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C O L LO Q U E S D E L A FA D E A R / C O N F É D É R AT I O N PAY S A N N E

e
LES GRANDS ENJEUX AGRICOLES DU XXI SIÈCLE
CLIMAT
s

CULTURES
VIVRIÈRES
EMPLOI
ÉNERGIE

Changements climatiques
et accès aux
ressources naturelles

Actes du colloque de Niort,


FADEAR Poitou-Charentes
Confédération paysanne
les 23 et 24 août 2006
Actes encore disponibles sur demande à la Confédération Paysanne :
104 rue Robespierre
93170 Bagnolet
ou sur le site internet : www.confédérationpaysanne.fr

Acte du séminaire européen


«Politiques agricoles
Actes des 5 colloques sur le Foncier : et petites fermes»

Acte du colloque «Libérons


la biodiversité» : Droits des
paysans et semences, les
enjeux pour l'Europe

Actes des journées de


Dossier de l'environnement de l’INRA numéro 24 et 30, réflexions «Résistances en
issus des travaux entre l'INRA et la Confédération Paysanne Europe à la servitude en
n°24 : Désintensification de l'agriculture - Questions et débats agriculture», états des luttes
n°30 : Quelles variétés et semences pour des agricultures contre les conditions de travail
paysannes durables ? inacceptables des salariés
agricoles
COLLOQUES DE LA FADEAR / CONFÉDÉRATION PAYSANNE

LES GRANDS ENJEUX AGRICOLES


DU XXIe SIÈCLE

«Changements climatiques. Crises énergétiques. créateurs de l'Union Européenne avaient ce


Croissance démographique. Accentuation de souci en tête lors de la création de la Pac qui
l'inégalité d'accès aux ressources naturelles. depuis est demeurée, la seule politique réelle-
Explosion du phénomène urbain et ment intégrée de cette union.
Désertification des campagnes. Précarisation…
La liste des phénomènes qui menacent notre Au début des années 1960, cette politique avait
capacité à nourrir nos prochains s'allonge cha- pour vocation de réguler, d'organiser, de plani-
que jour. fier la production agricole pour répondre aux
besoins des populations de l'Union. L'explosion
Les scientifiques s'accordent sur le constat et de la productivité, le développement des échan-
l'heure est venue, pour les acteurs de nos socié- ges internationaux et l'avènement du «libéra-
tés, de se projeter vers l'avenir, d'évaluer les lisme économique» ont signé la fin (provisoire)
conséquences de ces évolutions pour les popula- des politiques agricoles «planificatrices et inter-
tions et d'envisager les outils politiques capables ventionnistes». La politique a alors été pensée
d'anticiper cette « nouvelle donne». pour l'agro-industrie, dans l'optique de la
bataille économique sur les marchés mondiaux.
Manger est un souci quotidien. Hier comme La recherche des plus bas coûts de production,
aujourd'hui, tout groupe humain, s'il ne veut pas la baisse des prix agricoles, et la mise en
disparaître, doit s'organiser pour subvenir à ses concurrence de toutes les agricultures du
besoins alimentaires vitaux. Ce qui était vrai il y a monde, constituent alors le socle de cette idéolo-
quelques millénaires le restera demain. Les gie. L'agriculture productiviste des pays riches,

1
tout comme celle des pays pauvres (spécialisa- paysannes et de la destruction des écosystèmes
tion croissante vers des cultures d'exportation et confère à cette réflexion un caractère d'urgence.
exode rural massif) sont les filles de cette logi- Il est donc temps de s'interroger sur les consé-
que libérale qui continue à être considérée dans quences de cette « nouvelle donne » sur la capa-
les instances internationales comme la seule cité des agriculteurs européens mais aussi des
vérité économique. territoires et des agricultures, à répondre -dans
Pourtant, le monde change. Les changements les meilleures conditions possibles et de
climatiques modifieront les principaux paramè- manière durable- aux besoins alimentaires et
tres de la production (accès aux ressources, non alimentaires des habitants de notre conti-
ensoleillement, température, hygrométrie, etc.). nent.
Ce que produisent les agriculteurs en Provence,
en Bavière, ou dans le Sussex ne pourra peut- Les problèmes auxquels nous sommes confron-
être plus l'être demain… L'énergie quasi gra- tés sont évidemment mondiaux, et des politiques
tuite, qui a permis l'explosion du transport mon- doivent être pensées à cette échelle. Mais parler
dial, appartiendra sous peu au passé, remettant d'agriculture, c'est aussi parler de territoire. Et
en cause l'équilibre économique d'une agricul- cette dimension territoriale pourrait, plus encore
ture industrielle, dévoreuse d'énergie. demain qu'aujourd'hui, prendre tout son sens
dans le contexte de crise que nous allons traver-
Ces évolutions profondes, croisées avec les exi- ser. Des solutions devront être trouvée locale-
gences de la société, qui dénoncent les consé- ment, ce qui pose la question de la déconcentra-
quences sur la qualité de l'alimentation, sur l'en- tion et de l'adaptation régionale des politiques
vironnement et sur l'équilibre territorial, justi- européennes et nationales.
fient l'élaboration d'un autre modèle économique Les débats que nous avons organisés entre le
et politique. À l'échelle de la planète comme à mois d'août 2006 et le mois de juin 2007 avaient
celle des territoires et des régions, l'accélération pour ambition de dégager des perspectives pour
du processus d'anéantissement des populations la politique agricole et rurale du XXIe siècle.

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COLLOQUES DE LA FADEAR / CONFÉDÉRATION PAYSANNE
CHANGEMENTS CLIMATIQUES
ET ACCÈS AUX RESSOURCES NATURELLES

SOMMAIRE
u Introduction

COMPRENDRE LES CHANGEMENTS EN COURS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5


u Enquête sur le climat, en quête du climat futur - Nathalie Bleuse (Météo France) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
u Agriculture et changement climatique - Bernard Seguin (INRA) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .7
u Demande alimentaire et mondialisation libérale - Paul Bonhommeau (Confédération paysanne) . . . . . . . . . . . . . . .9

LUTTER CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE DANS LE SECTEUR DE L’AGRICULTURE :


QUELLES PISTES ENVISAGER ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .11
u Le plan Biomasse entend contribuer à diminuer l'effet de serre - Claude Roy,
délégué interministériel à la Biomasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .11
u Effet de serre, énergie et agriculture : quelles propositions ? - Philippe Pointereau (association Solagro) . . . . .14
u Débat avec la salle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17

L’EAU, UN ENJEU VITAL POUR L’HUMANITÉ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .21


u Ressources en eau : le point sur la situation mondiale - Mohammed Bougerra (Université de Tunis) . . . . . . . . . .21
u Table ronde «L'eau en Poitou-Charentes» - Regards croisés de :
Xavier Desurmont, DDAF des Deux-Sèvres, Albert Noireau (Diren),
Jacques Pasquier (Confédération paysanne), Serge Morin (Conseiller régional),
Jacques Brie (Fédération France nature environnement) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .24
u Débat avec la salle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .26

STRATÉGIE D’ADAPTATION INDIVIDUELLE ET COLLECTIVE : LE RÔLE DES POLITIQUES PUBLIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . .29


u Accueil de Alain Baudin, maire de Niort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .29
u Les initiatives des collectivités territoriales en faveur du développement d'une agriculture
centrée sur des objectifs de durabilité : Bernard Barraqué (CNRS), Ingo Heinz (Institute of environmental
research, Université de Dortmund), Pierre Julien (Agridea Lausanne), Michael Gonzalez (Coag), Jean-Claude
Aubineau (Conseil général des Deux-Sèvres), Serge Morin (Conseil régional de Poitou-Charentes) . . . . . . . . . . . .30

u Discours de clôture, Régis Hochart, porte-parole de la Confédération paysanne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .36

u Glosssaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .40

3
Changements climatiques
et accès aux ressources naturelles

Premier d'une série de contraintes naturelles, à


5 colloques, celui de faire violence à la nature
Niort revêt une impor- et aux hommes, au nom
tance singulière : de la sacro-sainte com-
pétitivité économique ?
– Importance des thé-
matiques abordées tout – Importance des per-
d'abord. Celle du chan- sonnalités qui ont
gement climatique, fait accepté de témoigner
aujourd'hui scientifi- ou d'apporter leurs
quement avéré bien que connaissances sur les
longtemps contesté, thèmes abordés : cher-
dont les impacts sur cheurs, universitaires
notre environnement, et français et étrangers,
notamment sur l'agri- paysans, représentants
culture, commencent à de l'Etat et des collecti-
peine à être connues. vités territoriales. Avec
Celle de l'eau, symbole elles, nous allons
de vie dans nos socié- essayer de dépasser les
tés, ressource indispen- lieux communs pour
sable à l'agriculture mieux saisir la réalité
mais aussi enjeu de que recouvrent les
lutte politique et sociale mots. Avec elles, nous
car inégalement repar- allons chercher ensem-
tie à la surface du globe ble les réponses aux
et qui se raréfie par défis auxquelles nous
endroits sous l'effet des sommes aujourd'hui
activités humaines confrontés.
inconsidérées.
Nous verrons que les
Ces deux thématiques nous renvoient à des questions connaissances scientifiques s'organisent mais que des
cruciales qui, aujourd'hui plus que jamais, et qu'on le champs entiers d'investigation restent inexplorés. Des
veuille ou non, s'imposent à nous : controverses existent encore sur les solutions à mettre
• L'agriculture intensive, encore aujourd'hui considé- en œuvre. Des politiques publiques émergent en France
rée par les élites dirigeantes au Nord comme au Sud, mais sans commune mesure avec les enjeux posés.
comme la seule réponse possible au défi alimen- Pourtant des alternatives existent, des expériences
taire, n'est-elle pas condamnée à une impasse ? locales se déploient ailleurs en Europe, et des solutions
• Pourra-t-on continuer longtemps à «faire fi» des s'ouvrent à nous ; reste à avoir le courage politique…

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PREMIÈRE PARTIE
COMPRENDRE LES CHANGEMENTS EN COURS

NATHALIE BLEUSE,

ENQUÊTE SUR LE CLIMAT, MÉTÉO FRANCE

EN QUÊTE DU CLIMAT FUTUR


Depuis le début du XXe siècle, on observe une terme le niveau des océans augmenterait de
augmentation de la température moyenne à la 50 cm, de 7 m si la calotte du Groenland subis-
surface du globe, de l’ordre de + 0,8 °C. Ces sait le même sort et de 70 m si l’Antarctique
Une
résultats sont obtenus grâce au carottage des disparaissait.
glaces et des coraux ainsi qu’à l’étude des cer-
augmentation
nes du bois, permettant de reconstituer les de 3 à 5 °C en Les activités humaines
variations climatiques depuis 700 000 années 100 ans à l’origine du réchauffement?
environ. Si la fonte des glaciers, observée par-
tout dans le monde, constitue un indicateur du Des causes naturelles expliquent les variations
réchauffement, la montée du niveau des océans climatiques : l’évolution naturelle du climat,
en est la conséquence. Elle s’effectue au Des étés plus
l’activité volcanique source de gaz à effet de
rythme de 10 à 20 cm par siècle ; mais au cours chauds et serre et le rayonnement solaire. Mais ce sont
des dix dernières années ce rythme s’est accé- plus secs, des les activités humaines, émettrices de gaz à effet
léré, passant à 30 cm /siècle. Cette élévation est
hivers plus de serre, qui constituent le principal facteur
essentiellement due à la dilatation de l’eau de explicatif du réchauffement.
mer induite par l’augmentation des températu- doux et
Les gaz à effet de serre (GES) sont divers : le
res moyennes. Si tous les glaciers fondent, à humides dioxyde de carbone (CO2), issu des combustions
ÉVOLUTION DE LA TEMPÉRATURE MOYENNE fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel), respon-
DE SURFACE sable à hauteur de 60 % du réchauffement ; le
méthane (CH4) dégagé par les zones humides
Depuis un siècle sur l’ensemble du globe telles que les rizières, les ruminants, les
décharges ; les halocarbures, issus des indus-
tries du froid et des bombes aérosols et enfin le
protoxyde d’azote (N2O) généré par le secteur
agricole (engrais, etc.) Ces gaz bloquent les
0,6
rayonnements infrarouges émis par la surface
terrestre (chauffée par le rayonnement solaire
direct) et provoquent une augmentation de la
température moyenne de la surface de la Terre.
Anomalies de température
courbe lissée
Mais qui sont ces gaz ?
Source Climatic Research Unit, Royaume-Uni
Les modèles de prévision des changements cli-
Depuis un millénaire dans l’hémisphère nord matiques se construisent en croisant deux
séries de scénarios : d’un côté les tendances
«croissance» (pas de changement) ou «environ-
nement» (prise en compte du réchauffement
climatique et changement de comportement),
0,6° C
et de l’autre des scénarios «convergence» entre
les pays ou «fragmentation» (creusement des
fossés entre pays). Le scénario idéal est bien
mesures thermométriques
sûr celui du croisement «environnement et
Cernes d’arbres, carottages convergence» ; à l’inverse, le pire serait «frag-
glaciaires, coraux
mentation et croissance». Les scénarios de la
fragmentation nous intéressent davantage car
Source Mann et al, 1999
ce sont les plus probables. >

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MAIS QUI SONT CES GAZ À EFFET DE SERRE ?

60 %

20 %

14 %
6%
DIOXYDE DE CARBONNE (CO ) 2
METHANE (CH )4
HALOCARBURES PROTOXIDE D’AZOTE (N2O)
Combustibles fossiles : charbon pétrole, Rizières, ruminants, décharges Industrie du froid, bombes aérosols Agriculture, engrais
gaz naturel

> Les modèles prévoient un réchauffement cli- les périodes glaciaires et interglaciaires ; mais,
matique plus important dans l’hémisphère ici, la variation se ferait sur un pas de temps de
Nord et aux hautes latitudes, car les océans y 100 ans, au lieu de 10 à 20 000 ans… La princi-
sont moins importants. A l’ouest de l’Europe, pale difficulté pour l’humanité sera donc l’adap-
les étés seront plus chauds et plus secs, les Le CO2 a une tation à cette évolution très rapide.
hivers deviendront plus doux et plus humides. durée de vie La sécheresse, la désertification et les inonda-
Les canicules (journées à plus de 35°C) se tions font peser des risques élevés pour les
de 100 ans
feront plus fréquentes. Le cycle de l’eau devien- humains et la biodiversité. Il est absolument
dra plus rapide et plus intense, entraînant de dans impératif de diminuer les émissions de gaz à
plus fortes précipitations hivernales et des l’atmosphère effet de serre.
périodes de sécheresse plus fréquentes en été. L’inertie des phénomènes climatiques est très
On craignait de voir également une augmenta- élevée, le CO2 ayant une durée de vie d’un siècle
tion de la fréquence des phénomènes extrêmes dans l’atmosphère. Quoiqu’il arrive les consé-
mais rien n’est prouvé pour l’instant à ce sujet. quences des rejets de GES actuels vont se faire
L’augmentation de température prévue, entre 3 sentir encore pendant très longtemps.
et 5 °C, correspond à la variation observée entre n

QUESTIONS…
Doit-on aller plus loin que les objectifs du proto- rant est prévu mais les prévisions montrent que les
cole de Kyoto ? océans évoluent moins vite que les continents, donc
l’arrêt du Gulf Stream n’est sans doute pas à prévoir
N.B. : Le Protocole de Kyoto vise une diminution des pour 2100 mais à une échéance plus lointaine. Cela dit,
émissions de GES de 5% entre 2010 et 2090. Ce n’est le ralentissement du Gulf Stream est une réalité.
pas du tout suffisant au regard du réchauffement
observé. Il faut vite développer des technologies nou- Y a-t-il d’autres paramètres que des données physi-
velles peu consommatrices d’énergie et opérer un ques dans les modèles que vous utilisez ?
changement radical dans notre société. Utilise-t-on également des paramètres biologiques
comme l’activité phytoplanctonique ?
Certaines études prévoient une telle dégradation
Qu’en est-il du scénario prévoyant une évolution du des écosystèmes que le rôle du phytoplancton
Gulf Stream et le rafraîchissement du climat de dans l’absorption du CO disparaîtrait.
2

l’Ouest européen ?
N.B. : Nos équipes s’intéressent principalement aux
N.B. : Une partie importante de la modélisation vise à paramètres physiques car c’est davantage notre
mieux appréhender le comportement des océans car domaine, très peu aux facteurs biologiques. À l’avenir,
ils constituent l’un des principaux puits de carbone. Le la recherche ne se penchera pas que sur l’atmosphère
Gulf Stream résulte notamment de différences de sali- mais aussi sur les interactions entre les océans et l’at-
nité et de température. Un ralentissement de ce cou- mosphère.

