent de la nécessité qu’en
découvrant comment la preuve n’obéit pas à son caractère de preuve ».

b. Critique gnoséologique : réduction des cas à un modèle mathématique unique

Et il a répondu : « Le défi fondé sur ces livres n’est pas valide, car s’il l’était,
il concernerait le sens et non la lettre, or le sens n’accepte pas ici la possibilité
d’une différentiation, du fait que l’arithmétique et la géométrie n’ont lieu
que selon une modalité unique, car leur fondement est la multiplication et la
division, sans que leur état diffère. En sorte que celui qui a la suprématie dans
ces deux disciplines ne l’a qu’en raison de la pratique, de la précellence de son
apprentissage et de son naturel, et cela ne donne pas cours à la voie du défi. Il
en va en revanche différemment pour le discours, comme nous l’avons étudié
dans une section précédente.

c. Critique historico-sociologique : Euclide n’a pas déclenché la jalousie comme


le Coran

« Ensuite, celui qui a posé cette question a bien montré son peu d’intelligence de
ce que nous disons du Coran. Car nous avons tout d’abord montré, de manière
contraignante, quel il était, ainsi que la situation privilégiée de l’Envoyé à son
endroit ; nous avons également éclairci ce qu’il présuppose comme réprimande
et comme défi et le zèle intense qu’on a mis à anéantir la position du Prophète ;
nous avons éclairci l’impossibilité de la compétition sous tous les aspects que
nous avons mentionnés. Mais ce qui fait l’objet de sa question ne s’impose que
si le Coran se trouve égalé sous ces aspects. Or d’où vient que cet objet aurait
provoqué un zèle destructeur dans les proportions où le Coran l’a provoqué ? Il
se peut très bien qu’à l’époque d’Euclide, ce qu’il a composé ne lui ait pas valu
une suprématie de nature à engendrer rivalité et zèle destructeur.

d. Critique historique : il est possible qu’Euclide ait été surpassé dans l’Antiquité

« Ensuite, d’où tire-t-on que rien de semblable n’ait été produit, alors que nous
tenons pour possible, en raison de l’éloignement temporel, et qu’il y ait eu dans
l’histoire quelqu’un qui l’a surpassé mais qui n’a rien composé, et que l’œuvre
composée ne nous ait pas été transmise, du fait que l’éloignement temporel, pour
ce dont le besoin n’est pas intense et qui ne fait pas l’objet de fortes incitations,
implique par sa nature la possibilité que la transmission n’ait pas lieu ?
ABŪ HĀSHIM AL-ĞUBBĀ’Ī SUR LE LANGAGE DE L’ART 93

e. Critique épistémologique : la nature accumulative de la science

« Ensuite, d’où vient, si ce que nous rappelons n’est pas établi, que celui qui l’a
composé ait été unique, sans s’être inspiré des savants ni avoir rassemblé leurs
propos ? Car le savant rassemble les propos d’autres que lui, en sorte qu’il se
singularise plutôt par ce rassemblement que par l’invention, conformément à
ce que nous savons de ce qui a eu lieu chez les savants de l’Islam. Il est de fait
reconnu, pour ce qui concerne le développement du droit chez les Irakiens, que
ces derniers, loin d’inventer, l’on construit à partir d’autres qu’eux, à ceci près
que s’ils l’ont pris chez les autres, ils ont ensuite consacré tous leurs efforts à
le développer. Il en va de même, chez Sībawayh, pour la grammaire qu’il a
rassemblée. Si donc l’on admet cela, d’où vient qu’on l’assimile au Coran ? ».

