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Abstract
In this research, we tries to understand the financing of the creation of very Small business, in a fragile
environment of corporate financing. Based on a theoretical approach and a methodology, which give a central
place to the temporal dimension, we conclude that the Senegalese creators of very small business, in Saint-Louis,
tinker to remain financially active and realize at best, the moments of their businesses. This positive note is a
source of understanding that can guide the actions and decisions of state actors, civil society and future creators
in favor of the creation of very small businesses in Senegal
Résumé
Dans cette recherche, nous tentons de comprendre le financement de la création de toutes petites entreprises, en
milieu fragile de financement des entreprises. En s’appuyant sur une approche théorique et une méthodologie,
qui accordent une place centrale à la dimension temporelle, nous concluons sur une note positive : les créateurs
sénégalais de toutes petites entreprise, à Saint-Louis, bricole pour rester actif financièrement et réaliser au mieux
les moments de leurs créations d’entreprises. Cette note est une source de compréhension qui peut guider les
actions et les décisions des acteurs de l’Etat, de la société civile et les futurs créateurs en faveur de la création
des toutes petites entreprises, au Sénégal.
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Moroccan Journal of Entrepreneurship, Innovation and Management (MJEIM) ISSN : 2509-0429 Volume 3, numéro 2
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Ces dernières préfèrent constituer des encaisses oisives plutôt que de prendre le risque de
financer toute la création d’entreprise et, quand elles acceptent de le faire, le niveau des taux
d’intérêt est tel que seul le démarrage des projets, qui offre des garanties matérielles réelles et
vérifiables, peut être financé. Cette réticence des banques est largement justifiée dans la
littérature (Stigler 1961, Stigliz et Weiss 1981). Elle résulte, au Sénégal, de l’existence
d’asymétries d’information de plus en plus marquée entre les banques et les créateurs
potentiels et réels, rendant difficile ex-ante l’évaluation de la qualité du créateur (risque de
sélection adverse), et ex-post, la vérification du bon respect des termes du contrat (risque
d’aléa moral). En d’autres termes : «Il est donc difficile pour les prêteurs de récolter des
informations pour déterminer la qualité des débiteurs. De telles recherches entraineraient un
coût démesuré pour les préteurs au vu des faibles montants de prêts demandés (…), l’appareil
judiciaire est bien souvent trop faible dans ces pays pour pouvoir jouer efficacement son rôle
(récupération des biens mis en garanties, etc.) » (De Briey de 2005, p.4)
Cette attitude justifiée des banques classiques a ouvert une brèche où s’engouffrent les
créateurs pour mobiliser des liquidités en faveur de leurs créations d’entreprise. A cet égard, il
a été démontré que les créateurs d’entreprises se tournent de plus en plus vers les banques
alternatives, qui tentent de réduire les coûts relatifs aux risques de sélection adverse et d’aléa
moral, en proposant des crédits à des conditions avantageuses (Bouman 1977, Miracle,
Miracle et Cohen. 1980, Servet et Dupuy 1987, Dromain 1987, Lelart 1990, Haudeville 1990,
Henry, Tchuenté et Dieumegard1991, Adams 1994, Hugon 1996, Hulme et Mosley. 1996,
Baumann 1996, Aryeetey et Udry. 1997).
Deux cas s’observent nettement au Sénégal et justifient ce fait. Le premier cas a été largement
expliqué dans la littérature économique. Cette dernière révèle que les tontines de crédits1, les
associations semi-formelles de crédits et les usuriers drainent des épargnes capables de
financer, à des taux avantageux, les moments de la création d’entreprises et les entreprises
existantes dans les secteurs d’activités d’un pays ou d’une région. Le deuxième cas se révèle
dans ce que l’on appelle aujourd’hui la FinTech2. Via les applications « Orange money »,
« Tico cash », « jonijoni », « wari », les plateformes de crowfunding (ou collecte des fonds),
comme Lam-Dem, les porteurs de petits projets d’affaires peuvent facilement, en ligne, sur le
net, par téléphone, payer leurs factures, recevoir de l’argent, procéder aux formalités
administratives de création, accéder à une ligne de crédit, faire une étude de marché. Les
entreprises de la FinTech n’exigent que les conditions suivantes : avoir une pièce d’identité,
un numéro de téléphone et quelques argents pour payer les frais d’inscription à leur
plateforme ou pour leurs applications.