6
BERNARD SEGUIN,

LES CONSÉQUENCES
BIOCLIMATOLOGISTE À L’INRA D’AVIGNON

DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
POUR L’AGRICULTURE

Les évolutions climatiques que vient de présen- Consécutivement à l’augmentation des tempé-
ter Nathalie Bleuse (augmentation du taux de ratures moyennes, les stades phénologiques
CO2 , renforcement des assèchements en été et Une apparaîtront plus tôt chez les arbres fruitiers (la
de la pluviométrie hivernale) entraîneront à levée de dormance aura lieu plus tôt), entraî-
court terme des modifications écophysiologi-
augmentation
nant des risques de gel et de mauvaise fécon-
ques importantes. de 1°C de dation. La maturation de la vigne se décalera
La photosynthèse nette augmentera (+ 30 % température vers la période la plus chaude de l’été.
pour les plantes à cycle de carbone en C3 et correspond En ce qui concerne les rendements, les varia-
+ 15 % pour celles en C4 1). tions seront diverses. Globalement négatives au
La diminution de la disponibilité en eau va
à une
Sud, ils feront apparaître des évolutions plus
cependant entraîner une plus forte résistance translation contrastées dans les zones tempérées. Le ren- >
stomatique, limitant de fait la transpiration. de 200 km
L’efficience de l’utilisation de l’eau sera ainsi vers le nord
d’autant plus importante dans l’adaptation des
QUESTIONS…
plantes à ces évolutions.
des conditions
Quel sort vont subir les arbres à feuilles cadu-
de culture ques ? Ils semblent aujourd’hui perdre plus
difficilement leurs feuilles.
EFFET DE L’AUGMENTATION
DU CO2 ATMOSPHÉRIQUE ET DE LA TEMPÉRATURE La forêt va beaucoup évoluer. Par exemple on
trouvera le chêne vert plus haut en latitude, tan-
dis que le hêtre disparaîtra. La productivité fores-
tière augmente déjà, de l’ordre de 30 à 40 %, mais
on ne sait pas exactement si cela est lié à l’aug-
mentation du taux de CO2 atmosphérique, à celle
de la température ou à l’azote contenu en plus
grande quantité dans les pluies. On observe éga-
lement que les arbres débourrent plus tôt et que
la période végétative s’arrête plus tard, et ceci du
Sud de l’Europe au Nord de la Sibérie. Par ailleurs,
on sait très peu de choses sur la chute des feuil-
les. La sécheresse peut jouer aussi, en provo-
quant des chutes précoces. Nous de disposons
que de peu de résultats à ce sujet.
Quelles sont les risques de cyclones ?

Les évènements climatiques violents sont censés


augmenter, mais pas forcément beaucoup selon
les prévisions actuelles de Météo France. En par-
ticulier, le lien entre les évènements récents (type
TÉMOIGNAGE D’UN PAYSAN Katrina) et le réchauffement climatique fait débat.
MAYENNAIS Au niveau de la métropole française, je ne crois
A Laval, la station météo indique que la somme des tempé- pas qu’on ait des ouragans à craindre. Mais cela
ratures nécessaire pour atteindre la maturité du maïs (à 30 nécessite d’être encore étudié.
% de matière sèche,
base 6 °C) a avancé de 17 jours depuis 1992. 1. Les végétaux présentent différentes efficacités de fixation du dioxyde de car-
bone au cours de la photosynthèse. Le type de photosynthèse de la plante est
Du coup, les chantiers d’ensilage commencent beaucoup déterminé par le nombre d’atomes (3 ou 4) de carbone de la molécule organique
formée en premier lors de la fixation du CO2. Une grande majorité des plantes,
plus tôt. dont tous les arbres, fonctionnent selon en C3. Les Graminées d’origine tropicale
comme le maïs, la canne à sucre ou le sorgho sont de type C4.

7
> dement du maïs devrait augmenter, celui de la QUESTIONS…
prairie aussi (par allongement de la saison de
croissance), permettant d’augmenter les char- Changer de pratiques
gements, sous réserve cependant que les pluies
soient suffisantes. Que sait-on sur la concurrence entre le taux
Ces variations climatiques doivent entraîner des de CO2 atmosphérique et la disponibilité en
modifications de pratiques culturales, afin d’en eau et des effets sur la croissance végéta-
limiter les effets négatifs. L’incertitude en agri- tive ? L’INRA travaille-t-il sur des espèces et
culture réside principalement dans la pluviomé- variétés plus adaptées à ces conditions, tel-
trie qui pourrait constituer un facteur limitant. Il les que le sorgho ?
s’agira également de choisir des espèces et On a vu que l’augmentation du taux de CO2 allait
variétés adaptées à ces nouvelles conditions, et entraîner une augmentation de la productivité,
de tenir compte de ces dernières pour le suivi de mais l’eau pourrait constituer un facteur limi-
la santé des plantes (apparition de nouvelles tant. Le sorgho est une espèce intéressante à
maladies, relations hôte/parasite différente, cet égard car elle nécessite moins d’eau. Mais
etc.). Une augmentation de 1°C de la tempéra- au-delà des questions techniques se pose le
ture moyenne correspond à une translation de problème des débouchés économiques.
200 km vers le nord des conditions de culture, Certaines organisations professionnelles,
ou de – 150 m en altitude. 4 à 5 °C d’augmenta- influentes, ne voient pas d’un très bon œil le tra-
tion transformerait le nord en ce qu’est le sud vail mené sur ces nouvelles espèces autres que
aujourd’hui ! Le maïs grain va ainsi remonter le maïs et rappellent qu’il n’y a pas de filière
jusqu’au Danemark par exemple. Ces évolutions pour le sorgho.
obligent à envisager le déplacement des zones Face aux problèmes d’eau, peut-on orienter
de production (révision des potentialités, intro- la recherche vers les systèmes herbe pour
duction de nouvelles cultures). Les terroirs, eux, enfin abandonner le maïs irrigué ?
pourraient disparaître à terme, car ils ne sont
Beaucoup de chercheurs travaillent sur le
pas délocalisables…
thème de l’herbe, mais encore une fois le pro-
blème est la mobilisation des connaissances
Le réchauffement est déjà existantes et la mise au point de solutions
perceptible adaptées à ces problèmes. Le choix entre maïs
et herbe relève d’un choix économique et n’est
DATE DE DÉBUT DES VENDANGES pas forcément lié à la Recherche.
À CHATEAUNEUF DU PAPE DEPUIS 1945
De l’azote et du soufre atmosphérique tombe
sur nos sols. Doit-on en tenir compte dans
nos plans de fertilisation ?
C’est d’abord sur la forêt qu’on a observé ce
phénomène (2 à 30 kg/ha). On a encore besoin
d’études à ce sujet mais si cela devait dépasser
les 10 à 12 kg il faudrait en tenir compte.

Et plus au Sud ?
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On dit que le Sud de la France ressemblera à terme


Plusieurs indicateurs montrent l’augmentation au Sud de l’Espagne, à quoi ressemblera alors ce
des températures moyennes. Le nombre de dernier ?
jours par an de températures supérieures ou Le Sud de l’Espagne va lui aussi voir sa température
égales à 32°C à Avignon augmente. L’étude sur augmenter de 3 à 4 °C, il ressemblera sûrement davan-
collection de poire Williams fait apparaître que tage à la périphérie désertique du Maghreb d’au-
le stade phénologique F2 a avancé de quelques jourd’hui. On y observe déjà des températures maxi-
jours depuis 1989. Les vendanges dans le Médoc males moyennes de 40 °C. Pour autant, ils continuent
ont désormais 15 jours à 3 semaines d’avance en d’irriguer…
permanence ; le degré alcoolique augmente. La
Quid de la souveraineté alimentaire des pays du
Phomopsis du tournesol (maladie due à un
Sud et du reste de l’Europe (autre qu’occidentale) ?
champignon) a disparu, la chenille procession-
Des études sur l’évolution du climat et ses conséquen-
naire du Pin remonte vers le nord.
ces sur l’agriculture existent aussi pour les pays du
Les incertitudes sur les disponibilités en eau
Sud et de l’Est de l’Europe. Dans le domaine économi-
sont très fortes et rendent les prévisions plus
que les projections à long terme sont par contre très
difficiles à faire. Ce sera un facteur limitant difficiles à faire.
certain. n
8
PAUL BONHOMMEAU,

DEMANDE ALIMENTAIRE
CONFÉDÉRATION PAYSANNE

ET MONDIALISATION LIBÉRALE :
Pourra-t-on éviter un scénario catastrophe pour les
agricultures en France et dans le Monde ?

À l’échelon de la planète, trois phénomènes hypothèses quant à leurs conséquences pour


sont en train de prendre de l’ampleur et vont les peuples, les paysans et les territoires
avoir des conséquences énormes sur les agri- ruraux. Une mise en concurrence brutale des
cultures et les espaces naturels productifs. Tout besoins alimentaires et de la demande énergé-
d’abord, le doublement de la demande alimen- les prix tique va s’opérer. À la grande satisfaction
taire qui résulte de la croissance de la popula- agricoles d’Orama1, les produits agricoles (céréales, oléa-
tion mondiale et de l’amélioration du niveau de gineux et oléoprotéagineux et sucre) devien-
vie d’une (petite) partie de la population de cer- pourraient nent doublement stratégiques : pour l’alimen-
tains pays émergents. Par ailleurs, le potentiel être tation humaine, et pour leur contribution au
productif agricole se trouve menacé, sous les déterminés remplacement du pétrole. Le risque est grand
effets conjugués de l’amputation des sols agri- par ceux des que, dans un marché mondialisé totalement
coles par la demande urbaine et industrielle, de débridé, leurs prix soient surdéterminés par
la stagnation voire de la régression de la pro- produits de ceux des produits de substitution au pétrole et
ductivité des sols et de l’effet de serre et des substitution soumis aux pires pratiques spéculatives : un
politiques pour tenter de le réduire. Enfin, la au pétrole. horizon catastrophique pour plus des 2/3 de
disparition de la ressource pétrolière est l’humanité qui vivent dans la précarité et la
annoncée et, plus tard, celle de toutes les ressources misère. L’élevage et la prairie pourraient disparaître
fossiles. Depuis moins de deux ans on assiste déjà au au profit de la forêt intensive et des grandes cultures.
renchérissement des prix du pétrole et personne Les systèmes «granivores» subiront violemment
n’annonce une baisse prochaine et durable. Ce qui l’augmentation du prix des aliments. L’élevage bovin
rend «crédible» les énergies de substitution. risque également d’être accusé pour sa contribution à
Plusieurs sources «naturelles» existent mais la subs- l’effet de serre (méthane des ruminants) et pour son
titution aux produits pétrochimiques dépendra essen- faible rendement à transformer les protéines végéta-
tiellement des espaces agricole et forestier. les, que l’homme peut consommer directement.
La simultanéité et l’ampleur de ces phénomènes
conduit à émettre l’hypothèse d’une tension durable Enfin, le foncier pourrait échapper aux petits et
sur les prix des produits agricoles doublement straté- moyens paysans. Le processus, plus fort dans les pays
giques (céréales, sucre, oléagineux et protéagineux). du Sud, sera vraisemblablement violemment amplifié
par une spéculation foncière d’autant plus forte et plus
Face à cela, deux attitudes s’observent. On note une violente que les prix agricoles offriraient des perspec-
dénégation ou sous-estimation, non pas forcément tives de bonne rentabilité des capitaux investis.
des phénomènes pris séparément mais de leur
redoutable simultanéité. À ce jour, peu de scientifi-
ques ou d’économistes spécialistes de l’écologie ou Une nécesaire stabilisation
des questions agricoles offrent une réflexion sur cette des naissances
question, sauf Lester Brown. De nombreux économis-
tes envisagent que les prix agricoles peuvent rester Depuis la chute du mur de Berlin, un néocapitalisme
durablement très élevés. Jusqu’à maintenant, la plu- libéral et mondialisé s’impose comme pensée unique.
part des responsables politiques se taisent. Cette Il défend la suprématie de l’économie sur le politique
dénégation peut aussi nous concerner. On observe et le débat démocratique, affirme la primauté absolue
également une dynamique opportuniste sur le «nou- de la liberté individuelle face à recherche du bien com-
veau marché» des biocarburants et de la biomasse, mun. C’est une vision de la richesse et du bien-être
peu soucieuse des impacts écologiques et sociaux de réduite à la production de biens consommables.
ces filières (voir la stratégie brésilienne, le position-
nement en France de la FNSEA, etc.). Ce néolibéralisme aboutit à la mise en concurrence de
Si de telles réponses «opportunistes» du marché se l’accès au travail, induisant le nivellement par le bas
développent sans contrôle, on peut émettre quatre des droits sociaux, à la croissance exponentielle des >
9
1. Union des syndicats de grandes cultures affiliés à la FNSEA.
> transports des biens et des personnes et à l’urbanisa- de produire des produits agricoles ou forestiers desti-
tion accélérée de la population mondiale. nés autant à une demande énergétique en expansion
Or, compte tenu des techniques de production actuel- qu’à satisfaire des besoins alimentaires solvables),
les, ce néocapitalisme n’aurait besoin que d’à peine c’est créer les conditions de conflits majeurs et/ou de
20 % de la population mondiale en âge de travailler famines insupportables.
pour produire les biens ayant un marché solvable et Face à cela, certains économistes (L. Brown) souhai-
que la planète peut supporter. Par conséquent, desti- tent une relance active des politiques de limitation des
ner à l’exclusion durable de tout travail ou insertion naissances pour stabiliser la population mondiale
économique plusieurs milliards de personnes (dont autour de 7 milliards.
une majorité expulsée de leurs territoires dans le but n

QUESTIONS…
Vous annoncez que la fonte des glaces polaires ble de faire aisément des progrès pour la gestion de
entraînerait une hausse du niveau des mers de l’eau, le domaine énergétique pose, lui, plus de difficul-
70 m. Le phénomène est imminent, avec des consé- tés. Le Plan climat prévoyait par exemple de diminuer
quences énormes. Y a-t-il des études sur ce sujet ? la vitesse sur autoroute à 120km/h, mais la pression
N.Bleuse : La fonte des glaces est effectivement déjà des lobbyings a annulé cette mesure. Il est possible de
entamée, la hausse du niveau de la mer est une réalité diminuer l’impact du transport sur le climat en relocali-
aussi, avec un taux qui va croissant (10 cm/siècle au sant par exemple la production de biens alimentaires.
début du XXème siècle, pour atteindre 30 cm/siècle
aujourd’hui). Une grande partie de la population mon- Face à la diminution des surfaces agricoles (urba-
diale est concernée par ce risque. Ces évolutions ont nisation, montée des eaux), il y a urgence à limiter
une forte inertie et les prévisions ne sont pas simples la population de la planète pour pouvoir être capa-
à faire car il y a une grande diversité d’interactions. bles de survivre à ces changements. Par ailleurs, je
B.Seguin : La montée des eaux (de 1.5 à 3 mm /an en dirais, de façon provocante, qu’il faut arrêter l’éle-
ce moment) était expliquée auparavant surtout par la vage sur la planète.
dilatation de l’eau de mer sous l’effet du réchauffe- P. Bonhommeau : Il est encore très difficile pour un
ment, aujourd’hui la fonte des glaces est un facteur éleveur bovin d’admettre le rôle de l’élevage dans le
supplémentaire avéré. Tous les mois des résultats réchauffement climatique. Plus que le maintien ou non
d’études paraissent, suscitant des controverses. de l’élevage, il nous faut mieux prendre en compte la
Certains phénomènes étaient par exemple prévus pour simultanéité des problèmes et s’interroger collective-
dans 2 ou 3 siècles ; désormais leur échéance a été ment sur la pertinence, aujourd’hui, de nos thèmes de
ramenée à 1 siècle. Des études sont réalisées sur l’im- lutte, par exemple la défense de la biodiversité.
mersion des terres, pas beaucoup par l’INRA car nous Comment hiérarchise-t-on les revendications ?
travaillons sur les terres émergées. La France métropo- Sur la question énergétique, il faut que l’on sache
litaine ne serait pas très concernée par ce risque, il déterminer la consommation énergétique de l’agricul-
s’agirait plutôt de pays comme le Bangladesh. ture et l’allocation optimale entre production énergéti-
que et alimentaire. Au delà du secteur agricole, il faut
Quelle peut être l’adaptation de l’homme face au également réinterroger le rôle de la voiture dans notre
réchauffement climatique ? Il est très difficile de société et l’importance qu’on lui accorde, sachant
faire évoluer les modes de consommation car nous qu’on a construit nos espaces pour y permettre avant
allons tous vers ce qui nous est le plus facile. tout l’usage de la voiture, plus que le vélo ou les trans-
B.S. : L’Onerc1 travaille sur le thème des effets du ports en commun.
réchauffement et est chargé de définir des modalités
d’adaptation pour les collectivités (inondations), le sec- A-t-on interrogé les vulcanologues pour calculer
teur forestier (risque accru aux incendies), etc. les prévisions ?
Parvenir à limiter l’émission des GES représente un NB : À ma connaissance, l’activité volcanique n’est
chantier énorme : du niveau individuel au niveau inter- pas prévisible à long terme. C’est vrai qu’elle participe
national. Jean-Marc Jancovici pose des alternatives a l’effet de serre mais elle n’intervient que de façon
très dures : il faudrait par exemple choisir entre man- accidentelle.
ger du poulet, faire un aller-retour aux Etats-Unis, etc. 1. Observatoire national des effets du réchauffement climatique (voir www.effet-de-
Mais ces choix sont difficiles à faire. S’il semble possi- serre.gouv.fr, site de la mission interministérielle de l’effet de serre).

