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TITRE ANCESTRAL ET LE DROIT DE CONSULTATION DES MÉTIS

1. Propos préliminaires au sujet des droits ancestraux et le droit de consultation en


droit constitutionnel canadien

1.1. La reconnaissance des droits ancestraux à la source du devoir de


consultation

1.1.1. Définition des droits ancestraux


1.1.2. Définition du titre ancestral

1.2. Le déclenchement du devoir de consultation

1.2.1. La preuve prima facie d’une cause d’action


1.2.2. L’honneur de la Couronne
1.2.3. La qualité requise pour bénéficier du droit d’être consulté

2. Les Métis : un peuple distinct

2.1. Les critères de détermination de l’identité métisse


2.1.1. L’auto-identification et l’appartenance à une communauté distincte
2.1.2. Les liens ancestraux
2.1.3. L’acceptation par la communauté

2.2. Les conditions d’existence des droits ancestraux des Métis


2.2.1. Le moment de naissance d’un droit ancestral métis
2.2.2. La continuité
2.2.3. Le rattachement au territoire

2.3. Le titre ancestral des Métis : une question épineuse


2.3.1. Le titre ancestral des peuples nomades
2.3.2. Les critères de la suffisance et de l’exclusivité
ii

2.3.3. L’antériorité au contact: un obstacle insurmontable ressuscité

3. Le devoir de consultation : la conséquence juridique d’une promesse historique

3.1. L’étendue du devoir de consultation


3.1.1. L’effet potentiellement préjudiciable sur un droit un titre ancestraux
3.1.2. La justification de l’atteinte

3.2. L’efficacité de la consultation


3.2.1. Conciliation ou processus judiciaire : quelques critiques du système
3.2.2. L’évolution du devoir de consultation
Habiletés II, Automne 2015, Droit constitutionnel © Rossita Stoyanova, 2015 1

INTRODUCTION

Les droits ancestraux des autochtones tirent leur origine non pas de la générosité de la
Couronne, mais du fait que ces peuples ont toujours été gouvernés de façon autonome et
qu’ils ont occupé la plupart de ce qui est considéré le territoire canadien d’aujourd’hui1. En
effet, le statut juridique distinct des autochtones en tant que minorités découle de leur
présence antérieure à l’arrivée des Européens. En 1763, dans un cycle de négociations, la
Couronne a promis aux autochtones, militairement forts à l’époque, de régler par le moyen
de la conciliation tout différend concernant la propriété foncière ou l’utilisation des
territoires sur lesquels elle est venue affirmer sa souveraineté2. Dans les siècles qui ont
suivi, les colons sont devenus de plus en plus nombreux en hommes et en force militaire,
alors que les autochtones qui ont acquiescé aux revendications de la Couronne en
contrepartie de sa promesse ont connu une descente en enfer lorsque, décimés par les
épidémies et la misère, ils se sont vus dépossédés de leurs territoires.

Ce n’est que vers la 2e moitié du 20e siècle que la Cour suprême a commencé à
reconnaitre les droits ancestraux des autochtones et à définir le devoir fiduciaire de la
Couronne envers ces peuples. À travers une panoplie de procès constitutionnels
complexes et étendus, fondés sur des expertises historiques abondantes, minutieusement
analysées sous la loupe du droit de propriété de la common law, la jurisprudence s’est
raffinée et uniformisée. Les Métis, quant à eux flottaient dans l’incertitude. Dans les
années 80, certains auteurs allaient jusqu’à affirmer qu’il serait incohérent de les traiter
comme un peuple distinct, puisque leur occupation des territoires en cause ne date pas
des « temps immémoriaux » 3 . Cette controverse a été éliminée suite à l’adoption de
l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 4 qui a reconnu et confirmé les droits
ancestraux existants et issus de traités des peuples autochtones, dont ceux des Métis.


1
Peter HOGG, « The Constitutional Basis of Aboriginal Rights », dans Mélanges en l’honneur d’Andrée
Lajoie : Le droit une variable dépendante, Montréal, Thémis, 2008, p. 179.
2
Ghislain OTIS, Droit territoire et gouvernance des peuples autochtones, Québec, Les Presses de l’Université
Laval, 2004, p. 1.
3
Thomas FLANAGAN, « The Case Against Métis Aboriginal Rights », (1983) 9 Anal. de pol. 322, 334
4
Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.) [ci-après « Loi de 1982 »]

L’objectif de cette dissertation est d’expliciter en quoi consiste le droit de consultation des
Métis lors de la mise en œuvre d’un projet d’exploitation des ressources naturelles sur le
territoire québécois. Pour y arriver, nous allons tout d’abord procéder à un survol
jurisprudentiel de la reconnaissance des droits ancestraux en relation avec le devoir de
consultation de la Couronne. Dans ce cadre, nous allons définir de manière large les droits
ancestraux et nous expliquerons de quelle manière le devoir de consultation de la
Couronne peut être déclenché. Nous enchainerons avec les distinctions applicables aux
collectivités métisses, en examinant les caractéristiques qui font des Métis un peuple
distinct. Plus loin, nous analyserons les éléments de preuve nécessaires dans la
démonstration de l’identité métisse et présenterons les conditions d’existence d’un droit
ancestral métis. Dans la dernière partie, nous ferons état de l’étendue du droit de
consultation auquel pourrait s’attendre un groupe Métis et, nous jetterons un éclairage sur
les obligations internationales du Canada envers les peuples autochtones.

