You are on page 1of 94

J E U N E S S E

LECTURdEes – enquêtes
Essais - études

R I
È T
Q S
U ,E S T. 2
S P
B IRBEL S
I OCT H
ALDIVORSE& CI S
C U E IL
R
I TEI S
Q UCE H
S O
D I
’ S
A
PLI
O V
L
t
écOilReGRAaNbEoVASTA
CM
ADOS & BIBLIOTHÈQUES T.2
POLITIQUES D’ACCUEIL
Cécile Rabot

Biographie de l’auteur

Cécile Rabot est sociologue au Centre européen de sociologie et


de science politique. Maîtresse de conférence à ­l’Université
Paris Nanterre, elle y est responsable du master m ­ étiers
du livre et de l’édition. Ses recherches portent sur les
­bibliothèques, sur les professions du livre, des écrivains aux
bibliothécaires, et sur toutes les institutions qui participent à
diffuser la littérature et à construire sa valeur.
LA COLLECTION LJ+
Des études et des analyses courtes, claires, accessibles aux professionnels et
au grand public
Une collection 100 % numérique

• Un brief pour découvrir la genèse de l’ebook


• Une interview pour comprendre la méthodologie et les apports de l’étude
• Une étude courte pour une approche synthétique
• Une bibliographie thématique et par niveau pour être utilisable facilement
• Des annexes pour aller plus loin

Explorer la culture transmédia, les pratiques, les lieux et les enjeux de la lecture et
de l’écriture des jeunes, l’articulation entre leurs pratiques numériques et la lecture,
les évolutions de la médiation ou de l’édition, tels sont les grands sujets que cette
collection numérique « de poche » peut aborder. À travers la publication d’enquêtes
de ­terrain ou d’analyses, ses titres exposent dans un format court des études de cas
ou des grandes questions relatives à l’adolescence, la sociologie des pratiques cultu-
relles, la recherche en littérature jeunesse, la médiation, l’édition ou le monde du
livre.

DIRECTRICE DE COLLECTION
Sonia de Leusse-Le Guillou

COMITÉ DE LECTURE
Marie-Christine Ferrandon, présidente de Lecture Jeunesse et ancienne directrice
du CRDP de Paris.
Bernadette Seibel, sociologue, présidente d’honneur de Lecture Jeunesse.

©Lecture Jeunesse, 2018


ISBN : 978-2-9559661-3-6
ISSN : 2553-2472
Maquette et mise en page : Caroline Viphakone, moody communication

L J Essais - études – enquêtes 2


SOMMAIRE
LE BRIEF................................................................................................................................................................... p. 4
L’INTERVIEW............................................................................................................................................................ p. 7

QU’ENTENDEZ-VOUS PAR « ADOLESCENTS » ?............................................p. 12


Une catégorie absente des bibliothèques ?
Des publics qui dérangent ?
Une catégorie floue souvent impensée
Un âge de transition
Un âge de formation
Deux pouces et des neurones : numérique et « culture jeune »
Des filles et des garçons
Un groupe socialement hétérogène

UN ENGAGEMENT MULTIFORME EN DIRECTION DES ADOLESCENTS.......p. 23


Une réflexion sur les espaces
Une réflexion sur les collections
Des ressources humaines adéquates
Des exemples de stages proposés par l’association Lecture Jeunesse

LES ENJEUX PLURIELS DES POLITIQUES D’ACCUEIL.....................................p. 36


Attirer
L’ANALYSE

Permettre l’appropriation symbolique du lieu


Donner une image de modernité
Des jeux vidéo investis de différentes missions
Modifier les représentations de la bibliothèque chez les jeunes
Modifier la place de la bibliothèque dans l’espace public
Accroître la fréquentation
Des actions ciblées à fort retentissement

ACCUEILLIR, ACCOMPAGNER, RECONNAÎTRE LES ADOLESCENTS.............p. 47


Faire le lien entre usagers et collections
Initier à la recherche documentaire
Échanger sur les documents
Proposer des activités
Individualiser l’accueil
Signes de reconnaissance

QUELLES RELATIONS AVEC L’ÉCOLE ?...........................................................p. 55


Les jeunes sont aussi des élèves
Capter des publics captifs
Des partenariats au long cours et réciproques
La bibliothèque comme espace de travail et de ressources
Aider au travail scolaire

CONCLUSION.......................................................................................................................................................... p. 62
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE................................................................................................................................. p. 65
ANNEXES.................................................................................................................................................................. p. 70
NOTES....................................................................................................................................................................... p. 89

L J Essais - études – enquêtes 3


LE BRIEF

L J Essais - études – enquêtes 4


LE BRIEF
« La première animation » à créer dans une bibliothèque de jeunes est
bien celle de la participation à l’organisation, au fonctionnement, aux
­réalisations à entreprendre1 »,
Odile Altmayer, fondatrice de l’association Lecture Jeunesse en 1974
« Les bibliothèques qui souhaitent offrir des programmes pour ­adolescents
significatifs et efficaces doivent rechercher leur participation à toutes les
étapes de développement des projets. Impliquer les adolescents dans les
prises de décision, la planification et la mise en place des programmes les
concernant est vivement recommandé car cela peut les aider à se dévelop-
per harmonieusement ».
Recommandations de l’IFLA (2008)2

C
omment prendre en charge les adolescents en bibliothèque ? Cette ­question,
quasi inexistante il y a 40 ans, est désormais plus répandue mais reste
problématique. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a ni recette miracle, ni ­modèle
établi et généralisable. Ces deux ebooks dressent un état des lieux
de la situation  : quelles politiques de lecture publique pour les adolescents
­aujourd’hui ?  

Comment les adolescents sont-ils perçus par les adultes ?


Mais surtout, pourquoi vouloir les faire venir en
­bibliothèque ? Ce premier volume porte sur les atouts, les
faiblesses et les ­interrogations énoncés par les bénévoles
et les professionnels en formation. Cet ebook est un outil
de travail et de réflexion avant de se ­lancer dans un projet,
ou pour (re)penser une politique de lecture publique en
direction des ados.

Une vingtaine d’établissements dans toute la France.


Des pratiques et des situations différentes.  Une volonté
­commune : agir en direction des adolescents. À partir d’une
enquête en partenariat avec le Ministère de la Culture et
l’ABF, ce second tome recense les actions et les démarches
entreprises en direction des adolescents, pour donner des
pistes à ceux qui les accueillent et les accompagnent sur le
terrain.

Si le premier tome, à partir d’un recueil d’observations et de besoins en ­formation,


fait entendre la voix de bibliothécaires et de bénévoles dans des structures ayant
déjà, ou n’ayant pas encore, de politique affichée en direction des adolescents, le
second cherche à aller au plus près des pratiques en menant l’enquête sur le terrain.
L’un fait écho à l’autre : les analyses des deux modes d’investigation convergent.
Une question centrale les sous-tend, celle de la définition des ­objectifs  visés  :
pourquoi déployer une politique d’accueil en direction des a ­ dolescents ?

L J Les nouvelles de l’Obs 2017 5


L’INTERVIEW

L J Essais - études – enquêtes 6


L’INTERVIEW L’INTERVIEW DE L’AUTEUR
Entretien avec Bernadette Seibel puis Cécile Rabot
Propos mis en forme par Sonia de Leusse-Le Guillou

Sonia de Leusse : Bernadette Seibel, bibliothèque était presque inexistante


expliquez-nous l’objectif de cette dans les activités et les ­ politiques
enquête confiée à Cécile Rabot d’animation des bibliothèques muni-
lorsque vous étiez présidente de cipales3 il y a encore une trentaine
Lecture Jeunesse. d’années. Elle n’a cessé de se déve-
Bernadette Seibel  : Nous avions lopper en France depuis, soulevant
pour objectif de dégager des logiques beaucoup de questions. C’est ce
d’action différenciées en direction dont témoignait la journée d’étude
des adolescents en bibliothèque. de Lecture Jeunesse en 2004 sur
la place des adolescents en biblio-
SLG : Quelle est la particularité de thèque et, aujourd’hui encore, ce
cette enquête ? qu’attestent les colloques et les
BS  : Elle ne visait pas à recueillir formations animés par Lecture
des informations représentatives Jeunesse. On peut dire que per-
de ce qui se pratique dans les durent, dans des contextes diffé-
bibliothèques municipales, ce qui
­ rents ­ (publics, actions conduites,
relève des rapports du ­ Ministère émergence d’une « culture ado »…),
de la Culture. Nous souhaitions une deux logiques  d’action  : l’action
étude qualitative sur les actions symbolique et de communication,
menées et les politiques déployées et ­l’action ­pédagogique d’accès aux
en direction des adolescents. C’est biens et aux pratiques culturels. Ces
la raison pour laquelle ce travail deux axes de politique culturelle ne
a été soutenu par le M ­ inistère, sont pas exclusifs et peuvent coexis-
également intéressé par l’ana-
­ ter, comme le dit l’enquête de Cécile
lyse de ce qui est conduit sur le Rabot, mais à quelles conditions  ?
terrain. En partenariat avec l’ABF, Y a-t-il suffisamment de ­personnel,
nous avons sélectionné des biblio- des budgets spécifiques, une inser-
thèques ayant déjà, ou ­disant avoir tion dans une politique territoriale ?
une politique en direction des ado- Quelle conception du métier im-
lescents.  Avec cet axe de départ et pliquent-elles et, surtout, quels en
l’échantillonnage en conséquence, il sont les freins ?
est logique d’observer une politique
d’accueil largement partagée par les Sonia de Leusse-Le Guillou : Cécile
­établissements enquêtés. Rabot, comment cette enquête a-t-
elle été construite ?
SLG : Où en est-on aujourd’hui ? CR : Nous avons réalisé une ­enquête
BS : Il me parait utile de rappeler que, qualitative d’assez large ampleur.
hormis des visites de classes, la prise La constitution de l’échantillon
en charge du public ­adolescent en ­d’enquête a été une première étape

Sonia de Leusse-Le Guillou, directrice


Directrice de Lecture Jeunesse et de la rédaction de Lecture Jeune
­depuis 7 ans, elle a lancé cette collection LJ+ pour vulgariser et diffu-
ser des recherches utiles aux professionnels, mais qui disposent de
peu de temps pour les lire.

L J Essais - études – enquêtes 7


importante. Il devait représenter la nous ­paraissait important que cette
diversité des pratiques et des poli- association professionnelle puisse
tiques de lecture publique en direc- être partenaire de l’enquête, pour
tion des adolescents et la diversité la relayer dans la profession et
des situations des établissements. pour nous signaler, le cas échéant,
Nous avons pris le parti de n’inclure d’autres bibliothèques susceptibles
que des bibliothèques menant des de présenter un intérêt pour l’étude.
actions en direction des publics ado-
lescents et donc faisant de ceux-ci SLG : De quelle façon les propos et
une de leurs priorités. Parmi elles, les données ont-ils été recueillis ?
il s’agissait d’avoir des lieux corres- CR  :  Le parti a été pris de mener
pondant à des situations géogra- une enquête ethnographique aussi
phiques et politiques diversifiées  : approfondie que possible. Il nous a
bibliothèques de grandes villes et paru essentiel de nous rendre phy-
de petites villes, d’Ile-de-France et siquement sur chaque site choisi de
d’autres régions, de communes ou manière à rencontrer les équipes
d’agglomérations, avec des orien- et avoir un aperçu des espaces. En
tations politiques différentes. Nous raison de contraintes budgétaires,
voulions aussi varier les types d’éta- il a été décidé de concentrer l’étude
blissements (tout en excluant les d’un établissement sur une seule
bibliothèques départementales ou journée et d’étudier sur deux jours
nationales)  : petits ou grands éta- successifs les bibliothèques des
blissements, peu ou ­fortement hié- communes où il paraissait intéres-
rarchisés et/ou cloisonnés, fonction- sant d’analyser des établissements
nant ou non en réseau, sur le papier différents. Des bibliothèques dites
et dans la réalité de leur organisa- «  de quartier  » figuraient parmi
tion du travail. Cette diversité de l’échantillon pour ne pas en rester
l’échantillon était une condition de seulement aux «  centrales  », plus
la généralisation du propos. grandes et plus visibles, mais où la
proximité est souvent plus réduite.
SLG  : Comment avez-vous choisi
les structures de l’échantillon ? SLG : Concrètement, qui avez-vous
CR  : Nous avons examiné plusieurs entendu parmi les équipes ?
centaines de sites internet de CR  : Dans chaque bibliothèque, il
bibliothèques, complété par les s’agissait de rencontrer les diffé-
­informations recueillies par Lecture rents personnels qui sont en lien
Jeunesse à l’occasion de l’organi- avec les adolescents, parfois le
sation de stages et de sessions de chef d’établissement, souvent le
formations. Sur un créneau simi- responsable de la section jeunesse
laire (même type d’établissement, ou le «  responsable ado  » quand
de fonctionnement et de politique ce poste spécifique existe, mais
en direction des adolescents), le aussi des professionnels chargés
choix a parfois été fait d’éliminer spécifiquement de l’action cultu-
les apparents doublons. Cette pre- relle ou du multimédia, ou encore
mière liste élargie, fondée sur des de projets particuliers (accueils de
noms de communes plus que sur classes, ­animations, etc.). Au-delà
des établissements particuliers, a des ­bibliothécaires gérant les fonds
ensuite été soumise à l’Association adolescents, il s’agissait d’inclure
des Bibliothécaires de France  : il les autres supports, notamment les

L’enquête
20 bibliothèques en France métropolitaine
59 entretiens approfondis semi-directifs menés avec des bibliothécaires
Plus d’une centaine d’heures d’entretiens

L J Essais - études – enquêtes 8


CD-DVD, le numérique et le jeu, et SLG  : Comment l’enquête a-t-elle
de ne pas limiter l’approche aux col- été reçue par la profession ?
lections. La question de l’accueil des CR  : Elle a été très bien accueillie,
adolescents touche aussi à l’espace, signe de l’intérêt de son objet pour
aux médiations et implique souvent la profession et de la vivacité du
largement les équipes. questionnement. Presque tous les
responsables des établissements
SLG  : Vous avez donc interrogé sollicités ont donné leur accord de
plusieurs membres de chaque principe. Dans les quelques villes
équipe… dans lesquelles l’enquête n’a pu se
CR : Oui, cela permettait d’échapper à la mettre en place, il s’agissait moins
parole officielle et potentiellement d’un désintérêt que d’une diffi-
lissée d’un ­ directeur et de ­ saisir culté à organiser les rencontres
les situations singulières dans la dans un contexte souvent tendu,
complé­mentarité des points de vue. par exemple dans des situations
Le choix a donc été fait de ­mener une de sous-effectif ou d’intérim de
série d’entretiens approfondis avec direction. Dans tous les autres cas,
ces différents ­personnels. Chaque l’enquête a pu bénéficier de la colla-
entretien a duré en moyenne boration active des personnels des
1h30, parfois moins pour les chefs lieux sélectionnés  : les chefs d’éta-
d’établissement peu disponibles
­ blissement ont donné leur accord
et moins impliqués directement de principe et libéré leurs agents
dans le concret des actions, parfois pour le temps nécessaire. Dans
­davantage pour des personnes en- chaque bibliothèque, l’interlocutrice
gagées dans des projets multiples. de l’enquête, plus p ­ articulièrement
Chacun devait pouvoir exposer ses chargée de la question des ado-
pratiques et son point de vue. Il était lescents, a organisé au mieux la
important d’obtenir aussi des élé- série de rencontres. Les différents
ments sur la trajectoire personnelle membres des équipes sollicités se
et professionnelle de la personne, et sont enfin volontiers prêtés au jeu
sur sa vision du métier, de manière de l’entretien, manifestement heu-
à comprendre l’investissement par- reux d’apporter leur témoignage et
ticulier manifesté en direction des fiers de l’intérêt, peut-être somme
adolescents. Le déroulement de toute assez rare, qu’on leur portait,
l’entretien variait par conséquent mais aussi vivement intéressés par
d’une personne à l’autre, même si la réflexivité induite par l’enquête.
un guide d’entretien préalable avait Les entretiens ont été souvent per-
été établi de manière à répertorier çus comme un temps permettant à
l’ensemble des points qu’il nous pa- chacun d’être écouté et entendu et
raissait intéressant d’aborder4. de s’interroger sur ses propres pra-
tiques pour mieux avancer.

L J Essais - études – enquêtes 9


L’ENQUÊTE

L J Essais - études – enquêtes 10


L’ENQUÊTE L’ENQUÊTE
Comment mieux accueillir les adolescents dans les bibliothèques ? ­Comment,
d’abord, ne pas les perdre, c’est-à-dire éviter leur désertion quand on a tout
fait pour les initier, parfois dès le berceau, au monde des bibliothèques ? Et
s’ils viennent, comment gérer leur présence qui ­parfois remet en cause les
normes établies, voire gêne d’autres catégories ­d’usagers ? Quelle place leur
offrir dans une institution encore souvent structurée autour d’un pôle jeu-
nesse et d’un pôle adulte ? Comment les attirer, en nouant des ­partenariats
fructueux, et comment leur permettre de se sentir assez bien dans ce lieu
pour avoir envie de le fréquenter, mais aussi d’en faire un usage intelligent ?
Quels éléments la bibliothèque ­peut-elle intégrer de cette « culture jeune »
qui semble caractériser l’adolescence, sans perdre de vue les missions qui
sont les siennes, à savoir, avant tout, donner accès aux savoirs et à l’infor-
mation ? Comment enfin accueillir la diversité des demandes, mais aussi les
construire et les nourrir, en s’ajustant à chacun et à chacune, en le prenant
où il est pour le mener un peu plus loin et, surtout, lui ouvrir de nouveaux
horizons et lui donner la curiosité et les moyens de les approcher ?

Telles sont quelques-unes des interrogations qui animent depuis


­plusieurs décennies les professionnels des bibliothèques et sur lesquelles
­chercheurs et chercheuses se penchent régulièrement. C’est parce qu’il
n’y a pas de réponse toute faite qu’elles continuent à se poser, donnant
parfois ­l’impression qu’on en est toujours au même point, voire que les
bibliothèques préfèrent centrer leurs efforts sur d’autres problématiques
et d’autres publics. L’évolution des pratiques culturelles, et notamment du
rapport au livre, qui accompagne la progression du numérique dans notre
quotidien, pose à nouveaux frais la question de l’accueil des adolescents
dans les bibliothèques. Collégiens et lycéens y sont-ils vraiment absents ?
Que faire pour les accompagner dans cette période délicate de transition et
de construction, dans laquelle l’école prend beaucoup de place, mais aussi
les interrogations existentielles et les sociabilités ?

L’enquête a permis d’établir un état des lieux des pratiques des


­établissements particulièrement engagés en direction des adolescents5. Le
flou qui entoure la définition de la catégorie elle-même est révélateur de
l’ambiguïté des politiques qui lui sont associées, en même temps que de la
pluralité des enjeux.

L J Essais - études – enquêtes 11


L’ENQUÊTE QU’ENTENDEZ-VOUS PAR
« ADOLESCENTS » ?
De qui parle-t-on quand on parle d’adolescents  ? Quels problèmes
­spécifiques pose aux bibliothèques cette catégorie d’usagers  ?
­Comment est-elle définie ? Qu’est-ce qui la caractérise ? Quelles ­réalités
plurielles recouvre-t-elle  ? Les dispositifs analysés et les ­discours
­entendus révèlent de nombreuses ambiguïtés dans la ­perception de
ce groupe et dans sa définition.

UNE CATÉGORIE ABSENTE DES lieu lui-même, les jeunes semblent


BIBLIOTHÈQUES ? quitter l’institution une fois parve-
On les perd ! nus au collège, et e­ ncore davantage
Les adolescents sont d’abord consi- au fur et à ­mesure que leur scola-
dérés en bibliothèque comme rité se prolonge. Amertume des
une catégorie d’usagers posant bibliothécaires devant tant d’efforts
problème par son absence ou sa accomplis «  pour rien  » et devant
­rareté. «  On les perd  » est en tout une désertion qui semble marquer
cas la formule symptomatique l’échec d’une politique qui cherchait
d’un constat d’éloignement  : alors à construire les publics de demain.
que les b ­ibliothèques, via leurs
sections jeunesse et des partena- Des collégiens bien présents
riats noués non s­eulement avec Le constat est à relativiser6. D’abord
l’école, mais aussi, de m­ anière plus parce que les jeunes, et notamment
récente, avec les centres de protec- les collégiens, qui fréquentent une
tion maternelle et infantile ou avec bibliothèque représentent dans
les assistantes maternelles, n’ont leur classe d’âge une proportion
eu de cesse de socialiser les plus très nettement supérieure à celle
jeunes à la bibliothèque de manière par exemple des jeunes adultes
à construire une familiarité avec le ou, pire, celle des personnes âgées
livre et la lecture, mais aussi avec le ­inscrites en bibliothèque.

Lecture : Parmi les personnes interrogées ayant entre 15 et 24 ans, 72% ont fréquenté une bibliothèque
municipale au cours des douze derniers mois.
Source : « Publics et usages des bibliothèques municipales en 2016 », Ministère de la culture, Direction géné-
rale des médias et des industries culturelles, 2017, p. 9.

L J Essais - études – enquêtes 12


L’enquête de Sylvie Octobre (2004) f­ réquentation d’une bibliothèque
montre que les adolescents se ren- est, pour les collégiens, une pra-
dant en bibliothèque représentent tique plus souvent autonome et
au moins le tiers de leur classe d’âge7. donc librement choisie. Le taux de
La dernière étude sur les ­publics et fréquentation est à cet égard par-
les usages des bibliothèques muni- ticulièrement élevé, au regard du
cipales va même jusqu’à évoquer un fait que les collégiens disposent
pic de fréquentation entre 11 et 16 déjà de l’offre du CDI et que l’arri-
ans : 42% des personnes interrogées vée au ­collège coïncide parfois avec
en 2016 affirmaient avoir fréquenté une réorganisation des temps de
une bibliothèque municipale à cet transport et de loisirs, notamment
âge8. Ce taux s’élève à 60% chez les lorsque le collège est éloigné du lieu
15-24 ans, contre 52% chez les 25- d’habitation.
34 ans, 47% chez les 35-49 ans, pour Par ailleurs, si éloignement il y
descendre à 23% chez les 70 ans et a, fût-ce d’une partie des adoles-
plus. Ainsi, la fréquentation à cette cents, il peut être transitoire. S’il est
période de la vie s’accroît au fil des clair que la familiarisation précoce
générations. avec la bibliothèque est un facteur
­déterminant fortement la fréquen-
tation de l’institution à l’âge adulte,
la non-fréquentation d’une biblio-
La non-fréquentation thèque municipale à l’adolescence
d’une bibliothèque municipale ne semble pas engager l’avenir9  :
à l’adolescence ne semble pas l’adolescence constitue plutôt, pour
un certain nombre d’usagers, une
engager l’avenir parenthèse dans une trajectoire, un
temps où l’on a besoin de s’éloigner
pour vivre autre chose et s’investir
Un éloignement temporaire ? ailleurs, sans que cela signifie qu’on
À partir de l’enquête menée sur ait abandonné le lieu de manière
les loisirs culturels des 6-14 ans, définitive.
Sylvie Octobre note toutefois que
la fréquentation des collégiens est DES PUBLICS QUI DÉRANGENT ?
moindre que celle des plus jeunes. Des usages en rupture avec les
Mais tandis que l’inscription de normes
ces derniers est presque toujours Si les adolescents sont donc bien
liée à une décision parentale, la présents en bibliothèque, l’érosion,

Lecture : Parmi les personnes interrogées ayant entre 15 et 24 ans, 60% ont fréquenté une bibliothèque
municipale entre 11 et 16 ans.
Source : « Publics et usages des bibliothèques municipales en 2016 », Ministère de la culture, Direction géné-
rale des médias et des industries culturelles, 2017, p. 9.

L J Essais - études – enquêtes 13


r­elative, se produisant plus tard, leur relâchées, la ­ consommation de
présence même est parfois perçue nourriture ou de boissons, l’inves­
comme dérangeante par les autres tissement des espaces. La gêne
usagers ou par les bibliothécaires engendrée est alors symbolique
eux-mêmes, dans la mesure où plus que pratique, liée aux diverses
certains de leurs usages contre- manifestations de la présence
viennent aux normes en vigueur. des corps dans un lieu qui tend à
Quand ils sont en groupe, ce qui les escamoter. Les dégradations
constitue une des formes, assez sont parfois réelles, plus ou moins
fréquente, de leur présence, et qui graves (du simple salissement aux
leur est spécifique, ils sont souvent détériorations du mobilier ou du
perçus comme bruyants, par leurs ­bâtiment). Elles peuvent se conju-
échanges à voix haute, leurs rires guer à d’autres pratiques qualifiées
et leur chahut. Cette rupture avec d’incivilités, notamment des actes
la règle du silence, ou du silence de désobéissance, des insultes ou
relatif, qui continue à prévaloir dans des attitudes perçues comme irres-
les bibliothèques, est susceptible pectueuses ou provocantes, qui
de perturber d’autres usages, ceux sont des formes de remise en cause
qui requièrent la concentration et le de l’institution, des réactions à des
calme, notamment les usages stu- rappels à l’ordre ou des affirmations
dieux. Le travail en groupe et à haute de soi plus ou moins désajustées,
voix, même s’il peut être fructueux, ou ressenties comme telles.
est ainsi renvoyé au ­non-travail  – Les personnels considèrent à juste
seule l’étude ­individuelle et ­silencieuse titre qu’ils n’ont pas à subir de telles
est considérée comme du travail à incivilités  : ils sont les ­garants des
proprement parler. normes en même temps que de la
Certains échanges bruyants sont, cohabitation des usagers, que celles-ci
du reste, complètement étran- sont supposées permettre. Les ten-
gers au loisir studieux et relèvent sions peuvent s’ancrer dans la durée
de diverses formes de sociabilité, et s’envenimer jusqu’à la violence. Par
directes ou à distance, via le télé- l’énergie qu’elles demandent pour
­
phone. La bibliothèque est alors être apaisées et même simplement
utilisée comme lieu de rencontres, vécues, elles peuvent aboutir à des
d’échanges et de mise en scène situations d’épuisement, ­renforcées
de soi, enjeux clés de l’adoles- par d’éventuelles divergences au
cence, plutôt que comme lieu de sein des équipes, qui révèlent
­ressources. Ces jeunes se servent des conceptions différentes de
de la bibliothèque comme d’un ­l’institution et de ses missions, ou
« troisième lieu », avec une certaine ­simplement des manières distinctes
indifférence vis-à-vis des collections, de gérer les conflits, par l’affronte-
mais aussi, plus généralement, des ment, l’explicitation ou la négociation.
propositions des ­ bibliothécaires, Les adolescents peuvent alors être
par exemple celles qui visent la vus comme un public difficile, voire
valorisation des collections, mais
­ ingérable, et donc non souhaité,
aussi des formes d’action cultu- même s’il n’est pas possible de le
relle censées pouvoir concerner les formuler ainsi.
adolescents autant que les adultes,
mais dont les jeunes se saisissent UNE CATÉGORIE FLOUE SOUVENT
assez rarement. IMPENSÉE
En réalité, ces adolescents difficiles
Des corps trop présents aux incivilités à gérer ne constituent souvent,
D’autres fois, c’est la posture seule qui quand ils existent, qu’une minorité
contrevient aux normes : les positions fortement visible qui cristallise les

L J Essais - études – enquêtes 14


tensions, mais masque une forte Les bibliothécaires sont bien conscients
hétérogénéité. Les contours de la de l’imprécision de la  catégorie.
catégorie d’adolescents sont imprécis « Qu’entendez-vous au juste par ado-
et variables. lescents  ?  », demandaient certains
participants à l’enquête en préam-
Une labellisation « ados » bule de l’entretien, inversant ainsi le
Le terme semble toutefois usité en rapport questionné/questionneur.
bibliothèque de préférence à celui L’intérêt n’est bien sûr pas de t­ enter
de «  jeunes  », par distinction avec de poser une définition restrictive
la globalité du public du pôle jeu- du terme « adolescents », mais plu-
nesse. Il apparaît parfois comme tôt d’admettre l’hétérogénéité de
un onglet spécifique des portails la catégorie et d’observer la ma-
web des établissements, ou comme nière dont elle est construite, et les
une des ­catégories de destinataires usages dont elle fait l’objet.
d’un dispositif : les espaces peuvent
comporter un coin «  ados  »  ; un
club lecture porte aussi la mention
« ados » ; plus rarement une partie Les établissements qui ont
des collections est étiquetée en réfé- mis en place des actions
rence à ce public ; il arrive, quoique en direction des adolescents
de manière assez ­exceptionnelle,
que l’organisation du personnel n’ont qu’assez exceptionnellement
identifie un «  référent ados  »  ; cer- de véritables politiques formalisées
taines actions culturelles, enfin, sont
explicitement destinées aux adoles-
cents, d’une « Nuit des ados » à un Un non-public ?
tournoi de jeux vidéo, tandis que Les adolescents constituent à la
d’autres, dans certains établisse- fois une cible affichée de politiques
ments, sont labellisées «  adultes et publiques cherchant à manifester
adolescents  », de manière à signi- leur volonté d’investir dans ­l’avenir –
fier leur accessibilité supposée à dont les jeunes sont le symbole – et
un large public, sans néanmoins un public mal cerné sur la réalité et
que les adolescents soient pensés les besoins pluriels duquel on ne
explicitement comme faisant potentiel- réfléchit presque jamais de manière
lement partie du public destinataire approfondie et structurée. Public
(avec les éventuelles adaptations absent ou public non ­ souhaité,
qui pourraient en découler). la ­figure de l’adolescent est un
exemple de ces non-publics dont
Des publics cibles multiples Alain Pessin et Pascal Ancel ont sou-
Mais tandis que les clubs de lec- ligné toute l’ambiguïté10 : on ­déplore
ture «  ados  » regroupent plutôt leur absence sans nécessairement
des collégiennes, les étagères de souhaiter leur présence et on les
littérature adolescente comportent, considère en bloc et à distance
entre autres, les collections label- plutôt que de prendre en compte
lisées Young adult  par les éditeurs, leur pluralité et d’interroger leurs
destinées aux plus de seize ans, et besoins.
incluses dans les lectures de nom- Même les établissements qui ont
breux étudiants voire jeunes actifs. mis en place des actions en direc-
Des jeunes de dix ans venus jouer à tion des adolescents n’ont qu’assez
un jeu vidéo de football à de jeunes exceptionnellement de véritables
mères accueillies à la bibliothèque politiques formalisées dans leur di-
avec leur enfant en bas âge, la caté- rection. Rares en effet sont ceux qui
gorie «  adolescents  » englobe une ont conduit des analyses systéma-
palette de réalités extrêmement tiques et donnent à voir à la fois des
large et diverse. dispositifs variés, ­complémentaires,

L J Essais - études – enquêtes 15


une ­organisation du personnel, des ­léments ­
é marquant le passage à
moyens adéquats et surtout une for- l’âge adulte11. Les adolescents sont
malisation. C’est elle qui témoigne à cet égard définis en creux, par le
à la fois de la cohérence du plan fait de n’être pas encore adultes,
et de l’intégration des différentes sans pour ­ autant être e
­ ncore des
composantes de la catégorie, avec
­ enfants. Cette ­période de transition
leurs enjeux propres. Les actions est d’autant plus longue aujourd’hui
peuvent néanmoins être pertinentes que l’allongement de la scolarité et
et efficaces, en plus d’avoir une valeur le difficile accès à l’emploi tendent
symbolique forte, mais elles ciblent à repousser le moment de l’autono-
presque toujours certains adoles- mie.
cents plutôt que d’autres, sans,
semble-t-il, que ces choix ­reposent Entre deux pôles ou nulle part ?
souvent sur une analyse exhaustive De même, dans l’espace de la biblio-
qui aurait ensuite conduit à établir thèque, les adolescents sont avant
des priorités. Elles se fondent avant tout définis en creux par les biblio-
tout sur l’empirie et sur l’engage- thécaires  : ce sont ceux qui ne se
ment de certains personnels. retrouvent plus dans une section
jeunesse qui les renvoie à leur en-
fance et à leur scolarité primaire,
les amène à côtoyer de plus jeunes
Les adolescents sont à cet égard à l’égard desquels ils entendent se
définis en creux, par le fait de démarquer, et, concrètement, les
n’être pas encore adulte, sans confronte à une offre de documents
(incluant de nombreux albums), à
pour autant être encore des enfants des formes d’action culturelle (du
type heure du conte) et à un mobi-
lier (adapté aux petits), qui ne leur
conviennent plus. Les documents
UN ÂGE DE TRANSITION qu’ils sont amenés à utiliser, par
exemple pour préparer un exposé,
Une catégorie définie en creux sont plutôt rangés parmi les docu-
De manière générale, les «  ado- mentaires de la section adulte, mais
lescents  » sont moins définis par certains sont d’une complexité qui
leur âge ou par quelque autre pro- les désarçonne. Par ailleurs, l’organi-
priété sociale, que par leur position sation des espaces et des collections
d’entre-deux, définie par le « plus » de cette partie de la bibliothèque
et le «  pas encore  »  : ce sont ceux leur est étrangère, et, conjuguée à
qui ne sont plus des enfants, mais leur contenu, leur donne l’impres-
pas encore des adultes : ils ne sont sion de n’être pas faite pour eux. Ils
pas encore reconnus comme des peinent à s’y repérer et à y trouver
citoyens en âge de participer à la les ouvrages qui pourraient les inté-
vie démocratique et notamment resser, au milieu d’une masse de
de prendre part au vote  ; ils ne documents qui les laisse perplexes.
sont pas encore dans la vie active,
d’autant moins que la scolarité s’al- Braconnages et espaces transitionnels
longe  ; ils n’ont donc pas l’autono- Les adolescents tendraient alors soit
mie financière qui leur permettrait à déserter ce lieu auquel ils peinent
d’avoir un logement propre  ; et le à s’identifier, soit à se l’approprier
plus souvent, ils ne sont pas ins- par des usages qui le détournent,
tallés dans un couple stable. Cécile mais qui sont plus ou moins admis.
Van de Velde propose ainsi de consi- On rencontre ainsi des collégiens
dérer ces critères de l’autonomie installés sur les tapis et coussins
financière, de l’accès au logement destinés aux tout-petits mais dont ils
et de la mise en couple, comme les apprécient le confort et les p­ ostures

L J Essais - études – enquêtes 16


r­ elâchées qu’ils permettent. D’autres seulement les parents et les ensei-
­s’asseyent par terre dans les travées gnants, qui continuent à jouer un
pour consulter un livre ou lire une rôle, quoique moins primordial que
BD. De tels usages non conformes pendant l’enfance mais ce sont éga-
donnent parfois lieu à des rappels à lement les tiers, et n
­ otamment tous
la règle, dans la mesure où ils gênent ceux que les jeunes sont amenés à
d’autres catégories d’usagers et sont côtoyer dans le monde scolaire et
­susceptibles ­d’empêcher les usages extrascolaire.
premiers (accès aux étagères par
les adultes, possibilité de s’installer Accompagner et transmettre
dans l’espace pour les tout-petits, Des bibliothécaires témoignent de
etc.). Dans le meilleur des cas, des liens noués avec certains jeunes et
aménagements prennent acte des du soutien psychologique apporté
besoins ainsi manifestés et offrent parfois, ne serait-ce que sous la
des espaces c­irconscrits adaptés, forme d’une écoute bienveillante et
des coussins de sol situés à proximi- constructive. Ils accompagnent au
té de l’espace BD aux étagères pro- quotidien la recherche documen-
posant des collections dédiées aux taire et, au-delà, l’acquisition de
adolescents et installées en jonction savoirs et d’une démarche intellec-
entre pôle ­jeunesse et pôle adulte. tuelle critique. Plus globalement, ils
Le décloisonnement facilie la mise sont amenés à faire reconnaître les
en place de ces espaces transition- normes de manière à permettre de
nels12. « vivre ensemble », c’est-à-dire, faire
cohabiter des usages dans le res-
pect réciproque.
Les adolescents tendraient alors Sans le formuler en ces termes,
soit à déserter ce lieu les bibliothécaires visent à faire
auquel ils peinent à s’identifier, acquérir une culture et des savoirs,
c’est-à-dire les outils intellectuels
­
soit à se l’approprier d’une réflexion propre, qui per-
par des usages qui le détournent mette aux jeunes de participer
au débat démocratique. Ils s’ins-
crivent ainsi dans ce qui constitue
UN ÂGE DE FORMATION historiquement la raison d’être des
­bibliothèques. Plus largement, ils
Des relais de socialisation m
­ ultiples sont soucieux d’armer les adoles-
Âge de transition entre l’enfance et cents contre l’adversité et de leur
l’âge adulte, l’adolescence est ten- donner une formation éthique en
due vers un au-delà d’elle-même  : vue d’une vie plus harmonieuse. La
elle vise à préparer l’âge adulte et littérature a, à cet égard, un rôle à
correspond donc à un temps d’ini- jouer : au-delà de ses dimensions di-
tiation et de formation, qui passe vertissante ou explicitement didac-
par la socialisation, l’expérience tique, elle peut aider à construire
et la transmission. Il s’agit d’ap- une posture réflexive et ­analytique13.
prendre au contact des pairs, mais Les collections documentaires sont,
aussi des adultes qui confrontent quant à elles, susceptibles de four-
à la norme et, dans le meilleur des nir des réponses aux questions que
cas, aident à donner un sens aux les jeunes se posent spontanément
expériences vécues. Le groupe des ou que des exercices scolaires les
pairs est donc important et les so- poussent à explorer. Se joue alors
ciabilités en son sein ne sauraient ici la question de l’articulation entre
se ramener au ­divertissement pur, le rôle propre de la bibliothèque et
mais constituent également un celui de l’institution scolaire, réunies
moyen ­ essentiel de construction autour de cette mission c­ ommune
identitaire. Les adultes sont non de d ­onner accès aux savoirs par

L J Essais - études – enquêtes 17


des collaborations diverses, mais aussi térisent, de manière plus ­pérenne, la
parfois séparées par un principe de génération elle-même ? Le contexte
division du travail, voire par des de socialisation, incluant l’état des
divergences de vue qui exacerbent institutions, les valeurs dominantes,
les tensions. Cette question des les outils disponibles et les expé-
rapports à l’école est assez cruciale riences partagées, produit des ef-
pour qu’on prenne le temps d’y fets à long terme sur les habitus, et
revenir plus tard dans un chapitre des effets communs, qui réunissent
dédié. au-delà des différences sociales.
La culture juvénile est traditionnelle-
DEUX POUCES ET DES NEURONES : ment associée à certaines pratiques
NUMÉRIQUE ET « CULTURE JEUNE » culturelles comme la musique et la
bande dessinée, qui se déclinent
Culture juvénile ou nouvelle selon les époques, le hip-hop et le
génération ? manga faisant figure d’archétypes
L’adolescence est définie, de ma- de la culture jeune d’aujourd’hui,
nière plus positive, par le partage comme rock et comics pouvaient
d’une culture juvénile censée carac- constituer la culture jeune de la
tériser les goûts et les pratiques du génération des parents des jeunes
groupe, sans que les frontières de d’aujourd’hui. Les technologies
celui-ci soient clairement précisées, numériques, notamment le smart-
et sans que soit toujours nettement phone, les réseaux sociaux et le jeu
distingué ce qui relève d’une classe vidéo, caractérisent la culture des
d’âge spécifique et ce qu’on associe jeunes générations, dans la mesure
à une génération. La désignation de où celles-ci les ont toujours connues,
certains groupes, identifiés par leur sans que ces outils soient utilisés
année de naissance, par des appel- exclusivement par les jeunes. Les
lations comme «  génération Y  » ou modalités de leur utilisation varient
«  génération Z  », porte à conce- toutefois selon les classes d’âge. Les
voir les traits définitoires proposés adolescents privilégient certains
comme des éléments génération- types d’applications ou certains ré-
nels, c’est-à-dire susceptibles de seaux sociaux, qui ne sont pas ceux
caractériser le rapport au monde
­ qui dominent chez les plus âgés.
des individus concernés au-delà de
l’âge considéré. Les sociologues ont Les bibliothèques ciblant le public
souvent souligné cette différence adolescent tendent à miser sur cette
entre âge et génération14. Il reste culture jeune, mais selon des moda-
qu’il est parfois malaisé de déter- lités diverses, susceptibles de tou-
miner quels traits d’une conduite cher plutôt certaines ­composantes
relèvent de l’appartenance à une de ce public hétérogène que
classe d’âge, donc à une phase du d’autres, et jouant en tout cas un
cycle de vie. C’est d’autant plus vrai rôle symbolique fort, en témoi-
lors de cette période de transition à gnant d’un investissement dans ce
laquelle correspond l’adolescence, qui semble constituer la modernité
avec toute l’indétermination qui lui et une promesse d’avenir15. L’inau-
est associée et qui maintient ­ouvert guration de la médiathèque de la
le champ des possibles et des expé- Canopée La Fontaine à Paris incluait
rimentations. Quels éléments carac- ainsi une performance de graffeurs16.