10
DEUXIÈME PARTIE
LUTTER CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE
DANS LE SECTEUR AGRICOLE
CLAUDE ROY,
DÉLÉGUÉ INTERMINISTÉRIEL
À LA BIOMASSE

LE PLAN BIOMASSE ENTEND CONTRIBUER


À DIMINUER L’EFFET DE SERRE

Le travail du groupe de Boissieu sur le «fac- faible quantité et sa répartition est inégale. Au
teur 4» (objectif de réduction par quatre des rythme actuel de consommation, l’épuisement
émissions de gaz à effet de serre - GES) estime des ressources énergétiques se rapproche :
que la «bioéconomie» (basée sur la valorisation d’ici 40 à 50 ans pour le pétrole, 60 à 70 ans pour
des produits d’origine biologique) permettrait le gaz, 100 à 120 ans pour l’uranium et 200 à 300
d’atteindre le tiers de cet objectif. Les deux ans pour le charbon. De plus, le réchauffement
autres tiers seraient obtenus par les économies climatique pourrait s’emballer, par la minérali-
d’énergie et les progrès technologiques. Le plan sation du permafrost1 et le dégagement de
Biomasse sur lequel je travaille ne vise pas à méthane d’origine océanique.
régler le problème de l’effet de serre, mais il
entend y contribuer largement. Valoriser Il est donc urgent de trouver des modes de
la biomasse développement économique sans carbone.
Quelques éléments de contexte. Les études Prévenir les causes du changement climatique
démographiques prévoient un véritable boom :
pour diminuer
et en pallier les effets passent tout d’abord par
la population mondiale atteindrait 9 à 10 mil- les rejets une réduction de moitié des émissions de car-
liards d’habitants d’ici 2040. La consommation de CO2, créer bone (de 6 milliards de tonnes par an [Mds t/an]
mondiale pourrait être multipliée par 4 en 2050, des emplois et à 3 Mds t/an), grâce à des économies d’énergie
avec une population qui aurait presque doublé. et à la substitution des sources d’énergie et de
De plus, on observe que plus les civilisations
des recettes
matières premières fossiles (notamment bioé-
évoluent, plus elles consomment de la viande. publiques non nergies, bio-matériaux, biocarburants). Il est
Or, la production de viande est gourmande en délocalisables nécessaire par ailleurs d’augmenter le stock de
surfaces agricoles : s’il faut une unité de surface carbone de la planète ; nous pourrions ainsi
agricole pour produire des féculents, il en faut 5 gagner 50 ans sur la dérive de l’effet de serre au
pour de la viande blanche et 9 pour de la viande moyen d’une séquestration du carbone (filières
rouge. biomasse énergie et matériaux, bioproduits,
Les surfaces agricoles par habitant vont donc sols, conchyliculture et séquestration géologi-
diminuer. Il semble désormais difficile d’endi- que). La valorisation de la biomasse est opé-
guer la déforestation et on ne parviendra sans rante dans les trois voies citées précédemment.
doute pas à mettre en culture suffisamment de Elle permet d’économiser du CO2 émis - 100
surfaces pour alimenter la planète. L’enjeu est millions de tonnes de CO2 par an, soit une divi-
donc de mettre en valeur de façon optimale les sion par 4 des émissions d’aujourd’hui - et d’en
hectares dont on dispose : une intensification est séquestrer une partie. Elle crée de l’emploi et
nécessaire, en restant cependant sobres sur génère des recettes publiques peu délocalisa-
l’utilisation d’intrants. Il faudrait a priori consa- bles, en participant à l’aménagement du terri-
crer un tiers des surfaces agricoles à de la pro- toire. Les solutions qu’elles apportent sont
duction énergétique pour que la production de applicables presque partout dans le monde. Elle
biomasse prenne en charge un tiers du facteur 4. apporte d’importants potentiels de recherche et
Par ailleurs, la disponibilité des ressources développement, de technologie et d’organisa-
nécessaires au développement de nos civilisa- tion exportables.
tion reste limitée. L’eau douce est présente en Ceci toutefois à deux conditions : elle doit se

11
1. Désigne un sous-sol gelé en permanence, au moins pendant deux ans (pergé-
lisol en français).
faire au moyen d’une gestion durable (et non
minière) des ressources renouvelables et d’une L’ÉNERGIE EN FRANCE
utilisation intensive mais raisonnée des terres
agricoles et forestières.

Une intensification agricole gaz


charbon
14 Mtep/an (5%)
énergies renouvelables
17 Mtep/an (6%)
et forestière 39 Mtep/an (14%)

La filière biomasse se divise en six grands types


de ressources :
• alimentaires, pétrole
électricité nucléaire
115 Mtep/an (41%)
• bio déchets et sous-produits «humides» fatals 95 Mtep/an (34%)
(concentrés et diffus),
• déchets et sous-produits «lignocellulosiques»
fatals (idem),
• bois et assimilés,
• cultures lignocellulosiques dédiées agricoles et Énergie primaire consommée : 280 Mtep/an
forestières,
• cultures spécifiques (fruits, graines et tubercu-
les).
Aujourd’hui, ces ressources intègrent diverses Chaufferies et cogénérations
filières/marchés : amendements organiques collectives et industrielles
des sols, alimentation, matériaux renouvela- à biomasse 1,7 Mtep/an
bles «traditionnels», néo-biomatériaux (biopo-
lymères, biocomposites et bio-produits), pro-
duction de biomolécules, biocarburants (étha- bioénergie domestique
7,5 Mtep/an
nol, ester, BTL, carburants bio-technologi-
ques), réseau de chaleur renouvelable, bioélec-
tricité cogenérée.
L’expression du potentiel de ces filières implique
une intensification agricole et forestière, asso- autres (10%)
ciée à une gestion prudente des sols, du stock
agronomique de matières organiques stables et Biocarburants «classiques»
Méthanisation 0,45 MET/an
des ressources en eau. Par ailleurs, l’augmenta- 0,2 Mtep/an
tion de la «bio-séquestration» du CO2 passe par
une relance de la recherche pluridisciplinaire Biomasse : 11 Mtep/an d’énergies renouvelables
… Plus le reste !
sur la génomique de la catalyse de la photosyn-
thèse et de la calcification. Un arbitrage sur l’al-
location optimale des terres entre alimentation,
Des biocarburants de 2e et 3e générations (lignocellulosiques) pourraient voir le jour, par voie thermo-
production de fibres, de molécules pour la chi- chimique et biotechnologique.
mie et d’énergie sera sans doute nécessaire car
les filières s’interconnectent et deviennent
concurrentes. On pourrait par exemple à terme
manquer de pâte à papier si la production de
bois pour la chaleur devenait plus rentable. Un arbitrage molécules renouvelables. À cela pourrait
s’ajouter la séquestration supplémentaire de
nécessaire sur
Les potentiels envisageables pour la biomasse, CO2 dans les forêts et matériaux, dans les sols
sur une base de prix du baril de pétrole à l’allocation et dans les cultures conchylicoles, permettant
50 USD/baril, sont pour l’instant les suivants : des terres de retirer 40Mt/an de CO2 en 2040. Les 140
environ 15 Mtep/an en 2010, 30 Mtep/an en 2030 entre Mt/an de CO2 émis en moins chaque année
et 40 Mtep/an en 2040/2050, dont la moitié en représentent déjà un tiers du défi du facteur 4.
productions
biocarburants. Cela représente 6 à 8 millions Les hypothèses de rentabilité économique, cal-
d’hectares dédiés au total, sans menacer selon alimentaires culées en fonction du rendement en matière
nous les filières alimentaires, les filières maté- et de sèche, de la rentabilité économique de l’équiva-
riaux et les sols. biomasse. lent en énergie et du prix de la tonne de CO2
100 Mt d’émissions de CO2 pourraient ainsi être pour les opérateurs assujettis au Plan national
évités à l’horizon 2040, grâce aux économies d’allocation des quotas d’émissions de CO2,
d’énergie fossile, à la production d’énergie de donne une rentabilité potentielle de 1000
substitution et la production de matériaux et euros/ha/an (hors aide/hors TVA). (voir tableau)

12
Un plan biocarburants
pour la période 2005-2015 RENTABILITÉ DE LA PRODUCTION DE BIOMASSE
EXEMPLE POUR DES CULTURES
En 2005, 350 000 t/an d’ester dans le gazole sont LIGNO-CELLULOSIQUES
produits, 90 000 t/an d’éthanol (ETBE) dans les
essences, soit 0,8 % d’incorporation banalisée
en valeur énergétique. Le plan biocarburants • 1 hectare produit chaque année :
prévoit la saturation des potentialités de produc- >environ 12 tonnes de matière sèche, ou 20 m3, ou
tion de ces filières avec 2,5 à 3 Mt de biodiesel2 5 tep,
produit par an, environ 300 à 400 000 t/an >ou 60 Mwh (soit l’équivalent de 20 T CO2 évitables
d’éthanol transformé en ETBE4 en 2008 et par hectare et par an si la biomasse est valorisée
jusqu’à 1 Mt/an d’éthanol incorporé directement en énergie)
dans les essences en 2010. • 1 Mwh de biomasse vaut :
Au delà de 2010, l’objectif est de développer un >environ 15 € rendu «usine» (chaufferie, biocen-
«bouquet de biocarburants» complet, et d’at- trale)
teindre 10 % d’incorporation banalisée en 2015. >soit 13 € départ champ ou forêt (à 50 km)
Je rappellerais enfin qu’un niveau de 7 % d’in- • 1 tonne CO2 évitée vaut : environ 20 € pour les opé-
corporation, objectif pour 2010, permet la rateurs assujettis au Plan national d’allocation des
construction de vingt usines, de générer 20 à quotas d’émissions de CO2)
30 000 emplois et qu’il concerne 2,5 à 3 M d’hec-
tares pour 3,5 Mtep/an (9,5% de la SAU).
n
CHIFFRE D’AFFAIRES DU PRODUCTEUR :
Biomasse : environ 800 €/ha/an
[60 Mwh x 13 €]
NOTE DE LA CONFÉDÉRATION PAYSANNE
CO2 : à déterminer [400 €/ha/an
L'Inra estime à 2.4 million d’hectares pour le
(soit 20 TCO2 x 20 €) reviennent à l’opé-
seul colza énergétique. En plus du colza, un
rateur énergétique qui valorisera la
quart des carburants verts devraient être
biomasse dont une partie restituée au
composés en 2010 d’éthanol, issu notamment
producteur !]
des betteraves ou du blé et mélangés à l’es-
sence. Cette filière éthanol, aura alors besoin
D’où l’hypothèse pour le producteur d’une rentabilité
d’environ 261 000 hectares de blé et de bette-
de 1000 €/ha/an (hors aides/hors TVA).
raves. Donc au total : 2.7 millions d'ha soit
10% de la SAU française.

2. Le biodesel regroupe l’ester méthylique d’huile végétale, l’ester éthylique


d’huile végétale et l’esters issu d’huiles animales.

13
PHILIPPE POINTEREAU,
ASSOCIATION SOLAGRO1

EFFET DE SERRE, ÉNERGIE


ET AGRICULTURE : QUELLES PROPOSITIONS ?
(ISSU D’UN TRAVAIL COLLECTIF DE CHRISTIAN COUTURIER, JEAN-LUC BOCHU, SYLVAIN DOUBLET ET PHILIPPE POINTEREAU)

Solagro a été créée en 1981, en plein pic du maire étant aujourd’hui de 290 Mtep/an et la
pétrole. Nous faisons le constat aujourd’hui, production «finale» (réellement consommée)
après 25 ans de travail et de nombreuses de de 160 Mtep/an. La différence, considérable,
déclarations et de colloques, que les choses provient des déperditions énormes dues au
n’ont pas beaucoup évolué. Les freins au chan- transport de l’énergie électrique notamment. Le
gement sont très forts. secteur du transport consomme 50 Mtep/an, le
Partant du principe qu’il faut aborder la ques- résidentiel et le tertiaire 60 Mtep, l’industrie et
tion énergétique globalement, je vais ici faire le l’agriculture 40 Mtep/an. Le vrai problème à
lien entre les émissions de GES et la biodiver- régler concerne donc principalement les deux
sité, le paysage, la qualité de l’eau, les déchets, premiers secteurs, même si bien sûr des efforts
la fertilité du sol et l’occupation du territoire. La doivent être faits dans le dernier. Il faut donc
biodiversité est le moteur de la production de s’orienter vers un scénario du type de celui pro-
biomasse : faites disparaître les insectes et la posé par Négawatt qui prône la sobriété et l’effi-
production agricole disparaîtra elle aussi. Selon cacité énergétique ; à noter cependant que selon
nous, l’enjeu est de trouver un consensus entre ce scénario on ne se passe pas en 2050 du
les approches agro-écologiques, qui s’intéres- pétrole et du gaz. L’exemple de la ville de
sent à la biodiversité fonctionnelle (ravageurs, Fribourg en Allemagne est particulièrement
pollinisateurs, faune et flore du sol, etc.), et l’ap- intéressant en termes de politiques urbaines de
proche naturaliste, dont la préoccupation est développement des transports en commun
davantage la biodiversité «naturelle». Le choix (trams, bus, train interurbain) et des transports
de pratiques agricoles adaptées peut permettre doux (vélo notamment). Á l’échelle individuelle,
de satisfaire les deux approches. les choix de consommation sont décisifs : choix
de matériels à haute efficacité énergétique,
Plusieurs éléments de constat. Les apports
changement de mode de consommation, etc.
d’engrais azotés depuis 1929 ont augmenté en
France, tandis que les surfaces de cultures pro-
téagineuses diminuaient : on a fait le choix du
Les engrais azotés
En équivalent responsables de la moitié des
maïs irrigué plutôt que celui des Légumineuses.
Le maïs fourrage dégage un surplus d’azote par
surface, GES émis par l’agriculture
hectare de 109 kg. Or, 1 kg d’azote représente la balance
1,5 litre de fuel ; l’azote est donc un élément commerciale Les émissions de GES ont diminué de 6 %
d’analyse central sur la question énergétique en depuis les années 90, en lien principalement
agricole
agriculture. avec le développement de l’énergie nucléaire et
On observe également un appauvrissement des
de la France la désindustrialisation. Si le secteur agricole ne
assolements. En 30 ans, une culture en moyenne est déficitaire constitue pas le secteur plus gros consomma-
a été perdue dans les rotations agricoles. de 1 705 300 ha teur d’énergie, il dégage néanmoins 16 % des
On entend souvent dire que la France nourrit le GES, à cause de l’utilisation d’engrais azotés
Monde, mais c’est en fait le contraire qui appa- (pour 50 %), du dégagement de méthane par les
raît quand on fait la balance entre les produits ruminants et du dégagement de méthane, de
agricoles importés (bois, soja, café, viande, etc.) N2O par les sols et les déjections.
et les produits exportés (blé, sucre, vin, viande, 1.Solagro est un centre d’étude et de formation pour l’énergie, l’environnement
produits laitiers, etc.) : en équivalent surface, la et l’agriculture. Ses priorités et champs d’action sont la maîtrise de l’énergie et
les énergies renouvelables en agriculture et dans le bâtiment individuel et collec-
France est en effet déficitaire de 1 705 300 ha. tif, les formes d’agricultures qui préservent les ressources et les paysages et la
Enfin, la consommation d’énergie en France ne gestion territoriale des projets énergétiques et agricoles. Solagro a participé à un
groupe de travail de la Mission interministérielle de l’effet de serre (Mies) dans
cesse de croître, la production d’énergie pri- le cadre de la préparation du plan Climat.