1. Propos préliminaires au sujet des droits ancestraux et du droit de consultation


en droit constitutionnel canadien

Selon le professeur Otis, la doctrine des droits ancestraux est « une doctrine fondatrice
pour le Canada, en ce qu’elle définit les conditions auxquelles l’État a acquis la
souveraineté sur les autochtones et leur territoire5. Cependant, ce n’est qu’en 1973, dans
l’arrêt Calder6 que la Cour suprême a pour la première fois reconnu au peuple Nisga un
droit ancestral sur son territoire, qui a survécu à la colonisation. Cette reconnaissance a
déclenché « une logique de transformation profonde du cadre juridique régissant les
rapports entre la société majoritaire et les autochtones du pays » 7 . Ceci a incité le
gouvernement du Canada à entreprendre des négociations avec les autochtones dans la
Colombie-Britannique, une pratique qui avait été abandonnée dans les années 19208. Une
douzaine d’années plus tard, dans l’affaire Guerin9, la Cour suprême a reconnu le titre
ancestral de la bande Musqueam sur un terrain que la Couronne avait loué à un club de
golf à des termes moins favorables que ceux négociés avec la bande. Le juge Dickson


5
Préc., note 2, G. OTIS, p. 3
6
Calder c. P.G.B.C., [1973] R.C.S. 313 [ci-après « Calder »].
7
Préc., note 2, G. OTIS, p. 9
8
Préc. note 1, P.HOGG, p.180.
9
Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335 [ci-après « Guerin »].
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affirme au nom de la majorité que le droit des autochtones sur leurs terres donne
naissance à une obligation fiduciaire sui generis de la Couronne10. Au moment que
l’affaire Guerin était entendue, l’article 35 de la Loi de 1982 n’était pas encore entré en
vigueur. La doctrine des droits ancestraux se fondait, alors, sur la common law, faisant en
sorte que les droits ancestraux pouvaient être éteints par une simple loi, formulée en
termes clairs et exprès.

1.1. La reconnaissance des droits ancestraux, à la source du devoir de


consultation

L’adoption de l’article 35 de la Loi de 1982 représente selon la Cour suprême


« l’aboutissement d‘une bataille longue et difficile à la fois dans l’arène de la politique et
devant les tribunaux pour la reconnaissance de droits ancestraux »11. Cette disposition a
aussi eu pour effet de consacrer dans la constitution les obligations fiduciaires de la
Couronne envers les peuples autochtones. Ainsi, dans l’arrêt R. c. Sparrow, la Cour
suprême a confirmé que dorénavant les droits ancestraux jouissent d’une protection
constitutionnelle, ne pouvant plus être éteints par une mesure législative12. Selon la Cour
suprême, l’article 35 doit être interprété de manière généreuse, large et libérale, pour
permettre la réalisation de ses objectifs 13 . Toutefois, en ce qui concerne les droits
ancestraux comme tels, autrement que de les qualifier d’« uniques » ou de « sui juris »14,
les tribunaux ont pris plus de temps pour circonscrire leur portée.

1.1.1. Définition des droits ancestraux

La définition longtemps attendue des droits ancestraux a été formulée par la Cour
suprême dans l’arrêt Van Der Peet15 en 1996. Le juge en chef Lamer, au nom de la
majorité, énonce formellement que le droit ancestral est une coutume, pratique ou tradition


10
Préc., note 9, Guerin, 382.
11
[1990] 1 R.C.S. 1075, 1105 [ci-après « Sparrow »].
12
Id., 1092.
13
Id., 1106.
14
Préc., note 9, Guerin, 1112.
15
R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507 [ci-après « Van der Peet »].
4

qui fait partie intégrante d’une culture distinctive et qui marque une continuité avec une
coutume, pratique ou tradition qui existait avant le contact avec les Européens16:

« Pour être reconnue comme un droit ancestral, une coutume, pratique ou


tradition n’a pas à être distincte, c’est-à-dire propre à la culture autochtone
en cause. Les demandeurs autochtones doivent simplement montrer que la
coutume, pratique ou tradition en cause est une caractéristique déterminante
de leur culture. »17 (nos soulignements)

Depuis Van Der Peet, la Cour suprême invite les juges de première instance à faire
preuve de souplesse, tout en les mettant en garde qu’une coutume, pratique ou tradition
accessoire ne suffit pas pour fonder l’existence d’un droit ancestral au sens de l’article 35.
De plus, les droits ancestraux présupposent une forme de continuité dans le temps. Même
si une pratique a été interrompue et reprise ultérieurement, cela ne devrait pas représenter
un obstacle insurmontable à la reconnaissance d’un droit ancestral, à moins que le délai
ne se soit tellement prolongé qu’il soit concevable qu’il y ait eu abandon. À titre
d’illustration, dans l’affaire R. c. Côté18, la Cour suprême a reconnu aux Algonquins le droit
ancestral de faire de la pêche pour se nourrir dans le bassin de la rivière des Outaouais,
du fait qu’ils’y avaient exercé ce droit bien avant 1603. Le fait que les Algonquins ont dû
quitter la région à la suite de la guerre contre les Iroquois de 1632 n’a pas empêché la
Cour suprême d’arriver à cette conclusion. En effet, un droit ancestral existe en absence
d’une renonciation valide par le groupe qui le revendique19. Par ailleurs, dans l’arrêt R. c.
Adams, la Cour suprême rejette la théorie des droits figés et affirme que les droits
ancestraux devraient être évolutifs, pour éviter, par exemple, qu’un droit de chasse soit
exercé aujourd’hui de la même manière qu’au 13e siècle20.

Dans l’arrêt Delgamuukw21, rendu en 1997, la Cour suprême décrit les droits ancestraux
comme s’étalant « le long d’un spectre » en fonction de leur degré de rattachement au
territoire visé:


16
Préc. note 9, Guerin, par 45.
17
Préc. note 15, Van der Peet, 511.
18
[1996] 3 R.C.S. 139 [ci-après «Côté»].
19
Id., par. 45.
20
R. c. Adams, [1996] 3 R.C.S. 101 [ci-après « Adams »].
21
Delgamuukw c. C.-B., [1997] 3 R.C.S. 1010 [ci-après « Delgamuukw »]; Id, par. 26.
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« À une extrémité du spectre, il y a les droits ancestraux qui sont des


coutumes, pratiques et traditions faisant partie intégrante de la culture
autochtone distinctive du groupe qui revendique le droit en question.
Toutefois, le fait que le territoire sur lequel l’activité est pratiquée a été
occupé et utilisé ne suffit pas pour étayer la revendication du titre de
celui-ci […] Au milieu du spectre, on trouve les activités qui, par nécessité
sont pratiquées sur le territoire et, de fait, pourraient même être
étroitement rattachées à une parcelle de terrain particulière. […] À l’autre
extrémité du spectre, il y a le titre aborigène proprement dit. »22

Ainsi, les droits ancestraux ne se limitent pas aux seules pratiques historiques des
autochtones. Dans Sparrow, on constate que c’est en définissant le titre ancestral, droit
autochtone à la terre elle-même, que la Cour suprême a senti le besoin de développer la
consultation en tant que véritable outil de dialogue entre l’État et les Premières Nations.