L J Essais - études – enquêtes 18


Performance de Da Cruz et Marko93 pour graffer la baie vitrée de la médiathèque La Canopée La Fontaine le jour de son
inauguration, Paris Quartier des Halles
© La Canopée

Très investie par les médiathèques, la enjeux et en tout cas sont inscrites
culture numérique fonctionne à cet dans des rapports de genre qu’il est
égard comme un symbole puissant de important de prendre en compte,
cette culture juvénile. Si les supports sans que cela implique d’y souscrire,
numériques proposés, notamment et notamment d’aller dans le sens
liseuses et tablettes, attirent parfois d’une division stéréo­typée à laquelle
d’autres publics au moins autant que porte toute une partie de la culture
les jeunes17, ils répondent à un enjeu médiatique. L’exemple de la différen-
d’image important. La bibliothèque ciation des mangas destinés aux filles
des Champs libres de Rennes s’est et de ceux destinés aux garçons est
ainsi fortement engagée dans le do- significatif à cet égard : il témoigne de
maine sous toutes ses formes. Elle fréquentes transgressions des catégo-
avait par exemple dès 2011 installé ries éditoriales, qui deviennent moins
un «  salon de lecture numérique  » des productions destinées à tel ou
équipé d’ordinateurs, de liseuses, et tel segment de public que des types
de tablettes. d’ouvrages associés à des goûts ou à
des moments, et qui peuvent tout à
DES FILLES ET DES GARÇONS fait être lus par les deux sexes18.

Identités de genres et rapports de


sexe
Au-delà de ces traits communs par
lesquels on peut tenter de la définir,
l’adolescence regroupe une forte
diversité de profils, d’âges, de situa-
tions et de réalités sociologiques.
Elle rassemble d’abord des filles et
des garçons, qu’il apparaît utile de
distinguer dans la mesure où l’ado-
lescence constitue pour les unes et
pour les uns un moment de mutation
morpho­ logique distincte dans ses
formes et dans sa temporalité, mais
aussi un moment fort de construction
des identités sexuelles et genrées,
en lien avec les pairs, du même sexe Vidéo et danse à la bibliothèque des Champs libres de
ou de l’autre sexe. Une grande partie Rennes
© Gwendal Le Flem / Bibliothèque de Rennes Métropole
des sociabilités sont prises dans ces

L J Essais - études – enquêtes 19


Des lectures genrées les ­rapports de genre qui s’installent
Cependant, certains types de lec- dans chacun d’eux.
ture sont davantage appréciés par
les filles et d’autres par les garçons, UN GROUPE SOCIALEMENT
fût-ce le résultat de divers processus HÉTÉROGÈNE
de socialisation et de ­construction Âge et parcours
des goûts. Le roman psychologique Au-delà de ce grand principe de
est ainsi surtout lu par les filles, le division garçons/filles, la catégorie
roman d’aventure continue à être «  adolescents  » est marquée par
préféré par les garçons, tandis que une forte hétérogénéité à différents
d’autres genres, comme le roman niveaux, plus ou moins laissée dans
policier, sont plus mixtes. Les lec- l’impensé.
tures constituent d’ailleurs non Le facteur d’hétérogénéité le plus
seulement des pratiques et des
­ pris en compte est sans doute celui
goûts genrés, mais aussi, au moins de l’âge. La catégorie est en effet
pour une partie d’entre elles, des suscep­ tible de réunir des jeunes
marqueurs de genre19. Les biblio- ayant entre 10 et 20 ans, c’est-
thécaires de lecture publique étant à-dire des pré-adolescents, des
majoritairement des femmes, a
­ adolescents et de jeunes adultes,
­
fortiori en jeunesse et pour ce qui qu’il faut croiser avec la variable
concerne la gestion des collec- du sexe puisque le même âge
tions imprimées, de même que les ­correspond à des niveaux de déve-
femmes d ­ominent l’édition jeu- loppement différent chez les filles
nesse, il n’est pas impossible que et chez les garçons. Les plus jeunes
les collections des bibliothèques fréquentent davantage les biblio-
­comprennent plus d’ouvrages suscep­ thèques. Le décrochage, quand
tibles de correspondre à ce qui se décrochage il y a, intervient souvent
construit comme le goût féminin. plus tard, notamment en lien avec
la scolarisation au lycée, qui cor-
Des rapports à la bibliothèque respond aussi à un recentrage sur
différenciés selon le genre l’investissement scolaire, et sur des
Le rapport à la lecture et à l’institu- lectures plus légitimes, prescrites
tion est en tout cas marqué par la par l’institution20.
différence des genres : les filles sont
plus souvent lectrices de romans, et Un collège unique, de fortes
donc emprunteuses – le format du disparités sociales
genre le prêtant peu à une lecture Si le collège unique regroupe tous
sur place –, tandis que les garçons les jeunes des classes d’âge consi-
sont par exemple plus nombreux à dérées, la suite de leur trajectoire
lire des bandes dessinées, parfois prend des formes plus diversifiées,
à la bibliothèque. La lecture d’un entre ceux, certes assez rares, qui
album de 64 pages, plus rapide que interrompent là leur scolarité, et
celle d’un roman, est susceptible de surtout ceux qui rejoignent des
coïncider avec la durée d’une visite. filières générales, technologiques
Un club romans a par conséquent ou professionnelles. Le rapport à
de plus fortes probabilités d’atti- la lecture et au livre n’est pas uni-
rer des adolescentes, tandis qu’un forme selon ces parcours, dans
atelier BD touchera davantage le la mesure où la scolarité y est dif-
public masculin. Les ­dispositifs férente (avec une place plus ou
mis en place en direction des ado- moins grande donnée à la culture
lescents concernent de manière légitime), mais surtout où les ­profils
générale tantôt l’un ou l’autre sexe, sociaux sont assez fortement dif-
sans que cela soit nécessairement férenciés, en matière de genres
conçu ­ainsi, tantôt les deux sexes, mais aussi et surtout de catégories
avec une nécessité de considérer ­socio-professionnelles. Les jeunes

L J Essais - études – enquêtes 20


des filières ­professionnelles ont ainsi certaines formes de pratiques
plus de probabilités d’entrer dans la valorisées et donc choisies avec
­
catégorie des faibles lecteurs ou de un sens du placement),
ceux que la sociologie de la lecture a • de la stimulation (qui permet de
nommés les « lecteurs précaires »21. maintenir l’envie et d’entretenir la
Ces derniers entretiennent souvent pratique).
un rapport distancié avec l’écrit et
surtout avec la culture légitime. Cela Des rapports distincts à la
ne signifie pas qu’ils ne lisent pas, bibliothèque
mais leurs pratiques de lecture sont Ces différenciations sociales se
souvent plus ­fragmentées, et moins ­reflètent fortement dans le rapport
assumées, parce que ­minorées et/ à la bibliothèque. Les jeunes qui y
ou perçues comme illégitimes – sont conduits par leur famille dans
Martine Burgos ayant bien posé leur enfance (c’est-à-dire à la fois
l’enjeu de la perception de ce rap- inscrits mais aussi guidés par elle)
port à la lecture dans un article ont de plus fortes probabilités d’ap-
significativement intitulé «  Ces lec- partenir aux classes supérieures.
teurs sont-ils des lecteurs ? »22. Ainsi, Ce sont donc aussi les jeunes des
pour les bibliothèques, monter un classes supérieures qui se rendent
projet avec une classe de troisième souvent la bibliothèque «  spon-
préprofessionnalisation ou mettre tanément  » durant leur scolarité
en place un atelier de révision du secondaire, et plus encore qui se
baccalauréat ne revient pas à tou- saisissent de propositions comme
cher les mêmes publics, et implique les clubs de lecture proposées par
des ajustements à ces différents l’institution. D’autres jeunes issus
destinataires. de milieux moins favorisés fré-
quentent aussi le lieu par bonne
Une socialisation familiale décisive volonté culturelle, et par l’effet de
Ces différences de rapport à l’écrit et stimulations familiales ou scolaires,
à la lecture existent dès le p
­ remier ou encore d’influences amicales. Ils
cycle du secondaire, fussent-elles constituent pour les bibliothécaires
masquées derrière l’apparente uni- un public particulièrement bienvenu
formité du «  collège unique  ». Elles dans la mesure où il donne tout son
sont en grande partie le reflet de sens à l’institution, dans sa mission
fortes inégalités sociales, dont la de transmission, et où son attitude,
sociologie a montré comment elles globalement studieuse et réceptive
se rejouent à travers l’école23. Cette aux propositions, est conforme aux
reproduction des inégalités sociales attentes des bibliothécaires autant
par l’école passe par les implicites qu’aux normes de l’institution.
qu’elle véhicule et les savoir-faire Les jeunes présentant d’autres
qu’elle requiert sans les enseigner. caractéristiques, notamment un
Elle passe aussi par le capital cultu- plus faible investissement familial
rel qu’elle valorise mais qui est, lui les portant vers l’école, la lecture et
aussi, le produit de dispositions la culture, et surtout de moindres
héritées qui viennent s’ajouter aux capitaux qui pourraient nourrir
savoirs transmis, explicitement ou leur réussite scolaire, tendent à
implicitement, dans le cadre fami- constituer les publics absents des
lial ou dans les pratiques culturelles bibliothèques, qu’ils ne visitent
­
encouragées par certaines familles, pas spontanément – à l’image des
sur le triple mode : adultes des classes populaires, qui
• de l’initiation (qui permet de ne représentent qu’une faible part
découvrir et ouvre l’espace des
­ des inscrits en bibliothèque. Ou,
possibles), quand ils viennent, ils investissent le
• de l’investissement (financier et lieu avec d’autres buts que ceux qu’il
symbolique, qui donne accès à se donne, privilégiant les sociabilités

L J Essais - études – enquêtes 21


plus ou moins respectueuses des n’est qu’assez rarement posée expli-
autres usages et volontiers provoca- citement24. Mais on peut considérer
trices. Ce qui est en jeu, c’est en effet qu’elle est de fait prise en compte
l’affirmation de soi en même temps par les établissements qui ont à cœur
que le rapport aux institutions. d’aller c­hercher des jeunes qui ne
viennent pas, ­notamment en ­passant
Le social, impensé ou implicite ? par les partenariats leur donnant une
Toutefois, dans une forme de déni possibilité de convaincre des publics
du social fréquent dans une insti- d’abord captifs, ou de chercher à
tution qui, comme l’école, cherche mieux accueillir les publics les plus
à maintenir la croyance dans la ­dérangeants – souvent les moins
­possibilité du mérite et donc du dé- dotés – autrement que par l’affronte-
passement des inégalités ­sociales, la ment et l’exclusion.
question de ces différences ­sociales

L J Essais - études – enquêtes 22


UN ENGAGEMENT MULTIFORME
L’ENQUÊTE
EN DIRECTION DES ADOLESCENTS
L’enquête a porté sur des bibliothèques affichant un intérêt pour
les adolescents et mettant en œuvre à leur intention une politique
plus ou moins cohérente et construite, ou en tout cas des dispositifs
­ciblés, mais aussi manifestant, dans l’aménagement de leurs espaces
ou leur manière de concevoir les collections et leurs classements, un
souci d’intégration de ce public. L’échantillon entendait regrouper
parmi elles des établissements relevant de situations différentes et
incarnant des partis pris distincts, dans la nature des actions mises en
œuvre, des publics touchés et des rapports entretenus avec le cadre
scolaire. Il présente néanmoins, au-delà de ces singularités, un ­certain
nombre de traits communs, quoique déclinés localement. Ces élé-
ments définissent des politiques en actes, qui relèvent souvent d’un
sens pratique plus que d’une formalisation, mais qui n’en existent pas
moins, et qui caractérisent les bibliothèques étudiées ici. Ce chapitre
les recense. Le suivant tentera de démêler les logiques plurielles qu’ils
recouvrent.

UNE RÉFLEXION SUR LES ESPACES ­spaces, voire des bibliothèques,


e
Le premier point qui rassemble les qui sont plus que jamais des média-
établissements de l’échantillon est thèques censées accueillir à la fois
une réflexion sur les espaces. Le tous les publics et tous les médias.
constat de la situation d’entre-deux La médiathèque José Cabanis de
dans laquelle se trouvent les adoles- Toulouse a ainsi mis en avant la
cents entre les anciennes sections création de l’« Intermezzo », espace
adultes et jeunesse a conduit à cher- conçu comme transitionnel et des-
cher à leur créer une place, soit au tiné à accueillir une culture jeune
sein de la section jeunesse, quand qui est plutôt celle de jeunes adultes
elle existe encore de manière assez que celle d’adolescents. Rennes a
cloisonnée, soit dans un espace mis en place à la bibliothèque des
dédié plus ou moins clos, soit dans Champs Libres «  la MeZZanine  »,
une zone intermédiaire censée faire un espace spécifique et cloisonné
la jonction entre les collections dé- pour les adolescents, à un niveau
diées à la jeunesse et celles dédiées intermédiaire entre les autres
aux adultes. étages, en misant sur une architec-
ture et une décoration modernes,
Des espaces dédiés qui créent une atmosphère parti-
Les rares cas observés de création culière ­(espace circonscrit, mobilier
d’un espace ados propre ont fait design, étagères basses permettant
l’objet d’une communication impor- la ­
cir­
culation du regard, couleurs
tante qui les présente comme le pastels, lumières tamisées, fond
produit d’une démarche innovante musical)25.
et d’une vision renouvelée des

L J Essais - études – enquêtes 23


Mobilier adapté, design et ambiance tamisée, la Mezzanine de la bibliothèque des Champs libres à Rennes.
© Gwendal Le Flem / Bibliothèque de Rennes Métropole

Couleurs acidulées et coussins de sol à la bibliothèque des Champs Libres.


© Gwendal Le Flem / Bibliothèque de Rennes Métropole

Le cloisonnement permet la dif- rares, ne serait-ce que parce qu’ils


fusion de musique et un volume nécessitent un aménagement des
­sonore plus élevé que dans d’autres locaux, plus facile à intégrer dans un
parties de la médiathèque. Il est projet de construction que dans un
donc propice aux sociabilités ado- bâti existant, sauf à le restructurer
lescentes et au jeu, et crée un effet en profondeur, au prix de plusieurs
cocon manifestement apprécié. centaines de milliers d’euros.
De tels partis pris sont néanmoins

L J Essais - études – enquêtes 24


Des espaces jeunesse repensés zone frontière, tremplin ou ­tampon,
Le plus souvent, les médiathèques entre la partie prévue pour les plus
engagées en direction des adoles- jeunes et les collections destinées
cents créent plutôt un « coin ados », aux adultes. Une telle organisa-
plus ou moins important, qu’elles tion matérialise la conception de
placent soit en section jeunesse, l’adolescence comme entre-deux  :
notamment dans le cas où cette l’enjeu est de faciliter le passage de
section existe encore comme telle, l’enfance à l’âge adulte, donc, entre
bien clairement séparée du reste de autres, des collections jeunesse vers
la bibliothèque (ou dans le cas d’une les collections adultes. Elle inclut
bibliothèque spéciale jeunesse), soit souvent quelques étagères identi-
dans une zone frontière entre pôle fiées proposant des romans pour
jeunesse et pôle adultes dans les adolescents et de la littérature Young
espaces décloisonnés qui dominent adult. Ces étagères, que leur petit
aujourd’hui. nombre est susceptible de rendre
Maintenir les adolescents dans peu visibles, sont souvent a ­ ssociées
la partie jeunesse leur permet de à d’autres parties des collections.
continuer à investir un espace qui Elles sont assorties d’un ­mobilier suffi-
leur est familier. Sa taille restreinte samment confortable pour permettre
et la présence de personnels qui un séjour prolongé et constituer un
entretiennent avec les jeunes sous-espace à part entière.
un lien de proximité sont rassu-
rantes. C’est aussi une manière de Des espaces pluriels ou modulaires
gérer le volume sonore (et donc pour des usages multiples
de ­ régler d’éventuels problèmes L’aménagement des zones desti-
de co­ habitation entre catégories nées aux adolescents oscille entre
d’usagers) car la section jeunesse,
­ tables de travail et mobilier associé
lieu d’échanges à voix haute plus au loisir, par les usages qu’il permet
que de lecture silencieuse et de loisir en même temps que par l’image
studieux, requiert moins le m ­ aintien produite par ses couleurs et ses
du silence que d’autres parties de la formes design. Gros coussins de sol
bibliothèque. La proximité facilite et poufs, parfois tapis ou hamacs,
à la fois le contrôle et les rappels à favorisant en tout cas des postures
l’ordre. Le «  coin  » adolescents est relâchées, deviennent ainsi la règle
alors soit localisé à proprement et le symbole de l’accueil du public
parler dans un coin propice à la
­ jeune. Leur modularité permet des
tranquillité et à l’impression, appré- appropriations variées.
ciée des adolescents, d’être à l’abri
des regards, soit au contraire stra- S’il s’agit plutôt là d’organiser des
tégiquement placé près du bureau espaces de lecture, on rencontre
des bibliothécaires, de manière à aussi parfois des espaces dédiés
permettre une ­surveillance rappro- aux jeux, des consoles aux jeux
chée (certaines bibliothèques ont de société géants prévus pour un
opté pour cette option après avoir usage libre et des animations orga-
expérimenté la première et les diffi- nisées, de l’initiation au tournoi. La
cultés à gérer différentes formes de médiathèque Émile Zola de Mont-
chahut). pellier a ainsi profité de ses vastes
espaces pour créer un pôle lecture
Des espaces intermédiaires privi- au sol, avec tapis et poufs colorés,
légiés et installer un jeu d’échecs à taille
Dans les grandes médiathèques mo- humaine, effectivement utilisé au
dernes, l’organisation des ­
espaces moment de l’observation par deux
la plus fréquemment observée adolescentes.
consiste dans l’établissement d’une

L J Essais - études – enquêtes 25


Hamac à la médiathèque de la Canopée La Fontaine dans le quartier des Halles à Paris
© La Canopée

Des espaces spécifiques séparés c­irculations et échanges de toute


Repenser l’organisation des espaces sorte. Les espaces informatiques
de manière à mieux accueillir les sont eux aussi potentiellement utili-
adolescents, c’est aussi souvent re- sables dans une perspective ludique
cloisonner de manière à admettre ou dans une optique plus studieuse.
des usages plus bruyants et donc Certains établissements choisissent
à faciliter la cohabitation des diffé- ainsi de dissocier spatialement les
rents besoins, sans avoir à imposer postes dédiés à chacune de ces
la traditionnelle règle du silence. deux vocations, de manière à évi-
L’enjeu est à la fois de contourner la ter les frictions entre des usagers
difficulté à faire respecter cette règle porteurs de besoins différents et
(au prix d’une forte dépense d’éner- considérés néanmoins comme éga-
gie, voire de fréquents conflits), de lement légitimes.
modifier l’image de la bibliothèque
(comme un lieu silencieux possi- UNE RÉFLEXION SUR LES
blement rebutant), et d’admettre la COLLECTIONS
légitimité d’autres pratiques comme Des classements repensés
le jeu ou le travail en groupe, aux Repenser la bibliothèque de manière
doubles vertus de socialisation et à mieux accueillir les adolescents
d’acquisition de savoirs. conduit parfois à revoir les classe-
L’articulation entre espaces silen- ments de manière plus générale.
cieux et lieux de parole s’effectue Un double constat amène à estom-
soit par la création de pièces spé- per la frontière entre pôle adultes
cifiques dédiées aux échanges et et pôle adolescents  : d’une part les
notamment au travail en groupe, à romans inscrits par les éditeurs
l’image du parti pris par un certain dans des collections destinées aux
nombre de bibliothèques universi- grands adolescents ou au public
taires modernes, soit, au contraire, Young adult sont lus bien au-delà
par l’isolement d’une salle de lec- de l’âge de la majorité et restent
ture dédiée au loisir studieux, qui inscrits au menu de lecture de
dispense de maintenir le silence nombre d’étudiants, voire de jeunes
dans le reste de la bibliothèque, actifs. D’autre part, certaines parties
et autorise donc à y développer des collections conçues pour les

L J Essais - études – enquêtes 26


adultes sont tout à fait accessibles ­ccessible et attractive, notam-
a
aux lycéens. C’est le cas des genres ment par la place qu’y tient l’image.
comme la bande dessinée ou la Elle est vue par les professionnels
fantasy, que bon nombre d’établis- comme un moyen de désacraliser
sements de l’enquête regroupent l’imprimé, en particulier aux yeux de
dans cet espace intermédiaire, de lecteurs précaires que rebute la lec-
même que, parfois, une petite ­partie ture de livres non illustrés.
de la littérature générale, sélection- On trouve notamment dans les
née pour son accessibilité et ses bibliothèques qui cherchent à faire
thématiques, ou pour avoir été ré- lire les adolescents les séries de
compensée par des prix comme les bandes dessinées que les jeunes
Goncourt et Renaudot des lycéens. lisent massivement. La sérialité in-
Les documentaires d’initiation sont duit des contraintes propres de ges-
également susceptibles de conve- tion des collections, dans la mesure
nir aux adolescents aussi bien que où elle impose l’achat des nouveaux
d’intéresser des adultes désireux volumes d’une série commencée,
de s’informer sur un domaine qu’ils mais aussi le réassort des volumes
ignorent. Certaines bibliothèques perdus de manière à disposer de
ont pris le parti de les identifier, tout séries complètes. Mais, particulière-
en les rangeant dans les collections ment demandées et appréciées, les
adultes, de manière à favoriser le séries sont considérées comme plus
passage des adolescents vers celles- ou moins indispensables, ne serait-
ci mais aussi, simultanément, l’accès ce que comme moyen de répondre
du plus grand nombre aux savoirs. à une demande et de construire une
fidélité du lectorat. Elles présentent
en ceci un intérêt similaire à celui
La bande dessinée des best-sellers pour les adultes26 : le
lecteur pourra peut-être ensuite, ou
est vue par les professionnels lorsque le volume souhaité est em-
comme un moyen de désacraliser prunté, s’intéresser aussi à d’autres
l’imprimé propositions.

La BD plébiscitée par les jeunes


Une offre systématique de bande La bande dessinée est en parti­culier
dessinée et de manga un genre fortement investi par les
Les bibliothèques désireuses de collégiens, même si la pratique tend
mieux accueillir les adolescents à décliner avec l’âge : selon l’enquête
intègrent dans leurs collections longitudinale menée par ­ Sylvie
d’imprimés les parties de l’offre édi- Octobre, 79% des jeunes de 11 ans
toriale qui leur sont explicitement lisaient des BD, taux qui passe à
­
destinées. BD et manga sont devenus 38% à 17 ans. La lecture de bande
les symboles de cette culture ado- dessinée chez les 15-19 ans a en ef-
lescente, même si l’offre éditoriale fet accusé une baisse importante au
la dépasse. Historiquement asso- cours des dernières d ­ écennies, pas-
ciée à la jeunesse via les illustrés, sant de 72% de lecteurs en 1989 à
la bande dessinée est aujourd’hui 57% en 2008, selon l’enquête sur les
encore proposée aux jeunes et en pratiques culturelles des ­Français, et
­particulier aux adolescents. Elle même à 47% selon l’enquête ­menée
est globalement perçue par les en 2011 par la BPI27.
adultes comme une offre de ­lecture

L J Essais - études – enquêtes 27


Source : S.OCTOBRE, C.DÉTREZ, P.MERCKLÉ, N.BERTHOMIER, L’Enfance des loisirs. Trajectoires communes et
­parcours individuels de la fin de l’enfance à la grande adolescence, ministère de la Culture et de la Communication-­
La Documentation française, 2010.

Outre le plaisir de lecture qu’elle pro- féminin. La catégorie éditoriale


cure, la bande dessinée donne lieu des romans pour adolescents s’est
à des échanges entre pairs et nour- considérablement développée au
rit des pratiques de sociabilité qui cours des dernières années. On y
sont particulièrement ­ importantes retrouve la division mise au jour
à l’adolescence. L’étude de Christine par Pierre Bourdieu entre un pôle
Détrez et Olivier Vanhée a montré de grande production et un pôle de
pour les lecteurs de mangas le rôle production restreinte. Le premier,
essentiel joué par ces discussions visant un large lectorat, mise sur les
et ces circulations  : le manga fonc- ficelles bien connues du succès, du
tionne comme une « ressource dans suspense à l’attractivité de la cou-
les interactions »28. verture en passant par la sérialité,
Les médiathèques engagées en direc- la publicité et la starification des
tion des adolescents investissent à auteurs. Le second pôle est consti-
la fois dans la bande d ­ essinée fran- tué d’éditeurs et de collections aux
co-belge, dans les comics et dans le visées éducatives et culturelles,
manga. Elles mènent souvent des publiant des ouvrages souvent plus
réflexions sur les catégorisations et austères mais perçus par les pres-
les moyens de séparer ou d’identi- cripteurs comme plus intéressants,
fier les ouvrages conçus pour les par leur thématique et le traitement
adultes. Par cet investissement, qu’ils en font, mais aussi par leur
elles visent des objectifs multiples écriture et leur originalité. Les ou-
qui seront analysés dans le pro- vrages du premier pôle connaissent
chain chapitre. en bibliothèque comme ailleurs un
succès assuré, ne nécessitant guère
Des romans pour adolescents de médiations spécifiques, tandis
Les publications destinées aux ado- que les romans relevant du second
lescents sont aussi, pour une autre pôle sont moins spontanément
partie d’entre elles, des romans, empruntés et impliquent par consé-
également très présents dans les quent des conseils et une parole
bibliothèques, avec un lectorat plus d’accompagnement.

L J Essais - études – enquêtes 28


Étiquetage des mangas et explicitation du principe de classification, dans une bibliothèque de quartier d’Angers
(Source photo : auteure)

Les bibliothèques articulent le plus maquettes – qui faisait décrier les


souvent les deux types d’ouvrages, anciennes couvertures typogra-
avec toutefois des pondérations phiques de L’École des loisirs dont
différentes d’un lieu à l’autre. Les l’austérité apparaissait souvent
romans étiquetés Young adult ont rédhi­bitoire, a fortiori par contraste
connu ces dernières années une avec le reste de la production. Ils
expansion qui transparaît dans les notent aussi le caractère indis-
fonds des établissements engagés pensable des médiations directes,
en direction des adolescents. De appuyées sur la lecture des ou-
­
manière générale, les bibliothé- vrages et le discours, pour susciter
caires de ces structures ­soulignent l’appétence pour les ouvrages du
l’importance des visuels et des
­ second pôle.

L J Essais - études – enquêtes 29


Une palette de jeux vidéo forme réglée du tournoi. L’offre est
Les collections pour adolescents in- alors accompagnée de médiations
cluent donc toujours des livres, mais qui permettent de ne pas en rester
elles comportent aussi d’autres à la facilité des jeux les plus acces-
médias, considérés comme essen- sibles et les plus connus29.
tiels pour toucher les adolescents
dans leur diversité, y compris les Des jeux de société au cœur des
non-lecteurs. Jeux, jeux vidéo et médiations
autres produits de la culture numé- Le jeu de société, quant à lui,
rique, ­notamment applications sur perdure dans les médiathèques
­
tablettes, sont le symbole de cet
­ engagées dans l’accueil des ado-
élargissement au-delà du livre. Les lescents, y compris dans celles
établissements les plus modernes qui misent sur le jeu vidéo. Il fait
ont ainsi fréquemment investi l’objet de prêts, sur le modèle des
dans ces supports et communiqué ludothèques, au même titre qu’un
sur leur mise en place. C’est par document imprimé ou multimédia.
exemple un des éléments que la bi- Il donne lieu à des animations, qui
bliothèque Václav Havel, dans le 18e constituent des moyens de le faire
arrondissement parisien, a placé au découvrir, donc une manière de va-
cœur de son projet d’établissement, loriser les collections, mais surtout
non seulement comme appât, per- un outil éducatif. Le jeu devient alors
mettant d’attirer des publics divers, le support de sociabilités ­encadrées,
mais comme outil éducatif à part et, partant, d’une socialisation visant
entière, faisant l’objet de politiques un «  vivre-ensemble  » serein. Des
d’acquisition et de médiation spéci- établissements de quartier orga-
­
fiques, et bénéficiant d’un référent nisent dans cette p ­ erspective des
dédié dès la préfiguration de l’éta- tournois programmés, des ateliers
blissement. jeux réguliers et/ou des séances
Le jeu vidéo comprend en effet de jeu improvisées. Le jeu est alors
une palette diverse de produits, parfois mobilisé pour les savoirs
des jeux de sports, en général plé- qu’il est susceptible de transmettre.
biscités par un grand nombre de Non contents d’utiliser dans cette
jeunes adolescents, à des produc- optique des jeux proposés dans
tions plus élaborées, reposant sur le commerce, des bibliothécaires
des structures narratives plus ou d’un établissement de proximité
moins complexes, des savoirs mul- de Montpellier vont jusqu’à créer
tiples et des préoccupations esthé- leurs propres plateaux de jeu,
tiques en matière d’image et de son qu’ils ajustent aux programmes
qui en font des produits culturels au scolaires de manière à les utiliser
­
même titre que les autres. On re- par exemple dans le cadre de parte-
trouve ainsi d’une certaine manière nariats avec les collèges. Loin d’être
la division déjà mise en évidence un outil de divertissement opposé
pour la littérature. Les productions aux savoirs scolaires, le jeu devient
du second type sont susceptibles alors un moyen d’acquisition de ces
d’être utilisées pour les savoirs derniers. Il permet d’accompagner
qu’elles participent à transmettre les jeunes dans ces apprentissages
et surtout pour les cheminements en les rendant plus ludiques, mais
qu’elles supposent pour naviguer sans perdre de vue l’objectif sco-
dans leurs univers et, pour certaines laire30. Cet exemple est significatif
d’entre elles, pour les collaborations d’un dépassement de l’opposition
qu’elles rendent possibles. Le jeu qui ­ associerait le livre au monde
vidéo devient alors un support édu- scolaire et aux savoirs, et les autres
catif, notamment dans ses formes supports à une pure culture de di-
collaboratives, mais aussi dans la vertissement.