14
En 2004, les dégagements directs de GES par Le protoxyde d’azote (N2O) représente 14 % des
l’agriculture se répartissaient de la façon sui- émissions totales en France de GES, pour une
vante (en millions de tonnes équivalents CO2) : valeur totale de 72 MtéqCO2/an. L’agriculture en
dégage 54 MtéqCO2 (émissions des sols et les-
ORIGINE DES GAZ À EFFET DE SERRE DÉGAGÉS sivage des nitrates), produits par les réactions
Consommation énergétique
de nitrification-dénitrification directe
lors de la trans-
EN AGRICULTURE
Consommation énergétique directe formation de NH3 en NO3 et/ou N2.
10 MteqCO2
Déjections animales
Déjections animales Des améliorations possibles
Fermentation entérique
19 MteqCO2
sur tous les fronts
Fermentation entérique
Fertilisation azotée Fertilisation azotée
50 MteqCO2
(intestinale) Solagro développe des outils permettant d’éva-
28 MteqCO2
luer dans leur ensemble les consommations
énergétiques dans une exploitation agricole.
Un agriculteur consomme en moyenne
0,5 tép/ha/an. Mais, en élevage laitier par exem-
Tous les postes sont en diminution, en particu- ple, certains systèmes consomment deux fois
lier celui de l’azote minéral et organique, mais Comment les moins d’énergie que d’autres pour produire 1L
des économies restent possibles. de lait. La consommation est généralement plus
La consommation d’énergie directe de l’agri-
biocarburants
importante dans les systèmes «maïs», moindre
culture atteint environ 3,7 Mtep/an, soit 2 % de vont-ils dans les systèmes «herbe». Mais cette distinc-
la consommation nationale. Les rejets de CO2 s’intégrer dans tion n’explique pas tout car on a observé des
qui en sont issus sont estimés à 10 Mt, dont les filières systèmes maïs ensilage dont les consomma-
65 % issus de la combustion des carburants tions énergétiques étaient faibles ; divers fac-
tracteurs et véhicules légers, et 25 % pour le
existantes ?
teurs entrent en effet en jeu.
chauffage des serres, les bâtiments et les Pour diminuer ses rejets de GES, l’agriculture
séchoirs. Mais il faut ajouter à cela les émis- peut jouer sur de multiples tableaux. Tout
sions de CO2 indirectes, liées à l’utilisation des d’abord, des actions de maîtrise de l’énergie
intrants (engrais, bâtiments, matériels), qui sont à mettre en place : meilleure utilisation des
correspondent à environ 24 MtCO2, soit au delà moteurs et des outils (entretiens, réglage,
de deux fois plus que l’énergie consommée sur conduite économique), renouvellement du parc,
les exploitations. amélioration des équipements avec le progrès
technologique, non-labour en culture annuelle,
CONSOMMATION D’ÉNERGIE DIRECTE construction en bois dans les bâtiments. Elles
DE L’AGRICULTURE permettraient un total de 1,2 MteqCO2 économi-
sés potentiellement.
Autres
Chauffage de serres (25 %) En parallèle, une maîtrise de l’azote doit
être opérée, permettant a priori d’économiser
21,2 MtéqCO2 : en limitant l’usage d’azote
(13 MteqCO2 d’économies possibles), en conver-
Carburants tracteurs et véhicules légers (65 %) tissant une partie des prairies de graminées
pures en prairies mixtes, en cultivant des pro-
téagineux afin d’éviter les importations de tour-
teaux (7 MteqCO2 evités).
Des actions de maîtrise du méthane et du N2O
dans le secteur de l’élevage permettraient d’évi-
ter le dégagement de 6,4 MteqCO2, grâce à une
62 MtéqCO2 de méthane (CH4) sont dégagés 69 % méthanisation des déjections et une réorienta-
chaque année en France, ce qui correspond à tion vers des productions végétales (évitant les
des émissions exportations et limitant les fermentations enté-
12 % des GES. L’agriculture en fournit
42 MtéqCO2/an, soit 69 % des émissions totales de CH4 sont riques).
(les fermentations entériques représentant d’origines
45 %, les émissions dues au stockage 23 %). agricole, Enfin, il est nécessaire d’améliorer l’autonomie
80 % des émissions proviennent des bovins (33 énergétique des exploitations, par une action sur
dont 80 % les systèmes de production (rotation, assole-
MtéqCO2). Les autres émissions de CH4 au
niveau national sont issues du traitement des proviennent ment), sur les pratiques agricoles et la produc-
déchets, de l’industrie de l’énergie et de la com- de l’élevage tion d’énergie renouvelable sur l’exploitation.
bustion dans le secteur résidentiel et tertiaire. bovin La production de biocarburants en agriculture

15
peut participer à la diminution des émissions de
GES. Les bilans bioénergétiques des filières
sont globalement positifs, même s’ils sont diffé-
rents d’un biocarburant à l’autre. Mais le débat
est surtout de savoir comment les biocarbu-
rants vont s’intégrer dans les filières existantes
et comment va-t-on trancher le débat sur l’allo-
cation des surfaces. Des accords internationaux,
tels que celui dit de Blair House, limitent pour
l’instant le développement des surfaces en pro-
téagineux. Ce qui est intéressant dans cette
filière, c’est aussi et surtout la production de
tourteaux.
Dans les filières éthanol de blé et diester, les
sous-produits ont également une valeur éner-
gétique, mais le débat sur ces valeurs n’est pas
tranché (voir schémas ci-contre présentant en
détail ces valeurs). La production
d’éthanol à partir du blé consomme
beaucoup d’énergie au cours de la au mieux de 25 Mt. Or, le potentiel des biocarbu-
phase de distillation. La seule énergie Les rants serait de 4 Mtep pour les huiles et de
produite par l’éthanol donne donc un biocarburants 15 Mtep pour la filière ligno-cellulosique.
bilan négatif, mais si on y ajoute les drê- La défiscalisation coûte cher à l’Etat, certes,
ches et la paille le bilan devient positif. Il
ne pourront
mais vu les prévisions il va falloir mettre de
reste cependant moins élevé que celui pas remplacer toute façon les bouchées doubles. Les prix de
du diester. le pétrole. rachat constituent des leviers politiques forts.

Les biocarburants ne pourront pas remplacer le


pétrole en France. La consommation actuelle
est de 90 Mt. Le scénario Negawatt prévoit une
consommation de carburant dans les transports

ET LE BIOGAZ ?
Alors qu’on construit chaque jour une nou-
velle installation de biogaz en Allemagne, la
production reste très faible en France. 3000
fermes en sont équipées en Allemagne, pour
150 000 ha. Une des fermes visitées par
Solagro valorisent 60 % de ses 130 ha de SAU
dans le digesteur (maïs et herbe), permettant
une production de 1 million de kWh par an. Le
prix de rachat est de 17,5 cts €/kWh, un levier
incitatif fort à l’origine d’un fort développe-
ment du biogaz en Allemagne, à la fois à Notons que la France est le cancre de l’Europe
l’échelle individuelle et collective, avec des sur le marché du CO2, la demande est faible car
installations plus grandes. L’investissement les quotas définis sont beaucoup trop larges. Le
reste lourd (550 000 €). prix du marché CO2 n’est pas à la hauteur des
Cependant, les pratiques agricoles évoluent enjeux, et la France en est grandement respon-
beaucoup avec ce genre d’activités. Certaines sable.
fermes, anciennement d’élevage, ont ainsi
abandonné leur troupeau car toute la produc- Le plan biocarburant pose la question de
tion fourragère passe dans le digesteur. Les l’échelle de sa mise en œuvre (courte, moyenne,
toits de bâtiments sont équipés en photopiles. longue). Il faut développer tous les échelons, car
Ces agriculteurs se sont ainsi significative- tous ont leur intérêt, et maximiser les complé-
ment reconvertis. Ils gagnent aujourd’hui mentarités entre ces filières en privilégiant les
aussi bien leur vie, en alimentant en électri- projets territoriaux.
cité 7 à 8 maisons proches. n

16
ÉCHANGES
AVEC LES PARTICIPANTS

Quelles politiques énergétiques


agricoles et alimentaires ?
On s’interroge ici sur les fonctions de le reste de la société, en faisant le choix de la meilleure effi-
l’agriculture, en évoquant beaucoup cacité énergétique.
les productions alimentaire et énergé- PP : la Directive cadre «eau» imposera de réduire de 60 % dans cer-
tique. Claude Roy suppose que nos tains cas les prélèvements en eau : il est clair qu’il va falloir raison-
régimes alimentaires vont rester les ner l’agriculture dans ce sens ! Les biocarburants apparaissent
mêmes et que le marché va se mettre aujourd’hui comme le miroir aux alouettes pour une agriculture en
en place tout seul. Mais il y a deux perte de motivation et de soutien… l’eau est un enjeu supérieur
questions à soulever : la question encore !
n’est pas seulement économique, elle CR : le projet de barrage dans le sud ouest fera à terme disparaître
est aussi politique. Il y a des leviers le maïs irrigué pour le remplacer par le sorgho, voire le séquoia. Par
politiques très forts : on le voit notam- ailleurs, si vous faites votre huile brute dans votre coin, vous ne
ment au travers de l’exemple du prix réglez absolument pas le problème énergétique, vous le faites pour
de rachat de l’électricité renouvela- vous mais pas pour les autres. L’huile brute n’est pas un carburant,
ble ; quelle finalité vise-t-on ? À la les moteurs diesel ne sont pas faits pour l’utiliser. Elle abîme les
Confédération Paysanne, on pense moteurs, on l’observe en Allemagne. Si votre moteur explose, per-
qu’il faut d’abord nourrir les gens, sonne ne vous le remboursera. 1 % seulement d’huile dans un
toute la planète, c’est la fonction pre- moteur HDI et le moteur est foutu.
mière de l’agriculture, à ne pas mettre
en concurrence avec les autres. Note de la Confédération paysanne
CR : Honnêtement, je ne pense pas que Si bien des aspects techniques concernant l’HVP demeurent méconnus en
la planète soit capable d’accueillir les 9 France, il est évident que cette filière très bien implantée en Allemagne, de la
milliards d’habitants prévus… Je suis recherche en passant par la production jusqu’à la commercialisation, présente
d’accord que la fonction première de un intérêt important, tant du point de vue energétique qu’environnemental tout
l’agriculture est la production alimen- en s’adaptant parfaitemement à un développement rural. En Allemagne, cette
taire, mais traditionnellement elle a tou- démarche de promotion de l’HVP est bien entendu dictée par la volonté de
jours fourni autre chose (matériaux, mettre à disposition un produit de qualité, respectant des critères normatifs,
etc.). Le prix du pétrole a été multiplié susceptible d’offrir des garanties aux motoristes. De plus, cette filière permet
par 2 en un an et demi, et cela va engen- aux agriculteurs de bénéficier d’une bien meilleure rémunération du colza tout
drer une augmentation des prix d’autres en profitant du tourteau, apport protéique de proximité pour le bétail. / Une
produits de base tels que le blé, la pâte à étude a été //effectuée //en Allemagne //sur les 101 tracteurs //et elle a été
papier, etc. Que vont devenir les 200 probante. /En fait, tous les tracteurs qui ont roulé avec des huiles normées
pays qui ne peuvent plus à l’heure n’ont eu aucun problème. Les résultats étaient aussi plus ou moins satisfaisant
actuelle payer leur facture de pétrole ? en fonction de la marque du tracteur (John Deere a eu les moins bons résul-
Sur ce point, effectivement ce n’est pas tats) et le réglage du moteur.
le marché qui réglera tout, car l’alloca-
tion des terres est éminemment politi- Les primes Pac ont été justifiées par une diminution des prix
que. C’est un facteur géopolitique cen- agricoles. La vocation non-alimentaire de l’agriculture doit-
tral. elle se faire avec les primes ?
CR : les stocks an niveau mondial diminuant, les prix vont proba-
Au pays basque on a fait le choix des blement augmenter. La Pac a été créée dans une logique malthu-
huiles végétales brutes pour l’autono- sienne, il s’agit aujourd’hui de relancer la production. La jachère
mie énergétique locale. On peut déjà aujourd’hui a-t-elle encore un sens ?
se cantonner à être autonome, avant PP : les prix n’ont jamais cessé de diminuer et on peut s’attendre
de vouloir produire de l’énergie pour qu’ils diminuent encore. Une question se pose pour le secteur de la

17
forêt : la moyenne des primes en agriculture est de 330 €/ha, alors encore plus l’agriculture industrielle,
que la forêt ne reçoit rien. Il est plus rentable de faucher du blé que au détriment des petits paysans, ceux-
d’aller exploiter du bois dans les Pyrénées. À l’avenir, si les deux là mêmes qui ont forgé nos paysages,
secteurs sont sur le même marché, il faudra leur appliquer les la vie des territoires.
mêmes règles. Il existe des systèmes de production agricoles très CR : Le diester, en plus d’être un additif
«énergétivores», le prix de l’énergie augmentera et de nouvelles au gasoil, est une molécule intéressante
défiscalisations seront appliquées ; mais cela ne fait que repousser à plusieurs égards. La question est de
le problème. Ces systèmes devront évoluer. Il est temps que la savoir jusqu’à quel niveau on peut le
recherche s’approprie plus les questions énergétiques, dans la fou- développer. Quelles places pour le tour-
lée des travaux déjà menés par le Réseau agriculture durable et la nesol, le colza, sans déséquilibrer les
Fadear. rotations et les systèmes agricoles : 1, 2
millions d’hectares ? Le débat n’est pas
M. Roy estime que l’huile brute c’est du bricolage, or son ren- tranché. On n’ira pas trop loin car il y a
dement énergétique est positif. Mais il existe des risques envi- des problèmes de culture. Mais que ce
ronnementaux et sociaux au développement des cultures éner- soit pour faire du diester ou de l’huile
gétiques, tel que le diester. L’engouement des industriels pour brute, le problème de surface est le
les biocarburants les amènent à faire du racolage auprès des même.
agriculteurs afin qu’ils se lancent dans cette production,
comme dans mon département. On va voir se développer

Des enjeux internationaux


Je ne voudrais pas que les efforts qu’on fasse servent à ce que concurrence un agri-manager «moléi-
d’autres n’en fassent pas.. Je pense aux USA. culteur» (comme le dit la Fop) et un
CR : la moitié des États aux USA ont engagé une politique encore paysan non aidé ? La référence histo-
plus vigoureuse que la nôtre. Il se sont regroupés en un groupement rique française est mauvaise.
d’États anti-carbone. Ils font la même chose que chez nous, mais CR : le contexte et les enjeux de la Pac
en mieux. La seule différence est qu’ils n’ont pas voulu toucher à sont très différents aujourd’hui, les réfor-
leur consommation énergétique courante. Contrairement à ce qu’a mes ont été faites dans les tenailles des
dit M. Pointereau, la France n’est pas du tout le mauvais élève de négociations de l’OMC. Mais il faut pro-
l’Europe, à part peut être pour l’éolien mais ce n’est pas une réfé- duire. Le problème est qu’il existe de
rence intéressante car l’éolien a aussi ses limites. L’exemple alle- nombreux pays non solvables. C’est une
mand sur le biogaz est discutable ; ils ont beaucoup d’installations, Pac mondiale qu’il faut envisager. Il y un
mais il faut voir à quel prix. vrai problème de pauvreté dans le
monde, dans le monde agricole, et chez
La Pac est inéquitable. La CP se soucie aussi des agricultures les Français.
du reste du monde et elle refuse les aides à l’exportation pour
ne pas qu’il y ait de concurrence déloyale. Comment mettre en

18
Et l’environnement ?
Quid des effets du non labour sur le CR : J’ai indiqué en postulat de départ que la réduction d’un tiers
réchauffement ? Il dégagerait du CO2 des émissions de GES par sobriété énergétique était nécessaire.
mais moins de N2O. Mais le développement économique de la Chine va être très gour-
PP : Solagro ne fait qu’utiliser les travaux mand en énergie à moins de construire par exemple des logements
de la recherche. Nous ne sommes pas économes en énergie comme l’a fait là-bas l’Ademe mais cela sem-
compétents sur ce domaine, il nous man- ble encore très compliqué. On a désintensifié le PNB en travail en
que encore des données. Mais les études l’intensifiant en énergie, il va falloir inverser la tendance. Il faudrait
à mener sur les dégagement de GES sont pour cela détaxer le travail et taxer davantage l’énergie.
très lourdes. Sur les bilans de GES, tout PP : Solagro soutient le scénario Negawatt, qui propose l’abandon
n’est pas encore calé ; il faut encore du nucléaire. On ne récupère absolument pas de chaleur du
attendre pour avoir des estimations fia- nucléaire, que de l’électricité ; c’est un gâchis énorme ! Plusieurs
bles. pays en Europe ont commencé à baisser leur consommation
CR : toutes les données qu’on utilise sont d’énergie tandis qu’en France on n’a absolument pas avancé dans
encore largement discutées. Une prairie ce domaine.
naturelle dégage des GES. Mais depuis Par ailleurs, il faut entamer le débat de la territorialisation, dans tou-
qu’on utilise le tracteur et qu’on laboure, tes les régions et sur toutes les questions (eau, énergie, biodiver-
on laboure de plus en plus profond, ce qui sité, etc.). Nous travaillons à Solagro sur l’agriculture à «haute
fait remonter de la matière organique qui valeur environnementale» ; on observe que les exploitations avec
se minéralise. On détruit de la matière les meilleurs systèmes de production sont souvent situées dans les
organique stable du sol en labourant trop zones de captage d’eau. Les captages d’eau minérale représentent
profondément. A priori, il faut donc reve- 20 milliards de chiffre d’affaires. La principale valeur ajoutée de
nir à des méthodes de labour plus sobres. cette agriculture c’est l’eau potable.
De plus, nos sols, surtout en zone de Contrairement à ce que semble dire M. Roy, il faut préserver les
grandes cultures, manquent de matière zones humides car elles jouent un rôle essentiel dans l’épuration de
organique. l’eau et abritent une biodiversité importante. Il ne faut plus en
détruire un seul cm2. En plus, la productivité biologique y est très
Les deux intervenants ont présenté élevée, qui permet d’alimenter toute une chaîne alimentaire.
deux tendances différentes et domi- Il faut également que les agriculteurs s’emparent de la question
nantes : l’une a une foi totale dans la centrale de la biodiversité, au travers notamment des programmes
technologie, l’autre a davantage le tels que Natura 2000. Il ne faut pas que cela reste dans le giron des
souci de modifier les pratiques. M. naturalistes. La biodiversité, c’est aussi la pollinisation, c’est la
Roy insiste sur le fait qu’il nous faudra dégradation de la matière organique dans le sol, c’est ce qui fait
être à la fois sobres et efficaces, mais vivre l’agriculture. Et si vous protégez les insectes, vous protégez
sans expliciter suffisamment comment aussi les oiseaux car une grande partie est insectivore.
y parvenir ! Par ailleurs, il estime que Il faut avoir des scénarios très diversifiés, notamment en incluant le
le biogaz coûte cher en Allemagne bois. Une partie importante du bois en France n’est absolument pas
mais il n’a pas cité en comparaison le valorisée, dans les zones difficiles d’accès, car les coûts d’exploita-
coût de l’énergie nucléaire. tion sont trop élevés. Mais le risque est alors de voir, comme
Enfin, le terme «biocarburants» me jusqu’à présent, certaines régions, soutenues, se spécialiser (dans
semble mal utilisé car la production la production énergétique) alors que d’autres seraient sous-valori-
de «biocarburants» n’a pas de lien sées. C’est l’anti-multifonctionnalité. Là où il y a du bocage, il faut
avec l’agriculture bio ; il vaut mieux qu’on puisse faire du bois déchiqueté ; il faut valoriser les potentia-
parler de «phytocarburants». lités spécifiques de chaque territoire.