1.1.2. Définition du titre ancestral

Dans Guerin, le titre ancestral est décrit comme « un droit dérivé de l’occupation historique
des Indiens et de la possession de leurs terres tribales ». Plus récemment, la Cour
supérieure du Québec a expliqué que le titre peut être assimilé à un démembrement du
droit de propriété 23 . Ainsi, la jurisprudence a reconnu aux groupes autochtones la
possibilité de faire la démonstration d’un titre ancestral qui non seulement garantit
l’exercice d’une pratique ou d’une coutume, telle la chasse, la pêche, la cueillette ou le
piégeage, mais confère, de plus, le droit d’utiliser et d’occuper de façon exclusive les
terres détenues en vertu de ce titre24. En effet, le caractère unique du titre ancestral
découle d’une possession antérieure à l’affirmation de la souveraineté britannique25. Il ne
faut pas oublier que le titre ancestral est un titre collectif détenu en continuité et qui
confère des droits d’utilisation et de jouissance du territoire, parmi lesquels le droit de
décider de l’utilisation des terres et le droit aux avantages économiques qui découlent de
cette utilisation26. Le titre ancestral appartient à la génération actuelle et aux générations


22
Préc., note 21, Delgamuukw, 1016.
23
Première Nation de Pessamit c. Québec (Procureur général) 2007 QCCS 794 [ci-après « Première Nation
de Pessamit »].
24
Préc. note 21, Delgamuukw, par. 138.
25
Id., par. 117.
26
Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, [2014] 2 R.C.S. 267, par. 73 [ci-après « Tsilhqot’in »].
6

futures de peuples autochtones. Il est inaliénable et ne peut être cédé qu’à la Couronne27.
L’État ne peut pas utiliser les terres contrôlées en vertu d’un titre ancestral sans le
consentement des titulaires de ce titre. Si le groupe autochtone ne consent pas à
l’utilisation envisagée, il incombe au gouvernement d’établir devant les tribunaux qu’une
telle utilisation est justifiée. Nous y reviendrons plus loin.

1.2 Le déclenchement du devoir de consultation

Le but du devoir de consultation est d’inclure les autochtones dans les décisions
susceptibles d’affecter leurs droits et, le cas échéant, de leur offrir une compensation
adéquate28. La Cour suprême énonce que la Couronne a une obligation de consulter les
autochtones à chaque fois avant d’entreprendre une mesure qui aurait pour effet de porter
atteinte à un droit ou à un titre ancestral sur un territoire visé par un projet d’exploitation de
ressources naturelles. Une preuve complète de l’existence d’un droit ancestral peut
requérir des années. De surcroit, les coutumes et pratiques dans la tradition autochtone
sont transmises de génération à génération29 de façon orale, sans textes écrits à l’appui.
L’objectif de la consultation est de traiter de tous les intérêts potentiels, même ceux non
encore reconnus30 , pour éviter d’arriver à une situation où « lorsque les Autochtones
parviennent finalement à établir le bien-fondé de leur revendication, ils trouvent leurs
terres changées et leurs ressources épuisées »31.

En effet, l’obligation de consulter et d’accommoder les peuples autochtones prend


naissance avant même que la preuve du droit ancestral soit entièrement établie, et ce,
lorsque 3 éléments sont réunis : 1) il existe une revendication crédible à l’égard d’un droit
ou d’un titre ancestral, établi ou non; 2) le gouvernement en a eu connaissance,
concrètement ou de façon implicite, de la revendication; 3) un comportement est
susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur l’objet visé par le droit ou le titre ancestral32.


27
Id., par. 74, 75
28
Préc. note 11, Sparrow, 1119 ; Préc., note 21, Delgamuukw, 1113 (j. Lamer), 1133 (j. La Forest).
29
Préc., note 18, Côté, par. 56
30
Nation Haïda c. C.-B. (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, par. 27 [ci-après « Haïda »]; Nation métisse
du Labrador c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 393, par. 20-22.
31
, Id., Haïda, par 33 (j. Maclaghlin).
32
Préc., note 26, Tsilhqot’in, par. 78; Préc., note 30, Haïda, par. 35-37
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1.2.1 La preuve prima facie d’une cause d’action

Même si les demandeurs doivent exposer de façon claire la nature et la portée de leurs
droits ancestraux, le fardeau de preuve est moins lourd que celui exigé en matière
d’injonction. En effet, l’obligation de consulter avant que la preuve ne soit complète
s’apparente à une mesure provisionnelle33. Lors de la formulation d’une revendication
crédible, une preuve sommaire, mais convaincante doit suffire, alors que les vices mineurs
qui entachent certains actes de procédure ne devraient pas être pris en compte34. Dans
l’arrêt Tsilhqot’in, rendu en 2014, la Cour suprême favorise une démarche souple dans
l’appréciation de la preuve des droits ancestraux de sorte à « ne pas perdre de vue la
perspective autochtone ou à ne pas la dénaturer ».