L J Essais - études – enquêtes 30


Des supports diversifiés qui distingue un pôle jeunesse, un
Plus largement, les bibliothèques en- pôle imprimés adultes et un pôle
gagées en direction des a ­ dolescents musique et/ou multimédia fait en
investissent différents ­médiums. ­effet courir le risque que les ques-
Les discothécaires de Montreuil tions touchant aux adolescents ne
interviennent ainsi dans des cours soient véritablement la préoccupa-
­d’histoire en collège avec des res- tion de personnes. Les uns et les
sources tirées des collections, de autres ont déjà beaucoup à faire par
manière à faire découvrir des genres ailleurs. Les sections jeunesse, dont
et des artistes, mais aussi des pans les adolescents pourraient relever a
de l’histoire sociale et politique, priori en l’absence de secteur identi-
par exemple celle des p ­ opulations fié plus spécifiquement, concentrent
noires aux États-Unis. La musique surtout leurs efforts sur l’enfance,
est alors le médium qui donne et, de manière plus récente, sur la
chair à des cours susceptibles d’être petite enfance, convaincues qu’elles
perçus par certains élèves comme sont de l’importance d’une socialisa-
­abstraits, et qui relie la culture sco- tion précoce au livre32. L’existence
laire à la culture jeune et le savoir à d’un référent adolescents assure
l’expérience. au contraire la prise en charge sys-
Au-delà du livre et des productions tématique de la réflexion sur ce
éditoriales destinées aux adoles- public  ; elle permet la coordination
cents, les médiathèques engagées des différents acteurs à l’intérieur
en direction de ce public misent même de la bibliothèque, l’orga-
ainsi sur la diversité des supports. nisation d’actions concertées et le
Si elles s’ouvrent volontiers à la ­développement de partenariats.
culture jeune moderne, symbolisée Au-delà de ces postes d’encadre-
par le manga et le jeu vidéo, elles ment, la volonté de mieux accueillir
l’utilisent de manière à poursuivre les adolescents a souvent conduit
les buts qui sont les leurs, à savoir les directions des établissements
attirer mais surtout transmettre de l’enquête à recruter des profes-
des savoirs et des savoir-être, c’est- sionnels spécifiques pour assurer
à-dire former. Par ailleurs, elles ne la médiation. Un des objectifs est
s’y cantonnent pas, n’hésitant pas de faire entrer dans les équipes
à mêler les s­upports, à utiliser les des compétences techniques liées
plus traditionnels voire à créer les aux technologies
­ numériques,
leurs propres par une forme de bra- ainsi qu’une expertise dans cer-
connage qui permet l’invention du tains d
­ omaines de la culture jeune,
­quotidien en bibliothèque31. comme le jeu vidéo ou la musique.
L’enjeu est alors à la fois pratique,
DES RESSOURCES HUMAINES lié à la gestion quotidienne des
ADÉQUATES outils et à la conduite d’une poli-
Des personnels dédiés tique documen­taire efficace dans
Les politiques en direction des ado- ces secteurs, et symbolique, dans
lescents se traduisent aussi à ­travers la mesure où il s’agit aussi de mon-
le personnel, les compétences, et trer l’appropriation de ces savoirs
l’organisation du travail. Certains et de ces savoir-faire par les biblio-
établissements ont nommé un « ré- thécaires, et ainsi, de contribuer à
férent ados  », qui matérialise dans renouveler l’image de l’institution.
l’organigramme, donc sur le plan Une autre piste consiste à recru-
symbolique autant que dans l’orga- ter des personnels susceptibles de
nisation concrète, une volonté de porter une autre vision des jeunes,
réfléchir spécifiquement à l’accueil de la médiation et du métier, du
de ce public et de mettre en place fait de leurs profils atypiques. Cer-
des actions dans sa direction. taines bibliothèques intègrent ainsi
L’organisation classique des équipes dans leurs équipes des chargés

L J Essais - études – enquêtes 31


de ­ médiation aux caractéristiques Dans tous les cas, il s’agit de s’ap-
sociales plus proches de celles des puyer sur d’autres manières de voir
jeunes visés, et notamment : et sur des trajectoires dont la non-
• plus jeunes (mais aussi plus linéarité participe à la richesse.
proches de la culture jeune),
• plus masculins (de manière à sor- Une importance accordée à la
tir du modèle de la bibliothèque formation
comme espace littéraire, à y faire En dehors de ces recrutements
entrer la technique et la science spécifiques, les bibliothèques par-
et, surtout, à faciliter l’identifi- ticulièrement investies en direction
cation des jeunes garçons, mais des adolescents ont aussi à cœur,
­aussi la construction du genre), en général, de former leurs person-
• d’origine plus populaire (à une nels. Les stages organisés par les
époque où le recrutement social associations spécialisées comme
des agents des bibliothèques tend Lecture jeunesse, jouent un rôle
à s’élever). d’autant plus important qu’ils sup-
Un certain nombre d’établisse- pléent à une formation initiale et
ments font par ailleurs appel à des même continue assez peu dévelop-
personnels dotés d’une expérience pée sur les questions touchant à ce
professionnelle dans un tout autre public spécifique.
domaine, qui les conduit à considé- Ainsi la requête «  adolescents  »
rer le métier autrement que ceux dans le catalogue de formation des
qui l’ont toujours exercé, mais aussi Centres régionaux de formation
à faire entrer de nouvelles pratiques aux carrières des bibliothèques
dans les équipes. ne donne que 4 résultats, dont
Une bibliothèque de quartier de deux correspondent à une forma-
Poitiers compte ainsi dans son
­ tion sur deux jours proposée en
équipe une ancienne animatrice qui Aquitaine par une formatrice de
­
vient remettre en cause la fréquente Lecture ­jeunesse, autour de projets
division du travail entre bibliothé- de médiation entre CDI et biblio-
caires et animateurs, en important thèques (ce sont aussi les deux
dans la bibliothèque des pratiques journées qui émergent à partir de
professionnelles orientées vers le la requête «  ados  », la troisième
jeu, mais surtout vers l’improvisa- offre correspondant à un DU géné-
tion : l’objectif est moins de mettre raliste «  jeunesse  », allant des tout
en place des actions culturelles petits aux adolescents, la dernière
formalisées autour du jeu que offre concernant en fait l’usage des
d’observer et de formuler des pro- réseaux sociaux, et non spécifique-
positions ajustées au contexte, par ment les adolescents). La requête
exemple de proposer des activités par le mot clé « adolescence » ­permet
ludiques à des jeunes désœuvrés… d’identifier en outre une ­formation
Dans une bibliothèque de quar- sur les littératures de l’imaginaire,
tier de Montreuil, un bibliothécaire proposée par BibliAuvergne.
issu de la médiation du patrimoine L’offre de formation de Lecture
archéologique conduit divers ate- ­jeunesse comble donc un manque
liers avec les jeunes, dans lesquels important en couvrant des do-
la dimension ludique sert la trans- maines aussi variés que la connais-
mission de savoirs scientifiques en sance des publics et des productions
même temps que l’apprentissage qui leur sont destinées, et l’analyse
du « vivre ensemble ». D’autres éta- des diverses formes de médiations
blissements de l’enquête n’ont pas qu’il est possible de mettre en
hésité à recruter même des profils œuvre, et de compétences utiles
plus éloignés, par exemple des per- pour développer des politiques en
sonnes en reconversion après avoir direction de ces publics33. Les biblio-
occupé des emplois dans le privé. thèques engagées dans l’accueil

L J Essais - études – enquêtes 32


Des exemples de stages proposés par l’association Lecture Jeunesse.

L J Essais - études – enquêtes 33


des a ­dolescents qui ont constitué Montpellier, c’est en particulier une
le terrain de cette enquête ont eu ­personne chargée du numérique et
recours plus ou moins massivement du jeu. Cette division du travail per-
à ces stages, parfois en formant met de ne pas faire reposer sur une
l’ensemble de leurs équipes, et en seule personne une tâche lourde
utilisant en particulier la possibilité et poten­ tiellement épuisante,
de formations sur le terrain ajustées mais aussi d’investir les différents
aux contextes locaux et aux besoins ­supports.
spécifiques de l’établissement. De manière plus générale, et en par-
ticulier dans les établissements où
l’accueil des adolescents pose pro-
L’accueil des adolescents blème, on observe des réflexions
collectives sur l’accueil des adoles-
repose sur l’engagement cents et une mobilisation de l’en-
général des équipes semble des équipes, de manière à
éviter l’écueil déjà évoqué consis-
tant à reléguer cette catégorie de
Un travail d’équipe public dans l’entre-deux et dans
C’est que, au-delà de l’existence l’impensé. La concertation permet
d’un « référent adolescents » ou de la diffusion de savoirs et de savoir-
personnes aux compétences spé- faire, mais aussi d’informations
cifiques, l’accueil des adolescents factuelles, portant à la fois sur les
repose sur l’engagement géné-
­ dispositifs et les partenariats et sur
ral des équipes. L’enquête a fait les jeunes ­eux-mêmes. Elle permet
apparaître de manière très nette aussi une mutualisation des idées et
cet investissement collectif. Signifi­ des forces, qui favorise l’émergence
cativement, la demande initiale de projets en même temps que l’in-
de ­rencontrer les personnes char- novation et l’engagement.
gées de concevoir ou de mettre en
œuvre les politiques en direction Des bibliothécaires soudés
des adolescents a abouti à ­mener La concertation permet enfin d’enga-
des ­ entretiens multiples dans ger une réflexion sur les normes et
chaque établissement, parfois d’y les manières de les faire appliquer.
rencontrer jusqu’à quatre ou cinq La réglementation et son application
personnes  : chef d’établissement, constituent en effet de fréquentes
référent adolescent, responsable du occasions de friction entre des
pôle jeunesse, chargés de mission, jeunes dont la construction identi-
mais surtout chargés de médiation. taire passe, en partie, par la contes-
En particulier dans les établisse- tation, et des personnels désireux
ments où la gestion des publics de permettre la cohabitation des
adolescents est problématique, usagers ou de maintenir l’ordre,
leur accueil est l’affaire de tous. Il avec des degrés de tolérance
concerne d’abord différents acteurs variables. Les règles sont, entre
par un effet de division du travail en autres, des ­ interdictions visant à
spécialités et missions. Qu’ils soient préserver la propreté et le silence.
chargés des collections imprimées, Elles contribuent à donner de la
de la musique ou du multimédia, bibliothèque une image austère et,
les personnels des bibliothèques par leur nature même d’interdic-
peuvent être impliqués dans des tion, suscitent des tentatives de les
dispositifs de médiation visant les braver, et donc des rappels à l’ordre
adolescents et incluant parfois des qui peuvent tourner au conflit.
partenariats institutionnels. Ainsi Les établissements qui y sont le
à Montreuil, ce sont des disco- plus ­confrontés et dans lesquels
thécaires qui interviennent dans le maintien de l’ordre est un enjeu
des classes de c­ollège, tandis qu’à sont ­ souvent ceux qui ont déjà

L J Essais - études – enquêtes 34


­ ngagé une réflexion sur les règles.
e blissement. Une telle organisation
L’objectif est de faire respecter cer- qui dépasse les questions de grades
tains principes, considérés comme et de spécialités, n’est bien sûr pos-
essentiels au bon fonctionnement
­ sible que grâce à un engagement de
de ­ l’institution, mais d’abord de tous mais surtout à une réflexion
modifier leur ­perception en en collective sur les enjeux de l’accueil
montrant la nécessité, mais aussi des adolescents et sur l’identité
en les présentant de manière moins professionnelle des personnels de
abrupte et plus positive. Un parti pris bibliothèque.
consiste par exemple à ­souligner les
possibles plus que les interdits («  il
est possible de ­ téléphoner dans L’impossibilité d’identifier
tel espace de la bibliothèque  »).
Certains établissements ont misé un modèle généralisable
sur un ­affichage des règles, ne
­serait-ce que sous la forme de picto-
grammes, de manière qu’il soit plus Ainsi, les politiques des b
­ ibliothèques
facile de les rappeler. Les bibliothé- en direction des a ­ dolescents, quand
caires rencontrés insistent enfin elles existent, se t­raduisent dans les
sur la nécessité d’établir des seuils collections, les espaces, les média-
de tolérance communs et d’harmo- tions, l’organisation du travail et
niser les manières d’appliquer les la manière même de concevoir le
règles. Les divergences au sein des métier. C’est ce qui les rend difficiles
équipes dans leur application plus à appréhender de manière isolée.
ou moins souple prêtent en effet à Elles manifestent des choix divers,
des contestations et à des tentatives liés à des partis pris et plus encore
de négociations qui engendrent de à la nécessité d’une adaptation au
fortes déperditions d’énergie. contexte local et à chaque espace
Faire corps et se serrer les coudes, des possibles. Par leur pluralité,
c’est aussi se soutenir mutuelle- elles témoignent de l’impossibilité
ment et, le cas échéant, intervenir d’identifier un modèle générali-
en appui à un collègue. Certaines sable. Mais elles ont en commun de
bibliothèques sont ainsi organisées répondre à des enjeux multiples
de façon à éviter l’isolement des per- et simultanés, et d’impliquer une
sonnels en service public et à leur réflexion d’ensemble. Elles abou-
permettre de pouvoir appeler un tissent parfois à décloisonner les
collègue en renfort en cas de situa- espaces, mais tendent plus globa-
tion de tension. D’autres ­procèdent lement à favoriser les passerelles et
à des roulements systématiques sur les collaborations au-delà de tous
certains postes de travail de manière les clivages :
à favoriser l’implication collective et • entre supports (imprimés vs. vidéos,
à ne pas faire reposer sur une seule multimédia  ; culture ­livresque vs.
personne des tâches particulière- culture jeune),
ment coûteuses en énergie. Ainsi • entre visées (notamment loisir vs.
l’organisation d’une bibliothèque de scolaire, socialisation vs. trans-
quartier à Montpellier conduit à ce mission de savoirs, etc.),
que tous les membres de l’équipe, • et surtout, entre corps de métier
par binômes, se succèdent pour et spécialités (bibliothécaire vs.
assurer l’accueil à l’entrée de l’éta- animateur) et au sein des équipes.

L J Essais - études – enquêtes 35


LES ENJEUX PLURIELS DES
L’ENQUÊTE
POLITIQUES D’ACCUEIL
Les politiques d’accueil des adolescents en bibliothèques tiennent une
partie de leur complexité des enjeux multiples qu’elles s’efforcent de
tenir ensemble. Il s’agit d’abord d’enjeux symboliques, liés à l’image de
l’institution. Comment modifier la perception qu’ont les adolescents
des bibliothèques ? Comment en même temps respecter l’image de
l’institution qu’ont d’autres catégories de publics et les ­professionnels
eux-mêmes ? Comment enfin donner l’image d’une bibliothèque
­soucieuse du public adolescent ? Au-delà du symbolique, les enjeux
sont aussi politiques au sens d’une vision des missions de l’État et de
ses services. Mais là encore, les objectifs sont plus ou moins clairs et
souvent entremêlés, du court au long terme, de l’animation à l’édu-
cation et à la transmission de savoirs, du travail pour des individus
singuliers (une partie – à définir – du collectif) au service de tous les
publics, dans leur diversité ou dans ce qui les rapproche.

ATTIRER sociabilités. Ils prennent appui sur


Pour attirer à la bibliothèque des différentes formes de culture, non
jeunes qui ne la fréquentent pas, exclusivement livresques, et font
les établissements engagés dans une place particulière à la « culture
cet objectif cherchent à modifier jeune », de la bande dessinée au
l’image que ceux-ci peuvent avoir jeu vidéo en passant par le hip-hop.
du lieu. Cela passe soit par des Les usages ordinaires, les modalités
actions de communication soit par de fonctionnement habituelles et
des dispositifs d’accueil tournés en les normes qui valent au quotidien
particulier vers des publics captifs. sont provisoirement mis de côté :
Ces deux modes d’action se situent la bibliothèque devient un espace
sur des plans différents et dans des accueillant tournoi de jeu vidéo,
temporalités distinctes : le premier Cluedo géant, concert ou spectacle ;
joue sur la communication pour les espaces sont chamboulés, les
modifier l’image a priori et susciter horaires modifiés, la parole à haute
la décision de visite, tandis que le voix et les rires autorisés. Un impor-
second passe par une expérience tant travail d’organisation s’ajoute à
satisfaisante que l’usager est censé des coûts budgétaires souvent élevés.
désirer prolonger. Tel établissement organise ­ ainsi
le samedi après-midi des tournois
Créer de l’extraordinaire de jeux, tandis que d’autres vont
Dans la première optique s’ins- jusqu’à proposer ponctuellement
crivent d’une part l’organisation une « Nuit des ados », ou encore
d’événements, d’autre part des réor- une « scène ouverte » permettant
ganisations partielles des espaces ou à des jeunes de se produire, pour
des modalités de fonctionnement, danser, chanter ou jouer.
qui donnent lieu aussi à un plan de
communication. Les événements De l’événement à l’habitude ?
participent à faire de la bibliothèque On retrouve parmi ces exemples la
un lieu vivant, où l’on peut faire autre logique événementielle qui domine
chose qu’emprunter des livres et aujourd’hui le monde de la culture :
travailler, c’est-à-dire un lieu cultu- l’événement est vu comme un
rel permettant diverses formes de ­potentiel facteur déclencheur de la

L J Essais - études – enquêtes 36


décision de visite dans une institu- « débutants ou virtuoses »35. Pour
tion culturelle qui cherche à accroître ouverte qu’elle soit, la scène n’en est
sa fréquentation. En permettant le pas moins canalisée par l’inscription
(parfois premier) franchissement préalable.
du seuil de l’établissement, il est Certaines bibliothèques mettent
censé faciliter les suivants : encou- en avant l’expression graphique
rager à revenir, susciter la curiosité, ou photographique des jeunes.
­montrer surtout que le lieu n’est pas Elles exposent par exemple des
aussi austère qu’on l’avait imaginé, planches, des collages ou des ­tirages
dépasser son caractère intimidant. photographiques réalisés par des
­
On vient à cette occasion en groupe ­adolescents dans le cadre ­d’ateliers
de pairs pour cette manifestation ou de projets de plus ou moins
extraordinaire, on pourra revenir grande ampleur, ou encore propo-
seul à d’autres occasions, en dehors sés et sélectionnés à l’occasion de
de ce contexte festif. Ce passage de concours organisés par l’institution.
la venue collective à la fréquenta- La logique est similaire à celle des
tion individuelle et de l’événement scènes ouvertes : les jeunes sont
extraordinaire aux usages ordi-
­ amenés à produire eux-mêmes des
naires n’a bien sûr rien d’évident, œuvres ; l’institution les diffuse ;
dans la mesure où c’est précisé- elle leur accorde ainsi sa reconnais-
ment la rupture avec l’ordinaire qui sance et leur permet de les faire voir
a fondé l’attractivité du lieu. Mais à d’autres (les proches ou les pairs)
l’événement peut jouer un rôle d’ini- pendant le temps de l’exposition.
tiation et de désinhibition, qui est L’expression s’ancre parfois dans le
sans doute un des éléments clés du bâtiment de manière plus durable
passage du statut d’habitant à celui dans le cas d’œuvres murales. Des
d’usager34. établissements organisent par
exemple un stage d’été aboutissant
PERMETTRE L’APPROPRIATION à la réalisation d’une fresque déco-
SYMBOLIQUE DU LIEU rant le hall d’accueil ou une cour
Certains dispositifs sont destinés intérieure, c’est-à-dire à une produc-
à favoriser l’appropriation symbo- tion non seulement rendue visible
lique du lieu. Ils ouvrent des espaces (à la manière des travaux exposés)
d’expression et de créativité qui mais engageant la bibliothèque elle-
donnent une marge d’action et même, et marquant donc une forme
mettent les jeunes en position de de confiance particulière. Le rapport
producteurs, et pas seulement de au lieu est susceptible d’être modi-
consommateurs. fié par cette appropriation, à la fois
pour les jeunes ayant pris part à la
La scène ouverte et autres disposi- réalisation et pour les autres, qui
tifs d’expression peuvent y reconnaître l’œuvre de
L’exemple de la scène ouverte leurs pairs.
est significatif de ce changement
de posture : il s’agit de permettre Le partage de compétences
à des adolescents de présenter D’autres bibliothèques proposent
leur propre performance, notam- à des jeunes d’être acteurs en
ment chorégraphique ou musicale, transmettant à des tiers des
comme des artistes intervenants. compétences particulières qu’ils
­
La bibliothèque Robert Desnos de ont développées. La présence de
Montreuil a organisé par exemple jeunes passionnés de dessin suscite
une après-midi de découverte de ainsi l’intérêt de b
­ ibliothécaires qui
l’accordéon qui faisait se succéder proposent d’organiser un atelier de
une conférence nourrie d’exemples, dessin de ­mangas dans lesquels les
et une scène ouverte, sur inscription, jeunes dessinateurs peuvent initier
aux accordéonistes m ­ontreuillois et ­guider leurs pairs. Le ­dispositif

L J Essais - études – enquêtes 37


prend ainsi acte d’une pratique ­ eilleure adaptation aux besoins de
m
culturelle observée et est élaboré ceux-ci, que les décideurs, réputés
avec les jeunes eux-mêmes, selon éloignés, sont censés mal connaître
leurs possibilités, leurs envies et ou mal traduire. De la consultation
leurs idées, mais aussi à partir de (via des débats publics ou des focus
leur expertise, qui dépasse dans groups) à la décision (vote sur l’uti-
le domaine celle des personnels lisation d’un budget participatif), les
de la bibliothèque. Il procure donc modalités d’implication des usagers
une reconnaissance en même sont diverses et le périmètre d’ac-
temps qu’il permet un partage de tion variable. Certaines formes de
connaissances et de compétences, participation sont essentiellement
entre jeunes, et entre jeunes et bi- symboliques : elles ne concernent
bliothécaires, dans une logique de pas les décisions majeures mais
­réciprocité. donnent l’impression satisfaisante
Selon le même principe, des dis- d’avoir voix au chapitre. D’autres
positifs impliquent des jeunes conduisent à une réappropriation
dans les politiques d’acquisition de du collectif et du politique. De la
domaines spécifiques comme le même manière, les dispositifs par-
manga : ils manifestent une recon- ticipatifs impliquant les adolescents
naissance de leur expertise dans peuvent être surtout symboliques
des genres qu’ils ont investis et ex- (d’aucuns diraient démagogiques),
plorés36 de manière approfondie, et ce qui ne signifie pas qu’ils sont sans
utilisent cette expertise au service effet sur l’image du lieu, tandis que
de l’établissement pour construire d’autres accompagnent un change-
des collections pertinentes. Surtout, ment de posture et des actions au
ils visent à modifier le rapport des long cours.
jeunes concernés à la bibliothèque,
en rompant avec l’habituelle ver- DONNER UNE IMAGE DE MODERNITÉ
ticalité, en les plaçant en position Rompre avec une représentation
de sachant, et en les poussant ainsi traditionnelle
à approfondir leur savoir et leurs Cibler les adolescents, c’est souvent
­capacités d’argumentation. chercher à construire une image de
On retrouve ici une logique qui modernité, en misant sur la culture
anime toute une partie des péda- jeune et sur de nouveaux outils,
gogies actives, dans lesquelles mais aussi en affichant une rupture
l’appropriation des savoirs passe
­ avec le passé. Au-delà des adoles-
par la pratique et la reconnaissance, cents, cette quête de modernité
et rompt avec la verticalité maître/ est un défi constant pour une insti-
élève – ce qui fonctionne d’autant tution qui cherche à se démarquer
mieux que le maître est lui-même des bibliothèques de conservation
ignorant du domaine et mis dans et d’étude, en même temps qu’à
la position d’accoucher les savoirs, rompre avec la quadruple image
d’aider à leur découverte, plus que qui, par un effet d’inertie et de mé-
de les transmettre, selon le modèle connaissance, lui est encore trop
décrit par Jacques Rancière37. souvent associée :
• celle d’un lieu livresque, étranger
Une logique participative aux autres supports culturels,
Ces dispositifs ne sont pas étran- • celle d’un lieu tourné vers le passé,
gers par ailleurs aux logiques fermé aux productions contem-
­participatives qui se développent au poraines, où l’on ne trouve pas ce
sein de l’action publique : la démo- qui vient de sortir,
cratie directe et la proximité doivent • celle d’un lieu de culture légitime,
permettre une réappropriation dont l’offre est considérée comme
de leurs espaces de vie et de leurs trop ardue ou trop ­austère par une
institutions par les usagers, et une partie de ses publics ­ potentiels,

L J Essais - études – enquêtes 38


ou plutôt de ses non-publics, et l’analyse d’ouvrages du même
• celle enfin d’un lieu d’étude, type et d’une documentation dans
­associé au silence et à l’effort, plus laquelle puiser inspiration et infor-
qu’aux sociabilités et au plaisir. mation. Un tel usage du livre, central
C’est la même perspective qui dans l’écriture de bien des auteurs
pousse les bibliothèques à investir et au cœur des pratiques dans les
massivement dans le numérique, à bibliothèques d’étude, implique un
mettre en avant de manière systé- pas de côté par rapport à la posture
matique les nouveautés38, à donner habituellement prêtée aux usagers
une place relativement importante en lecture publique, qui est une pos-
à la bande dessinée ou au polar39, ture de « consommateur » plus que
ou encore à proposer des anima- de producteur : il ne s’agit plus de
tions de plus en plus diversifiées. lire pour apprécier et/ou admirer,
Une bibliothèque de quartier de mais pour faire usage de sa lecture,
Montreuil mise ainsi sur l’expéri- et notamment pour produire à par-
mentation pour la transmission tir d’elle.
d’une culture scientifique : des ate-
liers permettent d’initier à certains Des sociabilités autour du livre
phénomènes physiques ou biolo- D’autres dispositifs plus classiques
giques, et partant, de rompre avec existent, qui continuent à placer la
l’association des bibliothèques au littérature au centre de leur action
monde littéraire. et à viser avant tout à « donner le
La valorisation de la culture jeune, goût de lire »40. Ils s’inscrivent dans
du manga au hip-hop et au jeu une certaine conception de la lec-
­vidéo, s’inscrit dans cette optique. ture qui domine à la fois l’institution
Il s’agit de montrer aux adolescents scolaire et le monde de la lecture
que la bibliothèque est désormais publique et où l’objectif est de faire
une « médiathèque », ouverte à lire
d’autres supports, et qu’elle intègre • de la littérature, et particulière-
pleinement la culture d’aujourd’hui ment des fictions,
et en particulier la culture qu’ils • dans une optique désintéressée,
­apprécient ou dont ils sont familiers. c’est-à-dire pour le seul plaisir de
On a déjà évoqué plus haut le rôle lire41.
joué à cet égard par la bande dessi- Des clubs lecture existent dans
née. Certains genres romanesques certains établissements. Ils per-
symbolisent aussi cette culture, en mettent de réunir un petit nombre
particulier les romans Young adult, de jeunes, qui, de fait, sont majori-
la fantasy et la bit-lit. tairement des filles, déjà lectrices,
voire passionnées de lecture. Celles-
Des dispositifs qui renouvellent la ci trouvent dans cette sociabilité un
place du livre moyen de nourrir et de partager leur
Les dispositifs spécifiques mis en passion, d’élargir leurs horizons, et
place en direction des adolescents, de développer une activité extra­
notamment dans le cadre de parte- scolaire qui valorise leur expérience
nariats, accordent au livre une place et leur ­expertise. Si elle n’a pas
secondaire mais néanmoins réelle. ­nécessairement d’effet sur leur réus-
Dans un certain nombre de cas, le site scolaire42, cette activité participe
livre est utilisé non comme un but à leur développement ­personnel à
en soi (présupposant un plaisir de la manière des groupes de lectrices
la lecture et une posture désinté- étudiés par Viviane Albenga43. Le
ressée), mais plutôt comme un outil club entretient la pratique parce
(mobilisé au service d’une recherche qu’il procure à la fois des livres à lire
propre et/ou d’une création). Par (évitant donc le sentiment d’inca-
exemple, un projet de réalisation pacité à trouver quelque chose de
d’un carnet de voyage ou d’un livre bon à lire) et un marché pour parler
de cuisine passe par la consultation de ses lectures (or, affirmait Pierre

L J Essais - études – enquêtes 39


Bourdieu, « il est probable qu’on lit profils moins conformes, c’est-à-
quand on a un marché sur lequel on dire différents de ceux des usagers
peut placer des discours concernant classiques qui utilisent la biblio-
les l­ectures. »44). thèque pour y faire des recherches
Les prix littéraires impliquant des ou s’approvisionner en livres. Ainsi,
adolescents s’inscrivent dans la à la bibliothèque des Champs libres
même démarche. Ils réduisent de Rennes, le jeu vidéo a été mis
­encore l’espace du choix des livres au centre du projet de MeZZanine.
à lire et permettent une valorisation De fait, il participe à faire venir à la
de soi et de ses compétences lecto- bibliothèque de jeunes collégiens
rales dans les échanges qui ont lieu que le projet cherchait à attirer. De
autour de la sélection, et dans l’inté- la même manière, ce support a été
gration à un jury qui met en position intégré dès la préfiguration de la bi-
de juge de la valeur littéraire45. À bliothèque Václav Havel dans le 18e
cet égard l’implication d’un groupe arrondissement de Paris, avec une
de jeunes dans la constitution des salle dédiée et des séances collec-
collections pour adolescents, telle tives de jeu. Il a en effet contribué à
qu’elle est pratiquée dans une élargir les publics.
bibliothèque de Montreuil, joue Parce qu’il incarne une culture
un rôle semblable et valorise les ludique et moderne, le jeu vidéo
jeunes à leurs propres yeux, en est ainsi un outil symbolique fré-
même temps qu’elle manifeste une quemment utilisé, à plus ou moins
reconnaissance de l’institution à grande échelle, par les établisse-
leur égard. Il reste que ces disposi- ments orientés « adolescents »,
tifs suscitent plutôt la participation pour manifester cette orientation
d’adolescents qui fréquentaient (et, partant, la rupture avec un
déjà la bibliothèque, et, surtout, modèle plus traditionnel de biblio-
qui avaient déjà le goût de lire en thèque). Au-delà de cette présence
même temps qu’une pratique de symbolique, il est susceptible de
lecture régulière, à laquelle prix et faire l’objet d’investissements et de
club donnent un sens nouveau. Ils politiques variés. Contrairement à
mobilisent par ailleurs des filles plus ce que postule l’intitulé singulier et
que des garçons, et favorisent celles générique, « le jeu vidéo » recouvre
et ceux qui entretiennent avec l’ins- en effet une grande hétérogénéité
titution un rapport de proximité et de pratiques et même de formes,
de connivence, qui sont aussi d’ori- on l’a évoqué plus haut. Des diffé-
gine sociale plutôt favorisée (classes rences apparaissent dans les types
supérieures ou classes moyennes). de jeux p ­ roposés et dans les types
de médiations dont ils font l’objet.
DES JEUX VIDÉO INVESTIS DE
DIFFÉRENTES MISSIONS Le jeu vidéo, appât ou produit
Le jeu vidéo comme symbole culturel légitime
Bon nombre de bibliothèques inves- Deux politiques s’observent : cer-
ties dans l’accueil des adolescents tains établissements se contentent
choisissent, on l’a vu précédem- de proposer les jeux les plus de-
ment, de ne pas s’en tenir au livre mandés (sport, course automobile,
et de prendre appui sur d’autres combat, etc.) ; ils considèrent le jeu
supports. Ceux-ci sont vus parfois vidéo comme une forme de culture
comme des appâts, qui, via des dis- populaire qui n’invite pas particuliè-
positifs de communication adaptés rement à développer stratégie ou
et surtout le bouche-à-oreille, sont créativité, mais divertit et potentiel-
susceptibles d’attirer de nouveaux lement sert d’exutoire et d’appât.
publics, c’est-à-dire des individus qui D’autres l’envisagent au contraire
ne fréquentaient pas l’institution, ou non comme un objet à mettre en vi-
l’avaient désertée, mais surtout des trine mais comme un support à part

L J Essais - études – enquêtes 40


entière, faisant partie des collec- Elle suppose ensuite une mise
tions et nécessitant, à ce titre, une à disposition contrôlée, permet-
véritable politique documentaire, tant de limiter l’usage de supports
et donc un travail de veille et de très demandés, et donc d’éviter la
sélection, mais aussi de médiation. monopolisation par quelques-uns
­
Ce faisant, ils reviennent aux mis- (certains jeux sont ainsi seulement
sions fondamentales de la lecture disponibles pour un usage sur place
publique, fût-ce en sortant de la et pour une durée limitée).
lecture, et réinvestissent leur fonc- Surtout, pour que le jeu serve de
tion de passeurs, fût-ce via d’autres support de transmission de savoirs
supports. Ils visent alors à faire dé- et de valeurs, et d’éducation, esthé-
couvrir les qualités de certains jeux, tique et morale, il doit faire l’objet
sur le plan esthétique (graphisme et d’un accompagnement, qui sou-
son), narratologique (rythme, multi- vent passe par la pratique du jeu
plicité des cheminements possibles) lui-même. On voit ici l’importance
et poétique (création d’un univers, des compétences, donc de la for-
caractère décalé). Ils participent mation (sur un domaine d’expertise
ainsi à les faire reconnaître comme bien éloigné de la littérature, et sur
œuvres et donc, à travers ceux-ci, des savoir-faire professionnels où
à légitimer le genre dans son en- la bibliothéconomie est beaucoup
semble face à ses contempteurs, qui moins fondamentale que la média-
lui reprochent sa pauvreté (comme tion), mais aussi de la disponibilité
d’ailleurs à la culture populaire dans du personnel.
son ensemble) ou ses influences
néfastes (avec l’idée qu’il porterait MODIFIER LES REPRÉSENTATIONS
à accomplir dans la réalité les ac- DE LA BIBLIOTHÈQUE CHEZ LES
tions, notamment violentes, mises JEUNES
en scène dans la fiction46). Ils misent L’image du lieu : un enjeu essentiel
aussi sur les fonctions didactiques La complexité des politiques me-
de certains jeux (savoirs mobili- nées en direction des adolescents
sés et diffusés, personnages dotés tient à l’imbrication de différents
d’une profondeur psychologique), enjeux, parmi lesquels on peut dis-
et surtout sur leur valeur éducative tinguer des enjeux symboliques,
(invitant à développer des stratégies c’est-à-dire des enjeux d’image, et
ou des collaborations). des enjeux culturels et sociaux. Ces
deux types d’enjeux sont impor-
Les médiations d’un personnel tants : si les seconds, qui touchent
expert au fond, semblent a priori plus
Cela n’exclut pas qu’ils proposent cruciaux, la prise en compte des
aussi des jeux vidéo du premier type ­premiers est aussi nécessaire, dans
pour une première approche et un la mesure où la valeur symbolique
usage spontané, mais les bibliothé- a des effets propres, notamment
caires rencontrés lors de cette en- des conséquences sur les décisions
quête ont à cœur de mener, à partir (qu’il s’agisse, pour un jeune, de dé-
de là, à autre chose, et, ce faisant, de cider de venir à la bibliothèque, ou,
participer à former les jeunes qu’ils pour une collectivité, de choisir d’in-
accueillent. Une telle politique en vestir dans tel programme ou dans
matière de jeu vidéo réclame bien telle institution). Il reste qu’il im-
sûr une expertise dans le domaine, porte d’avoir présents à l’esprit ces
qui implique parfois des recrute- deux types d’enjeux, et, à l’intérieur
ments spécifiques (de personnes si de chacun de ces types, de considé-
ce n’est spécialistes, du moins inté- rer la pluralité d’objectifs qu’ils sont
ressées et initiées), et surtout un susceptibles de recouvrir.
travail de veille, au même titre que Les enjeux d’image, pour commen-
toute autre partie des ­collections. cer, sont eux-mêmes multiples et