Si ce texte méritait d’être lu intégralement, le point qui intéresse directement


notre propos est le paragraphe (b), la « critique gnoséologique » de l’argument
d’Ibn al-Rāwandī. Abū Hāshim lui objecte que le défi est invalide dans les sciences
mathématiques au sens strict parce que celles-ci ne donnent pas lieu à une pluralité
du sens (ma‘nā). Seul l’énoncé (lafẓ), en mathématiques, diffère. À première vue,
l’argument est curieux. Les théorèmes diffèrent les uns des autres, certains sont
beaucoup plus difficiles que d’autres, et l’on peut démontrer différemment, et plus
élégamment, le même théorème. Voici ce qu’Ibn Sinān, mathématicien de génie
(précisément), écrivait à la même époque :
J’ai fait un ouvrage sur La Mesure de la parabole, en un seul livre. Mon
grand-père avait déterminé la mesure de cette section. Certains géomètres
contemporains m’ont fait savoir qu’il y a sur ce sujet une œuvre d’al-Māhānī,
qu’ils m’ont présentée, plus facile que celle de mon grand-père. Je n’ai pas aimé
qu’il y ait une œuvre d’al-Māhānī plus avancée que l’œuvre de mon grand-père,
sans que parmi nous il y en ait un qui le surpasse dans son œuvre. Mon grand-
père avait déterminé cela en vingt propositions. Il l’a fait précéder de nombreux
lemmes arithmétiques, compris dans les vingt propositions. La question de la
mesure de la section lui est apparue clairement par la voie de l’absurde. Al-
Māhānī a aussi fait précéder ce qu’il a démontré de lemmes arithmétiques.
Il a ensuite prouvé ce qu’il voulait par la voie de l’absurde, en cinq ou six
propositions, qui comportent des longueurs. J’ai alors déterminé cela en trois
propositions géométriques, sans les faire précéder d’aucun lemme arithmétique.
J’ai montré la mesure de cette même section par la voie de la preuve directe, et
je n’ai pas eu besoin de la voie de l’absurde. (Ibrāhīm ibn Sinān in R. Rashed et
H. Bellosta 2000, p. 18-19)

L’argument d’Abū Hāshim serait donc faible, voir invalide. Il viendrait d’ailleurs
apparemment contredire l’intuition profonde d’une correspondance entre le sens et
l’énoncé. Aussi avons-nous deux raisons fortes pour nous y opposer : l’argument
du singe tapant Hamlet et la connaissance mathématique de la langue qui est la
nôtre.
Pour entrevoir l’intuition d’Abū Hāshim, il faut commencer par lire la fin de
ce paragraphe (b) : un naturel supérieur ne constitue pas pour lui, comme nous
serions tentés de le penser, une marque du miracle, mais, au contraire, s’explique
94 MARWAN RASHED

de façon très prosaïque : par la qualité de l’apprentissage et le don naturel. On


peut être le meilleur mathématicien du monde, en d’autres termes, mais pas un
mathématicien inimitable. Tout est donc lié à la question du sens (ma‘nā). Pour
que la théorie d’Abū Hāshim fonctionne, elle a besoin d’échapper au couple
signifiant-signifié qui se fait jour dans la conception combinatoire du langage,
pour réintroduire un paramètre caché, que je proposerais d’appeler l’engagement
assertorique du locuteur. Il y a une différence fondamentale avec un singe tapant
un verset coranique, ou un mathématicien rédigeant la preuve du plus beau
théorème du monde, c’est que l’individualité du sujet parlant est absente de leur
acte. Le singe ne comprend pas le verset qu’il tape, le mathématicien se contente
en un sens d’accéder à une vérité éternelle, une vérité sans lieu ni temps, et partant
sans locuteur. L’idée d’Abū Hāshim serait donc que pour qu’il y ait art oratoire
accompli, l’on doit certes assister à une symbiose parfaite du signifiant et du
signifié, mais celle-ci doit aussi s’accompagner de l’autre sens de ma‘nā, le sens
comme intentionnalité. Pour qu’il y ait accomplissement oratoire, il faut qu’il y ait
un rapport du locuteur au sens.
Sommes nous revenus à la vieille notion du « sens », celle ancrée, selon
Djamel E. Kouloughli, dans « le “sol primitif” des représentations arabes sur
le discours et ses fonctions »17 ? Il le semble. Et ce retour pourrait expliquer la
constatation de l’auteur, d’après laquelle le « nouveau » rapport du lafẓ et du
ma‘nā comme signifiant et signifié ne parvint jamais, même après Ğurǧānī, à
s’imposer18. Dans le cadre d’une théorie de l’inimitabilité coranique, cette réforme,
si elle permettait de décrire la beauté oratoire du texte, ne permettait pas, par là-
même, d’en démontrer l’inimitabilité. Bien au contraire, la théorie du signifiant
et du signifié menaçait l’inimitabilité puisque, une fois les règles syntaxiques
exhibées, elles paraissaient s’offrir à tous. C’est probablement ce qui explique que
la tradition ne sut jamais rompre avec une notion psychologique du sens.
Un mot sur ce rapport du locuteur au sens. L’oraison est pleine de l’orateur
non parce qu’il lui imprimerait un peu de ses passions, ou qu’il tiendrait son
auditoire sous l’emprise de son art. L’oraison est oratoire parce qu’égocentrique. Il
y a, dans le discours proféré par l’orateur, un référent spatio-temporel dont celui-
ci est l’origine. Son point de vue sur les choses implique le perspectivisme de
la description qu’il en fournit. Plus son point de vue sera intéressant, meilleur
sera son discours. On glisse donc d’un premier sens du « langage » à un second,
étonnamment moderne – celui en lequel nous disons que l’art est un langage. Non
parce qu’il exprime un état d’âme (qui est une parcelle du monde comme une
autre) mais parce que le langage artistique est créé en même temps que l’œuvre
qu’il exprime – bien plus, qu’il en est la trame. L’art oratoire donne lieu au défi
parce que le sens qu’il exhibe est une projection d’un moi qui ne se borne pas à