1.2.2 L’honneur de la Couronne

La position vulnérable des autochtones dans leur relation avec l’État a amené les
tribunaux à exiger de la Couronne d’agir honorablement dans son obligation de consulter
les 600 quelques peuples autochtones du territoire canadien à chaque fois qu’elle risque
de porter atteinte à un droit ancestral:

« Lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard


d’intérêts autochtones particuliers, le principe de l’honneur de la Couronne
donne naissance à une obligation fiduciaire35.[…] la Couronne doit agir
dans le meilleur intérêt du groupe autochtone lorsqu’elle exerce des
pouvoirs discrétionnaires à l’égard des intérêts autochtones en jeu. »36

En effet, l’honneur de la Couronne est le corolaire de l’article 35 et, elle doit imprégner tout
le processus de négociation.37

1.2.3 La qualité requise pour bénéficier du devoir de consultation


33
Préc., note 23, Première Nation de Pessamit, par. 21
34
Préc., note 26, Tsilhqot’in, par. 19-22.
35
Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4. R.C.S. 245, par. 79
36
Préc., note 30, Haïda, par. 18
37
Id., par. 38
8

Les peuples autochtones visés par l’article 35 de la Loi de 1982 sont les Premières
Nations, les Inuits et les Métis, même si ces derniers sont issus du contact entre les
autochtones « de souche » et les explorateurs et négociants européens38. Il s’ensuit qu’un
groupe de Métis a la qualité requise pour formuler une revendication sur un territoire visé
par un projet d’exploitation des ressources naturelles et se prévaloir du droit de participer
au processus de consultation et d’accommodement, à condition bien sûr qu’avant même
de tenter d’établir un droit ancestral existant, ce groupe soit capable de démontrer qu’il est
effectivement Métis.

2. Les Métis un peuple distinct

L’identification des Métis a toujours représenté un des obstacles majeurs dans la


reconnaissance de leurs droits ancestraux. L’article 35 ne donne aucun indice sur leur
identité 39 . Dans l’arrêt Côté, rendu en 1996, la Cour a tenté d’établir un test 40 pour
déterminer les droits dont jouissent les Métis, en mettant un fort accent sur le fait qu’une
pratique développée en réponse à l’influence européenne n’entre pas dans la définition de
droit ancestral41. Quelques années plus tard, dans l’arrêt Alberta c. Cunningham42, la Cour
suprême rappelle aux communautés métisses qu’elles-mêmes jouent un rôle important
dans leur identification. En 2013, dans Daniels c. Canada43, la Cour fédérale, a déclaré
que les Métis sont des Indiens au sens de l’article 91(24) de la Loi constitutionnelle de
186744 et que leur trait distinctif est une forte affinité avec leur patrimoine indien. Ces
conclusions ont été confirmées par la Cour d’appel fédérale45 et, quoique la Cour suprême
est présentement saisie de l’appel de cette décision et qu’il serait trop tôt de prévoir ses
conséquences sur la relation entre les Métis et le gouvernement fédéral, il ne fait plus
aucun doute que les Métis sont un peuple distinct.


38
Leclaire c. Agence de revenu, Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CSC 14,
par. 21.
39
Sébastien GRAMMOND, « L’identité autochtone saisie par le droit », dans Mélanges en l’honneur d’Andrée
Lajoie : Le droit une variable dépendante, Montréal, Thémis, 2008, p. 314.
40
Préc., note 18, Côté, par 60-62.
41
Id., par. 73.
42
[2001] 2 S.C.R. 627, par. 81
43
Daniels c. Canada, 2013 CF 6, par. 124-129, 531, 553, 554, 567-568
44
30 & 31 Vict., c. 3 (R.-U.).
45
Daniels c. Canada, 2014 CAF 101, par. 17-25, 50, 96 (demande d’autorisation d’appeler accueillie, C.S.C.,
16-06-2014, 35945).

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2.1 Les critères de détermination de l’identité métisse

La détermination de l’identité métisse étant une affaire complexe, une preuve complète de
l’identité métisse pourrait requérir des investissements longs et couteux en études et en
expertises46. Dans Powley, la Cour suprême a énoncé les critères qui permettent d’établir
l’identité métisse au sens de l’article 35 de la Loi de 1982. Ici, nous examinerons l’auto-
identification, les liens ancestraux et l’acceptation par la communauté47.

2.1.1. L’auto-identification et le critère d’appartenance

Il est essentiel que les demandeurs puissent s’identifier comme membres d’une
communauté métisse actuelle et héritière d’une communauté historique titulaire des droits
revendiqués. Qui plus est, cette communauté doit vivre sur un même territoire commun et
se distinguer des autres groupes par une identité collective reconnaissable48. L’existence
d’une communauté métisse reconnaissable et distincte se caractérise par un degré
suffisant de continuité et de stabilité49. Il doit s’agir d’une communauté qui a eu « une
certaine visibilité à un moment donné » 50 . À titre d’exemple, on pourrait penser à la
communauté acadienne qui est devenue moins visible dans les années suivant son exil
forcé en 1755. Le retour de plusieurs Acadiens affirmant leur identité confirme l’existence
de cette communauté. A contrario, l’absence de visibilité totale d’une communauté
reviendrait à contredire les principes formulés dans Powley. Suivant cette logique, la Cour
du Banc de la Reine du Nouveau Brunswick a récemment rejeté la prétention voulant
qu’une communauté historique métisse sous-terraine se serait formée en Nouvelle Écosse
en 1611 sur un territoire maintenant situé au Nouveau Brunswick51. Plus près de chez
nous, la Cour supérieure du district de Chicoutimi a refusé de reconnaître le statut de
communauté historique métisse à une organisation de « Métissés » qui s’est formée au
cours des dernières années52.