L J Essais - études – enquêtes 41


engagent à des actions distinctes. sur les bibliothèques « troisième
Les politiques visant les adoles- lieu », etc.
cents cherchent d’abord à modifier Un autre moyen important de
la perception que ceux-ci peuvent modifier la perception, utilisé en
avoir de l’établissement, qu’ils le ­particulier pour toucher les adoles-
connaissent ou non. Il s’agit à cet cents, est l’expérimentation. Le but
égard de lutter contre une vision est non seulement de communiquer
stéréotypée de l’institution et contre sur l’établissement par des discours
une ­méconnaissance qui conduit à et des visuels, mais de conduire à
considérer qu’on n’y peut trouver sa découverte en pratique. Cette
satisfaction. La persistance d’une initiation implique bien sûr que les
certaine vision de l’institution qui personnes concernées franchissent
correspond à ce qu’elle était il y a le seuil de l’établissement. Une stra-
plusieurs décennies, et la mécon- tégie consiste à travailler avec des
naissance de ce qu’elle propose sont publics « captifs », c’est-à-dire des
deux phénomènes qui dépassent groupes constitués qui forment le
d’ailleurs largement les adoles- « public » d’une autre institution,
cents et qui apparaissent dans les école, association ou centre de loisir
enquêtes menées sur les publics et par exemple, pour leur faire expéri-
les non-publics des bibliothèques : menter la bibliothèque. Leur venue
certains ignorent ­l’existence même peut avoir comme objectif affiché la
de l’établissement ; d’autres, plus découverte de la structure : une vi-
nombreux, ne savent pas qu’elle site est prévue pour faire découvrir
propose autre chose que des livres, son fonctionnement et son offre,
et notamment des supports multi- de manière à en montrer la simpli-
médias et numériques, mais aussi cité d’utilisation et la richesse. Les
des animations ; un assez grand visites de classes, fréquentes pour
nombre la relègue en dehors de les enfants des écoles primaires,
l’espace des possibles, c’est-à-dire sont ainsi parfois également mises
qu’ils n’imaginent pas pouvoir y en œuvre pour les collégiens. On y
trouver plaisir ou profit et consi- reviendra dans le dernier chapitre.
dèrent qu’ils n’ont rien à y faire ou Cette stratégie d’image comporte
qu’ils ont mieux à faire que de s’y globalement quatre dimensions :
rendre. La vision de la bibliothèque • le travail sur les espaces, le mobi-
comme lieu livresque et studieux lier, les couleurs et tout ce qui
reste répandue, entretenue par le participe à créer une atmosphère
fait qu’elle est aussi cela, et par les confortable et séduisante : la
représentations qui en sont pro- bibliothèque doit pouvoir appa-
duites, notamment dans la fiction. raître comme un lieu où l’on se
sent bien et où l’on a envie de
De la communication à revenir ;
l’expérimentation • le travail sur l’accueil, qui montre
La communication externe est un aux jeunes qu’ils sont réellement
des outils utilisés pour tenter d’inflé- bienvenus, qu’ils ont le droit de se
chir cette vision : blog ou usage des tromper ou de ne pas savoir, qu’ils
réseaux sociaux pour évoquer la vie peuvent poser des questions et
de la bibliothèque (la bibliothèque obtenir des réponses bienveil-
parisienne Václav Havel s’attache lantes, qu’ils seront guidés s’ils en
ainsi à nourrir un blog régulier au manifestent le besoin ;
ton léger), vidéo de présentation • la mise en place de partenariats,
de l’établissement insistant sur qui permet de toucher ceux qui
sa diversité et son aspect accueil- considéraient a priori que la bi-
lant et ludique, communication bliothèque était sans intérêt ou
multi-support sur les événements
­ pas faite pour eux ;
organisés, reportages journalistiques • la communication externe sur

L J Essais - études – enquêtes 42


l’offre de la bibliothèque, notam- par retentissement. C’est en ce sens
ment ses animations, sur des que les partenariats, plus ou moins
médias susceptibles de toucher
­ institutionnalisés, sont ­essentiels.
les jeunes, ou de les toucher in- Le contrat ­ territoire-lecture en
directement via des personnes est une forme assez aboutie : il
relais. donne à la fois des moyens d’ac-
tion, des lieux ­ communs et des
MODIFIER LA PLACE DE LA BIBLIO- occasions d’échanges. L’exemple
THÈQUE DANS L’ESPACE PUBLIC de ­Caen-la-mer témoigne des pos-
Image et visibilité sibilités qu’il offre de réflexion
D’autre part et plus largement, les ­mutualisée autant que de partena-
établissements analysés travaillent à riats sur des projets divers47.
modifier la perception que peuvent
avoir de la bibliothèque les adultes La perception des bibliothèques
susceptibles d’influencer les ado- par leurs tutelles : un enjeu décisif
lescents, notamment les ­ familles Enfin, modifier l’image de la biblio-
et les prescripteurs, ainsi que ceux thèque, c’est aussi agir sur celle que
qui incarnent des i­nstitutions avec la tutelle est susceptible d’avoir de
lesquelles des partenariats peuvent l’institution qu’elle gère et finance.
se monter. L’enjeu est alors, comme Cette image est en effet décisive
pour les adolescents, de lutter dans la mesure où elle détermine
contre une représentation désuète • les choix politiques de la tutelle,
de la bibliothèque, en montrant • les moyens qu’elle alloue,
la large palette de documents et • les lignes directrices qu’elle donne,
d’animations qu’elle propose et • les projets qu’elle soutient,
dans laquelle chacun peut trou- • la communication, formelle et in-
ver un intérêt. Mais il s’agit plus formelle, qu’elle met en œuvre à
encore de construire la visibilité de propos de la bibliothèque (et ain-
l’institution elle-même de manière si, l’image qu’elle produit de cette
qu’elle figure dans l’espace des pos- dernière auprès du grand public
sibles, c’est-à-dire dans les discours et de ses divers collaborateurs).
et dans les possibilités d’action de Finançant les projets et la mise en
tout un chacun. En effet, la plupart œuvre des politiques culturelles
des gens connaissent le principe de par les bibliothèques, les tutelles
l’existence des bibliothèques, voire cherchent à mesurer la rentabilité
l’approuvent, mais pour une part de leurs investissements par des
importante d’entre eux, celles-ci ne évaluations plus ou moins élabo-
font pas partie du périmètre de ce rées. Dans la mesure où elles ne se
à quoi ils pensent spontanément, et donnent pas toujours les moyens
donc de ce qu’ils pourront évoquer, d’enquêtes approfondies permet-
suggérer, et bien sûr eux-mêmes tant de saisir les effets à long terme
visiter. des actions entreprises, et notam-
ment du travail quotidien accompli
Les partenariats comme outils de par les bibliothécaires, elles peuvent
rayonnement être sensibles à des phénomènes
Toutes les formes de communica- plus visibles, comme l’accroissement
tion mais surtout toutes les formes du nombre d’adolescents fréquen-
d’implication des bibliothèques et tant la bibliothèque, ou la mise en
des bibliothécaires en dehors de leur œuvre d’événements ou d’innova-
établissement sont à cet égard déci- tions qui leur paraissent manifester
sives, la visibilité résultant d’actions l’engagement des établissements
multiples. Cela dépasse ­largement en direction des adolescents. Les
la question de l’accueil des ado- directions d’établissement doivent
lescents mais est susceptible de alors non seulement mener des
­produire un effet sur ces derniers actions, dont les plus efficaces ne

L J Essais - études – enquêtes 43


sont pas nécessairement les plus vi- bibliothèque sans y être inscrit : un
sibles, mais aussi communiquer sur grand nombre de personnes sont
ce qu’elles ont entrepris, c’est-à-dire concernées, en particulier celles
faire la preuve de leur engagement qui y viennent non pour l’emprunt,
en direction des adolescents de mais pour le lieu ou les animations
manière à pouvoir continuer à être proposées. C’est le cas pour un
soutenues dans cette démarche. On nombre croissant d’usagers, dont
voit ici encore qu’il n’y a pas d’oppo- une part importante des adoles-
sition entre les actions de fond et cents (d’autant plus que l’inscription
la dimension symbolique mais que des ­mineurs requiert une autorisa-
les deux niveaux demandent à être tion parentale et donc engendre un
pensés conjointement. «  coût  » relatif). On peut à l’inverse
être inscrit à la bibliothèque sans
ACCROÎTRE LA FRÉQUENTATION y venir, notamment quand on ne
Fréquentation ou satisfaction ? l’a pas décidé soi-même (les plus
Au-delà des enjeux d’image, les éta- jeunes sont inscrits par leurs pa-
blissements impliqués en direction rents) ou quand on ne revient plus
des adolescents se donnent ­toujours pour une raison ou une autre, qui
des objectifs, à la fois quantitatifs et parfois tient à l’expérience de la bi-
qualitatifs, mais qui correspondent bliothèque qu’on a pu avoir. On peut
à des enjeux qu’il est utile de dis- du reste obtenir artificiellement
socier. Si le principe d’utilité sociale une augmentation du nombre des
d’un service public fait consensus, inscrits en poussant à l’inscription
sa définition varie. Viser une satis- au moment des visites de classes,
faction accrue des publics déjà là ou ou en conditionnant à l’inscription
encore leurs progrès individuels (en l’usage de certains services, par
termes, par exemple, de développe- exemple celui des ordinateurs  ; la
ment intellectuel et personnel, de fréquentation est à cet égard plus si-
savoirs scolaires ou de savoir-être) gnificative, mais elle est plus difficile
n’est pas le même objectif qu’un ac- à mesurer. Les compteurs d’entrées
croissement n ­ umérique des publics ne distinguent pas, en effet, les usa-
ou qu’un élargissement social des gers qui reviennent et entrent donc
publics desservis et bénéficiant des plusieurs fois.
services de l’institution. Certaines
politiques visent plutôt à satisfaire Fréquentation accrue ou élargisse-
les jeunes dans leurs demandes ment social ?
présentes, d’autres à les faire bou- Il faut par ailleurs distinguer aug-
ger par rapport à celles-ci en les mentation du nombre d’inscrits ou
poussant à des découvertes et à des de fréquentants et augmentation
progrès, mais l’atteinte de ces objec- du taux d’inscription ou de fréquen-
tifs, toujours partielle et fragile, est tation, c’est-à-dire que le nombre
difficile à objectiver (à moins d’une n’est pleinement significatif que
enquête approfondie, large et, idéa- rapporté à la population cible dans
lement, récurrente). Certaines ont son ensemble, avec ses possibles
plutôt en vue les chiffres de fré- évolutions démographiques. Sur-
quentation (qui ont l’avantage d’être tout, l’augmentation de la popu-
un des éléments d’évaluation pris lation touchée ne prend tout son
en compte par la tutelle et de signi- sens qu’au regard de sa composi-
fier de manière simple et objective tion sociale. Il s’agit donc de savoir
les effets des actions menées). si elle est à l’image de la population
cible ou si elle privilégie tel ou tel
Fréquentation ou taux d’inscrip- profil social, et, en particulier, telle
tion ? ou telle classe sociale. La part des
Mais il faut distinguer inscription jeunes issus d’une famille de milieu
et fréquentation. On peut aller à la populaire parmi les inscrits ou les

L J Essais - études – enquêtes 44


fréquentants de l’établissement DES ACTIONS CIBLÉES À FORT RE-
est-elle équivalente à celle que les TENTISSEMENT
jeunes issus de ce milieu repré- Ainsi tandis que certains éta-
sentent dans la population globale blissements mettent en avant
du bassin considéré ? Certaines l’accroissement global de la fré-
­
actions peuvent permettre un élar- quentation juvénile, et en font une
gissement numérique des publics priorité qui les conduit à privilégier
sans produire un élargissement du des actions de séduction en direc-
recrutement social en direction des tion d’un large public, d’autres, plus
jeunes dont les familles sont les plus nombreux, commencent par cibler
éloignées de la culture légitime48. des groupes restreints, soit qu’ils
Or, si les établissements mettent considèrent que les modifications
souvent en avant l’accroissement des pratiques et des perceptions
de leurs taux d’usagers, ils s’inter- passent par un travail de fourmi et
rogent plus rarement sur les profils par l’accumulation d’actions ciblées,
sociaux de ceux-ci, soit qu’ils n’aient soit que cette action restreinte
pas les moyens de les évaluer, soit soit susceptible en elle-même de
qu’ils tendent à nier les inégalités retentissements plus larges. Deux
sociales au profit d’un discours sur exemples sont à cet égard significa-
le mérite et la bonne volonté49. tifs.

L’utilité sociale se mesure-t-elle au Une grande énergie pour un petit


nombre des bénéficiaires ? groupe de « décrocheurs »
Ces évaluations du taux de popula- Une médiathèque parisienne inves-
tion bénéficiant du service partent tit une partie de ses forces dans un
d’ailleurs d’une certaine conception programme de remédiation établi
du service public selon lequel l’uti- dans le cadre de l’Éducation Natio-
lité sociale de ce service (donc la nale en direction de collégiens dits
nécessité de le financer) est propor- décrocheurs. Le programme vise à
tionnelle au nombre de membres travailler avec un groupe d’élèves
de la collectivité qui en bénéficient. en difficultés comportementales et
En ce sens, une « bonne » politique scolaires pour tenter de leur don-
de bibliothèque en direction des ner les moyens de réintégrer leur
adolescents serait une politique qui classe dans des conditions plus
parvient : sereines après un séjour visant à
• à accroître la fréquentation de l’éta- les resocialiser et à leur redonner
blissement par cette catégorie de confiance, en même temps qu’à
public, notamment à augmenter la leur fournir quelques éléments de
fréquence des visites (ce qu’on me- soutien ­proprement scolaire. Dans
sure en comptabilisant les entrées le cas considéré ici, le programme
et en évaluant le taux de remplis- comporte une partie projet dans
sage plus qu’en évaluant le taux de laquelle les jeunes sont amenés,
population desservie), au cours de la période pendant
• ou à attirer un plus grand nombre laquelle ils sont absents de leur
de jeunes. cursus ordinaire, à conduire une
­
Or, un service peut aussi être ­réalisation qui leur permet de réin-
béné­fique pour la collectivité sans vestir savoirs et savoir-faire, de
nécessairement être utilisé (ou
­ collaborer avec d’autres, de retrou-
même p ­ otentiellement utilisé) par ver une activité qui fait sens et de
l’ensemble de ses membres50 : il reprendre confiance dans leurs
peut produire des effets positifs propres capacités de réussite. La
pour le groupe, en favorisant la soli- médiathèque participe à cette partie
darité et la cohésion sociale. projet, de sa construction à sa mise
en œuvre. Deux bibliothécaires mo-
bilisent dans ce cadre une énergie

L J Essais - études – enquêtes 45


importante, requise par le projet avec une classe de troisième en
lui-même et, surtout, par les liens préprofessionnalisation. Là-encore
qu’il implique avec les partenaires le nombre de bénéficiaires est res-
et avec les jeunes destinataires. treint. L’objectif est de toucher « les
lycéens » par une politique méto-
Un enjeu de cohésion sociale nymique dans laquelle prendre
Qu’est-ce qui justifie un tel inves- en charge un petit groupe signifie
tissement de la médiathèque, et s’occuper du groupe. Les lycéens
en particulier des deux profession- de cette petite ville fréquentent en
nels considérés pour un si petit effet peu la bibliothèque : beau-
nombre d’usagers (les jeunes sont coup d’entre eux, qui viennent
une dizaine tout au plus et le projet, d’autres communes du départe-
de la mise sur pied au bilan, dure ment, ne la connaissent pas et n’ont
­plusieurs mois) ? D’abord un enga- pas avec elle la relation de proxi-
gement quasi sacerdotal au service mité et de ­familiarité que peuvent
de l’éducation et des usagers, avec avoir des personnes qui auraient
une optique dans laquelle chaque été habituées dans leur enfance à
partie, si petite soit-elle, compte la fréquenter. Le projet n’implique
autant que le tout. Mais aussi une qu’une classe, mais une classe de
stratégie d’établissement qui, à préprofessionnalisation, c’est-à-dire
travers ce petit nombre, vise la de jeunes destinés à choisir ensuite
médiathèque dans son ensemble
­ leur voie, et potentiellement à essai-
et dans ses liens avec le quartier. mer dans les différentes filières du
Les jeunes décrocheurs destina- lycée dans les années suivantes.
taires du dispositif sont en effet Surtout, le projet implique bien au-
aussi potentiellement des leaders delà de la classe considérée et de
d’opinion dans leur groupe de pairs. l’enseignant qui l’encadre. À partir
La modification de leur propre rap- de ce groupe restreint, il finit par
port à la bibliothèque, qui est visée irriguer l’ensemble de la commune,
aussi au-delà de leur rapport aux et en particulier ses professionnels,
autres et à eux-mêmes, est donc des métiers du livre aux restaura-
susceptible, par le biais du bouche- teurs et aux commerçants, qui sont
à-oreille, de retentir sur l’image de amenés à collaborer à différentes
la bibliothèque que se feront leurs étapes de cette entreprise qui de-
camarades, et, de manière plus gé- vient ainsi un véritable projet de
nérale, sur le comportement que les territoire.
jeunes peuvent avoir dans la biblio-
thèque et à l’égard des personnels. Ainsi, de la séduction à la transmis-
Le dispositif, pour restreint qu’il sion, du petit groupe à la grande
puisse sembler au premier abord, envergure, les politiques menées
est ainsi, aux dires des bibliothé- en direction des adolescents arti-
caires concernés, un des outils qui culent différents niveaux et enjeux
a permis à l’établissement de trou- qui concernent l’image de la biblio-
ver sa place dans le quartier, après thèque, sa place sur le territoire
des débuts difficiles, et de canaliser et ses missions d’accueil et de dé-
les jeunes qui manifestaient à son mocratisation culturelle. Celles-ci
égard une attitude d’abord plus ou restent l’élément central qui réunit
moins agressive. toutes les bibliothèques analysées
dans l’enquête.
Du projet de classe à la dynamique
territoriale
La petite équipe de la bibliothèque
de Baume-les-Dames, dans le
Doubs, s’est impliquée tout au long
d’une année dans un projet mené

L J Essais - études – enquêtes 46


ACCUEILLIR, ACCOMPAGNER,
L’ENQUÊTE
RECONNAÎTRE LES ADOLESCENTS
Que l’on vise à démocratiser la culture, à permettre l’appropriation de
savoirs, à donner le goût de lire ou à offrir un espace de vie propice à
la construction de soi, les outils ne sont rien sans médiation. Celle-ci
constitue une indispensable condition de félicité des politiques visant
les adolescents, en particulier dans les établissements de proximité.
Elle va de formes plus traditionnelles, liées aux espaces et aux collec-
tions, à des formes plus larges qui manifestent une posture d’accueil
et de reconnaissance.

FAIRE LE LIEN ENTRE USAGERS ET Aider à faire face à l’hyperchoix


COLLECTIONS L’enjeu est en effet de tirer l’usager
La médiation est d’abord entendue, de « l’embarras du choix », ce sen-
de manière classique, comme ce qui timent de submersion provoqué
fait le lien entre l’usager et les collec- par « l’hyperchoix »51, c’est-à-dire
tions, qu’il s’agisse d’accompagner par l’abondance de documents qu’il
celui-ci pour l’aider à trouver ce qui n’est en aucun cas possible de consi-
comblera son besoin, et notamment dérer un à un (sans même parler de
celui qui n’a pas tous les repères les lire ou de les visionner). Ce sen-
pour s’orienter de lui-même, ou, réci- timent d’hyperchoix est accru par le
proquement, de porter vers l’usager renouvellement des collections (non
certaines parties des collections qui seulement on ne peut faire le tour
paraissent mériter d’être soutenues, de ce qui est proposé, mais il arrive
parce qu’elles présentent un intérêt toujours des nouveautés), et par la
particulier, mais aussi parce qu’elles présence physique des documents
peinent à trouver une visibilité spon- dans l’espace de la bibliothèque ac-
tanée. cessible au public. Il est d’autant plus
vif qu’on ne dispose pas des outils
Faire découvrir l’étendue des intellectuels (catégories, références)
possibles permettant de se repérer dans cette
Le premier but est de faire prendre masse. Il conduit à diverses straté-
la mesure de l’offre, c’est-à-dire à la gies permettant de réduire, plus ou
fois de faire constater la richesse des moins artificiellement, la palette du
collections, d’informer de l’existence choix (par exemple en se focalisant
d’un programme d’animations et de sur une étagère spécifique, sur le
dessiner un espace d’usages poten- chariot de retours ou sur les livres
tiellement insoupçonnés. Il s’agit de prêtés par d’autres) ou d’éviter de
montrer l’étendue de l’espace des s’y confronter (en se cantonnant au
possibles, donc d’éveiller la curiosi- déjà connu, voire en n’utilisant que
té, mais surtout de rassurer l’usager les espaces, en ignorant complète-
sur sa capacité à trouver quelque ment les collections, si ce n’est en
chose qui puisse l’intéresser, c’est-à- désertant le lieu lui-même).
dire qui corresponde à ses centres
d’intérêt en même temps qu’à ses Des adolescents aux publics
capacités du moment et à ses at- éloignés : un enjeu de
tentes. « Trouver » implique en effet démocratisation culturelle
à la fois d’identifier un document, de Ce phénomène ne concerne bien
l’évaluer a priori, de le localiser puis sûr pas seulement les adolescents,
de le juger « sur pièce ». mais il est susceptible de les t­ oucher

L J Essais - études – enquêtes 47


au même titre que les autres caté- est donc un des axes d’action, même
gories de public. D’autre part, il peut si elle peut parfois sembler rébar-
les affecter particulièrement par le bative et inutile à l’heure où tout le
double effet de la position d’entre- ­savoir est, par le biais du numérique,
deux qui est la leur (et qui les censé être immédiatement acces-
conduit à pouvoir emprunter à peu sible. L’enjeu est de permettre au
près dans tous les espaces de la mé- jeune usager de se retrouver dans
diathèque), et de l’inaboutissement l’offre documentaire de la biblio-
de leur formation (qui a pour consé- thèque (et de lui en montrer l’intérêt
quence qu’une partie des savoirs au regard des ressources numé-
et des savoir-faire leur échappe). riques dont il est plus familier), mais
Envisager cette question pour les aussi plus largement dans la masse
adolescents, c’est travailler à la fois de documentation et d’information
pour ceux-ci et, plus largement, qu’il a à sa disposition. La valeur de
pour les différentes catégories de l’information, en effet, tient moins à
publics susceptibles d’être moins à sa rareté qu’à sa pertinence, c’est-
l’aise face à l’immensité des collec- à-dire à des critères intrinsèques
tions, ce qui est souvent corrélé à la de validité et à son ajustement aux
quantité de capital culturel détenu, besoins de celui qui la cherche.
et donc, entre autres, aux origines L’observation d’une séance d’ini-
sociales et au niveau de diplôme. tiation destinée à une classe de 4e
parmi laquelle se trouvaient des
­
Des espaces aux médiations élèves non familiers de la bibliothèque
Cette perspective conduit à privilé- révèle les difficultés ­successives aux-
gier une mise en espace qui évite le quelles sont confrontés ces jeunes
sentiment physique de sub­mersion dans leur recherche :
(étagères basses et non saturées), • la méconnaissance de l’offre a
qu’on observe par exemple dans l’es- pour conséquence que les jeunes
pace adolescents de la bibliothèque n’ont pas même l’idée de chercher
des Champs libres de Rennes. Elle tel ou tel document relatif à un
peut aussi donner lieu à des média- domaine qui les intéresse : soit
tions spécifiques, destinées à aider ils n’ont pas le réflexe de cher-
les jeunes à identifier les parties cher des documents (la recherche
des collections les plus susceptibles documentaire est d’abord une
de correspondre à leurs goûts et à ­habitude construite par la sociali-
leurs besoins, dans les différentes sation familiale), soit ils ne pensent
facettes de leur identité, et à circuler pas que la bibliothèque puisse
à l’intérieur des collections et à oser offrir quoi que ce soit en lien avec
s’aventurer en dehors du connu, ce les sujets qu’ils ­pourraient vouloir
qui passe à la fois par une initiation explorer ;
technique et par un guidage intel- • l’utilisation du catalogue requiert
lectuel fondé sur l’échange. une compréhension de son ma-
niement (la génération née avec
le numérique et réputée en maî-
triser les outils est en fait très
La valeur de l’information, ­inégalement à l’aise avec les outils
tient moins à sa rareté classiques, du traitement de texte
aux tableurs et aux catalogues) et
qu’à sa pertinence implique une maîtrise de l’ortho-
graphe (les catalogues intégrant
rarement la correction orthogra-
INITIER À LA RECHERCHE phique comme le font les moteurs
DOCUMENTAIRE de recherche, une coquille aboutit
Un chemin semé d’embûches à la mention « aucun résultat ») et,
L’initiation à la recherche d
­ocumentaire plus spécifiquement, une ­capacité

L J Essais - études – enquêtes 48


à décrypter les résultats et à les de l’usager, ses besoins et ses dif-
trier, c’est-à-dire à évaluer leur ficultés. On gagne cependant à
pertinence par rapport à la re- leur ­adjoindre une prise en compte
cherche ; des inégalités, partant du constat
• la mise en espace des documents que tous les usagers ne font pas
et la compréhension de leur clas- la même expérience du lieu, parce
sement. Une fois munis de la qu’ils en sont inégalement familiers
cote, bon nombre de jeunes (à et disposent de ressources diffé-
l’image sans doute des usagers de rentes.
manière plus générale) peinent à
trouver le document identifié. L’envers du libre accès
L’organisation de la bibliothèque
Des prérequis implicites en libre accès est ambiguë à cet
Le fonctionnement de l’institution égard, pour les adolescents comme
comporte en effet un ensemble pour l’ensemble des publics. Mise
d’implicites qui ne vont pas de soi en place en vue de faciliter l’accès à
pour les non-initiés. Le catalogue l’offre documentaire, elle a effective-
constitue un exemple de dispositif ment fait disparaître la nécessité de
qui requiert des compétences (or- formuler une demande à un biblio-
thographe, précision de la requête, thécaire, qui impliquait à la fois de
capacité à situer un document à savoir ce que l’on cherchait, d’être
partir des données bibliographiques capable de formuler cette demande
fournies) et des stratégies : refor- et d’oser la formuler52. Elle a ainsi
mulation d’une requête, pour éviter supprimé à la fois certaines formes
des termes polysémiques ou des d’autocensure et certains prérequis.
résultats trop nombreux ; utilisa- Mais elle en a établi d’autres en pos-
tion de différents termes du champ tulant l’autonomie : de même que
sémantique concerné pour élar- les espaces commerciaux en libre
gir la recherche (cheval, mais aussi accès sont organisés de manière
équitation, et peut-être écurie ou que le client fasse ses courses sans
cavalier). Sa maîtrise ­suppose aussi s’adresser à un vendeur, le libre
d’être initié au principe de classifi- accès en bibliothèque suppose que
cation des collections, au système l’usager se débrouille par lui-même
des cotes (de manière à identifier au sans faire appel au bibliothécaire,
moins sommairement à quel type donc qu’il comprenne le mode de
d’objet on a affaire, à le trouver mais classement des collections et dis-
aussi à le replacer), et au rangement pose des repères et des clés néces-
des documents (après le système saires pour évoluer dans l’espace et
des cotes, il faut comprendre les dans l’offre. Le recours au bibliothé-
logiques de la mise en espace, qui caire, quand il devient nécessaire,
est aussi liée aux formats et aux va donc moins de soi que dans l’or-
genres). ganisation fondée sur un guichet et
Seule une prise de conscience de peut donc être perçu comme intimi-
ces implicites et de ces prérequis dant. S’il se justifie dans le cas d’une
inégalement partagés est suscep- difficulté technique (« Je n’arrive pas
tible de permettre un véritable à… »), il peut n’être pas envisagé
accompagnement des usagers les
­ dans le cas d’un simple « embar-
moins outillés pour réduire leur ras du choix »53, c’est-à-dire dans
coût de recherche et accroître la les cas où l’usager a une demande
satisfaction qu’ils peuvent tirer de imprécise et se sent submergé par
l’usage de l’institution. Les biblio- l’offre. Il s’agit donc de réinstaurer
thèques intègrent peu à peu les des médiations dans un système qui
démarches fondées sur « l’expé-
­ postule leur suppression, à la fois en
rience utilisateur  », par lesquelles fournissant les ­repères techniques
il s’agit ­
d’intégrer les perceptions et intellectuels nécessaires, mais

L J Essais - études – enquêtes 49


aussi en ­entretenant différentes de lecture lui a donné des savoirs
formes d’échanges avec les usa- et des points de comparaison qui
gers, notamment autour de l’offre équivalent à ceux que peut déte-
­documentaire elle-même. nir le bibliothécaire),
• soit, en tout cas, comme a ­ utorisé
ÉCHANGER SUR LES DOCUMENTS à prendre part au débat litté-
Guider sans prescrire raire et invité à développer son
Au-delà de la recherche documentaire point de vue et ses arguments.
à proprement parler, les bibliothé- La bibliothèque devient alors un
caires engagés auprès des adolescents, lieu de discussions. On y fait des
du moins ceux qui se situent dans découvertes. On y trouve aussi un
une vision plus classique du métier, « marché » où parler de ses lec-
cherchent aussi à guider les jeunes tures et un espace où apprendre
dans la découverte des collections. à parler de celles-ci, donc peut-
Mais la forme de la prescription être à devenir pleinement lecteur,
n’est, semble-t-il, pas adéquate : le en donnant un sens nouveau à sa
professionnel n’a pas à dire expli- pratique et en approfondissant
citement ce qui est bon à lire, à la son regard, et à développer son
manière d’un Abbé ­ Bethléem qui plaisir de lire et son goût de la lec-
distinguait les « ­romans à lire et ro- ture.
mans à proscrire »54. D’abord parce Ce type de discussions suppose un
que les c­ ollections ayant été consti- changement de posture du biblio-
tuées avec soin, tout ce qu’elles thécaire. Celui-ci se met à l’écoute
comportent est a priori recomman- de l’usager, avant de chercher à le
dable. La question qui demeure est conseiller, et prend au sérieux sa pa-
celle de l’adéquation de tel docu- role, comme témoignage sur ce qu’il
ment à tel besoin ou à tel goût. Mais est et ressent, mais aussi comme
surtout la posture prescriptrice ren- porteuse d’un point de vue litté-
voie à celle des parents et à celle raire. Concrètement, cela implique
des enseignants, dont les bibliothé- une durée permettant à ce type
caires cherchent à se démarquer de parole d’éclore : il faut qu’ait pu
pour ne pas renvoyer chacun à son s’installer une relation de confiance
expérience scolaire. Les bibliothé- qui assure d’une écoute bienveil-
caires rencontrés cherchent donc lante et autorise à émettre un point
avant tout à construire un rapport de vue sans se sentir exposé et sans
« horizontal », qui évite la position risque de perdre la face55.
de surplomb de l’expert, et établit à Le bibliothécaire reconnaît par
la fois une égalité et une réciproci- ailleurs les limites de sa propre
­
té. Chacun des deux interlocuteurs expertise, notamment dans des
peut alors exprimer des savoirs et domaines dans lesquels il n’a pas
des perceptions. été formé, et qui, en outre, sont
en ­ perpétuelle évolution, avec
Un usager pris en considération des innovations éditoriales et lit-
Un tel type d’échange suppose téraires (nouvelles collections, nou-
une expérience des deux parties, veaux auteurs, nouvelles adaptations,
elle-même fondée sur la lecture. Il ­nouveaux formats transmédias, nou-
constitue une reconnaissance du veaux genres). Celles-ci nécessitent
lecteur de se tenir à la page, et ­invitent à un
• soit comme seul capable de sa- travail de veille en même temps qu’à
voir ce qui lui convient et ce qu’il une forme de modestie portant à
aime (sa parole étant alors le seul chercher à connaître plutôt qu’à
moyen d’identifier son profil et de vouloir convaincre. De son côté,
lui faire des propositions adap- l’adolescent, par l’expérience qu’il
tées), acquiert et par les ­ réseaux dans
• soit comme expert (son ­expérience lesquels il est inséré, du groupe

L J Essais - études – enquêtes 50


de pairs au groupe de fans56, via PROPOSER DES ACTIVITÉS
des échanges en face-à-face ou Mobiliser dans les dispositifs
­numériques, est susceptible de dé- d’action culturelle
velopper, dans certains domaines, Un autre axe permettant de créer
une expertise plus aboutie que ne du lien avec les adolescents consiste
l’est celle d’un professionnel géné- à leur offrir non pas des documents
raliste. Le cas s’observe notamment mais des activités, qui peuvent ou
dans la culture manga, avec ses non mobiliser des documents. Il
prolongements cross-média, ses
­ s’agit à cet égard de communiquer
festivals et la pratique du cosplay57. sur les ateliers, clubs et autres
formes d’action culturelle offertes,
Une discussion nourrie de lectures en y invitant individuellement les
Mais le nouvel équilibre exige que le jeunes. Cette proposition prend
bibliothécaire manifeste lui-même place dans un échange établi autour
une curiosité pour le domaine (il ne d’un autre but et/ou dans une rela-
s’agit donc pas d’une remise de soi) tion déjà engagée. À un jeune qu’il
et possède une connaissance de ce- connaît ou à qui il vient de parler
lui-ci, au moins pour ce qui concerne pour un prêt, un retour, ou une aide
les productions éditoriales. En quelconque, le bibliothécaire, sai-
d’autres termes, la discussion ne sissant l’occasion, suggère de parti-
peut se passer de lecture. Ce qui ciper à telle activité plus ou moins
semble avéré pour l’ensemble des reliée. Une interaction observée à
usagers vaut singulièrement pour la banque de prêt entre deux pré-
les adolescents. La connaissance adolescentes et une bibliothécaire
de l’intérieur de ce qui lui est pro- de la médiathèque Robert Desnos
posé est vue comme un prérequis de Montreuil conduit ainsi à encou-
de la crédibilité du bibliothécaire rager les jeunes filles à rejoindre le
aux yeux de l’usager adolescent et club lecture. La formalisation des
donc comme une condition de pos- informations sous la forme d’une
sibilité du dialogue lui-même (c’est affiche ou d’un dépliant sert alors
du moins ainsi que le présentent d’assise à la sollicitation, mais ne la
les professionnels rencontrés). Pour remplace pas.
pouvoir demander « Qu’est-ce que
tu en as pensé ? » sans avoir l’air Des propositions improvisées et
inquisiteur et sans créer une situa- ajustées
tion d’examen, il s’agit en effet de Les activités proposées peuvent
pouvoir exprimer réciproquement aussi être informelles. Le chan-
ce qu’on en a soi-même pensé, de gement de posture est alors plus
manière à nourrir le dialogue en marqué. Poser des questions et
confrontant les points de vue. communiquer sur ce qu’on met à
La question qui en découle est celle disposition en le valorisant (ce qui
des conditions de possibilité de cette constitue déjà un changement d’at-
lecture et de son intégration dans titude par rapport à une certaine
le temps de travail, comme un élé- vision du métier associée à un ethos
ment nécessaire au travail bien fait. de réserve58) ne suffit pas. Certains
Il semble fréquent que les bibliothé- bibliothécaires imaginent des activi-
caires engagés dans l’accueil des ado- tés qui ne relèvent ni de la recherche
lescents investissent plutôt à cette fin documentaire ni de l’action cultu-
leur temps personnel, par un effet de relle construite, mais s’apparentent
porosité entre leurs goûts personnels à une forme d’improvisation qui
et leurs loisirs d’une part, et, d’autre s’ajuste aux situations et ressemble
part, un m ­ étier qui leur permet de davantage à l’animation, même si
les réinvestir. Mais cet engagement, elle peut prendre appui sur les col-
observé et consenti, ne saurait
­ lections de la bibliothèque.
­devenir une règle généralisable. Une telle pratique professionnelle