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La « tontine » tient son nom d’un banquier napolitain du XVIIe siècle, Lorenzo de Tonti. Ses origines sont
anciennes, antérieures à ce banquier. Les spécialistes de la culture asiatique rapportent qu’elle a vu le jour au IIe
siècle de notre époque, sous la forme d’une société ou procédé d’entraide qui n’inclut pas la notion d’argent,
mais plutôt de services. Ces spécialistes attestent que c’était un procédé régulièrement utilisé dans les pratiques
de vie des bouddhistes et dans les monastères de cette époque. De même qu’ils attestent que ce sont les Japonais
qui introduisirent la notion d’argent dans ce procédé, vers l’an 1275 de notre ère. À partir de ce moment, il est
considéré comme un procédé qui réunit en groupes les individus pour mettre de l’argent en commun. En Afrique,
ce procédé pallie l’insuffisance du financement classique et permet aux individus de se réunir pour un but
commun : financer leur projet et épargner. En ce moment, en Afrique, la tontine est beaucoup plus utilisée dans
le secteur informel que dans le secteur formel.
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Le terme FinTech est une contraction de finance et de technologie. Il s’agit d’une industrie qui est devenue le
véritable perturbateur de l’activité bancaire dans le monde. Elle a su capturer, depuis 2010, une partie du marché
des banques traditionnelles, par exemple le prêt entre particuliers, mais aussi les systèmes de paiement (paiement
par mobile, vérification des transactions financières, etc.) et d’échanges de devises (via « WeSwap »,
« PayTop », « Revolut »). Selon le FBI, les volumes investis dans cette industrie dans le monde entier sont
passés de 2,5 milliards d’euros en 2012 à 12,1 milliards d’euros en 2014 et à 20 milliards d’euros en 2015. Ces
volumes n’ont pas diminué, même avec l’application agressive du Bank SecrecyAct américain et les règlements
contrôlant la transmission d’argent, qui sont des menaces directes.
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Au Sénégal, on sait d’une part que les banques classiques formelles (en particulier, les
banques de développement, les banques d’affaires et la micro-finance) ont tendance à
«discriminer » sur les taux d’intérêt et sur les biens demandés en garanties, limitant ainsi les
capacités des créateurs à réaliser leurs projets créations, et d’autre part que ces derniers ont
tendance à se tourner vers les crédits alternatifs, moins contraignants que ceux des banques
formelles, pour réaliser leurs projets. Le débat s’est longtemps focalisé sur ces deux faits
observables empiriquement. La question longtemps débattue porte sur la mise à disposition
des financements des institutions financières, en faveur de la création d’entreprise et du
secteur productif. Le point de vue des acteurs à capacité de financement étant privilégié.
Celui des acteurs à besoin de financement n’étant évoqué que pour justifier leur
comportement passif vis-à-vis des conditions débitrices des banques.
En clair, on sait beaucoup sur le comportement financier des acteurs à capacité de
financement, moins sur celui des acteurs à besoin de financement. Il apparaît nécessaire de se
pencher avec sollicitude sur ce dernier cas, pour mieux rendre compte des créations de toutes
petites entreprises au Sénégal. A cet égard, le sujet de cette recherche devient alors de plus en
plus sensible et il faudra l’étayer avec un cadre théorique approprié, comme nous allons le
faire ci-après.
1.2. Cadre théorique de référence
La littérature relative au financement des activités de production et du secteur productif
révèle que le financement de la création des entreprises peut être analysé sous au moins deux
angles de vue : celui des acteurs institutionnels ou non institutionnels et celui des créateurs
d’entreprises. Pour ce qui nous concerne, nous avons choisi de n’exclure, a priori, aucun angle
de vue de nos analyses, tout en privilégiant dans nos approches théoriques la dimension
temporelle.
Pour cela, notre cadre théorique de référence n’est pas destiné à élaborer un modèle, puis à
vérifier sa validité en se basant sur une démarche hypothético-déductive. Il est plutôt destiné
à orienter et faciliter nos investigations et travail empirique. Pour définir notre cadre théorique
de référence, nous avons mobilisé à la fois les travaux concernant la création d’entreprise et
ceux portant sur le financement des entreprises.