46
Newfoundland and Labrador c. Labrador Metis Nation, 2007 NLCA 75, par. 37-39 (demande d’autorisation
d’appeler refusée, C.S.C., 08-02-2008, 32468).
47
R. c. Powley, [2003] 2 R.C.S. 207, 224 [ci-après « Powley »].
48
Id., par. 11, 23.
49
Id., par. 27
50
R. c. Vautour, 2015 NBBR 94, par. 37.
51
Préc., note 47, Powley, par. 46
52
Québec (Procureur général) (Ministère des Ressources naturelles c. Corneau, 2015 QCCS 482, par. 387-
391, [ci-après « Corneau »].
10

2.1.2. Les liens ancestraux et l’acceptation par la communauté

Selon l’auteur O’Toole, c’est la « doctrine des droits dérivés » qui permet aux Métis de
contourner le fait qu’ils ne sont pas ici depuis le début, en les traitant comme les héritiers
des droits de leurs ancêtres amérindiens 53. Dans ce sens, lors d’une revendication fondée
sur l’article 35, les demandeurs doivent être en mesure de démontrer des liens ancestraux
avec la communauté historique 54 . Les liens ancestraux peuvent être établis par la
naissance, par l’adoption « ou autrement »55. Dans l’appréciation d’un lien précis entre
l’individu contemporain et ses ancêtres, la Cour suprême n’a pas fixé d’exigence
« minimum » quant à la proportion de sang autochtone. Par ailleurs, le professeur Otis est
d’avis que l’exigence stricte et systématique d’un lien de descendance généalogique entre
tous les individus contemporains et des individus spécifiques membres de la communauté
historique serait contraire à la conception des droits ancestraux, censée reposer sur la
continuité d’une collectivité culturelle distinctive et non pas sur la preuve d’un héritage
56
transmis . La souplesse prônée par Cour suprême à l’égard des exigences
généalogiques a cependant ses limites, puisque les tribunaux de première instance
refusent de reconnaitre comme Métis des personnes qui n’ont qu’un ancêtre autochtone
éloigné57.

Le critère de l’acceptation par la communauté se fonde sur la participation, passée et


présente à un mode de vie commun propre à l’identité d’une communauté métisse
distincte. Le mode de vie commun est un élément central dans la preuve de
l’appartenance à une communauté et il peut aussi s’avérer un indice probant de
l’acceptation par celle-ci58.

2.2. Les conditions d’existence des droits ancestraux métis


53
Darren O’TOOLE, « Blais et Powley : les doctrines des droits aborigènes des Métis sous la loupe », (2009-
2010) 41 R.D. Ottawa 59-98.
54
Préc. note 47, Powley, par. 34.
55
Id., par. 32.
56
G.OTIS, « Le titre aborigène : émergence d’une figure nouvelle et durable du foncier autochtone », (2005)
46 C. de D. 795, 817.
57
R. c. Chiasson, [2002] 2 C.N.L.R. 220 (C.P.N.-B.) (Confirmé par (2004) 270 R.N.-B. (2e) 357 (B.R.),
permission d’appeler refusée, 2005 NBCA 82); R. c. Castonguay, [2003] 1 C.N.L.R. 177 (C.P.N.-B.).
58
Préc. note 47, Powley, par. 33.
Habiletés II, Automne 2015, Droit constitutionnel © Rossita Stoyanova, 2015 11

Puisque les droits ancestraux existants représentent des droits collectifs, ils doivent être
intimement liés à l’appartenance d’une communauté historique toujours vivante59. Leur
exercice présuppose aussi un degré suffisant de continuité et de stabilité sur un territoire
précis. Afin de permettre la réalisation de l’objectif de l’article 35 vis-à-vis les droits
ancestraux des Métis, la Cour suprême a assoupli le critère de l’antériorité posé dans Van
der Peet.

2.1.1. Le moment de naissance d’un droit ancestral métis

En tenant compte de l’histoire particulière des Métis, la Cour suprême a créé une fiction
qui repousse la ligne de démarcation de la période pertinente après le contact avec les
Européens, mais précédant la mainmise effective de ces derniers60. Même si les Métis
n’existaient pas au moment de la souveraineté sur le territoire revendiqué, une fois que le
critère du contrôle effectif est devenu le point d’ancrage, la pratique de chasse pour se
nourrir est ressortie comme une partie intégrante de la culture de la communauté
métisse 61 . Aussi, le critère de l’antériorité à la mainmise effective a permis la
reconnaissance d’autres coutumes, pratiques et traditions antérieures à l’assujettissement
des Métis aux lois et coutumes européennes :

« Les Métis avaient des qualités et des compétences particulières qui firent
d’eux des partenaires indispensables dans les associations économiques
entre autochtones et non autochtones, et ce rôle contribua à façonner leur
culture. […] en tant qu’interprètes, intermédiaires, guides, messagers,
transporteurs, commerçants et fournisseurs, les premiers Métis facilitèrent
considérablement la pénétration des Européens en Amérique du Nord. »62

2.2.2. Le rattachement au territoire

Si on perçoit les droits ancestraux comme s’étalant le long d’un spectre, les activités
rattachées au territoire visé par la revendication se situent au centre du spectre63. Ainsi, la

59
Préc. note 47, Powley, par. 24.
60
Id., par. 37-40
61
Id. par. 44
62
CANADA. COMMISSION ROYALE SUR LES PEUPLES AUTOCHTONES. Perspectives et réalités, 1996, volume 4,
chapitre 5, section 3.1, en ligne :
« http://www.collectionscanada.gc.ca/webarchives/20071125231101/http://www.ainc-
inac.gc.ca/ch/rcap/sg/sj1_f.html », consulté le 25 novembre 2015.
63
Préc. note 23, Première Nation de Pessamit, par. 17
12

collectivité contemporaine qui revendique un droit ancestral sur un territoire doit démontrer
que la collectivité ancestrale dont elle se dit héritière en est une qui occupait le territoire
avant l’affirmation de la mainmise effective des Européens. Le critère du rattachement se
fonde autant sur l’existence de la pérennité ethnoculturelle entre le groupe métis fondateur
et le groupe actuel que sur la continuité d’une occupation historique précise du territoire64.
À titre d’exemple, dans l’affaire Corneau, les défendeurs ont rempli le critère de l’auto-
identification, mais ils n’ont pas réussi à démontrer ni l’existence d’une communauté
métisse historique sur les terres de l’État, ni l’existence sur ces mêmes terres d’une
communauté métisse contemporaine titulaire des droits revendiqués65.

2.3 Le titre ancestral métis, une question épineuse

La reconnaissance d’un titre ancestral est soumise à des exigences encore plus
rigoureuses que celles qui permettent d’établir l’existence d’un droit ancestral. Il ne serait
pas exagéré de constater que la possibilité de revendiquer un titre ancestral métis sur le
territoire québécois n’existe qu’en théorie. Puisque l’occupation antérieure est le critère de
base pour fonder le titre ancestral, il s’agit de démontrer que cette occupation a été à la
fois suffisante, continue et exclusive66.