L J Essais - études – enquêtes 51


a été observée par exemple à la
bibliothèque Saint-Éloi de Poitiers.
Elle est le fait d’une bibliothécaire
au profil atypique, qui vient préci- Nombre de bibliothécaires
sément du monde de l’animation soulignent l’importance
et le revendique. En prenant appui
sur son ­ expérience d’animatrice, de pouvoir s’adresser aux jeunes
elle interpelle des jeunes qui se par leur prénom
rendent à la bibliothèque, notam-
ment par ­l’effet de la proximité
immédiate avec un lycée, mais qui
ne savent pas toujours qu’y faire : Sortir de l’anonymat
pour éviter un désœuvrement qui Cette identification passe par le
peut conduire à l’ennui ou au cha- nom. Celui-ci permet d’échapper
hut, elle suggère des jeux qui, à la à une relation anonyme dans la-
fois, mettent en activité, canalisent quelle l’usager est le destinataire
l’énergie, et amènent à utiliser les (interchangeable) d’un service
ressources de la bibliothèque (et, (rendu ­indifféremment aux uns et
partant, font constater son utilité et aux autres) et n’a pas de compte à
sa richesse). rendre : l’anonymat peut faire croire
à l’impunité. Nombre de bibliothé-
L’animation comme médiation caires investis dans l’accueil des
Cette posture ne va pas de soi, cer- adolescents soulignent l’importance
tains bibliothécaires affirmant au qu’ils accordent au fait de pouvoir
contraire explicitement : « On n’est s’adresser aux jeunes par leur pré-
pas des animateurs », pour écarter nom, d’abord pour les saluer, puis
la prise en charge d’ateliers ou de pour d’autres types d’échanges,
séances de jeux, qui leur paraissent y compris des interpellations qui
s’éloigner de leur cœur de métier visent à rappeler les règles. Cette
et requérir d’autres compétences. pratique est en particulier mise
Dans les cas où cette posture d’ani- en avant dans les établissements
mateur est assumée, elle semble confrontés à l’accueil d’adolescents
une plus-value dans le rapport aux du quartier venant en groupe et is-
jeunes sans pour autant remettre sus de milieux moins favorisés, qui
en cause l’identité professionnelle sont réputés plus difficiles à gérer
de bibliothécaire, mais en l’infléchis- parce que leurs pratiques sont par-
sant du côté de la médiation des fois en décalage avec les normes de
savoirs. Le jeu et l’atelier sont alors l’institution (quand celle-ci ne de-
vus non pas comme des moyens vient pas la cible d’une attitude de
de divertissement mais comme des rejet institutionnel qui cristallise un
outils permettant, dans une logique mal-être social).
proche des pédagogies actives, de
transmettre des connaissances, L’accueil comme politique
mais surtout de construire une Une bibliothèque de quartier va
appétence et une familiarité avec jusqu’à mettre en œuvre une poli-
le lieu en même temps que d’ap- tique d’accueil dès l’entrée de la
prendre à vivre ensemble. bibliothèque, non pas sous la forme
d’une banque d’accueil située dans
INDIVIDUALISER L’ACCUEIL le hall ou d’un vigile posté à l’entrée
Cet accompagnement des usagers, qui dissuaderait les désordres, mais
de la recherche documentaire à l’ani- par l’instauration d’un accueil indivi-
mation, implique l’établissement d’un dualisé dès le parvis, pris en charge
lien individuel avec les jeunes, pour les par les bibliothécaires eux-mêmes.
accueillir à la fois en groupe, et comme Dans l’organisation du travail ré-
des individus singuliers et identifiés. partie en postes incluant service

L J Essais - études – enquêtes 52


public et ­service interne dans leurs un « non public » plus dérangeant
différentes facettes, cet accueil sur que souhaitable.
le p­ arvis constitue un des postes, • Ils admettent ses besoins spéci-
occupé par un binôme tournant. fiques en matière de loisirs (en
Il signifie aux passants qu’ils sont intégrant dans l’offre ­documentaire
bienvenus et canalise l’entrée, en et dans la programmation d’action
éclatant les groupes et en coupant culturelle ce qui correspond aux
l’élan qui porterait à une entrée fra- goûts et aux pratiques des adoles-
cassante. Les bibliothécaires saluent cents) et de ­ travail scolaire (nous
nominativement les jeunes et mani- reviendrons sur ce dernier point
festent un intérêt pour eux, prenant dans le dernier chapitre).
des nouvelles, s’enquérant du motif • Ils font une place aux usages spon-
de leur venue, informant des possi- tanés plutôt qu’ils ne cherchent à les
bilités offertes par la bibliothèque. contrer de manière systématique
Cet échange n’a donc pas grand- au prix de tensions permanentes.
chose à voir avec l’accueil standar- Un parti pris consiste à définir le
disé résumé dans la formule SBAM cadre de ces usages plutôt qu’à les
(sourire, bonjour, au-revoir, merci) interdire, à préciser par exemple les
qu’on enseigne comme base aux endroits où il est possible de man-
agents d’accueil, même s’il inclut ger, de téléphoner ou de rire, plutôt
ces formes de politesse élémen- qu’à afficher l’interdiction pure et
taire. Il marque plutôt l’existence simple de toutes ces manifestations
d’une relation entre l’équipe des corporelles.
bibliothécaires et chacun des jeunes • Ils reconnaissent les adolescents en
­accueillis et l’inscrit dans la durée en tant qu’individus, c’est-à-dire dans
se référant à des épisodes passés leur identité. On a noté l’importance
et en envisageant l’avenir proche : du prénom dans l’individualisation
entre mémoire et projet, il s’agit de de la relation. Les bibliothécaires
sortir de l’instant pour responsabili- engagés auprès des adolescents
ser en même temps que modifier le s’adressent à chacun plutôt qu’à
rapport à l’institution. tous, aux individus plutôt qu’au
groupe, et admettent la singularité
SIGNES DE RECONNAISSANCE des besoins et des histoires. Ils per-
Plus largement, les politiques d’ac- sonnalisent la relation pour éviter
cueil des bibliothèques en d
­ irection qu’elle soit anonyme et reproduc-
des adolescents s’appuient sur tible ; l’usager n’est pas seulement
diverses manifestations de recon- un cas parmi d’autres, et le biblio-
naissance, au sens de signes par thécaire un agent bureaucratique
lesquels on reconnaît l’existence
­ interchangeable.
de son interlocuteur, sa ­légitimité,
ses capacités, et sa singularité. Connaître pour reconnaître
Ces signes sont constitués par Cette reconnaissance implique une
l’ensemble des postures, regards, inscription dans la durée : pour re-
gestes, paroles, et des démarches connaître, il faut connaître ; pour se
mises en œuvre. souvenir de tel épisode précédent,
il faut avoir déjà été en interaction
La reconnaissance des adolescents avec l’adolescent.
comme usagers Le processus est donc facilité par
Il est possible de distinguer quatre la proximité et la petite taille des
caractéristiques de l’attitude des équipes. Les grands établissements
bibliothécaires engagés auprès des y sont moins propices, a fortiori
adolescents : lorsque l’organisation du travail se
• Ils manifestent l’appartenance des fonde sur un roulement qui rend
adolescents au public légitime de les rôles de chacun peu identifiables
la bibliothèque : ils n’en font pas et conduit à considérer le public

L J Essais - études – enquêtes 53


comme une masse anonyme (qu’on moins experts dans des domaines
sert dans le moment présent sans propres à la culture jeune ou qui la
créer de lien avec lui) plutôt que débordent. Cette reconnaissance
comme un ensemble d’individus sin- implique donc de ne pas renoncer,
guliers qui viennent et reviennent, mais de chercher des moyens adé-
et sont considérés dans leur « his- quats pour faire comprendre et
toire de lecteurs » et d’usagers, qui ­intéresser. Reconnaître les savoirs,
ont déjà exprimé des besoins et em- c’est aussi engager l’échange autour
prunté des documents, qu’on a déjà de documents ou sur tout autre su-
conseillés avec plus ou moins de jet et prendre au sérieux, c’est-à-dire
bonheur, etc. L’importance de cette admettre la possibilité d’apprendre
proximité et du lien qu’elle permet quelque chose de cet échange. C’est
de créer est un point notable à enfin associer les jeunes à des pro-
l’heure où l’on pense plutôt des pro- jets, qu’il s’agisse de production,
jets de bibliothèques géantes avec de sélection ou de ­médiation. C’est
de vastes plateaux où l’on navigue ainsi parce qu’ils observent des
anonymement. jeunes venant ­dessiner à la biblio-
thèque que des bibliothécaires non
Reconnaître des capacités et des seulement ­ admettent cet usage,
savoirs mais le reconnaissent comme la
Enfin, reconnaître, c’est reconnaître manifestation d’une passion et
­
des capacités et des savoirs : des d’un savoir-faire, susceptible d’être
capacités de compréhension et de ­partagé avec d’autres dans un ate-
­curiosité qui engagent à expliquer et lier « participatif ».
à faire découvrir, des savoirs plus ou

L J Essais - études – enquêtes 54


QUELLES RELATIONS AVEC
L’ENQUÊTE
L’ÉCOLE ?
Une division du travail entre bibliothèque et école porte à situer la
première du côté du loisir, de la liberté et du plaisir, par opposition
à la seconde qui serait associée à l’obligation, donc à la contrainte,
et parfois à l’ennui ou à la difficulté. Qu’en est-il réellement des liens
entre les deux institutions ? Les bibliothèques engagées dans l’accueil
des adolescents construisent-elles leur identité contre l’école ? C’est
une des surprises de cette enquête que de montrer qu’elles s’appuient
plutôt sur une logique de complémentarité et, souvent, sur des colla-
borations qui prennent des formes diverses.

LES JEUNES SONT AUSSI DES ÉLÈVES des partenariats noués entre les
Des institutions complémentaires bibliothèques et les collèges et les
La proximité de missions entre lycées. Si les accueils de classe de
bibliothèques et écoles conduit de primaire sont légion dans les sec-
manière générale à des relations tions jeunesse des médiathèques,
souvent ambiguës. Les deux insti- les enquêtes montrent leur raréfac-
tutions ont en effet en commun de tion notable au secondaire59. À l’âge
chercher à donner accès au savoir où les adolescents désertent, au
au plus grand nombre, mais aussi moins pour une partie d’entre eux,
à construire la curiosité et le goût des médiathèques qu’ils avaient
de lire. Elles sont complémentaires fréquentées enfants, ils ont aussi
dans la mesure où les bibliothèques moins d’occasions de les fréquenter
s’occupent de cette fonction tout au avec leur classe. Cette faiblesse des
long de la vie, y compris pour les partenariats bibliothèque/collège
adultes, tandis que l’école s’occupe tient à de multiples raisons, notam-
essentiellement des plus jeunes à ment aux fragmentations d’emplois
qui elle entend donner des bases. du temps et à la multiplication des
Mais, sur le créneau de la jeunesse, interlocuteurs, qui, conjuguées à
elles ont les mêmes publics cibles l’éloignement, rendent les visites
et sont conduites à construire leur plus difficiles à organiser et à mettre
identité propre en s’opposant. La en œuvre.
bibliothèque met donc à ce titre
l’accent sur la culture gratuite,
libre et désintéressée, mais égale-
ment diversifiée, qu’elle procure, Dans la quasi-totalité
par opposition aux corpus, réputés
­restreints et surtout contraints, pro- des établissements analysés,
posés par l’institution scolaire. On la perspective scolaire
peut imaginer qu’elle a intérêt à le est centrale
faire d’autant plus qu’elle cherche à
toucher des jeunes peu à l’aise avec
le monde scolaire.
Un engagement qui passe presque
Des partenariats raréfiés avec toujours par le scolaire
l’enseignement secondaire L’enquête décrite ici porte non pas
Cette séparation entre deux insti- sur l’ensemble des bibliothèques,
tutions accueillant les adolescents y compris celles, nombreuses,
semble s’incarner dans la faiblesse qui ne marquent guère d’intérêt

L J Essais - études – enquêtes 55


s­ pécifique pour les adolescents, destinataires au-delà des initiés. Ces
mais sur les bibliothèques particu- publics captifs sont les publics d’une
lièrement engagées en direction de institution, qu’il s’agit de faire venir à
cette catégorie de public. On aurait la bibliothèque de manière à les ini-
pu imaginer que celles-ci s’étaient tier et à les familiariser avec le lieu,
d’autant plus constitué une iden- son offre et son fonctionnement.
tité spécifique, à distance de l’école. Les institutions partenaires peuvent
Il n’en est rien. Si une observation être les différentes structures ac-
préliminaire des sites web des éta- cueillant des jeunes, y compris des
blissements concernés avait laissé centres de loisirs et des associations,
supposer l’existence d’un pôle tra- ainsi que des institutions culturelles
vaillant davantage avec le scolaire et comme les conservatoires (à condi-
d’un second pôle davantage tourné tion de poser la q ­ uestion du type
vers les différentes déclinaisons d’adolescents qu’ils permettent
de la « culture jeune », force est de de toucher, et donc de l’élargisse-
constater que, dans la q ­ uasi-totalité ment numérique et social qu’ils
des établissements analysés, la sont ­susceptibles de produire –
perspective scolaire est centrale, mais on peut aussi envisager des
quoiqu’elle se décline en modalités partenariats pluriels, qui amènent
diverses. à la ­ collaboration et au mélange
Le constat est celui d’une impor- de ­ publics d’établissements à la
tance de l’école dans la vie des composition sociale différente).
adolescents, qu’ils entretiennent D’après l’enquête, ces partenariats,
avec elle des rapports heureux ou dans leurs différentes formes, sont
malheureux. Scolarité obligatoire essentiels. Ceux avec les établis-
jusqu’à 16 ans, collège unique et sements scolaires permettent de
objectif de 80% de réussite au bac- ­toucher l’ensemble des jeunes.
calauréat (avec un allongement des
voies professionnalisantes) : tous Initier
les jeunes sont des élèves. Cette Certains établissements se sont in-
centralité de l’école conduit les bi- vestis de manière quasi-systématique
bliothèques à considérer leur rôle dans ces partenariats scolaires. La
en lien avec elle ou, au moins, avec ville de Décines-Charpieu propose
ses missions de formation. ainsi toute une palette d’actions en
direction des collèges. Le site inter-
CAPTER DES PUBLICS CAPTIFS net de la bibliothèque reflète cette
Aller chercher les publics là où ils politique, dont la participation des
sont bibliothécaires à la prérentrée des
L’école présente en effet l’intérêt collèges est aussi la marque. Les
majeur de concerner l’ensemble bibliothécaires travaillent avec tous
des jeunes d’une collectivité. Dans les établissements de la ­commune
une perspective de démocratisation de la même manière, et en leur
culturelle, c’est-à-dire d
­ ’élargissement sein, avec toutes les classes de
du public au-delà des ­catégories so- quatrième : tous les élèves de ce
ciales qui en sont les plus familières, niveau bénéficient d’une initiation,
elle constitue à ce titre un partenaire qui prend la forme d’une visite de
indispensable. Soit en effet, on l’a la bibliothèque suivie d’une discus-
vu, les bibliothèques se contentent sion par petits groupes et d’une
d’élargir les publics numérique- recherche ­documentaire ciblée sur
ment, soit elles vont ­ chercher les les centres d’intérêts des jeunes
publics les plus éloignés en les pre- et accompagnée par l’ensemble
nant où ils sont. Nombre d’entre de l’équipe. Cette séance, organi-
elles travaillent ainsi avec ce qu’elles sée pour chaque classe, permet de
nomment des « publics captifs » de montrer l’étendue de l’offre docu-
manière à élargir le cercle de leurs mentaire (des jeunes sont surpris

L J Essais - études – enquêtes 56


de pouvoir trouver des ouvrages l’initiation par la pratique), mais
sur leur sport favori ou des séries l’inscription dans la durée est vue
en DVD) et ­d’initier au fonctionne- comme importante : la bibliothèque
ment de ­l’institution. Elle a bien sûr doit sortir de l’exceptionnel pour
des conditions de possibilités : elle entrer dans l’espace des possibles
se fait sur un temps où l’intégralité des lieux fréquentables et/ou des
du personnel est disponible et mo- ressources mobilisables. Les projets
bilisée (pour accompagner les petits prennent alors la forme d’une série
groupes) et où la bibliothèque est de séances, au format variable et au
fermée au public. cadre parfois différent.
D’autres fois, la visite de l’établisse- Plusieurs expériences témoignent
ment vient en complément d’une d’une réciprocité des échanges : tan-
autre activité qui est ce qui motive tôt les jeunes viennent, avec leurs
officiellement la venue du groupe. enseignants ou d’autres accompa-
C’est le cas de rencontres ou d’ate- gnateurs, à la bibliothèque, tantôt
liers menés à la bibliothèque et ce sont des bibliothécaires qui vont
qui donnent l’occasion de visiter le au collège, munis de quelques res-
lieu et de l’utiliser pour des besoins sources documentaires. Les deux
divers – pour les espaces et parfois formes présentent des intérêts dis-
pour les collections. Ce qui prime tincts, qui portent à les combiner.
alors, c’est d’éveiller la curiosité et Les interventions de bibliothécaires
donner envie de revenir en faisant au collège font partie de ces actions
expérimenter le caractère agréable hors-les-murs qui participent à faire
du cadre, la facilité du fonction- exister la bibliothèque dans l’espace
nement, la richesse de l’offre de public et aux yeux d’individus qui
­documents et de services, la qualité n’en sont pas usagers. Mais ces pu-
de l’accueil et de l’accompagnement. blics éloignés risquent de ne jamais
Souvent moins systématiques qu’à franchir les portes de la bibliothèque
Décines, les partenariats reposent si on ne les y emmène pas. C’est en
largement sur l’engagement indivi- tout cas une crainte souvent expri-
duel d’enseignants (prioritairement mée par les bibliothécaires engagés
de français) ou de ­documentalistes, dans des partenariats scolaires.
qui contribue largement à leur
réussite, mais qui a aussi pour
­ Des interventions au collège pour
conséquence de les fragiliser (ils faire découvrir l’offre de la média-
sont menacés par le départ ou thèque
l’épuisement des individus concer- Plusieurs établissements de l’échantil-
nés) et d’en restreindre l’envergure lon mettent en œuvre des ­dispositifs
(toute une partie des collégiens qui amènent les bibliothécaires à in-
passe de fait entre les mailles du tervenir hors-les-murs en particulier
filet, et n’est jamais impliquée, au dans les collèges. Ceux-ci se rendent
cours de sa carrière scolaire, dans parfois dans l’espace transversal
un quelconque projet en lien avec la que constitue le CDI, ­ notamment
bibliothèque). pour animer des clubs de lecture, en
collaboration avec les documenta-
DES PARTENARIATS AU LONG listes, et dans un rôle assez ­similaire
COURS ET RÉCIPROQUES à celui qu’ils jouent dans leur éta-
De la bibliothèque au collège, blissement.
aller-retour Les interventions dans les classes
Conscients que l’initiation peut faire sont plus rares, mais décrites
long feu si elle n’est pas prolongée, comme fructueuses. Des bibliothé-
certains établissements cherchent caires viennent présenter des livres,
à construire une familiarité. L’initia- par exemple dans un cours de
tion au fonctionnement du lieu est français, dans un rôle relativement
un préalable (et plus spécifiquement proche de la fonction habituelle

L J Essais - études – enquêtes 57


d’un bibliothécaire, à la différence Des projets coconstruits
près qu’il s’agit de s’adresser à un Dans tous les cas, les projets de
groupe et non pas à des individus partenariats entre bibliothèques
(différence notable dans l’approche et collèges ou lycées ne semblent
de la transmission que l’on retrouve fonctionner qu’à condition d’être
dans les facteurs décisifs ayant coconstruits. En d’autres termes, il
­présidé au choix du métier). L’inter- n’est pas efficace de construire un
vention se fait alors en présence projet, aussi séduisant soit-il, dans
de l’enseignant et en collaboration les murs de la bibliothèque (ou dans
avec celui-ci de manière à assurer ceux du collège ou du rectorat) pour
le bon déroulement de la séance. Il tenter ensuite de l’exporter en le
faut en effet gérer le groupe sur le plaquant. Une telle approche mé-
moment (distribuer la parole, pré- connaît trop souvent les contraintes
ciser le cadre de l’activité, régler les et les logiques des partenaires, ce
éventuels incidents, rappeler à la qui menace lourdement sa mise
règle, etc.), mais aussi donner du en œuvre : s’il est fondé sur une
sens à la séance, donc la préparer et vision caricaturale des missions de
la réinvestir après coup : on devine l’autre (du bibliothécaire cantonné
ici l’importance de la construction à ses collections ou de l’enseignant
du projet et de la définition claire accroché à ses classiques) ou s’il
des tâches de chacun de manière à néglige d’intégrer les obstacles qu’il
éviter tout malentendu et tout flou est ­susceptible de rencontrer, il a
générateur de chahut. toutes les chances de rester lettre
Dans d’autres cas, qui requièrent un morte ou de faire long feu.
semblable travail de ­ préparation,
l’intervention du bibliothécaire est LA BIBLIOTHÈQUE COMME ESPACE
plus proche de celle d’un ensei- DE TRAVAIL ET DE RESSOURCES
gnant  : il vient dans la classe pour Travailler en bibliothèque dans une
faire un exposé qu’il nourrit de perspective scolaire, c’est aussi,
­documents. Il fait découvrir des au-delà de ces projets de plus ou
œuvres et transmet des savoirs, moins grande envergure, accueillir
mais dans un ordre de priorité dif- les jeunes en dehors du temps sco-
férent qui fait des documents des laire, mais en prenant en compte
ressources et non une fin en soi. leurs besoins d’espace et de res-
C’est avec une telle logique que des sources proprement scolaires. Une
discothécaires de Montreuil inter- telle position ne va pas complète-
viennent au collège sur l’histoire du ment de soi en théorie. On peut en
jazz aux États-Unis60. effet considérer que les collégiens
bénéficient déjà de leurs manuels
scolaires et de l’offre du CDI, mais

Comment coconstruire ?
Il s’agit de réunir les différents partenaires possiblement impliqués et rassem-
blés par une envie de mettre en commun leurs forces, puis de construire le
projet collectivement. Une telle réunion demande une identification préalable
des partenaires concernés (ceux qui seront greffés après coup auront souvent
plus de mal à s’impliquer) et une gestion classique et efficace de réunion, avec
ordre du jour précis et compte rendu rapide, permettant d’établir clairement
l’avancée des réflexions, les points d’accord et les tâches à mener, avec leur
calendrier et les ­personnes qui en sont chargées. La gestion de la réunion doit
aussi faire en sorte de limiter les rapports de domination et de répartir la pa-
role de manière que chacun puisse s’exprimer. Ces éléments sont fondamen-
taux pour éviter les malentendus mais aussi les attitudes de désengagement
progressif qui mettent en péril la réalisation des projets.

L J Essais - études – enquêtes 58


aussi de ses espaces de travail. Mais Des outils informatiques
les horaires d’ouverture du CDI li- Tenir compte des besoins scolaires
mitent l’accessibilité de celui-ci, et la des jeunes, c’est par ailleurs leur
plupart des bibliothèques engagées offrir des outils informatiques leur
dans l’accueil des adolescents font, permettant de mener à bien des
de fait, en sorte de permettre le recherches, ainsi que de mettre en
travail scolaire en dehors du temps forme des exposés et des présen-
scolaire. tations. Les logiciels de traitement
de texte et de diaporama sont utiles
Un mobilier adéquat à cette fin (avec l’accompagne-
Elles commencent par proposer des ment que suppose leur utilisation).
espaces adéquats, et donc des tables Dans cette perspective, la possibi-
et des chaises de travail, comme on lité d’accéder à internet (avec les
en trouve de manière traditionnelle identifications et réglementations
dans les bibliothèques d’étude. Une qui s’imposent) et d’imprimer des
telle conception suppose un réé- documents (avec l’encadrement
­
quilibrage entre les espaces et les nécessaire pour éviter les abus) fait
­collections, ces dernières ayant par- l’objet de réflexions et de décisions
fois fini par grignoter l’espace laissé au cas par cas selon les établisse-
à l’usager. Elle suppose inversement ments. Les espaces informatiques
de ne pas dédier l’intégralité de sont eux-mêmes prévus, dans le
ces espaces au loisir et donc d’aller meilleur des cas, pour accueillir
éventuellement contre la tendance les différents usages et permettre
répandue aujourd’hui qui consiste à leur cohabitation, et en particulier
vouloir proposer des bibliothèques des usages individuels, studieux ou
« troisième lieu » animées et dotées ludiques, et des usages collectifs,
d’un mobilier propice à des postures nécessairement plus bruyants.
relâchées mais beaucoup moins au
travail : les tables peuvent finalement Des collections parascolaires
être en nombre insuffisant au regard Enfin, intégrer les besoins sco-
des besoins et l’on observe des réap- laires, c’est mettre à disposition
propriations de coins prévus pour la des ­collections adéquates. Cer-
presse ou la lecture de loisir à des tains établissements prennent le
fins scolaires et studieuses. parti de proposer des manuels sco-
laires, ne serait-ce que pour pouvoir
Des espaces de collaboration construire le réflexe de la recherche
Offrir un espace propice au travail dans ce type d’ouvrages, et parce
scolaire, c’est aussi proposer des lieux que les usagers peuvent gagner à
permettant les collaborations, de l’en- pouvoir recourir à des manuels qui
traide interindividuelle au travail de ne sont pas ceux qu’on leur a dis-
groupe nécessairement plus bruyant. tribués, par exemple des manuels
Cela revient à permettre la cohabi- d’un autre niveau. Beaucoup plus
tation de ces formes spécifiques de nombreux sont les établissements
travail avec les formes individuelles et de l’enquête qui intègrent des col-
silencieuses plus classiques. Certaines lections parascolaires. Si les usuels
des bibliothèques observées ont pris constituent des outils de référence
le parti d’isoler une salle de travail si- dans les bibliothèques, les édi-
lencieux et d’instaurer, dans les autres tions parascolaires de classiques
parties de l’espace, des tables permet- n’y figurent pas toujours. Certains
tant le travail de groupe. Il semble que établissements leur préfèrent des
ce mode de fonctionnement soit plus éditions en œuvre intégrale qui
facile à faire respecter que la règle présentent l’intérêt, pour les biblio-
du silence avec des coins parole iso- thécaires, de réunir l’ensemble de
lés (comme le box que l’on trouve en l’œuvre d’un auteur (ou à peu près)
bibliothèque universitaire). dans un format limité et pour un

L J Essais - études – enquêtes 59


prix réduit. Mais la faible maniabilité une attitude de retrait : parce qu’on
de ces ouvrages et leur appareil sou- n’est pas enseignant, on préfère ne
vent savant plus que pédagogique pas se lancer dans des explications
rend leur utilisation peu probable qui pourraient être erronées et
par des adolescents, plus habitués finalement mettre l’élève en diffi-
au format de poche, et potentielle- culté plutôt que lui rendre service.
ment impressionnés par la violence Cet argument a donc à voir avec
symbolique de ces gros volumes. un sentiment d’illégitimité et avec
une modestie que l’on retrouve
Des outils de révisions de manière plus large dans l’ethos
Le choix d’investir dans des res- du métier61. Il mise aussi sur le fait
sources parascolaires, c’est aussi, que l’élève pourra disposer d’autres
plus spécifiquement, l’acquisition espaces où il pourra se faire aider,
d’ouvrages divers de révision et d’en- notamment dans le cadre scolaire
traînement, destinés à accompagner (celui de la classe et surtout celui de
la préparation des examens. Si la dé- l’étude), mais aussi, parfois, dans le
marche de ces ouvrages est parfois cadre associatif.
contestée, comme apparentée à un Cette attitude, qui a sa logique,
bachotage s’opposant à la véritable n’est cependant pas exempte de
maîtrise des savoirs et à la culture paradoxes au regard des profils
gratuite et désintéressée, la plu- qu’on emploie pour assurer, le cas
part des bibliothèques de l’enquête échéant, l’aide aux devoirs en biblio-
les proposent, admettant qu’ils thèque.
font l’objet d’une demande et d’un
usage, et considérant qu’elles ont à De l’aide informelle aux dispositifs
mettre à disposition de tous ce que formalisés
les familles les plus aisées mettent En effet, si dans certains établisse-
à celle de leurs propres enfants. Le ments, les bibliothécaires assurent
fonds se compose d’ouvrages rela- une aide ponctuelle aux devoirs (qui
tifs aux formations générales, mais est d’ailleurs souvent avant tout une
aussi aux formations techniques et aide méthodologique – apprendre
professionnelles dans leur diversité, à s’organiser dans son travail, à
selon l’offre scolaire locale. Certains relire ce qui est demandé, à cher-
établissements prennent acte de la cher et vérifier l’information, à la
demande massive de ces ouvrages synthétiser, etc., toutes choses fina-
par les jeunes en réglementant leur lement proches de l’initiation à la
possibilité d’emprunt, ou en en pro- recherche documentaire), d’autres
posant plusieurs exemplaires. ­établissements ont mis en place des
dispositifs, plus formels, d’aide aux
AIDER AU TRAVAIL SCOLAIRE devoirs.
Un en-dehors du métier ? Dans ce cas, ce ne sont presque
Au-delà des espaces et des collec- jamais des bibliothécaires qui la
tions, les bibliothèques engagées prennent en charge, du moins dans
en direction des adolescents font les différents exemples que nous
aussi, le plus souvent, en sorte de avons pu observer, et ce malgré leur
répondre aux besoins d’aide sco- niveau de diplôme (beaucoup ont
laire. Là encore, c’est un choix qui une formation supérieure). Ils s’ap-
n’est pas la règle. Le principe de divi- puient sur des inactifs, retraités ou
sion du travail entre bibliothécaires étudiants, pour assurer le soutien
et enseignants conduit souvent qu’ils ne se sentent pas autorisés à
les premiers à se démarquer des assurer. Les talents péda­gogiques
seconds non seulement en misant de ces personnels de renfort ne
sur la lecture plaisir et la culture sont pas beaucoup plus assurés que
loisir, mais aussi par un « Nous, on n’est vérifiée la validité de ce qu’ils
n’est pas enseignant » qui justifie transmettent, mais la fonction leur

L J Essais - études – enquêtes 60


confère une légitimité suffisante, et à une contrainte volontaire et au
leur engagement dans cette fonc- regard des autres, et, ce faisant,
tion les conduit le plus souvent à échapper aux tentations et à la dé-
être effectivement utiles. Ainsi cer- concentration.
taines bibliothèques de la Ville de Certaines bibliothèques munici-
Paris sont impliquées dans un dis- pales confrontées à un afflux de
positif nommé « Coup de pouce  », jeunes réviseurs ont ainsi décidé
dans lequel interviennent des d’en prendre acte et de se donner
jeunes, souvent préalablement étu- les moyens de satisfaire ce besoin
diants, embauchés au titre du ser- plutôt que de dénoncer une inva-
vice civique – et qui, pour ­certains, sion des espaces de toute façon
découvrent ainsi le monde des éphémère. Elles réaménagent leurs
­bibliothèques. espaces pendant les quelques se-
maines de la période considérée,
Préparation aux examens dédiant par exemple à cette fin une
On retrouve ce même recours à salle spécifique utilisée d’ordinaire
des non-bibliothécaires dans des pour l’action culturelle, voire consa-
dispositifs spécifiques d’aide à la crant le hall d’entrée à cet usage, et
révision, mis en place dans cer- y installant un mobilier provisoire
tains établissements. Les bibliothé- qui permet de répondre à cette de-
caires y constatent en effet la pré- mande accrue de places assises.
sence accrue des jeunes dans les Certaines ne se contentent pas
périodes précédant les examens. d’un réaménagement des espaces
Une étude portant sur les lycéens mais proposent un service d’accom-
venant réviser le baccalauréat à la pagnement à la révision, appuyé sur
Bibliothèque nationale de France ou une équipe de bénévoles. Ce dispo-
à la Bibliothèque Publique d’Informa- sitif permet ainsi de participer à la
tion du Centre Pompidou montrait transmission de savoirs en même
que les lycéens venaient chercher temps qu’à la construction progres-
ici autant un cadre studieux (mais sive d’une habitude de fréquen-
avec des définitions différentes du tation. Il constitue un temps fort
«  studieux » d’un endroit à l’autre) de l’année, au même titre que des
qu’une première immersion leur événements inscrits dans la pro-
donnant un avant-goût de leur futur grammation culturelle, mais avec
statut d’étudiant (et fonctionnant à une logique distincte, plus utilitaire
ce titre comme un rite de passage)62. et plus proche de l’école, qui est
Dans les bibliothèques de lecture sans doute plus répandue dans les
publique, cette seconde motiva-
­ bibliothèques anglo-saxonnes qui
tion est sans doute moins décisive fonctionnent comme des learning
qu’elle ne l’est dans les grands éta- centers63, que dans les bibliothèques
blissements nationaux. Mais le rôle de lecture française où continuent
du cadre est ­important : travailler de dominer la culture gratuite et la
dans un espace collectif et dédié à « lecture plaisir ».
cette fin, c’est en effet se soumettre

L J Essais - études – enquêtes 61


EN CONCLUSION
L’ENQUÊTE
des jeunes issus de milieux sociaux
plus diversifiés (c’est-à-dire pas
Si leur but est l’accueil ­seulement ceux qui viennent spon-
des adolescents, tanément parce qu’ils sont poussés
par leur famille et par une curiosité
il s’agit d’abord de faire venir préexistante qui va souvent de pair
plus d’adolescents avec un capital culturel hérité).
Il importe surtout de les accueil-
lir mieux, ce qui n’est pas toujours
L’enquête a permis de mettre au un point crucial des évaluations
jour des politiques et des pratiques des tutelles, ne serait-ce que parce
qui sont pour l’heure l’exception qu’il est plus difficile à mesurer
plus que la règle, tant ce segment de directement (on peut voir là une
public mal défini est encore souvent des causes du relativement faible
relégué dans l’impensé, et ce d’au- investissement des établissements
tant plus que la catégorie est aussi dans cette direction, en dehors
hétérogène que floue. On ne peut de l’échantillon ­ sélectionné pour
pas prétendre généraliser les ma- l’enquête). Mais cette qualité de
nières de faire analysées ici, mais il l’accueil des ­adolescents a une inci-
est possible de s’en inspirer, à condi- dence sur l’utilité sociale (diffusion
tion de tenter d’en c­ omprendre les du savoir et/ou «  vivre-ensemble »)
logiques et les changements qu’elles et la satisfaction des usagers (donc
impliquent, dans l’organisation des aussi de r­éputation, compte tenu
collections, des espaces et du tra- du rôle joué par le ­bouche-à-oreille
vail, mais surtout dans la vision du dans des tranches d’âge où le
métier et la posture engagée dans groupe de pairs est central). Elle est
l’exercice quotidien du travail. aussi décisive en ce qu’elle retentit
La complexité de ces politiques, qui sur ­l’ambiance même de la biblio-
sont presque toujours des séries thèque, permettant à la fois un
d’actions plus que des programmes travail plus serein des personnels
formalisés, tient à ce qu’elles ré- et une meilleure cohabitation des
pondent à des enjeux souvent usagers.
mêlés, en même temps qu’elles
intègrent des contraintes locales
propres, tenant à l’implantation et Il importe surtout
aux spécificités de l’établissement
(composition sociale du quartier, de les accueillir mieux
présence d’autres institutions et
liens entretenus avec celles-ci,
rayonnement de la bibliothèque Ces politiques d’accueil combinent
sur le territoire, histoire de cette actions symboliques et actions de
dernière, moyens dont elle dispose, fond. Elles jouent sur la perception
priorités définies par la tutelle, etc.). de l’institution en même temps
Si leur but est l’accueil des adoles- qu’elles travaillent à la médiation.
cents, il s’agit d’abord de faire venir Si certains établissements semblent
plus d’adolescents (donc de travail- accorder davantage d’importance
ler à lutter contre l’érosion souvent aux effets vitrine des réaménage-
déplorée qui touche les collégiens) ments d’espaces, des é ­vénements
et, en particulier, de faire venir, dans exceptionnels ou des projets
une optique de démocratisation ­d’envergure, d’autres sont plutôt
culturelle et/ou de cohésion sociale, engagés dans un travail quotidien,