S’agissant des modèles théoriques relatifs à la création, un des plus anciens mais aussi un des
plus aboutis, appelé communément modèle de shapero, propose quatre variables principales
pour expliquer l’acte de création d’entreprise (Shapero, 1975 ; Shapero et Sokol 1982) :
- le déplacement (le plus souvent négatif : insatisfaction au travail, crainte du chômage, etc.) ;
- la propension à l’action qui fait référence au désir d’agir et aux motivations des individus
entreprenants ;
- les facteurs de crédibilité qui réunissent tout ce qui peut rassurer le candidat entrepreneur
sur le caractère valorisant et conforme aux normes sociales de son intention de créer ;
- les facteurs qui influencent favorablement la faisabilité perçue de l’acte de création,
notamment l’accès aux ressources financières.
Ce modèle est en réalité plus global et a connu plusieurs versions successives, parfois avec
des contributions ajoutées par divers auteurs. On trouvera, dans la littérature, une présentation
sous forme d’un schéma, dans lequel la variable « opportunité » ou occasion d’affaires,
absente du modèle initial, a été ajoutée par un auteur québécois (d’où l’appellation actuelle
« modèle de Sharpero-Belley »).
Le modèle de Pleitner (1985) identifie, quant à lui, trois étapes importantes :
- la préférence pour une carrière entrepreneuriale ;
- la motivation pour créer une entreprise ;
- et, enfin, l’existence d’une opportunité de marché.
Le modèle de Bruyat (1993) découpe la création d’entreprise en moments particuliers :
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Il existe d’autres modèles de créations d’entreprises dans la littérature professionnelle et académique. Quelque
un est présenté, en annexe, de la thèse de Bruyat de 1993. On peut aussi voir quelques modèles dans l’ouvrage
de Fayolle (2003).
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Haugh et Tracey 2010). La littérature révèle le bricolage sur deux plans. Sur un plan pratique,
le bricolage est une forme de débrouillardise ou une façon particulière de refuser d’être
contraint par l’environnement, c’est une capacité à dénouer une situation difficile ou une
capacité à détourner un objet de son système de référence et à lui assigner un nouveau but
(Koenig 1996, p. 37, Garud et Karnoe 2003, Baker et Nelson 2005, Owusu et Janssen, 2013).
Sur un plan technique, le bricolage consiste à permuter le moyen qui est défini en vertu des
principes que « ça va servir » et que « c’est ce qui est sous la main » contre une fonction qui
ne lui est pas destinée dans le projet (Lévi-Strauss 1992).
L’approche suggérée n’exclut donc ni les caractéristiques psychologiques des créateurs, ni les
motivations de ces derniers, encore moins les efforts fournis et les actions engagées aux
moments de la création de leur entreprise. Elle souligne que le comportement de financement
de la création d’entreprise n’est pas uniquement la résultante de l’un des éléments cités mais
d’une combinaison de tous les éléments cités.
Ainsi, l’individu qui s’engage dans la voie de la création peut être vu comme un acteur,
motivé et déterminé, qui n’existe pas en soi, mais interagit avec son environnement, grâce à
ses capacités physiques et intellectuelles, ses efforts et ses actions, souvent détournés de leur
système de référence en milieu fragile d’entrepreneuriat, comme celui du Sénégal que nous
allons analyser, en nous basant sur les aspects méthodologiques suivants.
2. Les aspects méthodologiques
Pour tenter de répondre à notre question de recherche, nous avons utilisé, comme moyens
méthodologiques, la technique du questionnaire, l’entretien et l’analyse de contenus.
Nous avons d’abord adressé à trente propriétaires dirigeants des entreprises de moins de dix
salariés à Saint Louis, au début de l’année 2018, un questionnaire de deux pages et demie,
comprenant douze questions. Les grands thèmes d’investigation ont repris les éléments du
cadre théorique de référence : ils concernent les caractéristiques individuelles, la mobilisation
des ressources financières et les facteurs liés à la création des entreprises. Les thèmes
couvraient la période de l’engagement et de la concrétisation des projets de création
d’entreprises, comme suggéré dans le modèle de Bruyat (1993).