2.3.1 La suffisance, la continuité et l’exclusivité de l’occupation

La suffisance de l’occupation est une question de contexte. Elle découle de la notion de


possession en common law qui s’étend non seulement sur les sites physiquement
occupés, mais aussi aux terres environnantes, sur lesquelles la collectivité revendicatrice
exerce un contrôle effectif. La preuve de la suffisance peut être établie par un ensemble
de faits propres à la communauté historique, tels que d’avoir effectué des travaux, érigé
des habitations sur le territoire et porté à l’attention des tiers que la communauté en
question détient l’occupation exclusive du territoire67. Le critère de l’occupation exclusive


64
Ghislain OTIS, « Le titre aborigène : émergence d’une figure nouvelle et durable du foncier autochtone »,
(2005) 46 C. de D. 795, 816.
65
Préc. note 52, Corneau, 2015 QCCS 482, par. 324-332.
66
Préc. note 26, Tsilhqot’in, par. 25 ; Préc. note 21, Delgamuukw, par. 143.
67
Préc. note 26, Tsilhqot’in, par. 38, 43.
Habiletés II, Automne 2015, Droit constitutionnel © Rossita Stoyanova, 2015 13

lui se fonde sur l’intention et la capacité de contrôler le territoire de façon exclusive68. Dans
ce contexte, le groupe qui revendique le titre peut mettre en preuve la relation de
continuité entre l’occupation actuelle et sa situation antérieure. Comme pour les droits
ancestraux, le concept de la continuité n’exige pas des peuples autochtones la
démonstration d’une continuité parfaite entre leur occupation actuelle et antérieure d’un
même territoire69. Il se peut que l’occupation et l’utilisation du territoire puissent avoir été
interrompues « à cause peut-être de la réticence des colonisateurs européens à
reconnaître le titre aborigène »70. Encore là, la Cour suprême rappelle qu’il faut faire
preuve de souplesse, mais objectivement parlant, le groupe revendicateur n’a pas la tâche
facile, puisqu’il doit établir notamment la capacité de la collectivité historique d’exclure les
intrus « si elle le voulait » 71 ou de donner la permission à d’autres groupes d’accéder au
territoire ou de l’utiliser72. Le fait qu’aucun autre groupe n’ait contesté l’occupation est un
élément qui permetterait de conclure que le groupe revendicateur avait l’intention de
contrôler le territoire de façon exclusive.

2.3.2 Le titre ancestral des peuples nomades

Afin de ne pas pénaliser systématiquement les peuples nomades ou semi-nomades par


une exigence d’occupation trop stricte, la Cour suprême insiste sur la nécessité d’un degré
suffisant de concordance entre les pratiques précoloniales relatives au titre revendiqué73.
Cependant, elle ne va pas jusqu’à inférer un titre ancestral à partir de l’utilisation
passagère d’un territoire dans le cadre d’un mode de vie nomade 74 . Dans l’arrêt
Tsilhqot’in, rendu en 2014, la Cour se fonde sur ses critères posés dans Haïda, suivant
lesquels un peuple autochtone semi-nomade pourrait établir un titre ancestral sur un
territoire. Pour une collectivité nomade ou semi-nomade, l’utilisation régulière de secteurs
bien définis du territoire pour la chasse, la pêche, le piégeage et la cueillette peut être
suffisante pour fonder un titre, en autant que cette utilisation reflète le mode de vie
distinctif de cette collectivité. Mais encore, il ne faut pas oublier que les actes passagers


68
Mitchell c. M.R.N., [2001] 1 R.C.S. 911, par. 156.
69
Préc. note 26, Tsilhqot’in, par. 46
70
Préc. note 21, Delgamuukw, par. 153
71
Préc. note 26, Tsilhqot’in,, par. 48.
72
R. c. Marshall, [2005] 3 R.C.S. 220, par. 64-66.
73
Id.
74
Id.
14

visant une fin particulière, soit la chasse ou le commerce, sans qu’il y ait eu intention
d’occuper et de conserver la terre pour un usage distinct75 ne peuvent fonder l’occupation.

2.3.3. L’antériorité: un obstacle habituel

L’arrêt Manitoba Metis, rendu en 2014 a suscité certaines critiques, dont celle de l’auteur
O’Toole, selon lequel la Cour suprême ne devrait pas situer le critère de la mainmise
effective au moment de l’octroi de la Charte de la Compagnie de la Baie d’Hudson, soit le
2 mai 1670 ou au plus tard à la date du Traité de Paris en 1763, puisque dans les deux
cas, il s’agit de la date d’affirmation de la souveraineté de la Couronne britannique et non
de la « mainmise effective » telle qu’établie dans l’arrêt Powley et qui a été «adaptée pour
tenir compte, d’une part, de l’ethnogenèse des Métis, postérieure au contact, et, d’autre
part de l’objet de l’article 35, qui consiste à protéger les coutumes et traditions importantes
de ces peuples distincts76.

En résumé, bien qu’un groupe Métis n’a que de minces chances de succès s’il tentait de
démontrer l’existence d’un titre ancestral, il peut quand même avoir le droit de s’adonner à
une activité particulière, telle la chasse, la pêche, la cueillette ou le piégeage sur un
territoire précis.

3. Le devoir de consultation : la conséquence juridique d’une promesse


historique

Nous avons vu que l’article 35 a cristallisé la promesse historique de la Couronne de


veiller à la protection des droits des autochtones77 et qu’aussi la démonstration d’un droit
potentiel et d’atteinte à première vue78 est suffisante pour déclencher l’obligation de l’État
d’inclure dans le processus de conciliation les intérêts du groupe revendicateur. Mais
avant de se lancer dans un périple de preuve et de procédure en vue de faire apparaître
un droit ancestral potentiel, le groupe Métis pourrait se demander de quelle façon


75
Kent MCNEIL, Comon Law Aboriginal Title, Oxford, Clarendon Press, 1989, p. 199.
76
Préc., note 47, Powley, par. 6.
77
Nation métisse du Labrador c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 393, par. 20-22 [ci-après « Nation
métisse du Labrador »].
78
Préc. note 11, Sparrow, 1113-1114.
Habiletés II, Automne 2015, Droit constitutionnel © Rossita Stoyanova, 2015 15

exactement il peut s’attendre à être consulté par la Couronne.