L J Essais - études – enquêtes 62


lent et inscrit dans la durée, qui différenciés. Concrètement, cette
mobilise l’ensemble des équipes. volonté se traduit dans une posture
Ces deux manières de voir ne sont d’accueil qui manifeste à l’égard des
toutefois pas antithétiques : actions jeunes une reconnaissance de leur
symboliques et travail de fond sont existence et de leurs besoins spéci-
complémentaires en ce qu’ils per- fiques, y compris singuliers.
mettent d’atteindre des objectifs Ces politiques s’appuient très souvent
distincts mais indissociables. sur des partenariats qui permettent
Les bibliothèques observées pré- d’aller chercher ces publics là où ils
sentent souvent une ­ organisation sont, mais aussi de mutualiser les
spécifique des espaces, avec au ressources. D’envergure variable,
moins un coin « adolescents » plus ils engagent des partenaires ins-
ou moins développé, et, des équipes, titutionnels divers et, au premier
avec parfois un référent adoles- chef, les établissements scolaires
cents et des postes ­spécifiques du secondaire, mais aussi les
profilés autour de la médiation, centres de loisirs et parfois d’action
de l’accompagnement scolaire, du sociale. Ponctuels ou récurrents,
jeu vidéo ou du numérique. Mais parfois inscrits dans des d ­ ispositifs
ce qui les caractérise de manière institutionnels formalisés, comme
­
commune, ­au-delà des différences les contrats territoire lecture,
de partis pris, c’est l’existence d’une qui leur allouent des moyens et
politique d’accueil des adolescents, facilitent leur émergence, ils ne
c’est-à-dire d’une réflexion sur cette ­fonctionnent que pour autant qu’ils
question et d’une série de décisions s’inscrivent dans une logique de co-
cohérentes avec des réajustements construction de projet et d’échange.
permanents en fonction des effets Ils nécessitent donc de penser la
observés, dans une logique de ré- question de l’accueil des adoles-
flexivité qui paraît une des clés de cents bien au-delà du cadre de la
leur efficacité. bibliothèque comme une question
Ces bibliothèques mettent en qui concerne le territoire dans son
œuvre des dispositifs variés, qui ne ensemble.
sont pas nécessairement transpo-
sables d’un établissement à l’autre,
mais qui sont adaptés aux priori- Cette volonté se traduit dans
tés et aux contextes locaux. Ce ne
sont pas toujours les actions les une posture d’accueil
plus visibles qui sont les plus cru- qui manifeste à l’égard des jeunes
ciales, ce qui ne signifie pas pour une reconnaissance
autant qu’elles soient sans effet. Ce
ne sont pas non plus toujours les
actions les plus larges qui comptent La plupart des établissements enga-
le plus car certains dispositifs qui gés en direction des adolescents
ne touchent qu’un groupe restreint misent sur la « culture jeune », vue
sont ­susceptibles d’avoir des retom- comme particulièrement suscep-
bées b­ eaucoup plus larges. tible de toucher ce public, mais
Ce qui les réunit au-delà de cette va- mangas, jeux vidéo et hip-hop sont
riété, c’est une volonté de prendre parfois investis de missions qui
en charge ce public et de l’accep- dépassent largement la fonction de
ter comme un vrai public, qui mé- séduction qu’on peut être tenté de
rite qu’on le considère, qu’on lui leur assigner, notamment des mis-
consacre une partie des moyens sions de socialisation, d’éducation
dont on dispose, qu’on s’intéresse et/ou de transmission de savoirs. Il
à lui et qu’on s’occupe de lui, en est frappant en effet que, presque
tant que groupe abstrait mais aus- toujours, ces politiques en direc-
si en tant que somme d’individus tion des adolescents sont pensées

L J Essais - études – enquêtes 63


autour d’un objectif fondamental de mais aussi, plus largement, à la
transmission, qui ne s’oppose pas à démocratisation culturelle. Motivés
celui porté par l’institution scolaire et militants, certains sont prêts à
mais le soutient, avec des moyens dépenser une énergie considérable
spécifiques et des formes distinctes, dans l’exercice de leur fonction,
mais aussi des formes proches et ­notamment dans la mise en place de
des partenariats entre les deux ins- partenariats parfois lourds, et dans
titutions. le travail relationnel avec les jeunes
Tout cela ne peut se faire qu’avec eux-mêmes. Un tel engagement est
des moyens appropriés, humains, certes un moteur pour les person-
financiers et organisationnels, qui nels concernés mais plus largement
permettent un travail d’équipe au pour les équipes dans lesquelles
quotidien, l’instauration de parte- ils sont pris. Il faut ­néanmoins
nariats, notamment avec les col- prendre garde qu’il ne disparaisse
lèges et les lycées, la conduite de avec les potentielles mutations, et
projets d’envergure, et l’accès aux surtout qu’il ne s’épuise quand les
actions de formation, qui semble conditions de travail se dégradent,
fonctionner comme un prérequis quand les exigences s’accroissent
en f­ ournissant à la fois de l’informa- de manière inversement propor-
tion et les outils d’une indispensable tionnelle aux moyens, et que la
réflexivité. La reconnaissance des reconnaissance n’est pas à la hau-
tutelles à l’égard des initiatives por- teur du travail fourni. Au-delà des
tées dans ces établissements et des engagements individuels, l’accueil
personnels qui les portent apparaît des adolescents requiert un travail
donc comme essentielle. d’équipe et une reconnaissance ins-
L’engagement personnel apparaît titutionnelle pour devenir l’affaire
comme important mais aussi am- de tous. C’est en effet d’abord une
bigu. Nombre des bibliothécaires question politique, qui engage la
rencontrés au cours de l’enquête collectivité et ce qu’elle entend faire
manifestent un fort intérêt pour les pour sa jeunesse, donc aussi pour
adolescents et une volonté d’agir de son avenir.
manière à contribuer à leur accueil,

L J Essais - études – enquêtes 64


BIBLIOGRAPHIE
PUBLICATIONS DE CÉCILE RABOT EN LIEN AVEC LE SUJET
• La Construction de la visibilité littéraire en bibliothèque, Villeurbanne, Presses
de l’Enssib, 2015.
• « Des best-sellers en tête de gondole des bibliothèques ? Valeur littéraire et
stratégie professionnelle », Revue critique de fixxion française contemporaine,
n° 15, 2017, en ligne.
• «  Les adolescents, le numérique, la lecture et les bibliothèques  », in Mina
­Bouland (dir.), Être bibliothécaire jeunesse aujourd’hui, Association des biblio-
thécaires de France, 2016, p. 72-77.
• « Le travail de sélection des comités de bibliothécaires : effets de dispositions
et d’organisation », ConTextes, n° 17, 2016, en ligne.
• « Le roman policier en bibliothèque : institutionnalisation et légitimation d’un
genre littéraire », À l’épreuve, n° 3, 2016.
• « Les politiques d’accueil des adolescents en bibliothèque : des pistes pour
la démocratisation culturelle », Politiques de la culture, en ligne, 4 septembre
2017.
• « Je préfèrerais ne pas : De l’exclusion assumée à l’autocensure », Lecture jeune,
n° 155, 2015, p. 29-34.
• « Les médiathèques pour tous ? », Informations sociales, n° 190, 2015, p. 106-
114, en ligne.
• «  Les adolescents, public insaisissable des bibliothèques  ?  », Lecture jeune,
n° 150, 2014, p. 37-38.
• « La démocratisation culturelle par les bibliothèques de lecture publique, une
préoccupation d’hier ? », Politiques de la culture : Carnet de recherches du Comi-
té d’histoire du Ministère de la culture et de la communication sur les politiques,
les institutions et les pratiques culturelles, 2 juin 2014, en ligne.
• « L’art du présentoir : un sens pratique professionnel à l’œuvre », Bulletin des
Bibliothèques de France, vol. 58, 2013/3, p. 31-35, en ligne.
• «  Les Mordus du polar  : prix d’adolescents ou de bibliothécaires  ?  », Lecture
jeune, n° 147, 2013, p. 17-22, en ligne.
• « Le rapport des bibliothécaires de lecture publique aux auteurs », Sociologie,
2012/4, p. 359-376, en ligne.
• «  Les “coups de cœur” d’une bibliothèque de lecture publique  : valeurs et
­enjeux professionnels d’une sélection littéraire  », Culture & Musées, no  17,
2011, p. 63-84, en ligne.

BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE DE CÉCILE RABOT


Sur la lecture des adolescents
• Les adolescents et la lecture, actes de l’Université d’été d’Évian, Collection ­Argos,
Le Perreux, CRDP de l’Académie de Créteil, 1995.
• C. BAUDELOT, M. CARTIER, ET C. DÉTREZ, Et pourtant, ils lisent, Éd. du Seuil,
1999.
• C. BAUDELOT, M. CARTIER, « Lire au collège et au lycée : [de la foi du charbon-
nier à une pratique sans croyance] », Actes de la recherche en sciences sociales
123, no 1, 1998, 25-44, en ligne.
• B. BERTHOU (dir.), La Bande dessinée : quelle lecture, quelle culture ? Études et

L J Essais - études – enquêtes 65


recherche, Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2015, en ligne.
• M. BURGOS, « Ces lecteurs sont-ils des lecteurs ? », Bulletin des Bibliothèques
de France, vol. 37, no 1, 1992, p. 16-23.
• C. DÉTREZ, «  Des shonens pour les garçons, des shojos pour les filles ?  »,
­Réseaux, vol. 168-169, no 4, 2011, p. 165-186.
• C. DÉTREZ, F. RENARD, « "Avoir bon genre ?" : les lectures à l’adolescence », Le
français aujourd’hui, vol. 163, no 4, 2008, p. 17-27.
• C. DÉTREZ, O. VANHÉE, Les Mangados : lire des mangas à l’adolescence, Biblio-
thèque publique d’information, Centre Georges Pompidou, 2012.
• J-M. ÉTIENNE, «  Lectures d’œuvres de divertissement au collège  », Informa-
tions sociales, no 190 (2015), p. 18-24.
• J-M. ÉTIENNE, Comment les collégiens voient-ils les livres ? LJ+, Lecture jeunesse,
2016.
• V. LE GOAZIOU, Lecteurs précaires : des jeunes exclus de la lecture ?, Édité par
l’Observatoire national de la lecture, et Lire et faire lire, l’Harmattan (Débats
jeunesses), 2006.
• S. LEMARCHAND, Devenir lecteur : l’expérience de l’élève en lycée professionnel,
Presses universitaires de Rennes, 2017.
• F. RENARD, Les Lycéens et la lecture : entre habitudes et sollicitations, Presses
universitaires de Rennes, 2011.
• F. DE SINGLY, Lire à 12 ans : une enquête sur les lectures des adolescents / Obser-
vatoire France-loisirs de la lecture, Nathan, 1989.
• M. VASTA, Livres choisis, livres prescrits, LJ+, Lecture jeunesse, 2017.

Adolescents et bibliothèques
• P. CHEVALLIER, C. EVANS, « Attention, lycéens ! », Bulletin des Bibliothèques de
France, vol. 58, no 2, 2013, p. 24 29.
• F. ENEL, « La prise en charge des spécificités adolescentes par les politiques
éducatives et culturelles des collectivités publiques », Agora débats/jeunesses,
2014/1 n° 66, p. 119-133, en ligne.
• A. JAMET, J-B. ROGASIK, et T. ROUSSEAU. « [Les adolescents et la bibliothèque
- le cas du réseau municipal lyonnais]  », Mastère spécialisé Marketing &
­Management des services, mission Ville de Lyon, 2006.
• C. POISSENOT, Les Adolescents et la bibliothèque : fidélité et désertion, Éd. de la
BPI - Centre Georges Pompidou, 1998. en ligne.
• V. REPAIRE, C. TOUITOU, Les 11-18 ans et les bibliothèques municipales, ­Editions
de la Bibliothèque publique d’information, 2010. en ligne.
• J-M. PRIVAT, B. PEDOT, C. RIVES, Bibliothèque, école  : quelles coopérations ?
­Collection Argos, CRDP d’Île-de-France, Académie de Créteil, 1994.
• J-M. PRIVAT, «  La coopération entre écoles et bibliothèques : entre résolutions et
indécisions », Bulletin des Bibliothèques de France, vol. 40, no 1, 1995, ­p. 45-48. en ligne.
• «  Publics et usages des bibliothèques municipales en 2016  », Ministère de
la culture, direction générale des médias et des industries ­culturelles, 2017,
en ligne.
• Les Relations des bibliothèques des collectivités territoriales avec les établis-
sements scolaires, rapport n°  2013-20 de l’Inspection générale des biblio-
thèques, 2013.
• M. ROSELLI, « Cultures juvéniles et bibliothèques publiques : Lier récréation
et espace culturel », Agora débats/jeunesses, 2014/1 N° 66, p. 61-75, en ligne.

L J Essais - études – enquêtes 66


Outils et médiations
• C. ABENSOUR, «  Les prix littéraires pour la jeunesse, des outils de média-
tion », Lecture jeune, no 147, 2013, en ligne.
• M. BURGOS, J-M. PRIVAT, « Le Goncourt des lycéens : vers une sociabilité litté-
raire ? » in Lire en France aujourd’hui, Éd. du Cercle de la librairie, 1993, p. 163-181.
• B. CÉROUX, C. CRÉPIN, « Construire une offre de loisirs avec les adolescents :
Étude d’un dispositif expérimental de la CNAF  », Agora débats/jeunesses,
2014/1 n° 66, p. 107-118, en ligne.
• C. DAHAN, F. LABADIE, S. OCTOBRE, « Introduction : Pensés et impensés des
médiations culturelles pour les adolescents », Agora débats/jeunesses, 2014/1
n° 66, p. 40-46, en ligne.
• Enquête sur les actions des bibliothèques territoriales en matière d’éducation
­artistique et culturelle, rapport, Ministère de la culture et de la communication,
Service du livre et de la lecture, 2015.
• International Federation of Libraries Associations and Institutions (IFLA), Pour
l’accueil des adolescents dans les bibliothèques, 2008, révision du texte de 1996.
• F. LEGENDRE, « Jeu et bibliothèque : pour une conjugaison fertile », Inspection
générale des bibliothèques, 2015, en ligne.
• C. MASSE, « La meZZanine », Bulletin des Bibliothèques de France, vol. 58, no 2,
2013, p. 70-73.
• S. MOREL, « Une classe de zep à l’opéra de paris », Réseaux no 137, no 3, 2006,
p. 173-205.
• M. NOUVELLON, A. JONCHERY, «  Musées et adolescents  : l’impossible
­médiation ? Une enquête à l’intérieur et autour du Centre Pompidou », Agora
débats/jeunesses, 2014/1 n° 66, p. 91-106, en ligne.
• C. POSLANIEC, Donner le goût de lire : des animations pour faire découvrir aux
jeunes le plaisir de lire, La Martinière, coll. « La littérature jeunesse, pour qui,
pour quoi », 2010.

Inégalités et enjeux de démocratisation


• P. ANCEL, A. PESSIN (dir.), Les Non-publics : les arts en réceptions, I, L’Harmattan
(Logiques sociales), 2004.
• J-F. BARBIER-BOUVET, «  L’embarras du choix  », Bulletin des Bibliothèques de
France, vol. 31, no 4, 1986, en ligne.
• S. BONNÉRY, (dir.), Supports pédagogiques et inégalités scolaires : études socio-
logiques, la Dispute, 2015.
• La Culture contre l’échec scolaire : former des citoyens en favorisant l’intégration
des jeunes en situation d’échec scolaire par l’accès aux lieux de culture, actes de
l’Université d’été, octobre 1998, Documents, actes et rapports pour l’éduca-
tion, Centre national de documentation pédagogique, 2001.
• F. ELOY, «  Le rapport des élèves de milieux favorisés à la culture scolaire  :
Le cas de l’éducation musicale au Collège », Agora débats/jeunesses, 2014/1,
n° 66, p. 77-90, en ligne.
• P. MERCKLÉ, S. OCTOBRE, « La stratification sociale des pratiques numériques
des adolescents  », RESET. Recherches en sciences sociales sur Internet, no  1,
2012, en ligne.
• S. OCTOBRE, Y. JAUNEAU, «  Tels parents, tels enfants  ? Une approche de la
transmission culturelle », Revue française de sociologie 49, no 4, 2008, ­p. 695-722,
en ligne.

L J Essais - études – enquêtes 67


• F. RENARD, « “Reproduction des habitudes” et déclinaisons de l’héritage. Les
loisirs culturels d’élèves de troisième », Sociologie vol.4, no 4, 2013, p. 413-430,
en ligne.
• J-Y. ROCHEX, J. CRINON (dir.), La Construction des inégalités scolaires : Au cœur
des pratiques et des dispositifs d’enseignement, Presses Universitaires de
Rennes, 2011.
• M. ROSELLI, « Usagers et usages devant une offre de lecture publique libre :
parcours d’acculturation et formes d’appropriation lettrées », Sociétés contem-
poraines, vol. 64, no 4, 2006, p. 135-153.

L J Essais - études – enquêtes 68


ANNEXES

L J Essais - études – enquêtes 69


ANNEXES LES ADOLESCENTS EN
BIBLIOTHÈQUE,
RAPPELS HISTORIQUES
ANNEXE 1
Bernadette Seibel, sociologue, présidente d’honneur de Lecture Jeunesse
Article publié initialement dans Lecture Jeune n°112, La place des adoles-
cents en bibliothèque, décembre 2004, p. 4-15

LA DÉCOUVERTE PAR LES BIBLIO- comme classe d’âge spécifique64 : la


THÈQUES D’UN PUBLIC SPÉCIFIQUE décennie est marquée par l’exten-
DANS LA SECONDE MOITIÉ DU XXE sion et la démocratisation scolaire
SIÈCLE (passage de tous en sixième), le
La découverte par les bibliothèques développement de nouvelles zones
d’un public spécifique dans la se- urbaines et l’attention portée au dé-
conde moitié du XXe siècle C’est veloppement culturel à une époque
à partir de la fin des années 50 qui prêche l’éducation permanente
qu’émerge progressivement la et le plein emploi des loisirs65.
découverte d’un public spécifique
au sein des bibliothèques, le public Le rôle déterminant de la Section
adolescent. On peut distinguer des bibliothèques publiques
trois périodes significatives de cette Au départ la section est animée
construction, chacune renvoyant par une petite équipe d’une quin-
à un mode d’appréhension diffé- zaine de membres dont Odile
rent de la catégorie ainsi qu’à des Altmayer, bibliothécaire au centre
­
­pratiques professionnelles et admi- de formation professionnelle et
nistratives spécifiques. technique de la Régie Renault, as-
sure la présidence. La plupart des
LES ANNÉES 60-70 membres de la section travaillent
L’irruption de l’adolescence dans les dans des ­ bibliothèques qui ont
préoccupations professionnelles est un rôle éducatif important (biblio-
le fait de la fraction la plus novatrice thèques ­municipales, d’entreprises,
des bibliothécaires qui militent pour de lycées, d’hôpitaux) et où l’on se
l’imposition d’une nouvelle concep- ­préoccupe davantage de diffusion
tion de la lecture publique au sein de des connaissances que de conser-
la « Section des petites et moyennes vation. On notera le caractère
bibliothèques à rôle éducatif  » relativement marginal de ce petit
­
créée en 1959 dans l’Association groupe par rapport à l’administra-
des Bibliothécaires Français. Celle-ci tion des bibliothèques puisqu’il ne
deviendra par la suite la Section des comprend aucun b ­ibliothécaire
bibliothèques publiques au sein de chargé d’un grand établissement
l’ABF. L’importation de la catégorie et appartenant au corps d’État
adolescence est ainsi concomitante relevant de la direction des Biblio-
du renouvellement de la lecture pu- thèques. À ce premier groupe
blique qui s’inscrira politiquement s’ajoutent ­rapidement des biblio-
et pratiquement dans les faits pen- thécaires municipaux. A partir de
dant la décennie 70. Cette nouvelle 1965, la section devenue «  section
préoccupation professionnelle s’ins- de la Lecture ­publique » va étendre
crit dans un contexte favorable à la sa représentativité au niveau natio-
prise en compte de l’adolescence nal : elle compte 570 personnes en

L J Essais - études – enquêtes 70


1970, et Michel Bouvy, conserva- sein d’une bibliothèque d’adultes,
teur à Cambrai, en est le président les itinéraires de lecture des jeunes,
jusqu’en 1971. Une plate-forme et la vie et le fonctionnement d’une bi-
des orientations sont élaborées bliothèque de jeunes en liaison avec
qui tournent résolument le dos au les autres institutions culturelles. Ce
passé, c’est-à-dire à la conservation, groupe de militants se préoccupe
pour viser la diffusion de la culture prioritairement des adolescents  ;
« vivante » proche des usagers ; elles ce n’est qu’en 1967 qu’est organisée
font du bibliothécaire un animateur. la troisième journée d’études sur le
Trois lignes d’action sont définies  : thème du « livre, de la bibliothèque
le développement d’une nouvelle et de l’enfant  ». Enfin des publi-
biblio­
théconomie appuyée sur le cations régulières accompagnent
libre accès aux collections, la réno- ce mouvement de réflexion et de
vation du mouvement professionnel diffusion de l’innovation comme
par l’entraide, et surtout la mise en ­Éducation et Bibliothèque de 1961 à
œuvre d’une action visant à créer les 1965, relayée par Lecture et biblio-
conditions politiques du développe- thèque que dirige Michel Bouvy à
ment des bibliothèques publiques. partir de 1967.
Ce groupe est ainsi conçu dès l’ori-
gine comme un groupe de pression, Essor de la lecture publique, prise
aidé en cela par la recherche et les en compte timide du public ado-
comparaisons avec l’étranger66. lescent
La Section participe également à la
Des journées d’étude porteuses préparation du travail du groupe in-
d’idées novatrices terministériel constitué par Georges
Parmi les moyens d’action mis en Pompidou en 1966. Le rapport que
œuvre pour atteindre ces objec- ce groupe remet un an plus tard
tifs, des journées d’étude ont ceci donne sa caution à une conception
de particulier qu’elles s’appuient nouvelle de la lecture publique,
sur les acquis de la recherche pour en rupture avec la prédominance
diffuser des idées neuves. La pre- des techniques de conservation et
mière, ­ organisée dès 1963, porte conduit à des mesures concrètes
sur l’extension du public de la biblio- qui voient le jour en 1968 : création
thèque. Précédée d’une enquête, d’un service spécialisé à la direction
nourrie d’un exposé du sociologue des Bibliothèques, accroissement
­Dumazedier, elle comporte des car- du budget et donc de la participa-
refours dont les intitulés témoignent tion de l’Etat à la construction et au
bien de l’orientation des préoccupa- fonctionnement des bibliothèques.
tions du groupe : « connaissance du Cependant le rapport final de la
public », « équipement de la biblio- commission du groupe d’études sur
thèque  », «  relations publiques  », «  [l]a lecture publique en France  »
«  animation culturelle  », «  dévelop- ne mentionne pas explicitement
pement de bibliothèques pour la une orientation de l’action auprès
jeunesse  ». Dès l’année suivante, de publics spécifiques, dont les
une seconde journée d’étude sur jeunes. La position officielle est sur
«  Les jeunes et la bibliothèque  » ce point très en retrait par rapport
regroupe des professionnels à celle des professionnels présentée
­confrontés à des publics de jeunes dans le « Rapport final de la commis-
différenciés scolairement et sociale- sion des bibliothèques ­publiques  »
ment (apprentis, lycéens), porteurs lors des assises n ­ ationales qui se
de rapports différents à la lecture. Y tiennent les 6-8  juillet 1968. Ce
sont abordés des thèmes comme la rapport insiste sur la nécessité de
pédagogie de la lecture, la contribu- former les lecteurs de demain en
tion de la lecture à la formation des accordant une place prépondé-
adolescents, la lecture de ceux-ci au rante à la lecture des ­ enfants et

L J Essais - études – enquêtes 71


des ­ adolescents, ­ condition pre- la ­bibliothèque. Ne vaudrait-il pas
mière du développement de la mieux, disent-ils, le prévoir dans le
lecture ­publique en France. Ceci programme ? »67. Et de conclure sur
implique une formation obligatoire la nécessité de conduire pour cette
«  lecture des jeunes  » à tous les classe d’individus la même réflexion
niveaux d’enseignement y c­ompris que celle menée par la Joie par les
à l’École Nationale Supérieure des Livres depuis 1963 en s’orientant
Bibliothécaires, de manière à ce vers des solutions proches.
que le ­ service pour jeunes créé
dans chaque établissement puisse Intégration ou segmentation ?
être confié à du personnel qualifié. On note donc qu’à la différence du
Le rapport insiste également sur le projet pédagogique novateur orien-
fait que les services pour jeunes ne té vers les enfants qui entend initier
doivent pas être isolés des services au plaisir de lire en spécifiant non
pour adultes. scolairement l’offre et les manières
d’offrir, l’action vers les adolescents
Les adolescents reconnus comme est sous-tendue dès le départ par
catégorie spécifique une double préoccupation : un souci
L’adolescence est alors présentée d’insertion sociale dans une période
moins comme une classe d’âge, à difficile d’incertitude psychologique
l’instar de ce qui se pratique pour du comportement liée à la construc-
les enfants (moins de 14  ans), tion identitaire et à un moment de
que comme « la période cruciale différenciation culturelle, celle-ci
­d’insertion dans la société adulte ». pouvant entraîner la mise à distance
de la pratique lectorale, mais aussi
la reconnaissance de la diversité des
Il faut attendre 1972 et le rapport situations intrinsèques à la catégo-
établi par Alice Garrigoux chargée rie. Les préconisations quant aux
du service de la lecture publique à solutions à apporter pour ­ traiter
la Direction des Bibliothèques et de cette classe d’âge dans les biblio-
la Lecture publique au ministère de thèques hésitent donc dès l’origine
l’Éducation nationale, pour que les entre deux options, la création de
adolescents apparaissent comme lieux d’expérimentation sur le mode
une catégorie spécifique, au même en vigueur et reconnu à l’époque
titre que les enfants, les personnes des sections pour enfants, ou une
âgées, les malades et les immigrés, prise en charge des adolescents par
et du même coup soient considérés l’ensemble de la bibliothèque.
comme des publics posant des pro- Cette ambivalence explique peut-
blèmes spécifiques. Le problème de être pourquoi, malgré la reconnais-
l’adolescence y est présenté comme sance dans les textes administratifs
n’étant «  pas le même pour les du fait adolescent, les moyens mis
jeunes qui continuent leurs études, en œuvre par la suite ne sont pas
pour ceux qui rejettent l’école et à la hauteur de la question posée
pour les travailleurs. Cette diversité par le rapport. Le considérable
est peut-être la cause d’une certaine ­effort d’équipement des années 70
incertitude chez les bibliothécaires. consacre la section Jeunesse dans
Faut-il ou ne faut-il pas p
­ révoir une tous les nouveaux équipements. Sa
section pour adolescents dans les création est impulsée par l’adminis-
bibliothèques ­publiques  ? Si l’on tration grâce au ¡eu des subventions
s’accorde à dire que l’adolescent a attachées au respect des normes
I’usage normal de la salle de prêt mais laisse de côté dans un flou
pour adultes, certains signalent général la question de l’accueil des
la propension des adolescents adolescents. Celui-ci continue à re-
à se regrouper entre eux et à lever de l’action militante qui lance
­accaparer à leur usage une salle de des projets novateurs m ­ arginaux

L J Essais - études – enquêtes 72


dans le but de faire école, comme chances égales sur le territoire. Mais
celui de Maisons-Alfort qui en 1976, le développement du goût et les
à l’instigation d’Odile Altmayer, techniques d’une lecture autonome
ouvre la première section s’adres- durable au-delà du temps scolaire
sant aux jeunes de 12 à 18  ans, sont considérés comme relevant
cinquante-deux ans après la créa-
­ de l’école bien qu’ils posent ques-
tion de l’Heure Joyeuse, et treize tion. Le rapport propose donc des
ans après celle de la Joie par les solutions différentes selon la classe
Livres. Il s’agit de transposer à la d’âge et évoque les problèmes par-
classe d’âge supérieure les innova- ticuliers de la lecture adolescente.
tions introduites dans les sections La généralisation des CDI (centres
Jeunesse en justifiant la ­spécificité de documentation et d’information)
de l’espace et des collections par dans les collèges en 1974 et l’orga-
le «  problème  » que pose aux nisation d’une sociabilité autour du
­bibliothécaires une occupation non livre au sein des clubs de lecture
conforme de l’établissement par sont avancés comme des modes
cette catégorie d’âge dès lors que d’intervention adaptés à un mo-
l’on applique les schémas nouveaux ment crucial de l’adhésion définitive
de la lecture ­publique  : accès libre au livre.
et diversification de l’offre et des
­espaces. ­L’apprentissage de nou- Alors que le rapport sur la lecture
velles ­modalités de lecture propre publique évoquait la différenciation
à cet âge comme la lecture d’infor- sociale et scolaire des adolescents, le
mation est déléguée à l’Éducation seul paramètre pris en compte dans
nationale. cette optique scolaire est d’ordre
psychologique et comportemental,
Les adolescents entre lecture en liaison avec le ­ développement
publique et lecture scolaire en vigueur de la pédagogie active  :
En effet, le bilan des années 70 établi le respect de l’exigence d’autonomie
par l’administration de la direction propre à cet âge.
du Livre, le rapport ­Vandevoorde
de 1981 sur «  [l]es bibliothèques Les CDI impliqués pour développer
en France  », déplace la question l’offre culturelle
des adolescents sur le secteur sco- Ce point de vue administrativo-­
laire, notamment lorsque sont professionnel, qui attribue à l’école
­envisagées les conditions du déve- le rôle déterminant dans la structu-
loppement. Plus généralement il ration de l’habitus lectoral, est repris
occulte la question du public, fort du dans le rapport Pingaud-Barreau de
succès remporté par le développe- 1982 «  Pour une nouvelle politique
ment de la lecture publique en dix du livre »68. Avec la prolongation de
ans, succès dont témoigne l’accrois- la scolarité et l’entrée en vigueur de
sement du taux de pénétration des la réforme Haby installant le collège
BM dans la population française qui unique, commence à émerger le
de 4% passe à 9% de la population. thème de la non maîtrise de la lec-
La scolarité et la découverte de la ture principalement par les milieux
lecture sont l’occasion d’évoquer les populaires. L’idée de la fuite de la
adolescents. Le rapport met certes pratique de la lecture de livres chez
l’accent sur le caractère, détermi- les adolescents des classes pra-
nant pour l’avenir, de la lecture non tiques et techniques est étendue à
scolaire accomplie pendant l’âge de tous les élèves dans le cas de l’en-
la scolarité et reconnaît les biblio- seignement secondaire de masse.
thèques publiques comme le lieu Les solutions présentées pour lutter
d’exercice d’un libre recours au livre, contre cette situation sont la désco-
justifiant ainsi la nécessité d’une po- larisation de la lecture ainsi qu’une
litique d’équipement pour offrir des politique de d ­éveloppement des

L J Essais - études – enquêtes 73


CDI dotés d’une fonction ­culturelle L’expérience de Maisons-Alfort
dans les établissements scolaires Dans cet esprit, le modèle prôné par
et orientés vers l’initiation au l’ouverture d’une section Jeunes à la
­document et l’incitation à la lecture bibliothèque de ­ Maisons-Alfort en
des jeunes. 1974, concomitant de la création de
l’association Lecture J­eunesse70, jus-
Une préoccupation des adolescents tifie la spécialisation de l’intervention
encore marginale professionnelle par la transforma-
Rien n’est dit par les instances admi- tion physique, psychique et sociale
nistratives sur les potentialités des du jeune qui entraîne une différen-
bibliothèques municipales, mais il ciation des intérêts et des goûts et
faut bien dire qu’à l’époque, l’évalua- par la crainte de perdre ce public
tion des pratiques professionnelles par auto-exclusion à un moment
effectuée à la demande du ministère où tous les efforts des nouveaux
de la Culture montre que la préoc- professionnels s’orientent vers la
cupation des adolescents est quasi conquête du public. Son fonction-
inexistante. 2% des BM organisent nement se réfère aux acquis de la
des animations pour adolescents, modernité bibliothéconomique  :
mais 4% lorsqu’elles sont situées en espace spécifique mais libre cir-
banlieue. Les activités organisées culation avec la section Adultes,
pour les 13  ans et plus sont princi- lieu d’emprunt et de consultation
palement l’heure du conte (19%), le documentaire sur place, possibilité
club de lecture (10%) et le club de de discussions en groupe, anima-
poésie (4%) quand il s’agit d’activi- tions régulières et participation des
tés régulières. Alors que 28% des jeunes à l’organisation de ces activi-
BM disent avoir des locaux pour les tés, début de partenariat (essentiel-
­enfants, 5% seulement mentionnent lement l’école) au niveau de la ville.
l’existence de lieux d’animation spé- La conscience des limites posées à
cifiques pour adolescents, et ceux-ci l’extension de l’expérience à d’autres
sont placés plus souvent dans les bibliothèques est cependant vive  :
annexes de quartier69. L’essor de la «  Il serait en effet souhaitable qu’à
lecture publique dans les années défaut de section analogue, difficile
70, concomitant de la démocratisa- à réaliser dans un grand nombre
tion scolaire et du développement de bibliothèques publiques, un
des classes moyennes, mais aussi bibliothécaire plus spécialement
du développement de l’édition pour chargé de l’accueil des adolescents,
la jeunesse, crée donc les conditions qui soit par conséquent informé
favorables à la spécialisation des et compétent sur le sujet des lec-
espaces, des collections, et du tra- tures de cet âge (...) puisse, au sein
vail professionnel par classes d’âge. des bibliothèques publiques, être
Après 1968, la production de masse l’interlocuteur des jeunes.  »71 Cette
éditoriale s’est en effet développée nouvelle conception trouve un écho
vers ce nouveau marché de l’ado- dans les milieux politique et admi-
lescence, notamment avec le roman nistratif, parce que ce groupe est
à thème. Chargé d’illustrer les rap- proche des milieux professionnels
ports privilégiés d’un personnage qui font pression pour la mise en
avec tous les aspects d’un ­problème, œuvre d’une politique de la lecture
il véhicule des modèles de compor- publique  ; elle a cependant du mal
tement face aux grands problèmes à s’imposer dans les pratiques pro-
de l’heure. Si ces collections ont fessionnelles autrement que dans
progressivement décliné, des collec- des expériences novatrices car
tions spécifiques pour adolescents rien n’est prévu dans la formation.
ont cependant perduré. Par ailleurs, ce modèle peine à se

L J Essais - études – enquêtes 74


diffuser dans la mesure où, on l’a la culture des adolescents  ; «  leurs
vu précédemment, la politique de pratiques et leurs préférences
développement de la lecture est
­ échappent au moins partiellement
à l’époque une politique d’équi- aux modèles qu’elle propose et dé-
pement novatrice, l’aide de l’Etat pendent aussi de la sous-culture de
étant sous-tendue par le respect de classe à laquelle ils participent  »74.
normes qui ne connaissent que la Par ailleurs, du fait de la démocra-
section Jeunesse. tisation scolaire, les scansions de
la socialisation adolescente sont
LES ANNÉES 80 de plus en plus étroitement liées à
Au cours d’une seconde période, celles du système d’enseignement.
dans les années 80, émerge une vi- La fin de la cinquième, de la troi-
sion plus complète et complexe des sième et de la terminale sont autant
adolescents qui prend en compte de moments où se posent les ques-
non plus seulement la classe d’âge tions de l’orientation et donc celle
mais l’effet générationnel72. de la place dans la société.
Caractérisée jusque-là principalement
comme une période intermédiaire La crise de l’école devient une crise
entre le monde de l’enfance et celui de de la lecture
l’adulte, l’adolescence est étendue à Les années 80 sont aussi celles de
tous les jeunes du fait de la généra- la montée du discours de crise de
lisation de l’accès à l’enseignement l’école lié aux premières retombées
secondaire et de ­ l’extension de la de la généralisation pour toutes
scolarité au collège après 1976. les classes sociales de la scolarisa-
Or ces jeunes réunis dans un col- tion au collège. Baisse de la lecture
lège unique ont évolué dans des et illettrisme sont présentés pen-
contextes de socialisation diffé- dant ces années comme les deux
rents qui déterminent des habitus ­dangers qui guettent les jeunes.
de lecteurs et plus généralement La génération adolescente des
des ­rapports à la culture différents. ­années 80 est issue du système sco-
Comme le note Nicole Robine, «  le laire post 68 plus libertaire dans sa
droit à l’adolescence pour tous ­pédagogie ; elle a connu le système
modifie à la fois le rapport à la d’éducation de masse mis en place
culture et à la lecture des jeunes dans l’enseignement secondaire
issus maintenant de toutes les caté- avec la ­réforme Haby. Le collège
gories sociales, ainsi que le regard étant devenu la structure unique
des adultes sur ces nouveaux ado- qui accueille tous les élèves, les
lescents. Quand la majorité des enseignants du ­ second degré dé-
enfants entraient en apprentissage couvrent des élèves inconnus, rétifs
ou dans la vie active à 14 ans, peu à l’explication de textes ­ littéraires
de gens se souciaient de savoir si et ­ incapables de se débrouiller
ces enfants issus des classes défa- seuls avec les instruments d’une
vorisées lisaient et encore moins ce scolarisation longue. Comme le fait
qu’ils lisaient. Ces enfants n’avaient ­remarquer ­Anne-Marie Chartier,
pas d’adolescence, et la vision des « la crise de l’école devient ainsi une
lectures des adolescents était celle crise de la lecture  »75. La significa-
des lectures des classes favori- tion du verbe « lire » change : dans
sées »73. La reconnaissance de l’état les ­années 50, savoir lire un texte à
d’adolescence à tous les jeunes haute voix et montrer qu’on le com-
s’accompagne donc de la prise en prenait suffisaient à «  savoir-lire  ».
compte de la différenciation interne Dans l’enseignement secondaire,
à la catégorie Adolescence et de son lire est plus ambitieux  : il s’agit de
hétérogénéité. Pour la sociologie comprendre seul toutes sortes
de la jeunesse, la culture adoles- de textes littéraires, scientifiques,
cente ne constitue jamais le tout de fonctionnels. «  Un nouveau mode