Nous avons réussi à avoir quatorze répondants, soit un taux de retour de 47%environ après
cinq semaines d’attente. Ensuite, nous avons procédé aux entretiens avec les quatorze
répondants. Ces entretiens ont respecté le cadrage suivant :
- ils mettaient en valeur la dynamique temporelle, qui n’était pas présent dans les
questionnaires,
- ils approfondissaient les contenus des questionnaires, ainsi apportaient des précisions qui
complétaient le schéma conceptuel ou l’approche théorique suggérée pour répondre à notre
question de recherche,
- ils n’étaient pas directifs mais renouvelés (trois fois, au plus), afin d’alimenter davantage le
schéma conceptuel ou l’approche théorique suggérée par les données nouvelles,
- ils ressortaient davantage le point de vue du créateur, ainsi que les divergences et cohérences
sur leur propre expérience entrepreneuriale.
Chaque répondant était interviewé plus d’une fois sur les thèmes évoqués (le questionnaire
faisait office du guide d’entretien). Le lieu de l’interview était l’entreprise ou le lieu du travail
du répondant. Nous avons choisi la matinée pour faire les interviews en face à face, nous
commençons à 9h pour terminer au plus tard à 9h30mn. Un répondant était interviewé par
jour. Nous avons atteint la saturation de la collecte des données au troisième entretien, quand
nous voyons que l’interview n’apporte plus de nouveaux éléments de réponse aux thèmes
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évoqués4. Les données ont été retranscrites pour ressortir les verbatim ou le contenu des
entretiens et des questionnaires5.
Notre approche méthodologique a adopté, enfin, l’analyse de contenus thématiques. Cette
analyse a été faite manuellement et a respecté les trois phases d’analyse de contenu, c’est-à-
dire la préanalyse, l’exploitation des données, le traitement et l’interprétation (Bardin 1977,
Vanlin 2007, p. 249-251). En préanalyse, nos lectures flottantes des verbatim de chaque
répondant (deux fois, plus exactement)ont aidé à repérer les occurrences associées à chaque
thème évoqué. Nous avons exploité ces occurrences pour ressortir les données prêts à être
traiter et interpréter. Cette deuxième phase a consisté à classer les occurrences par
différentiation (sous-thèmes), puis par analogie (grands thèmes). A cet égard, chaque thème
contenait trois sous-thèmes. Les sous-thèmes et les thèmes ont été suggérés dans le cadre
théorique de référence de cette recherche. Ils n’ont pas émergé de notre analyse des données.
L’unité d’enregistrement des occurrences était donc la fréquence d’apparition.
La dernière phase a consisté à traiter les données, qui provenaient de la deuxième phase, de
manière à être significative et valide. Ainsi, le calcul des pourcentages a permis d’établir un
tableau qui condense et met en relief les informations apportées par cette deuxième phase
(confère tableau 1 ci-dessous). Ce tableau a aidé à ressortir les tendances générales qui
répondent à la problématique de cette recherche. Nous avons reconstitué des cas pour illustrer
empiriquement et pour pondérer modestement l’analyse du financement des moments de la
création d’entreprises à Saint-Louis. Concrètement, la reconstitution des cas a respecté la
structuration des grands thèmes, comme dans le tableau 1 suivant.
L’interprétation des résultats a consisté à prendre appuie sur les deux dernières phases de
notre analyse pour fonder une lecture objective du corpus étudié (ou des données analysées).
Pour y parvenir, nous avons regroupé les quatorze répondants, selon le critère genre (homme
et femme), et leurs projets de création d’entreprise, par secteur d’activité (artisanat et
commerce).
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Concrètement, les entretiens ont duré un mois et demi. Le magnétophone de notre téléphone portage a aidé à
capter les réponses des répondants, pendant les entretiens. Il n’a pas été un handicap, comme cela est souligné
pour ce type de procédé. La raison à cela est que la majorité de nos répondants nous connaissait bien, car ils ont
été approchés pour la première fois en 2013-2014, quand nous enquêtions pour le compte de TrusAfrica, une
ONG qui œuvre dans l’amélioration du climat d’affaires en Afrique (Confère l’étude de Ntep et Kane 2014).