3.1 L’étendue du devoir de consultation

En principe, le degré de consultation et d’accommodement sera proportionnel à la solidité


de la preuve du droit ou du titre ancestral et à la gravité de l’incidence négative que
l’atteinte aurait sur le droit ou le titre revendiqué79. En d’autres termes, pour déterminer
l’étendue des consultations, il faut situer le droit sur le spectre décrit dans Delgamuukw,
alors que les devoirs précis auxquels sera tenue la Couronne seront modelés selon les
intérêts en cause et du contexte factuel de chacune des revendications80. Dans le cas
d’une preuve « faible ou marginale »81, une obligation minimale consisterait à aviser les
intéressés, leur communiquer des renseignements et discuter avec eux des questions
soulevées par suite d’un tel avis 82 , alors que dans le cas d’une preuve plus solide,
l’intensité de la consultation pourrait varier jusqu’à l’autre extrémité de la gamme, à même
l’obligation d’obtenir le consentement des Autochtones pour l’utilisation envisagée83.

Puisque l’honneur de la Couronne subsiste en continu, tant est aussi longtemps que la
question n’est pas réglée, il est possible que le niveau de consultation augmente au fur et
à mesure que la revendication se cristallise. Il pourrait s’avérer nécessaire que le
gouvernement mette à jour son approche passée, afin de s’assurer que dorénavant la
consultation reflète plus fidèlement son obligation fiduciaire. Une fois que le droit ancestral
est prouvé, le gouvernement pourrait être tenu d’annuler un projet entrepris sans le
consentement du groupe autochtone84.

3.1.1 L’effet potentiellement préjudiciable sur le droit ou le titre ancestraux

Pour déterminer si la mesure gouvernementale porte atteinte au droit allégué, il faut se


demander si la mesure entraine une diminution appréciable du droit85. Afin de déterminer


79
Préc. note 30, Haïda, par. 37.
80
Nation métisse du Labrador, par. 20-22.
81
Préc. note 30, Haïda, par. 37.
82
Première Nation crie Mikisew, [2005] 3 R.C.S. 388, par 34.
83
Préc. note 30, Haïda.
84
Préc. note 26, Tsilhqot’in, par. 91, 92.
85
R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723 [ci-après « Gladstone »].
16

s’il y a eu atteinte suivant les critères de Sparrow86 on doit examiner si la restriction


imposée par la mesure est (1) déraisonnable; (2) indûment rigoureuse; et (3) si elle refuse
d’accorder un droit de recours aux titulaires du droit par leur moyen préféré de l’exercer.

3.1.2. La justification de l’atteinte

Même si la constitution canadienne reconnaît aux autochtones des droits singuliers,


restreignant le pouvoir du gouvernement d’y porter atteinte, les droits ancestraux ne sont
pas absolus, puisque leurs titulaires font partie d’une société plus large où divers intérêts
doivent être conciliés87. Dans le cadre analytique de conciliation rationnelle des droits
ancestraux et des intérêts de tous les Canadiens, les tribunaux exigent la justification de
toute atteinte à un droit ancestral existant susceptible d’être prouvé88, tout en s’assurant
que la mesure entreprise est compatible avec l’obligation fiduciaire de la Couronne. Pour
justifier l’impossibilité d’accommoder le groupe revendicateur, le gouvernement doit tout
d’abord établir (1) qu’il s’est acquitté de son devoir de consultation; (2) que ses actes
s’inscrivent dans la poursuite d’un objectif impérieux et réel et (3) que l’intérêt du public est
proportionnel à tout effet négatif sur l’intérêt autochtone89. Ainsi, le devoir de consultation
de la Couronne fait partie de son fardeau de justification de l’atteinte. Essentiellement et
avant tout, la Couronne doit convaincre le tribunal qu’elle a agi honorablement envers les
autochtones et qu’elle les a consultés par rapport à cette mesure.

Pour démontrer un objectif réel, il faut présenter des lois qui ont une importance suffisante
pour la collectivité90, comme la conservation d’une ressource naturelle et la sauvegarde de
la sécurité de la population générale91, mais aussi:

« l’extension de l’agriculture, de la foresterie, de l’exploitation minière et de


l’énergie hydroélectrique, le développement économique général, la
protection de l’environnement et des espèces menacées d’extinction, ainsi
que la construction des infrastructures et l’implantation des populations


86
Préc. note 11, Sparrow, p. 112.
87
Préc. note 2, G.OTIS, p. 8.
88
Préc. note, 11, Sparrow, 1109.
89
Préc. note 26, Tsilhqot’in, par. 125.
90
Préc. note 85, Gladstone, par. 73.
91
Préc. note 11, Sparrow, 1113.
Habiletés II, Automne 2015, Droit constitutionnel © Rossita Stoyanova, 2015 17

requises par ces fins. »92

Si la Couronne réussit à démontrer un objectif réel, à l’étape suivante, elle doit établir que
l’atteinte est compatible avec la relation fiduciaire de l’État qui inclut la prise en compte
des intérêts des autochtones affectés. Devient pertinente dans ce cadre, la preuve d’une
compensation adéquate et des démarches entreprises pour porter la mesure en question
à la connaissance des autochtones93. Dans Powley, la Couronne ne s’est pas acquittée de
son fardeau de démontrer que les dispositions contestées ne portaient pas atteinte au
droit ancestral des Métis de chasser pour se nourrir dans la région de Sault-Sainte-Marie,
puisque la conservation de la faune n’a pas été retenue par la Cour comme une
considération pouvant justifier cette atteinte94.