L J Essais - études – enquêtes 75


de lecture rapide, efficace, sans et une ­pédagogie ­adaptée, mais de
relecture, pour trouver une infor- reconnaître la l­égitimité de toutes
mation, prendre une ­ décision, se les pratiques lectorales. La poly-
met en place. Alors qu’auparavant morphie de la lecture, avancée par
la parole du maître servait de guide Jean-Claude Passeron au colloque
­
et de contrôle, elle doit s’effacer d’Hénin-Beaumont en 198179 et
­
au profit d’une ­pédagogie de la lec- confortée par la recherche sociolo-
ture silencieuse, autonome, efficace gique80, permet que s’installe chez
et rapide  », ce qui ne va pas sans certains professionnels une attitude
­difficultés. Les diverses enquêtes de relativisme culturel précédant
statistiques conduites à l’époque l’action ciblée de la décennie sui-
font toutes le même constat, celui vante.
de la baisse de la lecture chez les
jeunes. De nouveaux concepts as- Changements d’objectifs et de
sociant la définition de la pratique méthodes professionnelles en
de la lecture à son intensité (non- bibliothèque
lecture, faible lecture) font leur Par ailleurs, de nouveaux défis s’ins-
apparition. On cherche également tallent sur le terrain social durant la
à comprendre les déterminants de période, au moment où la crise de
l’intensité de la pratique76. La ques- la lecture dans l’école semble un
tion de la quantité des lecteurs et peu s’apaiser. L. Schwartz, dans un
des lectures remplace celle de la ­rapport de 1982 sur l’insertion pro-
qualité. Cependant le constat que fessionnelle et sociale des jeunes,
« l’interrogation porte peu sur la lec- fait des propositions sur l’accueil
ture et ses modes et encore moins des jeunes qui conduisent à une
sur ses contenus  »77 n’est pas tout prise de conscience et à des dis-
à fait juste en ce qui concerne la positifs d’insertion faisant en sorte
lecture des adolescents puisque la de leur redonner confiance par
connaissance des contenus de lec- une image positive d’eux-mêmes.
ture initiée dès les années 60 par les La «  découverte de l’illettrisme  »,
travaux de J. Hassenforder se pour- révélée par les exigences de qua-
­
suit pendant ces années, y compris lification croissante du monde du
dans le cadre universitaire78. travail, dans une conjoncture de
crise économique, de montée du
La lecture, menacée, se voit légiti- chômage et de précarité sociale
mée sous toutes ses formes après la période ­ précédente des
En quelques années tous les para- trente Glorieuses, conduit à une
mètres de la lecture sont donc sorte d’amalgame. Tout jeune faible
bousculés. L’échec des élèves et la lecteur est considéré comme un
crainte de voir s’effondrer la place chômeur en ­puissance, aussi les
de l’écrit dans la société obligent médiateurs culturels doivent-ils
les professionnels à penser autre- tout faire pour prévenir ou guérir
ment les finalités de l’apprentissage cette nouvelle maladie. Les biblio-
et les usages de l’écrit. Le discours thécaires sont ainsi contraints
tenu au début du siècle par les d’adopter des démarches de plus
pionniers de la lecture publique en plus pédagogiques pour gagner
devient la vulgate aussi bien dans de nouveaux lecteurs ou s’adapter à
l’enseignement que dans les média- la demande des nouveaux usagers
thèques. La promotion de toutes les des bibliothèques81. Le but n’est
lectures possibles et l’acceptation plus de répondre le mieux possible
comme légitimes des supports de à une demande préexistante mais
lecture jugés autrefois contestables de créer cette demande par une
comme la presse, la BD, tendent à offre appropriée, de faire rentrer
se ­généraliser. Il ne s’agit plus de avec précaution les lecteurs fragiles
préconiser des espaces spécifiques dans les réseaux de ­ convivialités

L J Essais - études – enquêtes 76


qui se développent autour de la l­ecteurs ­adolescents, futurs lecteurs
bibliothèque en suscitant en eux de demain, faire défection reste
des désirs de lecture et en les aidant d’autant plus récurrente qu’elle est
dans leurs recherches. C’est donc à confortée par les résultats de la re-
un changement important mais pro- cherche85.
gressif dans la relation de service
des professionnels que l’on assiste, Une période de réflexion plutôt
mais c­elui-ci ne se mettra explici- que d’action
tement en place qu’aux marges de Il faut dire que l’action profes-
l’institution et de façon déléguée à sionnelle en direction des jeunes
de nouveaux semi-professionnels82, ­bénéficie pendant cette période
les animateurs du livre, dans la dé- d’une très faible visibilité. L’atomisa-
cennie suivante. tion des solutions dans un contexte
général de discours de crise de la
Nouveaux lecteurs, nouvelles lecture est de mise, et peu de parte-
pratiques nariats s’installent entre l’Education
Ces points de vue alarmistes sur la nationale et la Culture. Cette prise
situation de la lecture semblent en de conscience provoquera la grand
contradiction avec le plein essor messe administrativo-scientifique
de la lecture publique pendant la du début de la décennie suivante86.
période : développement de la cou- Il semble en effet que, concernant
verture du territoire par les BDP, les adolescents, l’heure soit plus à la
implantation de bibliothèques réflexion qu’à l’action pendant la dé-
municipales dans les petites villes, cennie. De nombreuses questions
­reconnaissance du tiers réseau, et sont ainsi posées par la recherche
accroissement des usagers. Mais aux professionnels. Comment les
cet essor s’accompagne de change- bibliothécaires considèrent-ils les
ments dans la composition du ­public effets liés à l’âge et prennent-ils au
et des usages de la b ­ ibliothèque, sérieux cette période de transition
comme le montrent les recherches qu’est l’adolescence et ses proprié-
engagées à l’époque pour répondre tés, tout en tenant compte des effets
à la demande d’évaluation de la générationnels liés à la démocratisa-
politique de développement cultu- tion scolaire et culturelle ? Comment
rel ­engagée par le ministère de tiennent-ils compte de la tension
la Culture. Du fait de la nouvelle existant entre dépendance pédago-
politique d’offre culturelle mise en gique et recherche d’indépendance
œuvre par de nouvelles ­ fractions personnelle permettant aux jeunes
de professionnels, les bibliothèques d’affirmer leur autonomie relative ?
municipales accroissent leur pé- Comment résolvent-ils la tension
nétration auprès des nouveaux entre choisir de développer des pra-
publics potentiels que sont les
­ tiques de lecture, avec le risque de
classes moyennes et les jeunes83, pencher vers l’élitisme ou le miséra-
et permettent que se développent bilisme, ou développer le lien social
de nouveaux usages non tradition- en facilitant la fréquentation d’un
nels de la bibliothèque, c’est à dire même équipement par des publics
autres que le prêt, comme la lecture différents et en prenant en considé-
sur place84. La recherche fait ainsi ration les publics les plus fragiles,
apparaître l’existence d’un public vite qualifiés de « non-lecteurs » ou
important en volume de «  séjour- «  faibles lecteurs  »  ? Comment les
neurs  », vite assimilés à celui des professionnels réagissent-ils aux
non-inscrits et des jeunes. Mais questions posées par les chercheurs
paradoxalement, malgré le poids de qui montrent que l’apprentissage de
la fréquentation « jeune » dans la bi- la lecture s’appuie beaucoup plus
bliothèque, la crainte traditionnelle sur des q ­uestionnements pré ou
des professionnels de voir leurs ­extra-scolaires liés à la ­découverte

L J Essais - études – enquêtes 77


par l’enfant de problèmes qui des ­collections et des activités en
tiennent à la difficile compréhen- fonction des besoins spécifiques
sion de l’ordre du monde, que sur propres à chaque âge ou s’adapter
une scolarisation ou un apprentis- aux pratiques réelles des usagers, la
sage scolaire ?87 Dans quelle mesure bibliothèque municipale moderne
le travail des bibliothécaires de la étant devenue le lieu de prédilection
lecture publique ne consiste-t-il pas des adolescents.
à mettre davantage en place des
modes de manipulation de la récep- LES ANNÉES 1990-2000
tion des livres par le lecteur plutôt Pendant la décennie suivante, les
qu’à adopter des démarches de plus années 90, l’adolescence devient
en plus pédagogiques pour gagner un enjeu commercial, culturel,
de nouveaux lecteurs à la lecture ?88 politique et scientifique, car l’ado-
lescence rapporte autant qu’elle
Comme le fait remarquer G. Le inquiète  ! On assiste en effet à la
Cacheux à propos de la nouvelle constitution dans les industries
bibliothèque de Caen, «  prévoir culturelles d’un marché jeune porté
l’espace des adolescents est une dé- par le développement d’un investis-
marche extrêmement importante sement ­individuel et groupal dans
puisqu’elle risque de figer l’image des modes et produits spécifiques :
de la place réservée aux jeunes poche et collections spécifiques89,
dans notre société. » Et de conclure jeux vidéo, presse, musique.
à l’abandon d’un espace spécifique Comme activité préférée, cette der-
étant donné les habitudes des nière l’emporte largement sur la
jeunes montrant qu’ils préfèrent un ­lecture90. Par ailleurs, l’allongement
espace non réservé et une fréquen- de la durée des études et le fort taux
tation possible de toutes les salles de chômage des jeunes étend la pé-
de la bibliothèque, ce qui, en contre- riode intermédiaire entre l’enfance
partie, nécessite compétences et et l’âge adulte, tandis que l’essor
disponibilité du bibliothécaire pour des lieux et des politiques de lec-
leur trouver livres et documents ture permet à un très grand nombre
dont ils ont besoin pour leur scola- d’adolescents d’avoir un contact
rité et leurs loisirs ! répété avec le livre et la lecture. La
question qui se pose alors est donc
L’espace réservé aux adolescents en celle de la fidélisation de la pratique,
bibliothèque comme image de leur mais qu’en est-il de cette pratique ?
place dans la société
Cette décennie semble ainsi davan- Les enquêtes concluent à la dé­
tage marquée par des échanges sacralisation du livre et à l’importance
d’idées autour des résultats scien- de la lecture ordinaire bien que le
tifiques que par des réalisations poids de la demande scolaire de lec-
concrètes. Pour preuve l’organi- ture au lycée en limite la pratique91.
sation par Lecture Jeunesse de Elles insistent également sur la
trois journées d’études sur des dimension identitaire de la lecture
thèmes comme «  l’accueil des ado- dans le processus de construction
lescents  » en 1984, «  la lecture des de soi92.
adolescents  » en 1988 et «  le pas-
sage à la lecture adulte  » en 2000. Emergence du concept de
Ces ­ journées sont l’occasion de partenariat
faire s’exprimer des pratiques di- D’un point de vue politique, l’unité
vergentes qui coexistent dans le administrative entre les ministères
champ professionnel. La réponse de la Culture et de l’Education
de l’institution à la question adoles- nationale sous le second minis-
­
cente balance toujours entre deux tère Long va favoriser l’expression
options  : proposer des espaces, de l’idéologie du décloisonnement

L J Essais - études – enquêtes 78


i­ nstitutionnel et professionnel et en œuvre. Pendant cette période
l’émergence du concept de parte- les bibliothécaires de la jeunesse
nariat. Les premières rencontres ont fait majoritairement le choix
­nationales de la lecture et de l’écri- de la petite enfance97. Cette orien-
ture à la Villette en janvier 93 en tation est sous-tendue par l’idée de
sont l’expression. Le combat pour compenser les inégalités familiales
la lecture est engagé au nom de la qui sont au principe des inégalités
lutte contre les inégalités sociales et scolaires comme l’ont montré bon
culturelles car « la lecture n’est pas nombre de travaux de la sociolo-
une pratique culturelle comme les gie de l’éducation. Elle est facilitée
autres, elle est une condition d’ac- par un partenariat qui ­satisfait les
cès aux autres pratiques artistiques aspirations d’autres catégories de
et prioritaire pour la réussite et professionnels de la petite enfance.
l’insertion des jeunes. La lecture est Par comparaison, l’action en direc-
le socle de la lutte contre les inégali- tion des adolescents s’avère moins
tés culturelles ». Ce combat s’inscrit gratifiante et les partenariats moins
dans les faits par des actions autour évidents.
de l’écriture, les plans ville-lecture,
les partenariats, la recherche93. La La période est marquée par la
question du rapport à la lecture dans généralisation de la mutation des
les quartiers sensibles trouve place bibliothèques municipales en média-
dans une interrogation plus large thèque avec des effets ­spécifiques
sur le lien social et la citoyenneté, sur la fréquentation et l’usage de
nouvelle version du ­militantisme au l’équipement.
moment du déclin de l’action cultu-
relle94. Les réponses apportées en Redéfinition de la relation de
terme de politique culturelle font de service au travers de la médiation
la bibliothèque un lieu d’expression Le rapport aux adolescents dans
du monde social95 avec ses modes la décennie pose un problème
d’intervention spécifiques que sont ­supplémentaire, à savoir comment
les animateurs du livre96, les projets retenir les fugueurs. Le succès de
d’établissement, la mise en avant ce type d’équipement est tel a­ uprès
de la médiation qui, paradoxale- des ­publics adolescents qu’il s’agit
ment, peuvent aller de pair avec les pour les professionnels outre de
nouveaux modes de gestion entre- retenir les lecteurs, de savoir gé-
preneuriaux de la bibliothèque  : rer les autres, ceux qui font par
­marketing, segmentation, fidéli- leur nombre le succès de la biblio-
sation par l’accueil, ­ organisation thèque, mais qui y importent, sur
de l’offre selon une logique de le mode individuel ou collectif, un
­consommation – à tous, selon ses rapport déviant aux normes de
besoins – qui place le professionnel l’institution, ou encore manifestent
dans une position ­d’interface plutôt des attentes éloignées des repré-
que de militant. sentations que les professionnels
se font de leur métier. Journées
Rapports privilégiés avec la petite d’études, publications et recherches
enfance se font l’écho de ces nouvelles pré-
Dans ce contexte, comment se pose occupations professionnelles98.
la question de l’accueil des adoles- Comment réduire les conflits et les
cents et quelles sont les pratiques tensions entre strates d’âge en fa-
professionnelles les concernant  ? vorisant la cohabitation des divers
La stagnation de la fréquenta- publics et la sociabilité au sein de
tion dans la seconde moitié de la l’établissement, toutes choses qui
décennie conduit les profession- nécessitent de ne pas s’adonner
nels à se poser des questions sur au désenchantement fondé sur la
le bien-fondé des politiques mises perte de reconnaissance sociale

L J Essais - études – enquêtes 79


et des règles d’usages entre usa- L’émergence de l’adolescence
gers et bibliothécaires ? C ­ omment comme public spécifique dans les
concilier l­’investissement dans la bibliothèques doit autant aux effets
satisfaction des attentes s­colaires de la démocratisation scolaire qu’à
ou des nouvelles formes d’attentes l’évolution de la lecture publique.
autodidaxiques des jeunes avec Le rapport des professionnels à
la p­rescription et le jugement de cette catégorie s’effectue avec une
goût qui fondent ­traditionnellement grande constante sur le mode du
l’exercice de la profession ? « problème ». Si le « problème » de la
lecture des adolescents génère tout
La confrontation des profession- d’abord chez les professionnels une
nels aux pratiques parfois déviantes crainte de perdre le lectorat futur,
des adolescents conduit à poser s’y ajoute une difficulté à prendre
des questions plus générales sur le en compte : la diversité des usages
fonctionnement des médiathèques et des attentes des adolescents avec
et les missions qu’elles s’assignent : un risque de stigmatisation des frac-
décloisonnement des strates d’âge, tions au comportement anomique.
projet d’établissement comme La question récurrente de l’accueil
moyen de mise en œuvre volon- des adolescents en bibliothèque
tariste d’une politique culturelle est ainsi un révélateur de la difficile
conduite par l’ensemble des acteurs adaptation de l’institution à la diver-
de la bibliothèque et de ses parte- sité sociale et culturelle des jeunes.
naires extérieurs, caractérisation La question se pose alors de savoir
de l’identité professionnelle par la si ce sont les jeunes usagers qui ne
redéfinition de la relation de service possèdent pas les codes de bonne
au travers de la médiation . conduite ou si ce sont l’application
des normes de fonctionnement
UNE QUESTION EN GUISE DE d’une institution prévue pour être
CONCLUSION... un lieu d’usages multiples qui entre
en contradiction avec les usages
La confrontation des profession- réels des diverses catégories de
nels aux pratiques parfois déviantes jeunes, confrontés à un lieu de dif-
des adolescents conduit à poser fusion qui rend possible ces nou-
des questions plus générales sur veaux usages ?
le fonctionnement des média-
thèques99 et les missions qu’elles
s’assignent  : décloisonnement des
strates d’âge, projet d’établissement
comme moyen de mise en œuvre
volontariste d’une politique cultu-
relle conduite par l’ensemble des
acteurs de la bibliothèque et de ses
partenaires extérieurs, caractéri-
sation de l’identité professionnelle
par la redéfinition de la relation de
service au travers de la médiation100.

L J Essais - études – enquêtes 80


ANNEXES NOTE SUR L’ACCUEIL DES
ADOLESCENTS EN FRANCE,
AU REGARD D’EXPÉRIENCES
EUROPÉENNES
ANNEXE 2
Sonia de Leusse-Le Guillou, directrice de Lecture Jeunesse et de la rédaction
Article initialement publié dans Lecture Jeune n°140, Adolescents, lecture et
bibliothèques en Europe, décembre 2014, p. 24-29

Cette note101 ne prétend ni dresser le Cube ­ d’Issy-les-Moulineaux à la


une liste des pratiques européennes, bibliothèque d’un quartier européen
ni proposer une analyse de la concep- vieillissant. Aussi, cet article ­entend-il
tion de l’accueil des adolescents dans seulement rappeler quelques ré-
ces différents pays. Cette question flexions et expériences, historiques
mériterait une étude ­ approfondie ou étrangères, qui permettent aux
réunissant les données repré- jeunes de s’approprier la biblio-
sentatives des actions qui y sont thèque et d’en faire un lieu de vie à
­menées dans les villes – au-delà part entière.
des exemples les plus fréquem- « Les ados, c’est comme des enfants
ment cités, marginaux souvent en pire, les adultes détestent. Ils
ou dans de très récents établisse- nous trouvent mous, paresseux,
ments –, mais ­également en milieu impolis, insolents, idiots, bruyants,
rural. On ne peut prétendre livrer taciturnes102 » dit la narratrice de La
une analyse critique pertinente à Plus Belle Fille du monde, résumant
la lumière de quelques «  hypers- en quelques mots la perplexité de
tructures  » ­urbaines, visitées à certains professionnels à l’égard
valeur ­d’exemplum. En France, si de ces jeunes qu’ils souhaiteraient
des projets architecturaux d’en- paradoxalement voir investir les
vergure assurent la notoriété de espaces de la bibliothèque. Ils re-
certaines bibliothèques, quid des doutent mais attendent ce public,
petits espaces, des micro-budgets, comme les soldats de Dino Buzatti
des bibliothèques de villages ou de guettent les Tartares depuis le Fort
petites communes, des bénévoles Bastiani… Les équipes les plus moti-
portant la lecture publique sur vées, en quête d’idées nouvelles, ne
un territoire aux inégalités mani- devraient-elles pas regarder par-
festes  ? C’est donc une exploration delà les frontières et ouvrir leur
critique et nuancée de chaque pays ­réflexion à l’Europe pour «  décloi-
qu’il faudrait obtenir pour pouvoir sonner » leurs pratiques ?
mettre en perspective les diffé-
rentes conceptions de la lecture UNE RÉFLEXION DE LONGUE DATE
des jeunes, de leurs besoins, et des La question de l’accueil des ado-
services qui leur sont proposés sans lescents en bibliothèque n’est pas
risquer la caricature. Mesurer l’écart récente en France103 où le débat
entre une petite bibliothèque rurale a commencé il y a plus de qua-
et un établissement à la pointe rante ans. C’est à cette époque, en
d’une grande capitale européenne 1974, qu’est créée l’association Lec-
est aussi insensé que de comparer ture Jeunesse par Odile Altmayer,

L J Essais - études – enquêtes 81


­ ibliothécaire qui entend faire de
b numériques du quotidien – non pas
ces jeunes un public spécifique, au- nouveaux, mais usuels et désor-
quel il convient de s’adresser avec mais banals – et en offrant de la
collections, ­espaces et services ap- musique en téléchargement. L’IFLA
propriés. C’est ce que la ­bibliothèque recommande de faire confiance aux
de ­Hambourg a d ­ élibérément pris adolescents. En d’autres termes,
comme parti, appliquant en quelque pourquoi ne pas solliciter leur dyna-
sorte littéralement les recomman- misme, leurs compétences et leur
dations de la fondatrice de Lecture créativité au service d’un espace
Jeunesse à propos de la section éventuel, de collections ou de mé-
Jeunes qu’elle met en place à Mai- diations qu’on souhaite mettre à
sons-Alfort en 1976 : « [l]a première leur disposition  ? La bibliothèque
«  animation  » à créer dans une bi- suédoise d’Uddevalla a consulté
bliothèque de jeunes est bien celle des groupes de jeunes adultes pour
de la participation à l’organisation, imaginer un lieu qui leur serait des-
au fonctionnement, aux r­ éalisations tiné, et leur a permis de réaliser une
à entreprendre104  », dit-elle. Le fresque de 25 mètres en graffiti.
site de ­ l’Institut Goethe ­ précise Afin de clarifier l’offre pléthorique,
que «  (...) quatre ou six apprentis et de simplifier l’accès aux collec-
prennent directement en charge tions pour les plus faibles lecteurs,
la gestion ­courante de la Hoeb4U  : des bibliothèques ont opté pour la
le prêt, le travail de bureau, la réduction de leur offre et un classe-
caisse, les tâches administratives, ment thématique des œuvres (les
les c­ommandes de médias et leur rubriques sont parfois discutées
suivi.  » Ainsi, explique la directrice, avec les adolescents eux-mêmes)
«  [l]es jeunes ne se contentent pas qu’elles proposent aux ados et/ou
de nous accompagner dans notre jeunes adultes. Ainsi la bibliothèque
travail, ils font tout eux-mêmes  »  ; Chaptal à Paris, celles de Chambéry,
ils « ont un tout autre rapport avec Genève, ou Charleroi en Belgique,
nos clients et savent bien mieux que avec son nouvel espace «  Jeunes
nous ce que veulent les jeunes105 ». adultes  ». L’Adolespace de Water-
mael-Boitsfort, l’une des communes
VOUS AVEZ LE DROIT DE GARDER de Bruxelles, a demandé aux ado-
LE SILENCE lescents de créer les pictogrammes
Si « la participation des adolescents » favorisant le repérage des thèmes,
semble presque c­ onsensuelle dans collés sur le dos des livres. Jusqu’où
de nombreux pays européens, reste les professionnels français sont-ils
à savoir à quel niveau l’institution prêts à collaborer avec ces jeunes ?
est prête à l’intégrer en France. Par Pourront-ils choisir décoration et
leurs « séjours » en groupe, avec le mobilier, comme à Hambourg ou à
bruit éventuel qu’ils peuvent faire, la bibliothèque italienne Salaborsa
la nourriture qu’ils apportent, la Ragazzi106  ; leur rôle concernera-t-il
nécessaire connexion à leur tribu, la sélection de livres (bibliothèque
via les postes informatiques de la Benjamin Rabier, dans le 19e à
médiathèque, leurs smartphone, ­Paris)  ? Iront-ils jusqu’à la librairie
ordinateurs portables, baladeurs accompagnés d’un bibliothécaire
mp3, etc., c’est ainsi qu’ils «  par- pour les acheter ? Ou ces pratiques
ticipent  » au quotidien et à la vie resteront-elles marginales, et au
de ­l’établissement. Accepter/favori- mieux leur accordera-t-on le droit
ser leur présence implique parfois de... garder le silence ?
des modifications du règlement,
une souplesse à l’égard de leurs LECTURE «  ORDINAIRE  » VERSUS
comportements, comme la biblio-
­ LECTURE « SCOLAIRE » ?
thèque de Viroflay l’a compris en Ce public met au jour une ­contradiction
autorisant l’utilisation de ces outils qui divise nombre de ­professionnels :

L J Essais - études – enquêtes 82


les bibliothèques qui se reven- années, se sont ajoutés ou substi-
diquent ou se fantasment lieux de tués aux visites de classes111 d’autres
«  lecture plaisir  » – en opposition types de partenariats qui associent
avec l’école107 – pour les adoles- les établissements, comme les prix
cents adoptent régulièrement une littéraires en Italie, avec le projet
démarche pédagogique et prescrip- Xanadu112 par exemple. La France
tive, au détriment d’une perspective n’est pas en reste qui en a dévelop-
participative. Ce hiatus témoigne pé un très grand nombre (Prix Ado/
de la difficile prise en compte par Rennes-Ille-et-Vilaine, Prix littéraire
les professionnels de la crise du PACA des lycéens et apprentis, etc.)
modèle humaniste et littéraire de à différents niveaux, communal,
la lecture (de livres). De façon mar- départemental, régional. Mais sur
ginale, Hambourg, a pris un parti le terrain, la collaboration entre les
radical, comme le précise Janette collèges, lycées et les bibliothèques
Achberger  : «  nous ne conseillons n’est pas toujours aisée.
pas de livres aux jeunes. Ils peuvent
emprunter les titres qu’ils veulent UNE DIMENSION SOCIALE
tout particulièrement lire – le tout Activités d’orientation, de formation,
sur une base volontaire. Ceci est aide individualisée, sont sans doute
un point clef de notre concept ». De encore balbutiantes en France, par
même, au Danemark, tous « les sup- rapport à ses voisins européens113.
ports sont à un niveau d’égalité  ». Ainsi, certains établissements da-
Refusant d’être assimilée à l’école, nois114 n’hésitent pas à proposer du
la Hoeb4U fait fi des classiques et soutien scolaire aux ­adolescents.
des ouvrages scolaires108 et pos- Alors que le concept d’«  intergéné-
tule qu’en s’adressant aux jeunes rationnel  » est à la mode, notons
sur leur temps libre et en évitant de que beaucoup de s­ eniors proposent
faire des liens systématiques avec leurs compétences pour soutenir les
le milieu scolaire, (...) [elle] amène jeunes dans leur travail. Soizik Jouin
les jeunes vers le plaisir109 de la lec- remarque que «  l’aide aux devoirs
ture  ». Pour Soizik Jouin, directrice existe de manière informelle  » en
de la bibliothèque Chaptal (Paris) et France. «  Mais il est vrai, ajoute-t-
ex-responsable de la section ado- elle, que cela touche les enfants plus
lescents à l’IFLA, «  c’est un concept jeunes ». On est encore loin de cer-
discutable car un adolescent peut taines pratiques innovantes comme
tout aimer au-delà des tendances à Copenhague, où les adolescents
et des modes de la littérature ado- peuvent carrément «  emprunter  »
lescente. Les bibliothécaires sont des professionnels115. L’idée est
jeunes… Finalement, c’est un peu simple  : il s’agit de faire découvrir
restrictif. (...) ! Il y a un côté « super- des métiers en organisant des ren-
marché  » du livre. En France, nous dez-vous entre des actifs et des
sommes peut-être trop élitistes, jeunes. D’autres, notamment à Za-
mais ici, c’est l’effet inverse  !  ». La dar, en Croatie, placent plutôt leur
perspective allemande que nous ve- soutien du côté de l’épanouisse-
nons de citer suppose de ­concevoir ment personnel, de la construction
une section tournée exclusivement identitaire  : il s’agit d’encourager la
vers le produit de «  loisir-plaisir  », créativité des adolescents qui réa-
négligeant la complémentarité lisent une performance devant leurs
éventuelle des collections avec le semblables (chant, danse, théâtre,
collège/lycée. En France, Claude etc.). L’espace «  Jeunes adultes  »
Poissenot, rappelle qu’« [il] est vain de Charleroi (Belgique) dispensait
de prétendre déscolariser la biblio- quant à lui des cours de ­graffiti  ;
thèque car les adolescents la vivent la biblioteca Salaborsa Ragazzi
et la perçoivent comme un espace annonçait un stage de hip hop. On
scolaire110 ». Au fur et à mesure des pourrait multiplier les exemples. La

L J Essais - études – enquêtes 83


conception plus large du rôle de la bibliothèques et les valeurs qu’elles
bibliothèque à l’étranger influence défendent  », «  [e]n aidant les utili-
ou tout au moins met en ques- sateurs à s’y retrouver dans le flux
tion les pratiques ­ professionnelles de renseignements disponibles
françaises, ainsi observe-t-on une sur l’Internet, les bibliothécaires se
diversification des activités pro- transforment en “cyberspécialistes”,
posées aux jeunes dans certains en pilotes capables de se lancer
établissements. Citons les événe- dans l’exploration du réseau et de
ments organisés par le réseau des guider les usagers dans le cyberes-
bibliothèques de Montreuil en Seine pace119  ». Mais, selon Soizik Jouin,
Saint-Denis, avec exposition de ce qui manque toujours dans les
photos, films, concerts, et « J’ai une structures de l’Hexagone, c’est de
­soirée à la bibliothèque. 20 387 ado- « proposer plus facilement des sites
lescents et moi, et moi, et moi…116 ». Internet qui permettent de l’aide en
ligne pour les devoirs  ». Une prise
MULTISUPPORT ET ABOLITION en compte du vagabondage mul-
DES FRONTIÈRES timédia des adolescents (et des
Malgré de telles initiatives, l’image moins jeunes !) est désormais capi-
des bibliothèques françaises semble tale dans les établissements publics.
«  plus classique [...] que les biblio- Jean-Claude Utard rappelle que
thèques danoises » dit Kirsten Boelt « [d]ans un environnement concur-
(médiathèque d’Aalborg) en citant rentiel, où les finances publiques se
pour preuve le questionnaire que rétrécissent, il vaut mieux, pour les
nous lui adressons  : «  le fait qu[’il] bibliothécaires, être au fait des évo-
ne se préoccupe que de lecture et lutions réelles de la société et de la
non de l’ensemble des supports, culture120. »
de leur accès et des compétences
des ados... en dit long ». Soizik Jouin L’ÈRE DE LA MOBILITÉ
va dans son sens en notant que Frontières effacées entre les âges,
«  les bibliothèques sont plus utili- passage d’un espace à l’autre de la
taires à l’étranger, tandis qu’elles bibliothèque, navigation d’un sup-
sont «  centrée[s] sur les livres  » en port à l’autre... la tendance qui se
France. Effectivement, c’est dans dessine est à la mobilité. Poussant
les pays du nord et anglo-saxons les portes de leurs établissements,
que «  l’hybridation  » de la biblio- des bibliothécaires n’hésitent pas
thèque est la plus visible117, même à se déplacer pour solliciter les
si ce phénomène se développe peu jeunes sur leur propre terrain… de
à peu sur notre territoire. Le Pôle sport, s’il le faut, ainsi que le préco-
intermezzo de Toulouse (Média- nise Stig Elvis Furset, à Oslo121 : des
thèque José Cabanis) l’a compris qui sacs de livres susceptibles de plaire
mêle les supports et décloisonne à ce ­public sont apportés dans les
l’espace avec succès. À tel point que vestiaires de clubs sportifs. Des ath-
Pau118 reprend le concept pour sa lètes et des auteurs partagent avec
médiathèque intercommunale. Les ces adolescents leur expérience de
­pratiques de recherches documen- jeunes lecteurs et leur confient les
taires des jeunes sur Internet font titres des livres qui les ont marqués
cependant craindre un désintérêt au même âge. Christine Péclard,
pour les livres et une éventuelle directrice de la médiathèque Mar-
désertion de la bibliothèque. Rot- guerite Duras à Paris (20e) confirme
terdam a su répondre à l’utilisation le bien fondé de telles expériences
banalisée et généralisée des outils à l’extérieur de la bibliothèque : « il
numériques : « [p]lutôt que de voir nous faut (…) sortir de nos murs et
dans l’Internet une menace pour nous porter à la rencontre de ce
les fonctions traditionnelles des ­public particulièrement volatil122 ».