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Concrètement, la retranscription des données par entretien a duré deux semaines. Nous avons utilisé dix-neuf
fiches pour retranscrire les données en verbatim, alors que cinq fiches ont aidé à retranscrire les contenus des
questionnaires.
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lieu autre que celui où l’activité du parent était logée (ce qui a l’avantage de capter des
nouveaux clients ou d’augmenter le chiffre d’affaires).
Corrélativement à cette tendance, se manifestent deux facteurs de fragilité du milieu de
financement de la création d’entreprise. D’un côté, les femmes disent avoir mobilisées les
financements parallèles des acteurs non institutionnels (ainsi que les soutiens financiers de
leurs activités secondaires) pour satisfaire les besoins de financement de leurs projets, alors
que les hommes acceptaient et les crédits parallèles et les crédits des banques classiques pour
financer, soit les investissements et les besoins en fonds de roulement (parfois pour anticiper
le démarrage de leur entreprise), soit d’autres besoins aux moments de la création d’entreprise
(étude de marché, recherche d’information structurante, démarchage des clients potentiels,
etc.). D’un autre côté, les hommes et les femmes sont unanimes à dire qu’ils s’adonnent à un
mode de gestion financière empirico-intuitif, à un pilotage financier au coup par coup (ce qui
est cause de ce fait, c’est leur manque de compétence en gestion financière). Plus exactement,
ils ignoraient les multiples micro-procédures rationnelles qui permettent à tout porteur de
projet d’introduire ou d’améliorer la rigueur et l’efficacité au quotidien de sa gestion
financière. Mais cette ignorance ne les empêchait pas de réaliser leurs projets de création
d’entreprise. A cet égard, il ressort de l’analyse des données que, pour les profils de
commerçant, trois hommes sur quatre ont activé des ressources financières pour réaliser les
besoins autres que ceux qu’elles étaient destinées (étude de marché, démarchage des clients,
etc.), alors que deux femmes sur trois se donnaient un temps de réflexion avant d’activer leurs
ressources financières pour satisfaire aux besoins des moments de la création de leurs
entreprises. Ce temps de réflexion (un à deux jours, au maximum) leur permettait de prendre
et d’analyser les avis, soit de leurs maris, soit des parents qui ont appris les balbutiements de
la gestion financière dans les livres sans avoir fréquentés les écoles de gestion.
Tous ces éléments de réponses, qui révèlent les modalités de création d’entreprise, donnent la
mesure de ce que nous allons préciser au paragraphe suivant : c’est-à-dire le bricolage
financier.
3.2. Le bricolage financier
Le bricolage financier, qui ressort des éléments de réponses présentés précédemment, se
révèle en milieu fragile de financement de la création d’entreprise, à Saint-Louis, au Sénégal.
Ce bricolage débute lorsque l’action de créer est engagée et se termine lorsque l’action de
créer est réalisée. Il résulte des tâches de captation et d’activation des ressources financières,
destinées à la création d’entreprise. Chaque tâche contient le travail à exécuter en situation de
captation (ou de mobilisation) et l’activation (ou la gestion) des ressources financières.
L’analyse des données nous révèle que le travail des créateurs d’entreprises résulte de l’effort
physique et psychique fourni, des décisions prises et du répertoire des moyens utilisés par les
créateurs à tout moment de la création des entreprises. L’intensité de l’effort, la façon de
prendre les décisions et d’activer le répertoire des moyens ne sont pas les mêmes d’un
moment à un autre. Cette réalité justifie que le bricolage financier est spécifique à chaque
comportement financier d’un créateur d’entreprise, à Saint-Louis.