3.2 L’efficacité de la consultation

Lors du processus de consultation, la seule obligation qui incombe aux parties est de
négocier de bonne foi. Par contre, rien ne les oblige d’arriver à une entente, ce qui fait en
sorte qu’il n’est pas rare de se retrouver devant une impasse qui nécessite l’intervention
des tribunaux administratifs et judiciaires, pour régler les problèmes d’insuffisance de
preuve ou pour délimiter l’obligation de la Couronne95.

3.2.1 Vers la conciliation ou le processus judiciaire

La doctrine préconise une approche hybride où le processus judiciaire et la table de


négociation devraient être considérés en synérgie96. D’une part, les tribunaux doivent
énoncer les grands principes d’équilibre entre les droits ancestraux et les intérêts de la
collectivité, d’autre part ils doivent résoudre les difficultés reliées au continuum de
négociation et, faute de mieux, assumer le rôle de médiateurs97.


92
Préc., note 21, Delgamuukw, par. 165.
93
Préc., note 85, Gladstone.
94
Préc., note 47, Powley.
95
Préc., note 30, Haîda, par. 60
96
Préc., note 2, G.OTIS, p. 78-79
97
Id.
18

Il arrive, par ailleurs, que certaines revendications soient empreintes d’opportunisme98 ou


encore que des demandeurs de bonne foi bloquent indument les efforts de développement
de la Couronne, sans qu’ils aient réellement la qualité de se prévaloir du droit de
consultation 99 . Dans cette veine, la Cour supérieure de la Colombie-Britannique a
récemment émis une injonction contre une famille autochtone après avoir conclu que la
consultation individuelle de toutes les familles et membres de cette communauté n’était
pas nécessaire, puisque la Couronne s’était déjà déchargée de son fardeau de
consultation avec les représentants élus de la communauté autochtone en question100. On
devrait en tirer comme leçon qu’avant de formuler une réclamation, il faut toujours vérifier
si un processus de consultation n’est pas déjà en place.

3.2.2 L’évolution du devoir de consultation

En novembre 2010, le Canada a signé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des
peuples autochtones101. Sur son site officiel, le Canada énonce que malgré la nature non
contraignante de ce document, l’État concrétise son engagement de « continuer à
travailler de concert avec les peuples autochtones pour bâtir un Canada meilleur ». Notre
gouvernement reconnaît, de plus, qu’il a su modifier ses rapports avec les Premières
Nations, les Inuits et les Métis, il réitère l’importance de la collaboration et du respect
mutuel qu’il entretient avec ces peuples et en témoigne par des excuses historiques et des
intentions honorables:

« Ces gestes ont mis le pays tout entier sur une nouvelle voie caractérisée
par l’espoir et la réconciliation, et axée sur la reconnaissance de la richesse
et de la profondeur des différentes cultures autochtones. […] Pour l’avenir,
le gouvernement aspire à ce que les familles et les communautés
autochtones soient autosuffisantes et prospères et vivent dans un milieu sûr
et sain.

[…] Le Canada réaffirme sa volonté de nouer avec les Inuits, les Premières
nations et les Métis une relation fructueuse, constructive et fondée sur notre
histoire commune, le respect et le désir de faire face à l’avenir ensemble, et


98
Préc. note 52, Corneau.
99
Red Chris Development Co. v. Quock, 2014 BCSC 2399
100
Id.
101
United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, U.N. Doc. A/RES/61/295 (2007).
Habiletés II, Automne 2015, Droit constitutionnel © Rossita Stoyanova, 2015 19

ce, pour accroître le bien-être des Autochtones canadiens. »102

CONCLUSION

Les droits ancestraux et issus de traités sont enchâssés dans la constitution canadienne
et leur protection s’adapte à l’évolution de la société. En dépit des exigences de preuve
rigoureuses et de l’incertitude entourant la reconnaissance des droits ancestraux des
peuples autochtones, la jurisprudence en la matière a évolué de façon marquante au
cours des derniers 50 ans. L’obligation de la Couronne d’agir honorablement envers les
Premières Nations, les Inuits et les Métis est non seulement une pierre angulaire dans la
protection des droits ancestraux, mais, à présent, elle fait aussi partie des engagements
internationaux du Canada.

Ce qu’on peut dégager de la présente analyse est qu’il est dans le meilleur intérêt des
Métis d’entamer le dialogue avec l’État le plus tôt possible. Le processus de consultation
doit se dérouler de bonne foi, dans un respect mutuel et sur une base continue. Il ne faut
pas hésiter de recourir aux tribunaux si on arrive à un conflit insoluble, mais il serait
souhaitable que dans la recherche d’un équilibre des intérêts en cause, l’État abandonne
sa perspective rigide de justification de chaque atteinte, afin de forger une confiance à
long terme et une écoute à esprit ouvert, tout en tenant compte des distinctions culturelles
et historiques et des soucis de viabilité environnementale103.

Et, puisque la difficulté fait naitre l’espoir, nous avons choisi de terminer cette dissertation
sur une note optimiste. Les parties doivent apprendre des erreurs du passé, pour ne pas
les répéter. Maintenant, il est plus important que jamais d’apprendre à coexister de façon
paisible, car comme nous l’a rappelé la Cour suprême dans l’arrêt Delgamuukw, « Nous
sommes tous ici pour y rester. »104


102
CANADA, Affaires autochtones et du Nord Canada, Énoncé du Canada appuyant la Déclaration des
Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en ligne « http://www.aadnc-
aandc.gc.ca/fra/1309374239861/1309374546142 », consulté le 25 novembre 2015
103
Anna FUNG, Anne GIARDINI et Rob MILLER, « A Decade since Delgamuukw : Update from an Industry
Perspective », dans Editor-In-Chief : Maria Morellato, Q.C., Aboriginal Law since Delgamuukw , Aurora,
Canada Law Book, 2009, p. 264
104
Préc. note. 21, Delgamuukw, par. 186.
20

BIBLIOGRAPHIE

LOI
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RAPPORTS
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DROIT INTERNATIONAL
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