L J Essais - études – enquêtes 84


DES ADOS ET DES RÉSEAUX ­ xpérimentations hors frontières.
e
Or, tous les moyens sont bons Souhaitons que la communication,
pour conquérir les adolescents. mise à l’honneur en juin 2011 par
Nos ­ voisins n’hésitent pas à les l’ABF, se développe davantage entre
solliciter à renfort de buzz marke- les structures elles-mêmes125, qui au-
ting ou en développant le bouche à raient beaucoup à apprendre d’une
oreille, sans doute la meilleure des mise en réseau de leurs pratiques...
recommandations pour la biblio-
­ à échelle européenne. Concluons
thèque, et celle qui contribue le sur cette opposition française ré-
mieux à modifier son image auprès currente entre espace de plaisir
des jeunes. Prenant acte de ces (bibliothèque) et lieu de contrainte
possibilités, le dernier congrès de (scolaire), « lecture plaisir » et « lec-
l’ABF (juin 2011) lançait sa réflexion ture scolaire  », ancrée depuis plus
sur le « défi de la communication ». de 40 ans dans l’esprit des bibliothé-
Même si, comme à Béziers123, cer- caires. Il faut remonter à la concep-
taines médiathèques affichent des tion des sections jeunesse dans les
clips réalisés par des étudiants en années 1970 pour comprendre ce
multimédia ou des adolescents phénomène. ­Militante, la biblio-
pour ­ promouvoir leur établisse- thèque, se revendiquait accessible,
ment, ­Soizik Jouin note que «  le lieu de libre choix de textes. Ainsi
problème de la bibliothèque, c’est voulait-elle marquer son opposition
qu’elle est parfois en dehors de la à l’école et à son redoutable pouvoir
réalité car l’aspect économique est de légitimation des œuvres, qui, se-
peu présent. Nous sommes un ser- lon des décisions ministérielles, des
vice ­public. En étant déconnectés de programmes, et/ou les usages des
la ­réalité économique, nous nous enseignants, institue les classiques
déconnectons aussi de la réalité, et les codes de la lecture « savante »
dit-elle. Nous n’allons pas vendre ou « lettrée ». Pour rivaliser avec ce
de livres mais nous pouvons utiliser modèle, les bibliothécaires devaient
des méthodes du marketing pour acquérir une nouvelle forme de
communiquer, séduire le public  ». crédibilité, et donc, valoriser leurs
Réseaux sociaux, YouTube, un bon connaissances des livres, en dehors
référencement sur Google, sont de tout discours pédagogique. La
essentiels pour capter un public no- Grande-Bretagne opte pour une
­
made sur la toile. Si la médiathèque conception « libérale » et ouvre ses
veut attirer des adolescents, elle doit établissements à la diversité du
faire partie de leur mode de vie et marché. Les bibliothécaires français
être présente dans les espaces réels vont au contraire sélectionner les
(vestiaires en Suède, par exemple) titres parmi l’offre ­éditoriale pour
ou virtuels (sur Internet) où ils se adolescents en pleine explosion à
trouvent. Il semble que la France l’époque... et devenir prescripteurs
commence à suivre ce processus à leur tour (au détriment des mau-
déjà à l’œuvre dans de nombreuses vais genres pour de n ­ombreuses
médiathèques européennes et aux années). Le développement des CDI
États-Unis124. a redistribué les rôles entre culture
de l’information pour les centres
EN GUISE DE CONCLUSION de documentation et concep-
L’Europe n’est pas le nouvel Eldor- tion humaniste et littéraire126 de
ado des bibliothèques, mais un la lecture pour les bibliothèques
regard sur les pratiques de nos
­ ­publiques. Or, alors que ce modèle
voisins peut être bénéfique pour est remis en question aujourd’hui,
élargir les horizons français et lut- nombre de bibliothécaires sont
ter contre la sclérose de l’habitude. confrontés à une crise de la repré-
Inventivité, audace et mobilité sont sentation de leur métier. Quelle
les maîtres mots à retenir de ces est leur place dans un monde où

L J Essais - études – enquêtes 85


la lecture est b­ analisée, activité de bibliothèque, la diversité des rai-
loisir parmi d’autres et son utilité sons réelles de lire des adolescents,
remise en question sous l’effet des les usages non conformes qu’ils en
changements qui ont affecté le sys- font et les catégories de percep-
tème éducatif (démocratisation, tion qu’ils mettent en œuvre, pour
accent sur la culture scientifique, accompagner, par la médiation, les
technique, manageriale). Dans ce itinéraires divergents de lecteurs et
contexte, la question de l’inscription la pluralité des définitions de la lec-
de la bibliothèque en complémenta- ture. Tout un programme  !  ». C’est
rité avec l’école doit être repensée. modestement mais sérieusement
Selon Bernadette Seibel, il s’agit de ce que Lecture Jeunesse s’efforce de
«  connaître et de reconnaître dans faire depuis 1974.
le fonctionnement et l’offre de la

L J Essais - études – enquêtes 86


ANNEXES LE GUIDE D’ENTRETIEN DE L’ENQUÊTE
ANNEXE 3
L’enquête a consisté en entretiens approfondis semi-directifs. Elle
­s’appuyait donc sur un guide d’entretien indicatif, conçu comme
un ­outil de travail et permettant de balayer du regard l’ensemble
des points à aborder. De là le style télégraphique des formulations.
Les ­différents points ont été abordés dans des ordres variables
et de ­manière plus ou moins approfondie selon les enquêtés et
leurs ­spécificités. Des ­questions plus précises ont été posées pour
­comprendre le ­fonctionnement des différents dispositifs. Les ­questions
ont été ajustées au contexte et aux réponses des enquêtés. C’est là
une différence majeure entre un guide d’entretien et un ­questionnaire
­formalisé destiné à recueillir des données dans la perspective d’une
enquête q
­ uantitative.

L’ENQUÊTÉ : TRAJECTOIRE ET PROPRIÉTÉS SOCIALES


• Âge.
• Profession parents. Frères & sœurs.
• Livres et bibliothèques dans l’enfance et l’adolescence.
• Études. Diplômes.
• Pourquoi bibliothécaire ?
• Grade. Concours.
• CSP conjoint.
• Autres métiers. Autres postes.
• Engagement professionnel. Associatif. Syndical. ABF.
• Autres expériences avec les ados.
• Loisirs. Lectures.

L’ENQUÊTÉ : RÔLE ET REPRÉSENTATIONS


• Missions actuelles.
• Depuis quand ? Un choix ? Évolution.
• Compétences requises à ce poste.
• Formations spécifiques. Lesquelles ? Apports.
• En quoi consiste votre travail quotidien ? Part de service public. Préférences.
• Difficultés. Satisfactions.
• Marges de manœuvre. Contraintes. Désir d’évolution.
• Place dans l’équipe. Perception par les collègues.
• Accueil des ados, quelque chose d’important ? Difficultés.
• Actions concrètes mises en place. Gestion des ados au quotidien.
• Que font les ados ? Utilisation des collections, des espaces.
• Comment les ados perçoivent-ils les bibliothécaires ?
• Faut-il faire lire les ados ?

LA BIBLIOTHÈQUE : POLITIQUE À L’ÉGARD DES ADOLESCENTS


• Politique de la bibliothèque en direction des ados.
• Depuis quand un intérêt pour les ados dans cette bibliothèque ? Pour-
quoi ? Qui ?
• Comment cette politique a-t-elle évolué ? Réussite / difficultés / recentrement
• Quelle fréquentation des ados ? Nombre d’inscrits.Proportion d’adolescents
touchée. Un public difficile à toucher ? Quels outils pour connaître ce public ?
Quels types d’ados viennent ?
• Que font-ils ? (séjourneurs/emprunteurs) Que cherchent-ils ?

L J Essais - études – enquêtes 87


• Comment connaît-on leurs attentes ?
• Cherchez-vous à accroître le public des ados ? Comment ? Quelles formes
de communication ? CDI, site internet, autres institutions, affichage, mairie,
manifestations extérieures, etc.
• Dispositifs spécifiques en direction des ados. Prix littéraires / comités,
clubs / ateliers / spectacles...
• Personnels dédiés. Référent / autres personnels impliqués.
• Acquisitions pour ados : qui gère / décide ? Participation des ados.
Autres partenaires. Quelles perspectives ? Politique d’offre ou suivi de la
­demande. Quelle connaissance de la demande ? Quels supports ? (Place
du livre / presse / Liseuses, supports numériques ; autres médias, jeux
vidéos) Quels outils de connaissance de l’offre ? (Livres Hebdo / Lecture
jeune / La revue des livres pour enfants / Site Ricochet / autres sites /
librairies)
• Organisation des espaces et des collections. Classification. Travail /
­convivialité
• Politique d’accueil : possibilité de venir sur place sans être inscrit ? Modalités
d’inscription
• Mode d’entrée en contact et de relation avec les ados. Soutien ­scolaire.
Aide aux exposés et à la recherche documentaire. Écoute / Accueil
­psychologique.
• Présence des ados pose-t-elle des problèmes ? Quid du côtoiement
des publics ? Normes : Gestion du bruit. Rappels à l’ordre. Règlement.
­Réaménagement de l’espace.
• Partenariats école / collège / lycée. Exemples. Comment sont-ils nés  ?
­Initiative de qui ? Travail avec les documentalistes / les enseignants.
Élèves volontaires / captifs ? Enjeux (lecture littéraire / information ; ­loisir /
­scolaire). Intérêts. Difficultés. Régularité / actions ponctuelles. Soutiens.
Essoufflement ? Moyens (humains, financiers...)
• Partenariats avec les autres bibliothèques du réseau. Ou d’ailleurs (BDP,
Bibliothèque associative, BU...)
• Partenariats associations / autres institutions culturelles. Intérêts. Difficultés.
• Actions culturelles. Objectifs : lecture (faire lire) / apprentissage / expérience
artistique, etc.
• Bilans. Projets.

LA BIBLIOTHÈQUE : ORGANISATION ET POLITIQUE GÉNÉRALE


• Réseau. Annexes. Répartition des rôles.
• Équipe. Organisation générale. Profils. Division du travail. Divergences ou
tensions.
• Projet d’établissement. Priorités. Temps forts.
• Priorités jeunesse.
• Modalités d’acquisition.
• Partenariats libraires.
• Budget. Évolution. Répartition. Marges de manœuvre.

CONTEXTE POLITIQUE ET SOCIAL


• Environnement : population, situation de l’emploi.
• Établissements scolaires à proximité.
• Associations de quartier, institutions culturelles (conservatoires, etc.).
• Politique municipale ou d’agglomération pour la bibliothèque. Évolution.
• Projet régional, contrat départemental, « territoire lecture », DRAC.
• Rôle de la bibliothèque dans ce contexte.

L J Essais - études – enquêtes 88


NOTES
1. « Une expérience nouvelle pour les adolescents », Bulletin des Bibliothèques de France, n°3, 1977, p. 141-152.
2. International Federation of Libraries Associations and Institutions (IFLA) «  Pour l’accueil des adolescents dans les
­bibliothèques », 2008, révision du texte de 1996, p. 6.
3. B. Seibel, Bibliothèques municipales et animation, Paris, Dalloz,1983. Pour un historique de l’accueil des adolescents en
bibliothèque, voir les annexes p. 70.
4. Voir guide d’entretien en annexe.
5. La taille de l’échantillon (vingt bibliothèques, sélectionnées pour leur représentativité et dans lesquelles nous avons
rencontré longuement différents interlocuteurs) autorise à élargir les conclusions à l’ensemble des bibliothèques françaises
engagées en direction des adolescents (mais bien sûr pas à l’ensemble des bibliothèques françaises, qui ne sont pas toutes,
loin s’en faut, engagées dans des actions tournées vers ce public). On trouvera sans doute, dans quelques établissements
singuliers, des exceptions ou des dispositifs particuliers non évoqués ici. On fait l’hypothèse qu’ils ne remettent pas en
cause la présente analyse, qui prétend dégager les grandes tendances repérables dans ce type d’établissements à partir
de ­l’enquête Bibado croisée avec d’autres enquêtes menées précédemment sur les politiques documentaires des biblio-
thèques de la Ville de Paris, sur le Prix Emmanuel Roblès organisé par la médiathèque Abbé Grégoire de Blois et sur les
interventions d’écrivains dans des institutions scolaires et culturelles.
6. Voir C. Rabot, « Les adolescents, le numérique, la lecture et les bibliothèques », in Mina Bouland (dir.), Être bibliothécaire
jeunesse aujourd’hui, Paris, Association des bibliothécaires de France, 2016, p. 72-77.
7. S. Octobre, Les Loisirs culturels des 6-14  ans, Ministère de la culture et de la communication, DEPS, La Documentation
française, 2004.
8. « Publics et usages des bibliothèques municipales en 2016 », Ministère de la culture direction générale des médias et des
industries culturelles, 2017, p. 7, en ligne, et voir aussi, en ligne.
9. C’est ce que soulignait C. Poissenot dans une conférence donnée en octobre 2017 à Namur pour l’association des
­bibliothécaires belges.
10. P. Ancel et A. Pessin (dir.), Les non-publics : les arts en réceptions, I, L’Harmattan (Logiques sociales), 2004.
11. C. Van de Velde, Devenir adulte : sociologie comparée de la jeunesse en Europe, Presses universitaires de France, 2008.
12. On reviendra sur cette question des espaces dans le chapitre suivant.
13. Voir à cet égard les travaux de M. Nussbaum ou de J. Bouveresse, notamment : M. Craven Nussbaum, Love’s Knowledge :
Essays on Philosophy and Literature, Oxford university press, 1990 ; J. Bouveresse, La connaissance de l’écrivain : sur la littéra-
ture, la vérité & la vie, Agone, 2008.
14. Voir G. Mauger, Âges et générations, Repères 635, La Découverte, 2015.
15. On reviendra dans le chapitre 3 sur cet enjeu de modernité.
16. Voir la vidéo de la performance, en ligne.
17. C’est ce que montre S. Kellner dans une thèse en cours sur les usages du numérique en bibliothèque.
18. Voir C. Détrez, « Des shonens pour les garçons, des shojos pour les filles ? », Réseaux, vol. 168-169, no 4, 2011, p. 165-186.
19. Voir C. Détrez, et F. Renard. « "Avoir bon genre ?" : les lectures à l’adolescence », Le français aujourd’hui, vol. 163, no4,
2008, p. 17-27.
20. C’est ce qu’avaient déjà montré C. Baudelot, M. Cartier et C. Détrez, et que confirme F. Renard dans sa plus récente étude
sur les lycéens et la lecture. Voir : C. Baudelot, M. Cartier, et C. Détrez, Et pourtant, ils lisent, Éd. du Seuil, 1999 ; F. Renard, Les
Lycéens et la lecture : entre habitudes et sollicitations, Presses universitaires de Rennes, 2011.
21. V. Le Goaziou, Lecteurs précaires : des jeunes exclus de la lecture ? Édité par l’Observatoire national de la lecture, et Lire et
faire lire, L’Harmattan (Débats jeunesses), 2006.
22. M. Burgos, « Ces lecteurs sont-ils des lecteurs ? », Bulletin des Bibliothèques de France, vol. 37, no1, 1992, p. 16-23, en ligne.
23. Voir par exemple : J-Y. Rochex et J. Crinon (dir.), La construction des inégalités scolaires : Au cœur des pratiques et des dispo-
sitifs d’enseignement, Presses Universitaires de Rennes, 2011 ; S. Bonnéry (dir.), Supports pédagogiques et inégalités scolaires :
études sociologiques, la Dispute, 2015.
24. C. Rabot, «  La démocratisation culturelle par les bibliothèques de lecture publique, une préoccupation d’hier ?  »,
­Politiques de la culture, 2 juin 2014, en ligne.
25. Le projet est présenté dans un article du BBF : C. Masse, « La meZZanine », Bulletin des Bibliothèques de France, vol. 58,
no2, 2013, p. 70 73.
26. Voir C. Rabot, « Des best-sellers en tête de gondole des bibliothèques ? Valeur littéraire et stratégie professionnelle »,
­Revue critique de fixxion française contemporaine, no 15, 2017, p. 67-78, en ligne.
27. B. Berthou, éd. La bande dessinée : quelle lecture, quelle culture ? Études et recherche, Éditions de la Bibliothèque publique
d’information, 2015, en ligne.
28. C. Détrez et O. Vanhée, Les mangados  : lire des mangas à l’adolescence, Bibliothèque publique d’information, Centre
Georges Pompidou, 2012, p. 110.
29. On analysera dans le chapitre suivant comment cet outil est utilisé en vue d’objectifs multiples (voir infra p. 44).
30. On retrouve ainsi les constats formulés par F. Legendre dans son rapport « Jeu et bibliothèque : pour une conjugaison
fertile », Inspection générale des bibliothèques, 2015, en ligne.
31. On emprunte ici la métaphore proposée par M. de Certeau pour la lecture dans Arts de faire : L’Invention du quotidien. 1,
Union générale d’éditions (10-18), 1980.

L J Essais - études – enquêtes 89


32. Cette conviction est soutenue par un certain nombre d’acteurs et donne lieu à un investissement institutionnel plus
large, des PMI aux crèches et aux écoles maternelles. La psychiatre M. Bonnafé a largement participé à sa diffusion avec Les
livres, c’est bon pour les bébés, Calmann-Lévy, 1993.
33. Le catalogue des formations présente les 24 stages, d’une durée d’un à trois jours à Paris et déclinables sur mesure en
France et à l’étranger, proposés par l’association pour l’année 2018, en ligne. Une telle offre est sans commune mesure avec
l’offre classique des centres de formation.
34. Voir sur cette question C. Ségur et L. Ballarini (dir.), Devenir public : modalités et enjeux, Éditions Mare et Martin, 2018.
35. Voir, en ligne.
36. NDRL. Voir l’ebook de Morgane Vasta, Livres choisis, livres prescrits, LJ+, Lecture Jeunesse, 2017.
37. J. Rancière, Le Maître ignorant : cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Paris, Fayard, 1987.
38. Voir C. Rabot, « Des best-sellers en tête de gondole des bibliothèques ? Valeur littéraire et stratégie professionnelle »,
Revue critique de fixxion française contemporaine, no15, 2017, p. 67-78.
39. Voir C. Rabot, « Le roman policier en bibliothèque : institutionnalisation et légitimation d’un genre littéraire », À l’épreuve,
no 3, 2016, en ligne.
40. Voir C. Poslaniec, Donner le goût de lire : des animations pour faire découvrir aux jeunes le plaisir de lire, La Martinière, coll.
« La littérature jeunesse, pour qui, pour quoi », 2010.
41. C’est ce type de lecture que vise le discours sur la « crise de la lecture », de même que les enquêtes sur la lecture (avec
la fameuse question du nombre de livres lus au cours des douze derniers mois, posée de manière récurrente dans l’enquête
sur les pratiques culturelles des Français et à partir de laquelle on établit des classes de lecteurs). Voir J-F. Barbier-Bouvet,
« La fin et les moyens : méthodologie des enquêtes sur la lecture », in M. Poulain (dir.), Pour une sociologie de la lecture :
lectures et lecteurs dans la France contemporaine, Éd. du Cercle de la librairie, 1988. p. 215-237.
42. Sur la dissociation entre amour de la lecture et amour de l’école et entre réussite scolaire et intensité de la pratique
lectorale, voir F. de Singly, Lire à 12 ans: une enquête sur les lectures des adolescents / Observatoire France-loisirs de la lecture,
Nathan, 1989.
43. V. Albenga, S’émanciper par la lecture : genre, classe et usages sociaux des livres, Presses Universitaires de Rennes, 2017.
44. R. Chartier et P. Bourdieu. « La lecture : une pratique culturelle », entretien, in R. Chartier (dir.), Pratiques de la lecture,
Rivages, 1985, rééd. p. 277-306.
45. Sur les prix littéraires décernés par les adolescents, on se reportera au numéro de Lecture Jeune no 147 (2013) dédié à
cette question et en particulier à C. Abensour, « Les prix littéraires pour la jeunesse, des outils de médiation », http://www.
lecturejeunesse.org/articles/les-prix-litteraires-pour-la-jeunesse-des-outils-de-mediation-2/ et C. Rabot, « Les mordus du
polar : prix d’adolescents ou de bibliothécaires ? », p. 17-22, en ligne.
46. Soupçon de confusion entre fiction et réalité qui fondait précédemment les craintes des élites à l’égard de la lecture
elle-même, du moins de la lecture des jeunes, des femmes ou du peuple, censés être moins capables de réflexion et de
distanciation. Voir à ce sujet : M. Lyons, « Les nouveaux lecteurs au XIXe siècle : femmes, enfants, ouvriers », in R. Chartier
et G. Cavallo (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Éditions du Seuil, 1997 ; L. Artiaga, Des torrents de papier :
catholicisme et lectures populaires au XIXe siècle, PULIM, 2007.
47. Voir la page dédiée, en ligne.
48. Voir à ce sujet l’analyse d’un projet de construction de médiathèque proposée dans : M. Roselli, « Usagers et usages
devant une offre de lecture publique libre : parcours d’acculturation et formes d’appropriation lettrées », Sociétés contem-
poraines, vol. 64, no4, 2006, p. 135-153.
49. Ce déni n’est pas absent chez les enseignants, et les politiques des bibliothèques témoignent assez rarement d’une ré-
flexion en termes d’inégalités sociales d’accès à la culture. Voir le billet déjà cité de C. Rabot, « La démocratisation culturelle
par les bibliothèques de lecture publique, une préoccupation d’hier ? », blog Politiques de la culture, en ligne.
50. Sur les rapports entre bibliothèque et intérêt général, on pourra se reporter aux réflexions de B. Calenge, notamment
Les politiques d’acquisition : constituer une collection dans une bibliothèque, Éd. du Cercle de la librairie, 1994.
51. Le terme est utilisé par Alvin Toffler dans Le Choc du futur, Denoël, 1972. La Bibliothèque nationale de France fait de ce
gigantisme le parti pris assumé de sa campagne de communication en 2014, voir en ligne.
52. La première dimension est mise en lumière par Annie Ernaux qui raconte une tentative de visite à la bibliothèque
­municipale dans son enfance et décrit le guichet qui barrait l’accès aux collections : « C’était silencieux, plus encore qu’à
l’église, le parquet craquait et surtout cette odeur étrange, vieille. Deux hommes nous regardaient venir depuis un comptoir
très haut barrant l’accès aux rayons. Mon père m’a laissé demander : « On voudrait emprunter des livres ». À la maison,
on n’avait pas pensé qu’il fallait savoir d’avance ce qu’on voulait, être capable de citer des titres aussi facilement que des
marques de biscuits. On a choisi à notre place, Colomba pour moi, un roman « léger » de Maupassant pour mon père. Nous
ne sommes pas retournés à la bibliothèque », Annie Ernaux, La Place, Paris, Gallimard, 1983, rééd. Folioplus classiques p. 76.
53. J-F. Barbier-Bouvet, « L’embarras du choix », Bulletin des Bibliothèques de France, vol. 31, no4, 1986, en ligne.
54. L. Bethléem, Romans à lire et romans à proscrire. Essai de classification au point de vue moral des principaux romans et
romanciers (1500-1928), éditions de la « Revue des lectures », 1928. Voir l’analyse de J-Y Mollier, La Mise au pas des écrivains :
L’impossible mission de l’abbé Bethléem au XXe siècle, Librairie Arthème Fayard, 2014.
55. Voir E. Goffman, Les Rites d’interaction, Éditions de Minuit (Le Sens commun), 1974.
56. Voir Passionnés, fans et amateurs, Réseaux, n°153, 2009/1, en ligne.
57. Voir C. Détrez et O. Vanhée, Les Mangados : lire des mangas à l’adolescence, Études et recherche, Bibliothèque publique
d’information, Centre Pompidou, 2012.
58. Sur cet ethos de réserve qui continue d’imprégner le rapport au métier au-delà des postures les plus innovantes, même
s’il a toujours été moins marqué dans les sections jeunesse, toujours plus enclines à la médiation, on pourra se reporter à
C. Rabot, « Bibliothécaire, un “métier modeste” dans une institution marginalisée », in M. Quijoux (dir.), Bourdieu et le travail,
Presses Universitaires de Rennes, 2015, p. 211-227.
59. Voir Les Relations des bibliothèques des collectivités territoriales avec les établissements scolaires, rapport n°  2013-20 de

L J Essais - études – enquêtes 90


l’Inspection générale des bibliothèques, 2013.
60. Exemple initialement cité page 31.
61. Voir C. Rabot, « Bibliothécaire, un “métier modeste” dans une institution marginalisée », in Maxime Quijoux (dir.), Bour-
dieu et le travail, p. 211-227, Le sens social, Presses Universitaires de Rennes, 2015, en ligne.
62. Voir P. Chevallier et C. Evans, « Attention, lycéens ! », Bulletin des Bibliothèques de France, vol. 58, no2, 2013, p. 24-29.
63. Le dernier film du documentariste américain F. Wiseman sur la New York Public Library donne très bien à voir à la fois
l’articulation des différents usages de cette bibliothèque et la place qu’elle fait à des ateliers et conférences en tout genre, y
compris dans une logique très pratique, des cours de langues aux forums des métiers.
64. J.-Cl. Chamboredon, « Adolescence et post-adolescence : la « juvénisation ». Remarques sur les transformations récentes
des limites et de la transformation sociale de la jeunesse », in A. M. Alléon, O. Morvan, S. Lébovici, Adolescence terminée,
adolescence interminable, Paris, PUF, 1985, p. 13-28.
65. J. Dumazedier, Révolution culturelle du temps libre, 1968-1988, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1988.
66. B. Seibel, « La place des CDI dans le processus éducatif  : le rôle de J. Hassenforder  », in, Hommage à J.Hassenforder,
­Perspectives documentaires en éducation, n°42, 1997.
67. A. Garrigoux, « La lecture publique en France », Notes et études documentaires, 1972, n°3948.
68. B. Pingaud, J.-C. Barreau, Pour une politique nouvelle du livre et de la lecture, Paris, Dalloz, 1982.
69. B. Seibel, Bibliothèques municipales et animation, Paris, Dalloz, 1985.
70. Sur l’initiative d’Odile Altmayer.
71. O. Altmayer, « Les adolescents et la lecture, une expérience de 17 ans, 1954-1971 », Lecture et Bibliothèque, 1 972, n°24 et
« Une expérience nouvelle pour les adolescents », BBF, 1977, t.22, n°3.
72. G. Mauger, « Le monde des jeunes », Sociétés contemporaines, 1995, n°21, p. 5-14, O. Galland, « Un nouvel l’âge de la
vie », Revue Française de sociologie, 1990, n° 1, p. 529-551.
73. N. Robine, « Les lecteurs adolescents d’après les enquêtes françaises : panorama des dix dernières années », Lecture
Jeune, n°71, 1994, p. 24.
74. J.-Cl. Chamboredon, «  La société française et sa jeunesse  », «  La diffusion des modèles sociaux de l’adolescence  »,
« Culture adolescente » et sous -cultures de classe », in Darras, Le Partage des Bénéfices, Paris, Minuit, 1966.
75. A. M. Chartier, « Lire à l’école et lire en bibliothèque : deux modèles contradictoires de la lecture », Cahiers de la Recherche
en Education, vol. 3, n°3, p. 437-452.
76. J. Balhoul, « Lectures précaires. Etude sociologique sur les faibles lecteurs », Paris, BPI, 1987, F. Dumontier, F. de Singly,
Cl. Thélot, « La lecture moins attractive qu’il y a vingt ans », Économie et Statistique, n°233, juin 1990, p. 63-80, F. de Singly,
Lire à 12 ans, Paris, Nathan, 1989.
77. M. Poulain, Lire en France aujourd’hui, Paris, Cercle de la librairie, 1993.
78. M. Schmitt, Fictions de la lecture, De la formation des goûts littéraires de l’enseignement secondaire, Thèse de doctorat Univ.
Paris III, 1990, et C. Etevé, J. Hassenforder, O. Lambert, « Rôle du collège dans le développement des lectures de l’enfant à
l’adolescent », Inter-CDI, 1987, n° 90 et « Les lectures de loisirs de l’enfance à l’adolescence », Inter-CDI, 1990, n°107.
79. J.-Cl. Passeron, « Le polymorphisme culturel de la lecture. A propos de l’illettrisme », in Le Raisonnement sociologique,
Paris, Nathan, 1992.
80. N. Robine, Les jeunes travailleurs et la lecture, Paris, La Documentation française, 1984, M. Naffréchoux, P. Parmentier,
F.  Porto-Vasquez , Trois études sur la lecture, Paris , GIDES , 1980, P. Parmentier, « Les genres et leurs lecteurs », Revue
Française de sociologie, 1986, XXXVIII, n°3, M. Poulain (dir), Pour une sociologie de la lecture, lectures et lecteurs dans la France
contemporaine, Paris, Le Cercle de la Librairie, 1988.
81. C. Tabet, La bibliothèque hors les murs, Paris, Cercle de la librairie, 1996.
82. Selon le terme de W. J. Goode, « The librarian, from occupation to profession », The library quaterly, 1961, 31, 4.
83. B. Seibel, Bibliothèques municipales et animation, op. cit.
84. J.-Cl. Passeron, M. Grumbach, L’Œil à la page : Enquête sur les images et les bibliothèques, Paris, BPI, 1985.
85. C. Poissenot, « Les raisons de la fuite : la non ré-inscription en bibliothèque », Paris, CERSOF, 1992, « Rapport pour le
service de recherche de la BPI », et Les adolescents et la bibliothèque, Paris, BPI, 1997.
86. Premières rencontres nationales de la lecture et de l’écriture, La Villette, 29-31 janvier 1993.
87. P. Bourdieu, « La lecture, une pratique culturelle », in R. Chartier (dir.), Pratiques de la lecture, Paris, Rivages, 1985.
88. B. Seibel, Au nom du livre : analyse sociale d’une profession, les bibliothécaires, Paris, La Documentation française, 1988.
89. Sondage Livres hebdo de 1997, les jeunes achètent en moyenne 6,3 livres pour 295 F (environ 45 euros).
90. F. Patureau, Les Pratiques culturelles des jeunes, Paris, La Documentation française, 1992.
91. C. Baudelot, C. Détrez, Cartier, Et pourtant ils lisent !, Paris, Le Seuil, 1999. Sur la notion de lecture ordinaire, cf. G. Mauger,
Cl. Poliak, B. Pudal, Histoires de lecteurs, Paris, Nathan, 1999.
92. E. Schön, «  La fabrication du lecteur  », in M. Chaudron, F. de Singly (dir.) Identité, lecture, écriture, Paris, BPI, 1993, et
M. Petit, Eloge de la lecture, La construction de soi, Paris, Belin, 2002.
93. F. de Singly, « Les jeunes et la lecture », Dossiers Education et Formations, n°24, Ministère de l’Education Nationale et de la
Culture, 1993, J. M. Privât, « Bibliothèques, écoles : quelles coopérations ? », CRDP Créteil, FFCB, coll. Argos, 1994.
94. A. M. Bertrand, Les Bibliothèques municipales : Acteurs et enjeux, Paris, Le Cercle de la librairie, 1994.
95. M. Petit, C. Balley, R. Ladefroux, De la bibliothèque au droit de cité : Parcours de jeunes, Paris, BPI, 1997.
96. G. De Ridder, « Médiateurs du livre, animateurs ou missionnaires ? », in B. Seibel (dir.), Lire, faire lire : des usages de l’écrit
aux politiques de lecture, Paris, Le Monde éd., 1995.
97. Rapport du Conseil Supérieur des bibliothèques, 1993.

L J Essais - études – enquêtes 91


98. M. Burgos, N. Hedjerassi, P. Perez, F. Soldini, P. Vitale, Des jeunes et des bibliothèques : Trois études sur la fréquentation
juvénile, BPI, 2003.
99. F. Rouet, La Grande mutation des bibliothèques municipales, Paris, Ministère de la Culture-DEP, 1998.
100. Les services pour adolescents dans les bibliothèques, Lecture Jeune, 1998, n°88, Les adolescents, BBF, 2003, n°3,
L. Desailly, A. Lorant-Jolly, « Les actions en direction des adolescents », in S. Goffard, A. Lorant-Jolly, Les adolescents et la
lecture, Actes de l’université d’été d’Évian, CRDP de Créteil, 1995.
101. Elle synthétise les réflexions de la rédactrice en chef de Lecture Jeune, Anne Clerc, de la Présidente de Lecture Jeu-
nesse, Bernadette Seibel, et de sa directrice. Les exemples cités proviennent d’entretiens réalisés par Anne Clerc au mois de
décembre 2011 avec Soizik Jouin (directrice de la Bibliothèque Chaptal, Paris) et Viviana Quiñones (Présidente de la section
10 de l’IFLA), de questionnaires adressés par la rédaction à des bibliothèques européennes (Espagne, Italie, Danemark, Alle-
magne), d’expériences dont Lecture Jeunesse a directement connaissance et, pour un certain nombre, de comptes rendus
de l’IFLA ainsi que d’articles du Bulletin des Bibliothèques de France (BBF).
102 Agnès Desarthe, La Plus Belle Fille du monde, Paris, l’Ecole des loisirs, 2009, p. 45.
103. Pour un historique sur l’accueil des adolescents en bibliothèque, voir le n° 112 de Lecture Jeune, « La place des adoles-
cents en bibliothèque » (décembre 2004), et plus précisément l’article de Bernadette Seibel, sociologue et Présidente de
Lecture Jeunesse (p. 4-15).
104. Et elle ajoute quelques exemples : « le prêt - l’équipement des livres - le rangement dans les rayons - la décoration
- le choix des livres - certaines activités d’animation », Odile Altmayer, « Une expérience nouvelle pour les adolescents »,
BBF n°3, 1977, p.  141-152. On notera les recommandations de l’International Federation of Libraries Associations and
­Institutions (IFLA) : « Pour l’accueil des adolescents dans les bibliothèques », 2008, révision du texte de 1996, p. 6 : « Partici-
pation des jeunes. Les bibliothèques qui souhaitent offrir des programmes pour adolescents significatifs et efficaces doivent
rechercher leur participation à toutes les étapes de développement des projets. Impliquer les adolescents dans les prises
de décision, la planification et la mise en place des programmes les concernant est vivement recommandé car cela peut les
aider à se développer harmonieusement ».
105. Voir, en ligne.
106. La biblioteca Salaborsa Ragazzi a un espace dédié aux adolescents qui a été pensé en collaboration avec un groupe
de jeunes de 14 à 16 ans. Ce sont eux qui ont décidé de l’aménagement de l’espace (un coin pour étudier, un autre pour
lire, discuter, être ensemble), ainsi que du matériel qu’ils souhaiteraient y trouver (livres, bandes dessinées, mangas, films,
ordinateurs, jeux vidéo).
107. Où se pratiquerait la lecture « savante / scolaire ». Notons que la notion de « plaisir » relatif à la lecture, est une dispo-
sition qui résulte d’une construction sociale, la conséquence de l’assimilation d’un certain nombre de contraintes physiques
et d’exercices mentaux. Ce « plaisir » peut provenir d’une lecture de divertissement comme d’une lecture savante, pour qui
en maîtrise les codes.
108. Voir, en ligne.
109. C’est nous qui soulignons.
110. Journée d’étude organisée par L’Ecole des loisirs au théâtre du Vieux-Colombier, Paris, table ronde «  quelles biblio-
thèques pour les adolescents ? » animée par Claude Poissenot, 17 novembre 2011.
111. À ce sujet, voir Tony Di Mascio, « Et si l’on en finissait avec l’accueil des classes ? », La Revue des Livres pour enfants n°248,
septembre 2009.
112. Il a pris forme à Bologne en 2004, grâce à l’association culturelle Hamelin (voir l’article d’Amandine Jacquet dans
­l’e-dossier sur notre blog http://bloglecturejeune.blogspot.com/, où vous trouverez aussi une présentation de cette asso-
ciation).
113. Si des structures, comme la médiathèque André Malraux de Béziers, proposent des cabines d’apprentissage des
­langues et ont un fonds spécialisé dans la formation/ autoformation (préparation au TOIEC, à des examens de français
langues étrangères, etc.), nous soulignons ici la médiation en direction des adolescents.
114. Voir, en ligne.
115. Mikkel Hellden Hegelung, “The Career Library”, en ligne et en ligne.
116. Voir en ligne.
117. On ne reviendra pas ici sur la bibliothèque comme « 3e lieu ». Le lecteur pourra consulter l’article de Mathilde Servet,
« Les bibliothèques troisième lieu », BBF n°4, 2010, p. 57-63.
118. Le dossier de presse (2008) est en ligne.
119. Frans Meijer, « La bibliothèque de Rotterdam au cœur de la cité », BBF n°5, 2000, p. 81-85.
120. Jean-Claude Utard, « Les pratiques culturelles et les bibliothèques vues de Paris », BBF n°5, 2010, p. 72-75.
121. Stig Elvis Furset, “The Locker-Room Librarian : The Maradona of literature dissemination”, voir en ligne ; www.bokpallen.no.
On retrouve une action de ce type en milieu scolaire en Écosse avec le projet « SPL (Scottish Premier League Football) Rea-
ding Stars » mené par les clubs de la première division de football en direction des garçons des écoles élémentaires, en ligne.
122. « Les adolescents à la bibliothèque », journée d’étude organisée par L’École des loisirs au théâtre du Vieux Colombier,
Paris, table ronde « quelles bibliothèques pour les adolescents ? » animée par Claude Poissenot, 17 novembre 2011.
123. Médiathèque André Malraux, en ligne.
124. Osant l’humour et avec une longueur d’avance sur l’Europe, New York a lancé un flashmob en 2010 pour promouvoir sa
bibliothèque en filmant des Ghostbusters aux trousses de fantômes qui déambulaient entre les étudiants ahuris, en ligne,
avec 4 827 873 vues, seulement sur ce site, le 15/12/2011.
125. Voir à ce sujet l’article sur les « Sister libraries » dans l’e-dossier sur le blog de Lecture Jeunesse.
126. La lecture, formatrice, comme découverte de soi-même et apprentissage de la vie.

L J Essais - études – enquêtes 92


Découvrez aussi Lecture Jeune,
la revue sur les cultures et les littératures
des adolescents et des jeunes adultes

La revue Lecture Jeune est publiée par Lecture Jeunesse

www.lecturejeunesse.org

facebook.com/lecture.jeunesse @LectureJeune

L J Essais - études – enquêtes 93

You might also like