17 Cf. Kouloughli 1983, p. 43 et H.E.L., 36 (2), p. 15-43.


18 Id., ibid., p. 61-62.
ABŪ HĀSHIM AL-ĞUBBĀ’Ī SUR LE LANGAGE DE L’ART 95

enregistrer le sens de ce qui l’entoure, mais qui, au contact du monde, le produit,


en lui conférant une intelligibilité jusque là inédite. Le défi peut dès lors se nouer.
L’artiste sera celui qui, par la force de son art, conférera du sens à l’objet de son
discours.
Peut-être retrouve-t-on par ce biais une thèse cardinale des Mu‘tazilites, partie
intégrante du vieux débat les opposant aux déterministes. Vouloir dire quelque
chose, adhérer à son propos, parler pour dire quelque chose, autant d’actes auxquels
un déterministe ne peut se livrer que faussement, dans la mesure où ce ne sera pas
vraiment lui qui adhère à son propos au moment où il fait mine de le faire. Autant
donc la correspondance lafẓ/ma‘nā est acceptable par le déterminisme ash‘arite – et
Ğurǧānī, ce n’est pas un hasard, est un ash‘arite –, autant l’engagement assertorique
du locuteur est, d’après l’ash‘arisme, un « comme si » : comme si j’étais libre de
dire autre chose que ce que je dis. Bref, un orateur dont les actes ne seraient pas
libres ne serait pas éloquent ; et l’idée même du défi coranique sombrerait, dès lors
que les Arabes à qui le défi est adressé ne jouiraient pas de leur liberté de parole.
C’est ce qui explique, semble-t-il, que les Ash‘arites aient eu tendance à adopter
une autre théorie de l’inimitabilité coranique, fondée soit sur la présence, dans le
livre de Dieu, de faits dont la connaissance dépasse les capacités humaines, soit sur
le genre littéraire (naẓm) du texte divin. Les Ash‘arites ont besoin de neutraliser le
soubassement égologique du défi (al-taḥaddī), pour le réduire à ne plus être que la
constatation froide de la supériorité intrinsèque de l’artefact Coran sur tout autre
texte. C’est en effet la seule issue possible face à l’aporie qui les guette, consistant à
dire que c’est Dieu qui à la fois produirait le Coran et l’oraison rivale malheureuse,
proférée par celui qui aurait répondu au défi prophétique. A contrario, Abū Hāshim
aurait assis sa conception de l’i‘ǧāz sur l’existence d’un moi en l’homme capable
d’assumer son égocentricité artiste.
Pour conclure, la polémique sur l’inimitabilité du Coran a conduit Abū Hāshim
non seulement à mettre en place des jalons importants d’analyse de la langue et
du discours, mais aussi à s’interroger sur un sens étendu du langage – à savoir,
sur la spécificité de la langue mathématique et de la langue des beaux-arts. Son
questionnement l’a conduit à mettre au jour la différence entre les beaux-arts, où le
génie – niveau zéro de l’inimitabilité – peut se produire, et les sciences, où il ne le
peut pas. Une distinction qu’il faudra attendre un autre intuitionniste, I. Kant, pour
retrouver formulée en des termes presque identiques :
Ainsi peut-on parfaitement bien apprendre tout ce que Newton a exposé dans
son œuvre immortelle sur les Principes de la philosophie de la nature, si vaste
qu’ait dû être le cerveau qu’exigeaient de semblables découvertes ; mais on
ne peut apprendre à composer des poèmes d’une manière pleine d’esprit, si
détaillés que puissent être tous les préceptes conçus pour l’art poétique et si
excellents qu’en soient les modèles. L’explication tient au fait que Newton
pouvait rendre entièrement claires et distinctes non seulement pour lui-même,
mais aussi pour tout autre et pour ses successeurs toutes les étapes qu’il eut à
accomplir, depuis les premiers éléments de la géométrie jusqu’à ses découvertes
les plus importantes et les plus profondes ; en revanche, aucun Homère, aucun
96 MARWAN RASHED