19
Le labour est intéressant dans les régions du Sud, comme en cancers. On a privilégié les biens maté-
Espagne, où il peut permettre de faire remonter de l’humidité. Étant riels par rapport à l’alimentation, ce
donné que notre climat va se rapprocher de celui de l’Espagne, développement s’est fait sur le dos des
comment faire évoluer nos systèmes ? Sur le choix énergétique, il paysans.
n’y a pas de choix politique, c’est du ressort de chacun. CR : Il faut taxer l’énergie. Ce qui est rare
CR : les systèmes agricoles de grandes cultures ont avancé jusqu’à doit être cher. La biodiversité est vivante,
présent les yeux fermés. Or, aujourd’hui plusieurs facteurs limitants elle évolue, les espèces disparaissent d’el-
apparaissent (pollutions, appauvrissement des sols, etc.). Il est clair les-mêmes. On observe que les bords d’au-
qu’il faudra être plus sobre et plus souple. toroute par exemple sont très riches en bio-
PP : je n’aime pas les solutions toutes faites ; avec le non-labour on diversité. La biodiversité est-elle un objec-
peut avoir des problèmes de gestion des mauvaises herbes. Si on tif en soi ? Je pense que les termes préser-
regarde l’assolement en France, on observe que 80 % des cultures ser- vation et biodiversité sont antinomiques
vent à la production animale. On produit beaucoup de viande et de lait, car la biodiversité change d’elle même.
et les grandes cultures se spécialisent toujours plus. Les systèmes Protéger la biodiversité n’a pas de sens.
animaux sont très consommateurs d’espace. Cette spéciali- PP : On ne peut pas dire ça, les
sation est dangereuse, on risque de se retrouver avec de Le risque est de engagements de la France sont
grandes exploitations céréalières produisant uniquement voir certaines clairs (Rio, Kiev). On ne peut pas
pour les élevages : il faut absolument diminuer notre consom- régions se spé- remettre en cause la nécessité de
mation de lait et de viande. préserver la biodiversité.
cialiser dans la
Dans les calculs de coûts, celui du transport n’est jamais pris L’agriculture sans la biodiversité
en compte. La question de l’allocation des surfaces, entre pro-
production éner- est menacée. Il est vrai que des
duction énergétique et alimentaire, est en débat permanent ; il gétique alors que espèces reviennent, telles que les
faut continuer à chercher des références pour aider à la déci- d’autres seraient Cervidés, le loup, certains rapa-
sion. Tout est choix politique dans ce domaine. Le maïs irrigué sous-valorisées. ces, mais des dizaines d’autres
n’existe que parce qu’il est subventionné. Le montant des C’est l’anti-multi- disparaissent régulièrement. Des
détaxations du fuel en agriculture est supérieur à celui des fonctionnalité. espèces, il ne s’en crée pas, c’est
MAE. La production d’huile brute n’est pas du tout aidée, ni la faux. Des chiffres sont régulière-
paille, alors que ces techniques offrent des avantages. À Solagro on ment publiés par le Muséum d’histoire
pense qu’il faut mettre en œuvre la valorisation de la biomasse aux naturelle. Il faut arrêter de faire de la biodi-
diverses échelles : locale, départementale, régionale, nationale. versité une soupe infâme qu’on ne connaît
pas et qui ne sert à rien. Il faut une conver-
Si on a du mal à nourrir la population mondiale, ne produisons pas gence des enjeux agricoles et environne-
de biocarburants ! Notre développement a été dévastateur : la mentaux. S’il n’y avait plus de carabes, de
biodiversité chute, les transports sont énormes, la pollution par vers de terre, d’abeilles, l’agriculture s’ef-
les pesticides augmente accompagnée d’une augmentation des fondrerait.

Le plan biocarburant
Comment les décisions gouvernementales sur les biocarbu- soit l’État proposait un appel d’offres et un
ères
rants sont-elles prises ? Les 1 usines se sont implantées très système de défiscalisation. Plusieurs
vite. Quelle réflexion globale ? On a l’impression qu’on apporte groupements ont répondu aux appels. Sur
des réponses avant d’avoir étudié les problèmes. le diester, on a attribué des quo-
CR : La question à l’époque était de savoir comment les le plan tas à des nouvelles usines car il
financer (avec un baril à 27 dollars) : par défiscalisation ? biocarburant était y avait une forte demande ; pour
ou par un système de recompensation depuis la fiscalité en gestation l’éthanol, les quotas ont été don-
du carburant classique ? depuis 2000. nés pour compléter des usines
Puis le dossier a été mis de côté. Le Président Chirac ayant existantes, et la construction de
fait pression, on a décidé de lancer les biocarburants avec l’objectif 16/17 nouvelles usines. On rentre par la
de 5,75 % d’incorporation (équivalent énergétique) en regardant qui petite porte dans la filière pétrolière.
allaient investir. Soit les industriels allaient acheter où ils veulent,

20
TROISIÈME PARTIE
L’EAU, UN ENJEU VITAL POUR L’HUMANITÉ

LARBI BOUGERRA
PROFESSEUR À LA FACULTÉ DE
SCIENCES DE TUNIS

RESSOURCES EN EAU :
LE POINT SUR LA SITUATION
MONDIALE
L’eau est l’unique ressource dans le monde à
avoir une aussi forte valeur symbolique. Deux
exemples : le baptême chez les Chrétiens et la
purification par l’eau (après l’acte sexuel) chez
les Musulmans. Lors de la construction du bar-
rage des Trois Gorges en Chine, des paysans
ont été expropriés et mal indemnisés, des jour-
nalistes emprisonnés. Mais quand on interroge
la population, on se rend compte que leur
opposition vient essentiellement du fait que
l’inondation des cimetières les empêche d’en-
trer en communion avec l’esprit de leurs ancê-
tres. L’eau a une valeur presque métaphysi-
que !
Les travaux sur l’eau réservent encore des sur- qui n’ait eu une visée stratégique de l’eau. Ces
prises. Les chercheurs du Collège de France L’eau est un derniers ont même proposé une alliance mon-
prévoient qu’à l’avenir nous n’ayons plus élément et diale pour la gestion planétaire de l’eau sur le
besoin d’essuis-glaces sur nos voiture, l’eau une ressource modèle de l’OTAN1. Le Darfour est un énorme
n’y faisant plus de traces. En électronique l’eau château d’eau pour le Soudan (grâce au Nil
qui risque
est le meilleur dépoussiérant jamais trouvé. Bleu). Depuis la fin des années 70, le gouverne-
Dans la recherche en nanotechnologie, elle est d’alimenter ment sunnite tente, au détriment des popula-
utilisée comme solvant et introduite dans des encore de tions chrétiennes, de détourner l’eau à travers
nanotubes. nombreux un canal. Les populations du Darfour se sont
débats et donc élevées contre ce projet. L’eau et non pas
Des enjeux géopolitiques recherches
le pétrole a été l’élément déclencheur du pro-
et sociaux majeurs blème.
À un autre niveau, la place de l’eau dans les scientifiques
relations stratégiques internationales est Les usages de l’eau sur la planète sont de plus
essentielle. Quelques exemples, l’une des en déséquilibrés : utilisation importante par
sources du conflit libanais de l’été 2006 est la l’industrie, le tourisme au Nord ; au Sud, à Tel
volonté d’Israël d’accéder au seul fleuve du Aviv par exemple, des habitants lavent leur voi-
Liban, le Litani, pour en extraire l’eau. Cette ture à l’eau potable tandis que les Palestiniens
stratégie israélienne d’usage de l’eau comme boivent de l’eau insalubre. La demande en eau
moyen de pression est déjà celle employée en douce été multiplié par 6 en 10 ans alors que
Palestine, où les Palestiniens consomment population a été multipliée par 3 en 50 ans.
quatre fois moins d’eau que les Israéliens. Nous avons connu en Éthiopie dans les années
Empêcher les Palestiniens d’accéder à l’eau 80 une forte mobilisation internationale contre
est une règle intangible de l’armée d’occupa- De forts la famine et la sécheresse alors qu’il possède
une énorme réserve en eau, le Nil Bleu. Par ail-
tion israélienne depuis la première intifada. Au déséquilibres
plan international, l’Onu aborde fréquemment leurs, l’eau coule à flot à Las Vegas alors qu’il
dans l’usage n’y a pas de réserve d’eau sur le territoire du
la question de l’eau et depuis Mme Albright, il
n’y a pas eu un secrétaire d’État aux États-Unis de l’eau Nevada.

21
En Tunisie, le Nord est arrosé alors que le Sud vont chercher l’eau (parfois plus de 6 heures de
et le centre sont secs. Le pouvoir central à Tunis marche par jour) ce qui est incompatible avec la
met en œuvre une gestion de l’eau qui permet scolarisation alors qu’il parait indispensable
de la transporter du nord, vers les zones touris- que les Africaines aient aussi accès au savoir
tiques au sud. pour faire évoluer la société. En Ethiopie, on
constate que l’absentéisme des jeunes filles à
Nos contemporains sont de plus en plus dépen- l’école s’explique par le fait que beaucoup d’en-
dants de l’eau et subissent les conséquences de tre elles n’ont pas d’eau et de toilettes sépa-
sa gestion sans pour autant toujours le savoir. rées.
Une voiture nécessite 400 000 litre d’eau pour sa 1,2 milliards d’être humains n’ont pas accès à
construction, la gestion des rejets d’eau de l’eau et 2 milliards n’ont pas de système d’as-
refroidissement par les centrales nucléaires a sainissement. L’immigration dépend en grande
des conséquences importantes sur le milieu et partie de ce constat. Au Sud-Maroc les villages
plus spécifiquement lors de fortes vagues de se dépeuplent du fait du manque d’eau qui sem-
chaleur ou de périodes d’inondation. Nous som-
Nous sommes blerait être voulu par les autorités. Dans beau-
mes aujourd’hui plus dépendants et donc plus aujourd’hui coup de pays du Tiers monde, s’occuper de l’eau
vulnérables que l’homme de Cro-Magnon au plus dépen- n’est pas «glorieux» comparé à une belle
regard de notre rapport à l’eau. Pourtant, depuis dants et donc ambassade ou une ligne d’avion internatio-
l’apparition de la Terre, la quantité d’eau n’a nale…
pratiquement pas varié. L’enjeu est avant tout
plus vulnéra-
de maintenir les ressources en eau dans un bon bles que
état et de ne pas perturber le cycle hydrométri- l’homme de Une menace grandissante
que, plutôt que de limiter l’usage de l’eau. L’eau Cro-Magnon sur la ressource
douce représente 2,53 % de la quantité d’eau
disponible sur la planète. Cette eau n’est pas à
au regard de Or, les menaces sont lourdes sur les ressources
en eau douce. 212 000 produits chimiques
notre seule disposition mais à l’usage de tous notre rapport étaient référencés en 1965, pour 19 millions en
les animaux, les plantes, bactéries, qui contri- à l’eau 1998. 70 000 à 100 000 d’entre eux polluent les
buent à la qualité du cycle de l’eau. L’eau des eaux de la planète. Selon l’Ifen (Institut français
océans met 2650 années pour se régénérer alors qu’il de l’environnement), 97 % des points d’observation de
en faut 7 pour l’eau atmosphérique, ceci est le facteur l’eau de surface montrent une présence vraisembla-
clé pour mesurer l’impact de nos pratiques ; le pro- ble de pesticides. En ce qui concerne les eaux souter-
blème n’est pas le manque physique d’eau mais la raines 48% des points d’observation sont probable-
qualité de sa gestion et sa répartition. ment pollués et 13% le sont certainement. Les consé-
quences sont nombreuses et quelques cas doivent
La consommation d’eau a un coût économique et nous amener à agir : grenouilles à 5 pattes, cancers
social. Les Africains disent que «les femmes sont de la peau chez l’homme liés à la présence d’arse-
notre aqueduc». C’est souvent les petites filles qui nic..). Voilà qui doit nous faire réagir.

1. Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

22
ÉCHANGES
AVEC LES PARTICIPANTS

Claude Roy disait hier, «ce n’est pas la


pollution par les produits chimiques
qui augmente mais les analyses».
Merci à M. Bougerra d’avoir rappelé
que l’utilisation des produits chimi-
ques est croissante. Existe-t-il d’au-
tres exemples sur les risques sanitai-
res encourus et liés aux produits chi-
miques présents dans les eaux ?
L. B. : Il y a de nombreuses études en la
matière, cependant il n’est pas facile
d’attribuer un cancer à tel ou tel produit. La gestion de l’eau est de plus en plus confiée au secteur
Il n’en demeure pas moins qu’un nombre privé. Mesure-t-on les conséquences de cette tendance ?
important de produits rejetés dans les L. B. : Rappelons au préalable que ce n’est pas la ressource qui est
eaux n’ont fait l’objet d’aucune analyse confiée au privé, mais bien celle du service de gestion et du traite-
sur les conséquences sanitaires qu’ils ment de l’eau. En ce qui concerne les pays du Tiers-monde, et
pourraient produire. Un programme de notamment dans les pays d’Afrique, les grands groupes privés
recherche au Parlement européen a pro- (Suez…) assurent grâce à des moyens financiers et techniques
posé d’inverser la charge de la preuve, importants une meilleure gestion de la ressource en eau.
c’est-à-dire d’imposer non plus au plai-
gnant de prouver qu’il est victime de pol- En admettant que la totalité des glaces fonde, la ressource en
lution chimique, mais au pollueur que eau de mer va s’accroître. Cela peut-il légitimer l’exploitation
ses activités ne sont pas à l’origine des de l’eau de mer par désalinisation ? On observe déjà en
dommages causés. La plupart des chefs Tunisie des activités de désalinisation importantes bien qu’il
d’États européens ont refusé cette faille plusieurs milliers d’années à l’eau de mer pour se régé-
mesure (la France y compris), craignant nérer.
de mettre en danger les entreprises.
L. B. : Le dessalement nécessite un processus industriel rejetant
Y a-t-il des études sur les impacts du C02 dans l’atmosphère et produisant des quantités extrême-
écologiques et économiques de la dis- ment importantes de saumure, qui posent le même problème que
parition de l’eau dans certaines les déchets radioactifs. Les exemples de dessalement que l’on
régions de la planète (mer d’Aral, connaît ne contribuent pas à l’alimentation de l’eau de la population
Colorado…) ? locale car le processus est plus souvent destiné à la consomma-
tion des touristes (exemple de la Tunisie).
L. B. : Le problème du Colorado a des
conséquences importantes sur le A-t-on des éléments quantitatifs et qualitatifs sur les risques
Mexique qui tire une partie de ses res- de pollution des eaux souterraines ?
sources en eaux de cette région. Le
Mexique a demandé au Sénat américain L. B. : En ce qui concerne les eaux fossiles, qui se situent généra-
d’augmenter son quota d’accès à l’eau et lement au moins à 4 000 mètres de profondeur, on sait qu’elles
de lui faire un prêt en dollars. Le Sénat a subissent des pollutions importantes. Par exemple, les solvants uti-
refusé le premier et accepté le second ! lisés par l’aviation américaine durant la guerre du Golfe se retrou-
Le cas de la mer d’Aral n’est pas le seul, vent aujourd’hui en Arabie Saoudite dans les réserves d’eau
le lac Owen vers Los Angeles a totale- fossiles.
ment disparu aussi.

23
TABLE RONDE

XAVIER DE SURMONT
DDAF DES DEUX-SÈVRES

G éographiquement, le département des


Deux-Sèvres est constitué d’une zone au
Nord en bordure du Massif Armoricain, terre Un cahier
la nécessaire conciliation des usages entre
consommation, agriculture et tourisme.
De 2003 à 2005, le département a connu une
de ruissèlement formée essentiellement de des charges grande faiblesse de recharge en eau. La
granit : pas de captage d’eau. Le Sud est une établi avec les situation reste cependant correcte grâce à
zone d’infiltration et de disparition de l’eau, une gestion efficace et concertée. Un exem-
irrigants qui
mais aussi des cours d’eau : le Marais ple de cette gestion : l’établissement d’un
Poitevin. Le département est donc tête de bas- précise les cahier des charges avec les irrigants préci-
sin avec pour conséquence que les cours niveaux d’eau sant les niveaux d’eau à respecter et les res-
d’eau ont de faibles débits. à respecter trictions à mettre en œuvre.
Une autre caractéristique du département est

ALBERT NOIREAU
DIREN POITOU-CHARENTES
DIRECTEUR DU SERVICE EAU ET MILIEU AQUATIQUE

L a région Poitou-Charentes est caractérisée


par des sols calcaires et une faible pluviomé-
trie. L’intensification agricole a eu pour consé-
réglementant les autres usages (station d’épu-
ration, rejets industriels), ainsi que la défini-
tion de bonnes pratiques agricoles.
quences des drainages et la mise en œuvre de Depuis 3 ans
l’irrigation, ainsi que des choix de cultures gour- nous sommes Une plate-forme régionale
mands en eau, en fertilisants et en traitements. dans un mode pour l’eau
L’irrigation fait baisser les débits. Sur le bassin
de gestion Cette plateforme créée à l’échelon régional a
de la Sèvre Niortaise, on observe une baisse pour objectifs de généraliser des autorisations
30% de débit pendant les périodes d’irrigation. restrictif volumétriques et leur révision pour les adapter
Par conséquent, et au regard des faibles pluvio- aux réserves disponibles 4 années sur 5, de
métries, depuis trois ans nous sommes dans un mettre en œuvre des programmes de gestion
mode de gestion restrictif. par bassin versant, de renforcer la coordina-
Les débits plus faibles génèrent des mortalités tion sur les bassins interdépartementaux, de
de faune aquatique, des cours d’eau à sec, une développer des retenues de substitution. Elle
asphyxie du milieu, la mort du biotope, des pol- doit permettre de lancer de façon anticipée des
lutions de l’eau potable. mesures de restriction et d’interdiction ainsi
La Directive Européenne cadre sur l’eau doit qu’une harmonisation des mesures de restric-
être appliquée dans les pays de l’Union d’ici tion des différents usages de l’eau.
2015. Elle a pour finalité de maintenir un bon Une évaluation en 2006 montre que des pro-
état écologique et chimique de l’eau de surface grès ont été réalisé depuis 2003, que le seuil
et souterraine. Des mesures pour atteindre ce d’eau au printemps était plus haut et que des
bon état écologique sont prises à plusieurs politiques harmonisées entre les départe-
échelons : la loi sur l’eau et la révision des ments se formalisent. Il faut toutefois conti-
Sdage1 au niveau national, au niveau local le pro- nuer cet effort d’harmonisation, définir des
gramme financier des Agences de l’eau, des volumes par ressource et des indicateurs de
arrêtés préfectoraux limitant les usages de crise, et diminuer le nombre d’unité de gestion
l’eau, attribuant des quotas volumétriques et en fonction de critères scientifiques.

1. Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux du bassin.


24
SERGE MORIN
CONSEIL RÉGIONAL POITOU-CHARENTES
VICE-PRÉSIDENT

D epuis 5-6 ans en Poitou-Charentes, la La qualité est très liée à la quantité, le man-
Région a le souci d’informer les habitants que d’eau a généré la fermeture de plus de la
sur la question de l’eau. Tout citoyen doit pou- moitié des captages d’eau potable en Poitou-
voir comprendre les enjeux pour s’approprier Il faut clarifier Charentes en raison de dépassements des
le débat. seuils de pollution. Un autre problème est
le rôle celle de la pollution de l’eau de mer : les pro-
Sur la gestion de l’eau, il est nécessaire de
clarifier les niveaux de compétence. des différents ducteurs d’huitres et de moules sont liés à la
Aujourd’hui les actions sont souvent ineffica- échelons de qualité des eaux des bassins versants !
ces en raison de l’illisibilité des compétences compétence La Région Poitou-Charentes prend des déli-
(gestion à la fois centralisée, déconcentrée, bérations depuis 2004, fixant ses orientations
décentralisée, interrégionale…). Toutes les et priorités en termes de gestion de l’eau,
collectivités ont des compétences, le citoyen sans forcément avoir la compétence. Une de
ne peut s’approprier ce domaine. ces délibérations concerne la création et la
Face à cela, les préfets en Poitou-Charentes gestion des retenues de substitutions.
n’appliquent pas toujours la Loi sur l’eau et Nous sommes confiants car nous vivons un
plusieurs d’entre eux ont été rappelés à l’or- tournant fondamental des orientations en se
dre sur ce point. saisissant du nouveau calendrier des Fonds
Or, la dégradation de la ressource en eau va Structurels Communautaires et du CPER
très vite en raison de la pollution liée à l’agri- pour tourner les fonds publics dans les bon-
culture mais aussi au tourisme, au transport. nes directions.

JACQUES PASQIUER
CONFÉDÉRATION PAYSANNE DE LA VIENNE,
CÉRÉALIER

Q uand l’agriculteur prélève de l’eau, rien n’est


restitué au milieu, à la différence du secteur
de la production d’énergie qui restitue tout (à
un encouragement à utiliser de l’eau quand il
n’y en pas, qui n’est certainement pas voulu
par les irrigants. Pourtant ces derniers consi-
part l’évaporation) et du secteur domestique qui dèrent ça comme un droit acquis.
restitue 50% de l’eau qu’il prélève. En Poitou- Quelle Cependant, depuis deux ans des irrigants ont
Charentes, 20% des agriculteurs irriguent et le logique porte accepté de mettre en marche une révision de
reste utilise de l’eau pluviale. Quand il y a séche- leurs pratiques bien qu’il subsiste un dernier
resse, les irrigants se plaignent alors que les
la Pac point dans la croyance de la toute puissance
autres subissent ! Pourtant, l’irrigation ne doit quand des technologique : la réserve de substitution. Le
pas être négligée : le maraîchage sans irrigation agriculteurs principe : stocker de l’eau l’hiver pour l’utiliser
n’existerait pas, idem pour la production de irriguent en l’été. Mais les coûts de stockage sont tels que
semences. financer une réserve de substitution revient
Le problème de l’irrigation trouve son origine
été ? plus cher que la valeur des champs qui seront
dans le modèle agricole construit sur un sys- irrigués. Les bassines (réserve de substitution)
tème qui ne tient pas compte de la répartition de engendrent une subvention importante à seu-
la ressource en eau et fait toute confiance à la lement quelques agriculteurs, à l’origine d’un
technologie. On a subventionné le drainage et déséquilibre social. Économiquement, on sub-
les installations d’irrigation dans les années 70- ventionne quelque chose qui ne produit pas de
80. Les agriculteurs ne sont pas responsables, richesse.
ils ont été incités. Incitation toujours d’actualité Le consommateur paye pour financer l’agri-
avec la prime de 200 € l’hectare pour l’irrigation culture, pour avoir de l’eau dans les cours
du maïs. Or, quelle logique la Pac porte-t-elle d’eau et pour dépolluer l’eau polluée par les
quand des agriculteurs irriguent en été ? C’est agriculteurs… ce n’est pas durable !

25
DÉBATS

Pourquoi irriguer ?
Jacques Pasquier : Les scientifiques ont éta-
bli que les ressources en eau sont séparées
les unes des autres et n’ont pas d’interac-
tions. Or, on se rend compte qu’il y a un lien
entre ces différentes ressources .
L’eau est une ressource qui devient rare, il ne
faut plus fonctionner sur des droits à tirage
quand ils ne dégagent aucune valeur. Selon
les études des centres de gestions, les reve-
nus des irrigants en 2002 et 2004 étaient plus
faibles que ceux des non irrigants.
Participant (Association des irrigants de la
Vienne - Adiv) : Les agriculteurs de la Vienne
prélèvent 1 % de l’eau pluviale, soit entre 40
et 80 millions de m2 selon les années. Les
surfaces irriguées par exploitation sont de Distinguer prélèvement
45 hectares en moyenne. On irrigue car on a et consommation
des communes très pauvres en réserve
d’eau. Sans l’irrigation, il n’y aurait pas Participant : En Charente, il y a des concerta-
d’agriculteurs dans ces villages. tions et des arrêtés. Par exemple, les irri-
Pour ma part, je suis en Gaec et sans irrigation gants doivent réduire de 50 % leur consom-
nous ne serions qu’un exploitant au lieu de 2. mation d'eau durant les périodes de crise. En
L’irrigation en Vienne, c’est 900 emplois. réalité, c'est 50 % de
Depuis 1990, il n’y a eu aucune subvention à LA CONSOMMATION D 'EAU leur droit à prélever et
l’investissement en irrigation. On est un des D'UNE EXPLOITATION DE 45 non de leur consom-
HA QUI IRRIGUE 2 000 M mation réelle. On
2
rares départements ou les agriculteurs ont
des compteurs d’eau. Il y a ici des réflexions PAR HA PENDANT DEUX MOIS trompe le citoyen,
qui ne sont pas engagées ailleurs ! C'EST LA CONSOMMATION sachant que les irri-
ESTIVALE DE 8000 À 10000 gants sont loin d'utili-
Jacques Pasquier : Nous ne pouvons être que PERSONNES ! ser l'intégralité de
satisfaits de la présence de l’Adiv qui permet
leur volume attribué !
d’ouvrir le débat. C’est aussi une occasion
pour les irrigants de se Albert Noireau : Il y a effectivement une dif-
frotter aux réalités présen- férence, en Charente, entre volume attribué
IL FAUT TROIS ANS À UN
tées hier par les météoro- et consommé. En 2007, le BRGM2 engage une
POISSON POUR QU 'IL
logues et scientifiques. étude sur ce département pour redéfinir les
DEVIENNE ADULTE, ON
volumes en fonction de la ressource. Les cri-
Larbi Bougerra : Les pays NE PEUT DONC ACCEP-
tiques sont fondées mais on avance en fonc-
du Tiers Monde ont aussi TER UNE SÉCHERESSE
tion des connaissances.
subit la dictature de la chi- TOUS LES 3 ANS !
mie agricole générant la fin Jacques Brie : Dire que l'on ne prélève que
des petits paysans au bénéfice des grand pro- 1 % de l'eau de pluie ça n'a pas de sens car
priétaires fonciers. Cependant, si l’agricul- les prélèvements sont en été et il ne pleut
ture a vu le jour en Irak, au Pakistan, en Inde pas à cette période ! Par ailleurs, l'idéal
c’est grâce à l’irrigation… Il ne faut pas jeter serait de relever les seuils à partir desquels
le bébé avec l’eau du bain ! on interdit l'irrigation.

2. Bureau de la recherche géologique et minière.

26
DÉBATS

Quel soutien à l’irrigation ? Construire des retenues


quels contrôles, de substitution ?
quels quotas ?
Albert Noireau : Des barrages ont été construits
Participant : On applique des quotas laitiers, il y a quelques années. Ce n’est plus,
pourquoi pas des quotas sur l’eau ? aujourd’hui, une solution adaptée car ces amé-
Xavier Desurmont : Les attributions indivi- nagements modifient le milieu et sont donc
duelles aboutissent à créer des quotas d’eau contraires à la Directive cadre sur l’eau.
par exploitation. Participant : Dans le sud de la Vendée, dix réser-
ves de substitution sont en projet pour une
Participant : Dans l’Ain, on irrigue pour laver dépense globale de 13 à 15 millions d’euros. Trois
les cailloux ! Sur ma commune on est en millions de m3 d’eau seront stockés à destination
terre profonde, et pourtant deux irrigants de 100 agriculteurs dont 14 d’entre eux utilise-
arrosent même quand il pleut juste pour tou- raient 40 % de la réserve. En résumé, cela repré-
cher la prime ! Les formulaires sont remplis senterait 370 000 € de subventions pour chacune
en avril pour toucher la prime d’irrigation de ces exploitations. Et entre 6 et 700 000 pour
alors qu’on ne sait pas encore si on aura les plus gros d’entre eux !
besoin d’arroser ! Xavier Desurmont : La vocation des retenues de
Xavier Desurmont : La prime à l’irrigation est substitution est de réduire les prélèvements sur
due s’il y eu irrigation. le milieu naturel en
IL FAUT MESURER L'IMPACT période estivale.
ENVIRONNEMENTAL DES
Participant : Combien de contrôles, au niveau Serge Morin : Parmi les
«BASSINES» SUR TOUT LEUR critères d’élaboration
régional, du respect des décrets et combien CYCLE DE VIE : DE LEUR
de personnes sont concernées par ces des bassines l’un d’entre
CONSTRUCTION JUSQU'À
contrôles ? eux est la réduction des
LEUR UTILISATION !
Albert Noireau : En Vienne, par exemple, prélèvements en eau de
tous les agriculteurs sont contrôlés. 20 %. Malheureusement nous ne savons pas
Xavier Desurmont : En Deux-Sèvres, en 2005, encore sur quel volume l’administration appli-
il y a eu 75 contrôles sur quera ce pourcentage. Tant que je ne serai pas
les irrigants qui ont Q UAND UN IRRIGANT éclairé sur ce point je m’opposerai à la mise en
S'AGRANDIT , SON place des retenues de substitution.
donné lieu à des poursui-
QUOTA D'EAU S'AGRAN- Participant : Une des conditions à la subvention
tes le cas échéant.
DIT-IL AUSSI ? des retenues de substitution me paraît être la
Participant : Quelle garantie a-t-on que le diminution des surfaces irriguées.
renforcement des contrôles ne se résume
pas à un simple effet d’annonce quand on Débâcheurs volontaires ?
mesure l’érosion du corps des techniciens de
Participant : Des ouvriers polonais ont réalisé la
l’environnement ?
construction de retenues de substitution en
Albert Noireau : Dans les DDAF3, la police de
Vendée pour éviter le contact avec la population
l’eau est renforcée et des projets de refonte
locale. De telles dérives incitent à s’organiser en
des structures de contrôle permettront d’ac-
«débâcheurs volontaires» !
croître considérablement les effectifs et la
Jacques Pasquier : La solution du «débâchage»
qualité des contrôles. Je voulais rappeler
n’est pas la bonne. L’action des faucheurs est
l’importance que j’accorde aux retours du
liée au fait d’avoir épuisé tous les moyens
monde associatif. Cependant, j’ai demandé
légaux. En revanche toutes les procédures juridi-
aux fédérations de pêche de m’adresser les
ques, les manifestations et le boycott de la rede-
dates durant lesquelles elles remarquent des
vance annuelle en direction des agences de l’eau
tronçons de rivière à sec… je n’ai eu de retour
me paraissent souhaitables.
que d’un département sur quatre.

3. Direction départementale de l’agriculture et de la forêt.

27
DÉBATS

Une nécessaire concertation Arrêter


l'irrigation ?
Participant : Il est urgent que l'administration prenne
conscience du problème de l'eau et de sa mauvaise dis- Philippe Pointereau : Qu'est ce
tribution alors que ca fait 25 ans que le problème se qui est prévue à partir de 2007
pose ! Plusieurs intervenants on parlé de concertation. pour accompagner les irrigants
Ce n'est pas une concertation qui s'établit mais un vérita- qui souhaitent arrêter d'irri-
ble rapport de force ; les irrigants font pression et ça guer ?
marche ! Quel poids la conchyliculture et
Pourquoi toujours attendre de faire des études, alors que la culture de la moule pèsent-
c'est une question de bon sens et d'observation de réali- elles face au maïs ?
ser qu'il n'y a plus d'eau ou qu'elle est inéquitablement
répartie ? Ne devrait-on pas imposer aux agriculteurs de Xavier Desurmont : Une prime
ne pouvoir irriguer que 10 ha au maximum ? à la «désirrigation» est en
cours de réflexion et de négo-
Albert Noireau : L'État doit fonder ses décisions, c'est un ciation dans le cadre du Contrat
principe et il faut se méfier des évidences. De surcroît, de projet État-Région. Mais il
c'est sur la base d'études scientifique que l'on est en n'est pas certain que ce soit
capacité d'engager le dialogue avec les partenaires sur opportun car l'irrigation reste
une base objective. En terme d'équité, les règles de une sécurité de production.
répartition ne sont pas définies car on ne connaît pas L'ostréiculture, dépendante de
encore la disponibilité des ressources. la qualité des eaux de rivières
Xavier Desurmont : Grâce à la négociation, on arrive à est de même nature en termes
définir des volumes utilisables qui peuvent être sujet à d'enjeux économiques que
variation selon l'évolution du climat. Quant au rapport de l'agriculture céréalière.
force, c'est un phénomène inhérent à la négociation.

28
QUATRIÈME PARTIE
STRATÉGIE D’ADAPTATION INDIVIDUELLE ET
COLLECTIVE : LE RÔLE DES POLITIQUES PUBLIQUES

ALAIN BAUDIN
MAIRE DE NIORT

nir l’agriculture locale. Notre Plan local d’urba-


nisme (PLU) vise en particulier à préserver
l’agriculture périurbaine, en créant des zones
tampons à la périphérie. Le Marais de Galiché a
été confié à des agricultures pour une gestion
extensive.
Une politique d’achat public a été impulsée afin
de soutenir l’agriculture locale. Nous achetons
par exemple, quand cela est possible, des pro-
duits alimentaires bio locaux, notamment de la
viande.
Nous organisons un salon bio, qui accueillent de
nombreux visiteurs et permet de leur faire pren-
dre conscience de la nécessité de maintenir une
agriculture à taille humaine.
Enfin, une ferme municipale a été confiée à une
association qui y organise des animations autour
des savoir-faire agricoles locaux.
Au delà de ça, nous avons mis en place un ser-
vice développement durable à la mairie pour
coordonner les actions environnementales. La
préservation de la ressource en eau en est un
thème central. L’ensemble de nos ressources a
été très menacé. En 2003/2004, un système de
gestion de l’étiage a été créé avec les agricul-
teurs. Des efforts ont dû être faits également
Niort accueille votre colloque et ce n’est pas tout dans l’arrosage des jardins publics, ainsi que sur
à fait neutre. C’est une ville concernée par l’acti- les fuites d’eau. Nous avons remplacé les pesti-
vité agricole et nous avons conscience que nos cides dans les serres municipales par des tech-
choix ont un impact sur l’évolution de l’agricul- niques de lutte intégrée, afin de mieux préserver
ture. Entre 1982 et 1990, le nombre d’exploitations l’environnement et d’améliorer les conditions de
situées sur le territoire communal est passé de travail de nos jardiniers. Nous nous sommes
200 à 100. Il est aujourd’hui d’une trentaine, pour équipés également d’une désherbeuse thermi-
une superficie de 3700 ha. que à eau chaude.
Nous engageons plusieurs initiatives pour soute- Ces actions ont porté leurs fruits.