Mais une deuxième tendance se dégage dans l’analyse des données de nos enquêtes. Celle-ci
montre le bricolage financier, c’est-à-dire la capacité ou l’aptitude du créateur à accomplir
plusieurs tâches à la fois, en situation de captation et d’activation des ressources, sans pour
autant subordonner chacune de ses tâches aux besoins conçus à la mesure de son projet. La
fragilité du milieu du financement de la création étant à l’origine de cette deuxième tendance,
comme nous l’avons expliquée précédemment. Cette dernière se vérifie dans la quantité de
travail exécuté par les créateurs, à Saint-Louis. Cette quantité de travail se mesure dans
l’intensité de l’effort, le nombre de décisions prises et le nombre de moyens utilisés par
chaque créateur, à tout moment de la création de son entreprise. L’objectif n’étant pas dans
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cette recherche de mesurer cette quantité de travail, nous avons donc réussi à rendre compte
de la qualité du travail du créateur, qui a aidé à financer les moments de la création de son
entreprise. En d’autres termes, nous avons réussi à illustrer, comme dans le cas suivant,
empiriquement, modestement la combinaison de l’effort, des décisions et des moyens utilisés
par le créateur pour capter et activer les ressources financières aux moments de la création de
son entreprise.
Ali a des origines familiales modestes. Il s’oriente vers des études d’art à l’Ecole
des beaux-arts de Montpellier, en France, en prenant l’option d’art graphique.
Son expérience professionnelle se déroule dans deux entreprises de la ville de
Montpellier et Ali travaille avec un spécialiste reconnu d’art graphique de
l’Afrique noir. Il est marié et père de deux enfants. Son épouse ne travaille pas.
Ali trouve que son statut de salarié ne lui procure pas assez d’argent pour mieux
satisfaire sa maison (c’est-à-dire sa femme et ses enfants). Très rapidement, il en
arrive à la conclusion que la bonne solution, dans ce cas, est de créer une
entreprise, à Saint Louis, au Sénégal, où il existe un marché de l’art africain.
Une incitation à pousser plus loin les investigations survient quand, dans la
seconde entreprise dans laquelle il travaille, il estime ne plus avoir de possibilités
de progression. L’insatisfaction qui naît de ce constat joue le rôle déclencheur. Ali
parle alors à son employeur de son projet de créer une entreprise, profitant du fait
que son entreprise traverse un cap difficile. Les négociations se passent bien et
Ali peut rapidement bénéficier d’un aménagement de son temps de travail pour
développer son projet. D’autres parts, après quelques mois passés dans ce cadre
aménagé, Ali obtient un licenciement pour raison économique, ce qui lui permet
d’avoir un capital financier de départ et de rentrer au Sénégal.
Avec ce capital, il affine son projet, définit ses cibles, met en place son système
d’information et va suivre un programme d’appui de six mois à la création
d’entreprises, à Dakar. Après un parcours d’une durée totale de 18 mois, il décide
de demander un crédit à sa banque de Saint Louis qui l’accordera. Ce crédit lui
permet de sillonner les grandes villes du Sénégal pour prospecter et capter une
clientèle exigeante (hôtels, restaurants, touristes, maison d’hôte, agence de
tourisme) et pour rechercher encore plus d’informations structurantes sur l’art
sénégalais et africain. Il nous disait ceci : « j’ai demandé en sus de l’argent, à
mes amis de longue date et à mes parents installés au Sénégal, pour régler les
formalités administratives de création d’entreprises et pour financer mon
démarrage (….) Cet argent me venait par orange money et wari, dès fois j’avais
des espèces et des chèques. Je l’ai utilisé, surtout, à régler les factures
quotidiennes, à payer le loyer de mon futur entreprise, à acheter les meubles,
parfois à aider ma maison. J’avoue qu’il m’arrivait à ne plus contrôler les
dépenses de ma maison. Il était remboursé au coup par coup : il m’arrivait de
rendre l’argent de mon premier oncle, une à deux semaines après l’avoir reçu,
avec de l’argent reçu par mon deuxième Oncle ou par mon ami de longue date.
Ce dernier moyen m’a aidé à rester actif, financièrement, pour réaliser les
besoins des moments de la création de mon entreprise ».
Son entreprise, créée en 2014, est spécialisée dans l’art nègre, et collabore
actuellement avec les grandes enseignes en Europe.
Un élément essentiel ressort nettement de cet extrait de cas, c’est-à-dire le répertoire de
moyens utilisés par chaque créateur d’entreprise. Les résultats de notre analyse de
données révèlent deux avantages à son égard. Ses occurrences sont plus importantes que
celles relatives aux efforts fournis et décisions engagées par les créateurs d’entreprises
aux moments de leurs créations. Sa composition est très hétéroclite et limitée. Nous
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nous somme basé sur ces avantages pour pondérer l’interprétation du bricolage
financier. En témoigne ce deuxième extrait du cas.