Wieland ne peut indiquer comment ses idées poétiquement riches et pourtant,


en même temps, intellectuellement fortes surgissent et s’assemblent dans son
cerveau – cela parce qu’il ne le sait pas lui-même, et dès lors ne peut non plus
l’enseigner à personne. Dans le registre scientifique, le plus grand auteur de
découvertes ne se distingue donc de l’imitateur et de l’écolier le plus laborieux
que par le degré, alors qu’il est spécifiquement différent de celui que la nature a
doué pour les beaux-arts. » (Critique de la faculté de juger, §47)

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
SOURCES PRIMAIRES :
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al-Khwārizmī, 2007. Le commencement de l’algèbre, texte établi, traduit et commenté par
R. Rashed, Paris.
al-Qāḍī ‘Abd al-Ğabbār, 1960. Al-Mughnī fi abwāb al-tawḥīd wa-al-‘adl, t. XVI, ed. A. Al-Khūlī,
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al-Tawḥīdī, Abū Ḥayyān, 1951. Al-Hawāmil wa al-Shawāmil, ed. A. Amīn et A. Ṣaqr, Le Caire.

SOURCES SECONDAIRES :
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Linguistic Tradition, London / New York, Routledge, 1990
Brancacci, Aldo, 2005. Antisthène. Le discours propre, Paris, Vrin.
Kouloughli, Djamel Eddine, 1983. « À propos de lafẓ et ma‘nā », Bulletin d’Études Orientales
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Rashed, Marwan, 2008. « New Evidence on the Critique of the Qur’ānic Miracle at the End of the
Third/Ninth Century : Qusṭā ibn Lūqā vs. the Banū al-Munajjim », in P. Adamson (ed.), In the
Age of al-Fārābī : Arabic Philosophy in the Fourth/Tenth Century, London, Warburg Institute.
Rashed, Roshdi, 1984a. « Mathématiques et philosophie chez Avicenne », in J. Jolivet et R. Rashed,
Études sur Avicenne, Paris, Les Belles Lettres.
1984b. « Algèbre et linguistique : l’analyse combinatoire dans la science arabe », in Entre
arithmétique et algèbre. Recherches sur l’histoire des mathématiques arabes, Paris, Les Belles
Lettres.
2011. « Algèbre et linguistique. Les débuts de l’analyse combinatoire », in D’al-Khwārizmī à
Descartes. Études sur l’histoire des mathématiques classiques, Paris, Hermann.
Rashed, Roshdi et Bellosta, Hélène, 2000, Ibrāhīm ibn Sinān, Logique et géométrie au Xe siècle,
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