29
BERNARD BARRAQUÉ,
CNRS, POLITIQUE DE L’EAU

DES ACCORDS VOLONTAIRES


AVEC LES AGRICULTEURS
dans une logique curative, à grands frais, ou
encore sanctuariser des terrains en y installant
des bois dans une approche préventive.
L'écoconditionnalité est une politique globale et
sévère. Mais on peut douter des résultats étant
donné qu'il n'y a pas de contrôles. Or, les agri-
culteurs situés dans ces zones de captage
subissent une pression très forte, sans com-
pensation financière, alors que les services de
distribution d'eau sont très rentables et pour-
raient les indemniser. Ainsi, une autre solution
se dégage : des accords volontaires passés avec
les agriculteurs.
Ce système, basé sur le respect d'un cahier des
charges et le versement d'une indemnisation en
conséquence, s'avère généralement beaucoup
plus avantageux pour tout le monde. Bien que
massivement mis en œuvre Allemagne, il reste
Face au problème de gestion de la ressource en peu appliqué en France. Il existe encore vis à vis
eau en cas de sécheresse, trois types de solu- de ces contrats des craintes de mauvaise utili-
tions agronomiques existent. On peut sélection- sation des fonds publics. Pour répondre à cela,
ner et choisir des variétés adaptées, développer votre syndicat est capable de négocier avec les
des assolements plus pertinents (il faudrait en autres acteurs, en particulier avec les consom-
particulier réinterroger la pertinence de cultiver mateurs, ce que refuse toujours le syndicat
du maïs irrigué) ou bien encore mettre en place majoritaire. Il faudra combattre l'idée que ces
des politiques nouvelles. Des outils de type contrats sont non transparents et sources de
assurance peuvent aussi être développés. Sur le corruption.
terrain hydrologique, la stratégie des retenues Je m'oppose aux critiques émises par les asso-
Le système ciations de consommateurs qui dénoncent les
d'eau est trompeuse car ce sont des aménage-
ments lourds à amortir, qui amènent à «vendre des accords subventions des agences de l’eau aux agricul-
de l'eau aux agriculteurs» et donc à les inciter à volontaires teurs car la part des recettes des Agences
irriguer. passés avec issues du secteur agricole sont minimes, au
D'autres solutions sortent du domaine agricole, regard de celles prélevées auprès des habitants
les agricul- qui s'élèvent à 80 % du total. Mais il faut rappe-
comme par exemple une allocation de quotas
associée à une mutualisation entre producteurs
teurs s'avère ler que 75 % des dépenses des agences vont
au moyen de reventes. avantageux aux communes pour l'assainissement et l'in-
pour tous demnisation des agriculteurs, pour obtenir une
D'une façon générale, pour répondre aux pro- eau de qualité. L'essentiel est que cela soit éco-
blèmes environnementaux que posent l'agricul- nomiquement plus intéressant d'aider les agri-
ture, quelle compensation la société devrait-elle culteurs directement que de faire du curatif.
accorder à ceux qui font des efforts, sachant que
les solutions purement technologiques sont Il faut ajouter au volet législatif de la politique
rarement les plus efficaces ? Si l'on considère de l'eau un volet économique incitatif mis en
l'exemple du problème des nitrates dans les œuvre jusqu'à présent, en adoptant une logique
zones de captage d'eau, plusieurs solutions participative forte. L'objectif alors, est de
peuvent être envisagées : creuser plus bas ou construire la représentation conceptuelle de
se raccorder chez le voisin dans une logique ces nouveaux types de contrats avec l'ensemble
palliative, construire une usine de retraitement des acteurs concernés.

30
INGO HEINZ
INSTITUTE OF ENVIRONMENTAL RESEARCH (INFU), UNIVERSITÉ DE DORTMUND

L’EXEMPLE DES CONTRATS VOLONTAIRES


EN ALLEMAGNE
Les nouveaux règlements de l’eau, en particu- mes, pour une population d’environ 350 000
lier la Directive cadre “eau” européenne, nous habitants. Les principales productions agricoles
imposent des objectifs ambitieux : plus d’effi- sont le maïs, le blé, les fourrages, les élevages
cience économique et un partage équitable des Un coût de porcin et laitier.
volumes d’eau alloués aux différents usagers L’objectif de l’accord local est de prévenir les
(agriculture, industrie, collectivités et centrales 420 000 €/an augmentations futures des teneurs en nitrates
électriques), une meilleure protection des res- pour les et pesticides sans pénaliser financièrement les
sources en eau ainsi qu’une mise en œuvre contrats agriculteurs.
d’une politique intégrée de l’eau. Celle-ci peut L’engagement contractuel des agriculteurs
volontaires, comprend des mesures de couverture du sol en
avoir une approche réglementaire et/ou partici-
pative. contre 1,5 hiver (ex : seigle vert), de prairies sous céréales,
Les options pour atteindre ces objectifs sont millions au de valorisation des engrais organiques, de
diverses. Un contrôle plus effectif peut être réa- moins pour stockage des effluents, de bilans azotés, etc. Le
lisé par l’administration, mais le coût reste distributeur d’eau s’engage, lui, à payer le
les mesures conseil aux agriculteurs, à verser un paiement
élevé. Des redevances sur les engrais et pestici-
des et/ou sur les prélèvements constituent une curatives compensatoire aux changements de pratiques,
autre solution mais une telle procédure s’avère à aider à l’acquisition de matériel plus perfor-
trop uniforme. Les programmes agri-environ-
ÉVALUATION DES TENEURS EN NITRATE DE LA ZONE TEST
nementaux globaux représentent également un Taux de nitrate
outil pertinent, à condition toutefois de pouvoir mg/l
les adapter à chaque situation (écologique, éco- 50

nomique, etc.). Enfin, des accords volontaires, 45

«taillés sur mesure», peuvent être signés. 40


Finalement, c’est une combinaison de plusieurs
mesures, incluant notamment les accords 35

volontaires, les programmes agri-environne- VALEUR MAX


30
mentaux et des programmes de gestion de l’eau EAU DU SOL
(tel que les Sage) qui se révèle la plus perti- 25 EAU DU ROBINET
nente. 20

Je vais parler ici de que sont les accords volon-


15
taires au travers de l’exemple allemand. Ce sont
des outils efficaces pour plusieurs raisons. Les 10

intérêts des agriculteurs y sont reconnus. Ceux- 5


ci y trouvent l’occasion de partager leur exper-
tise avec les autres usagers de l’eau, dans le 0
1992 2000 2006
cadre de négociations. Le changement des pra-
tiques agricoles est accompagné d’une indemnisation mant pour la protection de l’eau et pour les analyses
calculée par rapport à une estimation du manque à d’eau et de sol, et enfin à prendre en charge le bilan
gagner (logique «cost effective»). L’impact financier azoté et le contrôle du suivi des pratiques parcellaires.
pour la collectivité est limité. Les résultats sont très satisfaisants, faisant apparaître
Notre politique est basée principalement sur des appro- une diminution des teneurs en nitrates dans les eaux
ches volontaires plutôt que réglementaires, avec des de consommation et les eaux du sol (respectivement
politiques différenciées selon les Länder. Les accords de 11 à 6 mg/l de 1992 à 2006, et de 25 à 21 mg/l - voir
volontaires jouent un rôle majeur dans la mise en œuvre diagramme ci-dessus). 25 mg/l est en effet une valeur
des règles dans les zones de protection de captage (435 guide des teneurs en nitrates en Europe, à partir de
accords à ce jour), combinés parfois aux programmes laquelle il est nécessaire de prendre des mesures.
agri-environnementaux. Aucune taxe n’est prélevée sur L’impact financier pour la collectivité est très limité.
les pesticides et les engrais. Les dépenses du distributeur d’eau s’élèvent à
Je vais vous présenter l’exemple d’une zone de captage 420 000 €/an, ce qui induit une augmentation de
de 84 millions de m par an, pour 1 million d’habitants,
3
0.016 €/m3 soit 0,9 % du prix de l’eau (hors assainisse-
dont 25 millions de m d’eau souterraine. La surface
3
ment). À titre de comparaison, le coût du traitement
agricole utile concernée est de 10 000 ha avec 320 fer- curatif serait lui de 1,5 à 6 millions d’euros par an. 31
PIERRE JULIEN
AGRIDEA LAUSANNE

CONTRATS AGRI-ENVIRONNEMENTAUX
AU PUITS DES DANAÏDES

les cantons
ont une
grande liberté
dans la défini-
tion des
mesures et
e calcul des
indemnités

Selon la loi suisse sur la protection des eaux, les sols pour les modifications de mode d’exploitation et les
doivent être exploités en utilisant les techniques les changements structurels (désinvestissement,
plus récentes et appropriées, de manière à ne pas por- construction, plantation de haies, etc.).
ter préjudice aux ressources en eau et en évitant Ainsi, le montant représente en général 75 à 80 % du
notamment que les engrais et pesticides ne soient total. Le solde des indemnités est assuré par les can-
emportés par ruissellement. Depuis 1999, la tons et/ou les propriétaires des captages.
Confédération suisse alloue des indemnités aux agri-
Je vais vous présenter l’exemple du projet d’assainis-
culteurs en contrepartie du respect d’un cahier des
sement en nitrates mené au «Puits des Danaïdes»,
charges, dans le but de limiter le lessivage et ruissel-
dans le Canton de Fribourg. L’aire d’alimentation du
lement des polluants d’origine agricole (nitrates, pes-
puits est de 62 ha, dont 50 de surfaces agricoles, le
ticides, phosphore). Le programme «62A» de la Loi sur
reste étant occupé notamment par des surfaces fores-
la protection des eaux a permis de mettre en œuvre
tières. 12 exploitations agricoles sont concernées, dont
des mesures dans ce sens.
deux presque entièrement dans le bassin d’alimenta-
Les projets sont élaborés à l’échelle locale, sous la tion. L’objectif du projet est d’atteindre une teneur en
responsabilité des cantons, le financement étant fédé- nitrates de 25 mg/l, en partant d’une valeur de
ral. Les cantons ont une grande liberté dans l’élabora- 60 mg/l.
tion des mesures et le calcul du montant des indemni- Les deux exploitations centrales, qui cultivaient sur-
tés, ce qui leur permet de coller au mieux aux spécifi- tout des pommes de terre et du tabac, vont modifier
cités régionales. Les indemnités octroyées le sont pour radicalement leur système de production pour évoluer
trois types de mesures : techniques (ex : semis direct), vers de l’élevage allaitant. Toutes leurs surfaces vont
structurelles (ex : adaptation des structures d’exploita- passer en prairie permanente. Les compensations
tion) et de production (ex : mise en place de financières seront versées selon des durées
prairies permanentes). Les projets actuels variables en fonction du type de mesure : 6 ans
concernent la réduction de la lixiviation des pour les mesures culturales et 18 ans pour les
nitrates vers les eaux souterraines, des apports «Les contrats modifications de structure.
de phosphore et de produits phytosanitaires sont signés Le montant des compensations liées aux mesu-
vers les eaux de surface. pour 18 ans, res culturales vont de 265 à 1560 €/ha. La
Le calcul du montant des indemnités compen- Confédération prend en charge 80 % des mon-
satoires répond à deux objectifs : la différence ce qui est très tants le Canton et la commune 10 % chacune.
entre les coûts engendrés par le projet et les loin des Pour les aides à la réorientation du système et
coûts des mesures imposées par l’écocondition- durées géné- des structures, la répartition est la même, pour
nalité sert de base de calcul, et le revenu de l’ex- ralement uti- un montant total de 453 000 €.
ploitation doit rester inchangé. Les indemnités
accordées se montent à 50 % des coûts imputa- lisés en Finalement, le coût de l’opération s’élève à
bles pour les mesures portant sur les techni- France !» 22 cts/m3, alors qu’elle serait d’environ
ques de production (mesures annuelles : semis (P. Pointereau) 40 cts/m3 pour la dénitrification des eaux.
direct, rotation des cultures) et à 80 % des coûts
32
PAYSAN DE LA COAG1
ESPAGNE

LES PAYSANS PRIVÉS DE LEUR EAU

Je viens d’une région proche de Marbella,


qui a connu un développement sauvage,
poussé par un capitalisme aveugle. En
deux ans, la population y a augmenté de
deux millions d’habitants, sans que les
aménagements hydriques ne changent. On
a privé les paysans de notre territoire de
leurs ressources en eau, tandis que les
constructions sauvages ont entraîné une
migration des paysans vers l’intérieur des
terres. Beaucoup de résidences ont été
construites. La plupart ne sont occupées
que deux mois dans l’année, mais leurs
propriétaires exigent malgré tout qu’elles
soient entretenues. Les jardins et autres
golfs sont abondamment arrosés. Or, nous
venons de connaître en Andalousie deux
années de sécheresse sévères, en 2004 et
2005. Les précipitations en 2005 étaient en
dessous de la moitié de la moyenne histo- une salinisation des eaux et une atteinte sérieuse aux réserves
rique… fossiles. 12 000 ha n’ont pas d’eau pour irriguer, alors que le dis-
Notre région a une grande tradition d’irri- cours officiel est qu’il n’y a pas eu de sécheresse à Malaga. L’eau
gation. Le réseau, créé par Alfonse III n’est plus allouée prioritairement aux agriculteurs, qui
au début du XXe siècle, appartient aux ont construit et entretenu des réseaux d’irrigation.
paysans. Mais il est sous-utilisé car les Beaucoup de paysans pourraient vendre leurs exploita-
600 l d’eau tions car les prix sont aujourd’hui très élevés, à des prix
barrages ne sont remplis aujourd’hui
qu’à 17 % de leur capacité. L’eau a été par olivier, atteignant les 1,2 millions d’euros.
envoyée vers Malaga pour alimenter au lieu Mais certains persistent et veulent rester. On nous incite à
l’économie touristique. Les paysans des 6000 l abandonner notre activité ; 10 à 16 000 familles sont
ont ainsi dû acheter de l’eau ! On ne concernées, sur une population locale de 250 000 person-
dispose, pour la culture des oliviers,
nécessaires, nes. Le réchauffement climatique pourrait empirer l’état
que de 600 l/arbre alors qu’il en fau- quand les de notre situation, le risque de désertification rurale est
drait 6000 l/an. 12 000 chèvres jardins et aujourd’hui très fort. Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est
n’avaient pas d’eau cette année. La ce que vous pourriez subir à l’avenir si rien n’est fait
golfs conti- contre le réchauffement climatique.
sécheresse est certes un fait classique
dans les zones méditerranéennes, nuent d’être
mais le problème actuel provient de la arrosés.
surexploitation des aquifères qui entraîne 1. Coordinadora de organizaciones de agricultores y ganaderos (Espagne) - www.coag.org.

33
JEAN-CLAUDE AUBINEAU
CONSEILLER GÉNÉRAL DES DEUX-SÈVRES - PRÉSIDENT DE LA COMMISSION AGRICOLE

LES ACTIONS DU CONSEIL GÉNÉRAL


DES DEUX-SÈVRES
L’agriculture occupe une place importante dans notre ment soutenue, par des soutiens aux projets de collec-
département puisqu’elle représente 20 à 30 % de l’acti- tivités (40 aujourd’hui) et de constructions en bois.
vité de plusieurs de nos cantons. Au Nord, on trouve Enfin, le maintien d’espèces protégées telles que le
principalement de l’élevage bovin, au Sud l’élevage baudet, la vache maraîchine ou l’angélique est sou-
caprin. 100 000 ha de notre SAU2 sont en prairie natu- tenu. Ces mesures sont financées par le biais de la
relle. Les élevages bovins représentent 100 000 vaches taxe «espace naturel sensible» prélevée sur les per-
allaitantes et 38 000 laitières. L’agriculture de notre mis de construire.
département est donc diversifiée et soumise à des En ce qui concerne la ressource en eau, une opération a
enjeux économiques, environnementaux et sociaux forts. été menée sur une zone de captage permettant de réa-
Nos programmes d’aide à l’agriculture visent à soute- liser un diagnostic sur les pulvérisateurs et un suivi des
nir le développement d’une agriculture durable, et pro- intrants. Deux barrages vont être construits, pour soute-
posent des aides pour des actions environnementales nir l’étiage et améliorer la fourniture en eau potable.
diverses. Sur les questions énergétiques, des soutiens Enfin, nous soutenons l’installation de jeunes agricul-
sont proposés pour l’achat de presses à huile en parte- teurs. On dénombre 170 installations par an. Il est
nariat avec le réseau des Cuma3 et des chambres essentiel de développer des systèmes de production
d’agriculture, la réalisation d’un bilan énergétique et rentables, avec des prix rémunérateurs, permettant
les projets de méthanisation. La filière bois est égale- de diminuer la productivité agricole.