Mamadou est le fils d’un père, gérant d’une entreprise spécialisée dans la vente
en gros, et d’une mère, ménagère. Son père lui a donné très tôt l’occasion de
découvrir et d’aimer le métier du commerce. Dans ces conditions, Mamadou a,
depuis sa plus tendre enfance, une passion pour le commerce. Mamadou est par
ailleurs un bon élève qui, à l’issue de ses études secondaires, intègre l’Université
Gaston Berger de Saint Louis où il suit une formation en agrobusiness. Pour
compléter ses études, Mamadou décide d’acquérir des connaissances et
compétences dans les domaines du E-commerce. Dans ce but, il s’envole pour la
France où il est reçu à l’Ecole de Management de Lyon.
Pendant ses études dans cette école, il travaille sur un projet de création d’une
entreprise. Il s’agit de relancer un concept d’activités d’E-commerce que son père
avait imaginé avec son grand frère. Ces activités sont en sommeil depuis que son
père a été débauché par son employeur véreux. Mamadou veut actualiser le
concept et proposer à ces clients potentiels (couturiers, particuliers, étudiants), à
Dakar, Saint-Louis, un catalogue de services. Il s’agit concrètement des activités
de vente en ligne des tenues traditionnelles, neuves et d’occasion. Il ambitionne se
rémunérer avec les commissions que verseront ses clients (hors frais de transport à
la charge du client). Il a besoin d’argent pour réaliser les moments de la création
de son entreprise : prospecter ses clients, réaliser une étude technique et de
marché, acheter le matériel pour prévoir le démarrage de son entreprise. N’étant
pas éligible à un financement de la banque, ni auprès d’un organisme de micro-
crédit, Mamadou ne désespère pas puis qu’il a les soutiens de son père, de son
grand frère et de ses amis de longue date, installés au Sénégal. Son grand frère va
lui trouver de l’argent auprès de la diaspora sénégalaise de France (il n’a pas
voulu nous dire le nom de leur association). En plus de son père, un ami va lui
trouver de l’argent auprès de sa tontine. Ces argents ne sont pas captés une seule
fois, mais à l’occasion d’un besoin à satisfaire d’un moment de la création de son
entreprise. A cet égard, il nous disait « j’ai reçu de l’argent de mon ami la nuit et
je devrais régler certains formalités administratives le matin. Je l’ai fait
finalement le jour suivant. L’argent de mon frère est arrivé tardivement, à un jour
que je ne l’attendais pas, j’ai continué à prospecter et à étudier mon marché (….)
Mon père m’avait donné de l’argent qui m’a permis de commencer cette
prospection (…) Quelque fois, je puisais dans l’argent reçu pour régler quelques
imprévus, je peux citer l’argent de poche à mes sœurs et cousines. Je le faisais
pour les tenir à distance de mon projet, puisqu’elles étaient capables de dire en ce
momentque moi aussi, je dois faire partie de son projet, un truc comme ça… »
En 2013, Mamadou réalise son projet et devient lui-même propriétaire de son
entreprise spécialisée dans le E-commerce, à Saint Louis.
En multipliant les pondérations avec les autres cas, nous arrivons aux mêmes résultats : le
bricolage financier est la résultante des efforts, des décisions et, surtout des moyens, souvent
détournés de leur objectif initial, utilisés par le créateur à tout moment de la création de son
entreprise6.
Il y a, sans doute aussi, quelque chose de logique dans ce bricolage financier. Qui dit logique
dit pourtant instauration, précise Lévi-Strauss, « de relations nécessaires entre les termes que
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Pour tenter une précision, nous pouvons dire que nous ne pouvions pas présenter tous les cas dans cette
recherche. Ce travail étant justifié dans une thèse ou un rapport exhaustif, nous nous somme contenté d’illustrer
nos analyses avec deux cas seulement.
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rien ne destine à remplir les mêmes fonctions, même quand ils ont été préalablement définis
sans équivoques » (1962, p.131). Cette instauration de relations nécessaires se trouve en deux
séries d’occurrences dans le choix des moyens par les créateurs d’entreprise, à Saint-Louis.