2. Surface agricole utile.


3. Coopérative d'utilisation de matériel agricole.

34
SERGE MORIN,
CONSEILLER RÉGIONAL DE POITOU-CHARENTES

DÉVELOPPER LES FILIÈRES COURTES

Philippe Pointereau : Suite à tout ce qui a été dit sur sa réorientation, avec l’objectif de protéger et
depuis deux jours, pourriez-vous nous dire ce qui pérenniser les zones de captage (programme
vous tient le plus à cœur ? Quelles sont les actions Ressource), en soutenant les systèmes herbe, au
que vous souhaiteriez voir développer ? moyen d’aides financières comme en Suisse, à la dif-
Les collectivités essaient de travailler en complémen- férence prés que les surfaces agricoles concernées
tarité, notamment dans le domaine de l’eau. Nous tra- chez nous sont beaucoup plus importantes.
vaillons par exemple en partenariat avec le Conseil Nous avons vu au travers de l’exemple espagnol que
général des Deux-Sèvres. la surexploitation des aquifères amènent à une salini-
J’aimerais revenir sur quelques points. Allons-nous à sation des eaux, à l’image de ce qui se passe dans le
l’avenir orienter les travaux de recherche sur le déve- Marais Poitevin où le niveau d’eau a baissé. J’espère
loppement d’une agriculture productrice d’agro-maté- que la prise de conscience nous permettra de ne pas
riaux (bois, etc) ou uniquement sur les circuits à renta- atteindre les extrémités observées en Espagne.
bilité courte ? Nous projetons en Poitou-Charentes de Les prochaines échéances électorales doivent être
mettre en place un outil de transformation pour incor- l’occasion de demander aux élus ce qu’ils proposent
porer de l’huile dans les carburants. Mais là aussi des concrètement pour résoudre ces problèmes, dans le
questions se posent : comment va-t-on répartir la cadre de la politique agricole commune, de la décen-
valeur ajoutée ? Quels prix garantir aux producteurs de tralisation, du 9e programme des agences de l’eau, du
colza peut-on établir, alors que les soutiens publics au développement rural européen. Les responsabilités
développement des structures industrielles sont très sont diffuses mais on ne peut pas passer à côté de ça.
élevés. Nelly Ollin apporte son soutien au projet de barrage
Pourra-t-on développer des filières courtes en protéi- dans le Sud Est, mais il faudrait organiser un referen-
nes, malgré les accords internationaux sur les sojas dum local pour savoir si localement on a besoin de ce
américains et l’accord de Bruxelles ? grand barrage et en quoi économiquement il est ren-
Au sujet de l’irrigation, nous avons lancé une étude table.

QUESTIONS…
La territorialisation de l’économie n’est-elle pas la seront parties prenantes des négociations. La politi-
solution aux problèmes évoqués depuis hier ? que de l’eau en Espagne a été centralisatrice voire
dictatoriale. La priorité a été donnée au barrage et
Bernard Barraqué : La nouvelle politique de l’eau au béton, conduisant à la ruine des agriculteurs.
est très inspirée par des économistes assez libéraux
et centralisateurs. Ils pensent agir secteur par sec- Serge Morin : J’ai mis l’accent sur la régionalisation
teur : ceux qui bénéficient de l’eau potable paient le et sur l’implication locale des citoyens, mais il faut
coût de l’eau potable, idem pour le secteur indus- garder à l’esprit la nécessité dans certains cas de
triel. Mais se pose la question de savoir si les agri- mutualiser les moyens : quand des actions sont
culteurs vont pouvoir supporter les coûts d’investis- menées sur un bassin versant, il est facile, s’il est
sement liés à leur activité. Je plaide pour ma part petit et qu’il y a beaucoup d’habitants, de ramener le
pour une politique territorialisée qui s’oppose à une coût des actions au m3 distribué, mais c’est plus dif-
logique de récupération des coûts secteur par sec- ficile quand le bassin est grand et qu’il y a peu d’ha-
teur, prenant en compte les possibilités d’échange bitants.
«service contre indemnisation». Par ailleurs, la régionalisation doit être couplée à
Si l’on met en œuvre des négociations locales, on une réflexion sur le transport. Il faut un schéma de
n’arrivera pas à une situation telle qu’observée en transport du fret pour mettre en cohérence les poli-
Espagne où l’on demande aux agriculteurs de quit- tiques régionales et éviter de voir dépérir les régions
ter leur exploitation au profit du tourisme, car ils les plus pauvres.

35
RÉGIS HOCHART
PORTE-PAROLE NATIONAL
DE LA CONFÉDÉRATION PAYSANNE

DISCOURS DE CLÔTURE

L’objectif des cinq colloques organisés cette général des Deux-Sèvres et la Ville de Niort, le
année par la Fadear et la Confédération pay- personnel technique pour leur travail, les ani-
sanne est de se donner le temps de réfléchir et mateurs ainsi que les participants.
de redonner son sens à notre métier. Nous arri- Plusieurs constats ont été faits pendant ces
vons au terme de ces deux journées, dont les deux jours notamment des changements cli-
thèmes Changements climatiques et accès aux matiques, avec une augmentation de tempéra-
ressources naturelles» ont donné lieu à de nom- ture de 2 à 5°C à venir. La question n’est pas
breux échanges. pour nous de valider telle ou telle modélisation,
Le terme «échange» me paraît bien approprié mais de mettre en œuvre les changements, les
car des opinions différentes, variées et même comportements nécessaires et les mesures
divergentes se sont exprimées, et ces opinions adaptées. Au sujet de la ressource en eau, une
ont donné lieu à des débats et enrichissements Dans un question se pose quant à l’évolution des préci-
mutuels. contexte pitations. L’usage de l’eau, sa répartition,
concurrentiel posent également question et engendrent un
Pour leur contribution, je voudrais remercier pour l’usage besoin d’arbitrage. Un débat est entamé autour
tous les intervenants pour leurs apports sur les de la destination des produits agricoles : ali-
changements climatiques, l’effet de serre, le des terres, la mentaires/non alimentaires.
rôle et l’influence que l’agriculture peut y avoir, production La Confédération Paysanne, année après
et pour avoir su - au travers des problèmes de la alimentaire année, construit un projet d’agriculture remet-
ressource en eau - exprimer des enjeux, des est prioritaire tant en cause au fil du temps les composantes
inquiétudes et envisager des réponses. de son projet pour les confronter aux évolutions
Je voudrais remercier aussi les financeurs : du monde. Un certain nombre de positions sont
l’Europe, la Direction générale de l’agriculture, aujourd’hui abouties, en cohérence avec les
Conseil régional de Poitou-Charentes, le Conseil constats et échanges de ce colloque. En pre-

36
mier lieu, la surface cultivable est finie. Non internationale de la production agricole : éco-
seulement elle n’est pas extensible, mais elle nomique, sociale, environnementale, à l’évi-
est même concurrencée par d’autres usages : dence, l’OMC ne fait pas l’affaire.
logements, infrastructures collectives, com-
merce, industries, générés par l’accroissement J’abordais il y a quelques instants la question
de la population et la croissance dans de nom- de la production énergétique à partir des plan-
breux pays. Cette surface agricole, et ce n’est tes. Celle-ci, et cela a été souligné hier, est loin
pas une nouveauté, a depuis longtemps été de se limiter à la production de carburants.
dévolue à différentes productions : production L’utilisation de la forêt, la valorisation de la bio-
alimentaire et production non alimentaire masse dans son ensemble, sont une ressource
(énergétique, textile, matériaux). Dans un autrement plus abondante à terme que la sim-
contexte qui tend à devenir concurrentiel, la ple production de carburants à base de végé-
Confédération paysanne affirme que de toutes taux. Mais encore faut-il que les uns et les
les productions, la production alimentaire est autres soient conduits dans des perspectives
nécessairement prioritaire, et ce pour une rai- durables et que la rationalisation de ces pro-
son simple : elle concourt à répondre à un ductions ne passe pas par une baisse de la
besoin vital. En fonction de quoi, les besoins non diversité génétique des espèces végétales,
alimentaires ne peuvent être produits qu’après cette baisse étant alors quasiment irréversible.
couverture des besoins alimentaires, et ce pour En tout état de cause, aller chercher du côté de
l’ensemble de la population du globe. l’agriculture un palliatif à l’épuisement à venir
Répondre cela est cependant un peu court, car des ressources fossiles, sans commencer par
n’aborder l’alimentation qu’en terme de quan- Utiliser l’eau s’interroger sur nos consommations énergéti-
tité, autrement dit en cumulant des calories et comme ques, sans s’interroger sur l’utilité d’une
des kilos de protéines, nous éviterait de répon- moyen de décroissance dans les pays les plus développés
dre en terme de qualité, c’est-à-dire diversité de et les plus consommateurs d’énergie, est un
secours et
l’alimentation et son rôle essentiel sur la santé comportement irresponsable que la CP
humaine, de choix d’alimentation d’origine ani- non comme dénonce. De plus, peut-on envisager que les
male ou végétale. Le coût énergétique de la pro- facteur de financements de la Pac servent à soutenir la
duction animale ne peut être évacué sans dis- production production d’énergie ?
cussion et la Confédération paysanne sera ame- L’eau, ses usages, son partage, ont été longue-
née à l’avenir à intégrer ces questions, tout en ment évoqués toute cette journée. À l’ombre
sachant qu’aucune réponse simple n’est possi- des incertitudes évoquées hier matin quant à
ble. l’évolution des précipitations, il est certain que
Le rôle alimentaire est prioritaire, mais pas les usages et les pratiques seront modifiées.
pour autant unique. Les autres destinations de Mais en premier lieu, et sans qu’il puisse y avoir
l’agriculture ne peuvent être que complémen- dérogation, il est nécessaire de préserver les
taires, autrement dit elles ne peuvent amputer milieux naturels, les ressources halieutiques
des surfaces nécessaires à l’alimentation. notamment. Ensuite, et ensuite seulement, le
Comment répartir les terres et, puisqu’il y a partage de l’eau peut intervenir. Entre usages
nécessairement priorité, comment l’organiser ? domestique et agricole, l’accès à l’eau potable
Laisser le seul marché organiser les nécessai- est primordial.
res priorités est un leurre total. Mettre en Dans quelle mesure l’agriculture en est-elle un
concurrence sur un marché en expansion l’ali- usager ? À l’évidence, nous l’avons longuement
mentaire et l’énergie risque d’aboutir à une évoqué aujourd’hui au travers de l’irrigation,
situation dramatique. même si l’irrigation n’est pas le seul usage
Partant de l’idée, plus que vraisemblable, d’un agricole de l’eau (abreuvement des animaux,
renchérissement de l’énergie, nous aurons deux entretien, nettoyage), il en est souvent le princi-
solutions possibles : soit le cours de l’alimen- pal. L’utilisation de l’eau pour maintenir une
taire suivra le cours de l’énergétique, et une plante en vie, ou pour permettre sa croissance,
partie de l’humanité sera dans l’impossibilité peut être cohérente. Sous réserve cependant
d’acheter sa nourriture ; soit le cours de l’ali- que cette plante soit a priori adaptée au sol,
mentation ne le suivra pas, et de nombreux ainsi qu’au climat et que le manque d’eau soit
agriculteurs et pays changeront de production, conjoncturel et non structurel. Autrement dit,
la production alimentaire deviendra insuffi- utiliser l’irrigation comme secours ou comme
sante, entraînant famine et malnutrition. De assurance, et non comme facteur de production
cela il ressort la nécessité d’une organisation en pensant s’affranchir de ce qui a toujours fait

37
- et fera durablement, quoi qu’en croient les Face aux problèmes évoqués ici depuis deux
modernistes - l’agriculture : le sol, le climat et jours, deux types de propositions se profilent.
la plante. La première, basée sur une intensification des
On peut donc légitimement s’interroger sur cer- productions, portée en France par des person-
taines pratiques agricoles dont voici quelques nes qui se revendiquent depuis peu de la souve-
exemples. Est-il cohérent d’installer des cultu- raineté alimentaire, mais qui veulent dévelop-
res, lorsque l’on sait à l’avance, soit à cause de per à marche forcée les carburants d’origine
la culture elle-même, soit à cause du type de agricole. Une image de cette intensification
sol, qu’elle ne pourront se développer sans recherchée nous a été donnée dernièrement
apports massifs d’eau ? Est-il raisonnable de lors de l’Assemblée générale d’Orama1. Cette
produire du maïs en monoculture, sans faire section «Grandes cultures» de la FNSEA reven-
alterner sur la même parcelle cette culture avec diquant notamment une levée des contraintes
une autre (qui pousserait quand il pleut plus) ? environnementales, seule solution selon eux
Le gain de quelques quintaux par hectare justi- Les interroga- leur permettant de maintenir une compétitivité
fie t-il le remplacement d’espèces peu gour- tions que mondiale !
mandes en eau par des espèces qui nécessitent nous devons La seconde, celle de la Confédération paysanne,
un arrosage important ? Enfin, les pratiques qui s’appuie d’une part sur la relocalisation des
sont sources de forte pollution de l’eau, par les
avoir en
productions, des transformations et des échan-
résidus d’engrais ou de produits phytosanitai- agriculture ges, et d’autre part sur la désintensification de
res, par des drainages excessifs, sont-elles un doivent être la production, seule solution permettant d’éco-
mal nécessaire ? également nomiser les ressources.
Ces quelques questions posées indiquent que la Comparer ces deux solutions sur la seule quan-
réponse ne peut pas être simpliste. Ce n’est pas
posées dans
tité produite est aberrant. Il est nécessaire de
le principe de l’irrigation qui est aberrant, mais les autres prendre en compte les impacts sur la consom-
l’utilisation de l’irrigation comme facteur de domaines mation de l’eau, d’énergie, les résidus produits
production d’une agriculture intensive. Mais, et le coût de remise en état des milieux, l’effet
même convaincus de cela, et abandonnant col- de serre et la participation de la production
lectivement ces pratiques, il faudra chercher agricole aux modifications climatiques, et enfin
ailleurs pour trouver les réponses : selon que la l’emploi et le développement rural. Il est indis-
ressource en eau est abondante ou faible, selon pensable que tous ces coûts soient internalisés,
que le climat est plus ou moins aride, que les c’est-à-dire intégrés au calcul du prix de revient
aléas climatiques seront plus ou moins rares, des produits agricoles. Et alors apparaîtra à
plus ou moins graves aussi, que les besoins ali- l’évidence que la désintensification est écono-
mentaires seront couverts ou pas, la réponse miquement intéressante, socialement équitable
différera. et environnementalement durable.

Les interrogations que nous devons avoir quant Il s’agit là de volonté et de courage politique à
aux usages agricoles, nous devons aussi nous tous les niveaux : local, national, européen et
les poser pour les usages domestiques et mondial. À son niveau, avec ses partenaires, la
industriels. Nécessaires ? Utiles ? Superflus ? Confédératin paysanne s’emploiera à établir
Gaspillage ? De ces interrogations nous extrai- des rapports de force pour aider le politique à
rons des réponses qui nous aiderons à apporter avoir du courage.
des solutions cohérentes au meilleur usage
commun que nous tous, citoyens, devons faire
de l’eau.

1. Union des syndicats de grandes cultures (AGPB, Fop et AGPM) affiliés à la


FNSEA.

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POUR ALLER PLUS LOIN

– Bernard Barraqué (CNRS) : barraque@mail.enpc.fr


Les politiques de l'eau en Europe (La Découverte, 1995)

– Nathalie Bleuse (Météo France) : nathalie.bleuse@meteo.fr

– Paul Bonhommeau (Confédération paysanne) : pbonhommeau@confederationpaysanne.fr

– Pierre Julien : pierre.julien@agridea.ch

– Mohamed Larbi Bougerra


Les batailles de l'eau (Ecosociété, 2003)

– Philippe Pointereau (Solagro) : philippe.pointereau@solagro.asso.fr

– Claude Roy (Délégué interministériel à la biomasse) : claude.roy.biomasse@hotmail.fr

– Bernard Seguin (Inra Avignon) : bernard.seguin@avignon.inra.fr

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GLOSSAIRE
Ademe : Agence de l'environnement et de la KWh : kilowatt-heure, unité de mesure de
maîtrise de l'énergie consommation/production électrique
BRGM : Bureau de la recherche géologique Mt : million de tonnes
et minière MTCO2 : million de tonnes de CO2
CH4 : méthane MtéqCO2 : million de tonnes équivalent CO2,
CNRS : Centre national de la recherche unité de mesure de quantité de gaz à effet de
scientifique serre
CO2 : dioxyde de carbone Mtep : million de tonnes équivalent pétrole,
Coag : Coordinadora de organizaciones de unité de mesure énergétique
agricultores y ganaderos (syndicat espagnol) Mwh : mégawatt-heure, unité de mesure de
CPER : Contrat de projet État-Région consommation/production électrique
DDAF : Direction départementale de l'agri- N2O : protoxyde d'azote
culture et de la forêt OMC : Organisation mondiale du commerce
Diren : Direction régionale de l'environne- PNB : Produit national brut
ment Sage : Schéma d'aménagement et de ges-
ETBE : éthyl-tertio-butyl-éther, agrocarbu- tion des eaux du bassin
rant issu de plantes sucrières Sdage : Schéma directeur d'aménagement
ETP : évapotranspiration et de gestion des eaux du bassin
GES : gaz à effet de serre TCO2 : tonne de CO2

40
Actes réalisés par l'Adir
2, rue Paul Escudier - 75009 Paris
tél : 01 48 74 52 88 - mail : tri@globenet.org

Maquette et impression : Imprimerie 34 - Toulouse - 05 61 43 80 10


Crédits photos : photo de couverture, Pascal Aimar / Tendance floue,
autres, Rodolphe de Ceglie (sauf pages 4, 26, 24, 32)
Avec le soutien de

Union Européenne
DG Agriculture

Contact : Fadear
104, rue Robespierre - 93170 Bagnolet
Tél : 01 43 63 41 53
mail : fadear@globenet.org

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