En premier lieu, ces moyens sont définissables par un double critère : ils peuvent servir au
même usage pour peu qu’on les destine à une fonction qui n’était pas conçue et pensée pour
eux. Ils sont des moyens alternatifs, ceux qui sont sous la main, c’est-à-dire destinés à une
fonction à laquelle ils n’étaient pas prédestinés. Il s’agit là d’une première logique d’intention.
En deuxième lieu, ces moyens sont générés par la rencontre d’événements contingents (accès
difficile aux crédits bancaires, conditions débitrices difficiles, décisions difficiles à prendre,
etc.) et d’une intention (créer son entreprise, devenir propriétaire-dirigeant, etc.). Cette
deuxième logique d’intention procède à la manière d’un mécanicien qui veut réparer un
véhicule et décide d’adapter une pièce à un endroit qui ne lui était pas destiné sur le véhicule
en panne, car il ne trouve pas la pièce d’origine sur le marché. Tout comme les moyens
alternatifs utilisés par les créateurs d’entreprises, la pièce de rechange instaure une relation
nécessaire entre la panne du véhicule et le désir de réussir sa mission. Cette pièce, que le
mécanicien achète souvent sur un marché d’occasion ou qui se trouve dans son débarras,
dans sa cave à pièces d’occasion, est définie et activée en vertu du principe que « ça va servir
» à une place qui n’avait pas été pensée pour elle, mais aussi en vertu du principe que « c’est
ce qui est sous la main ». Cette pièce fait alors office, pour le mécanicien, tout comme le
moyen utilisé par le créateur fait office de « moyen du bord » qui peut être activé ou utilisé à
l’occasion d’une mission, pour le mécanicien, ou d’une tâche, pour le créateur, celle de
réparer le véhicule ou celle de réaliser les besoins d’un moment de création d’entreprise. La
pièce ou le moyen explicite donc mieux ce que nous avons appelé le bricolage, et dans notre
enquête, le bricolage financier de chaque créateur d’entreprise à Saint-Louis.
4. Discussions
La première discussion concerne les résultats présentés. Ils reflètent une réalité vivante au
Sénégal : celle qui démontre la pratique entrepreneuriale qui sait être détournée (Fatou, 1998,
Ntep et Kane 2014, Latouche 1996). Mais le problème est que l’efficacité de cette pratique a
longtemps été niée, parfois délirée par de nombreux auteurs. Deux points de vue illustrent
bien cette entreprise de rejet et de délire de ces auteurs. Le premier point de vue démontre
que cette pratique, postée aux marges de l’économie dominante, est incompatible avec la
rationalité capitaliste (Vallée 1992, Hugon 1995, 1996, Tsika, 1995). Le deuxième point de
vue démontre que cette pratique n’aide pas les entrepreneurs africains à révolutionner les
routines sociales, comme leurs pairs occidentaux l’ont fait pour développer leurs pays
(Labazee 1994). Or, il existe une documentation officielle qui justifie bien que cette entreprise
de rejet et de délire n’est plus valable aujourd’hui (Hopkins 1995, p.47 et suiv). Ainsi le
bricolage financier, qui constitue un versant de cette pratique détournée, révèle dans cette
recherche une façon particulière des créateurs d’entreprises d’interagir avec la dure réalité de
l’environnement des affaires de Saint-Louis, au Sénégal. Cette façon tend vers une finalité
propre : celle de créer une entreprise en utilisant les moyens de bord, qui ne sont pas pensés à
la mesure de la création des entreprises.
La deuxième discussion concerne la représentativité de nos résultats. Cette représentativité est
étroitement liée aux caractéristiques de notre échantillon d’enquête. Comparé à d’autres
enquêtes, notamment celles de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie de
Saint Louis (ANSD), les caractéristiques de notre enquête laissent apparaître quelques
différences. D’une part, l’échantillon d’entreprises est, en moyenne, moins féminisé (42 %)
et marqué création d’entreprise de moins de dix employés, ce qui semble logique comme
l’explique le rapport du Recensement général des entreprises, produit en janvier 2017 par
l’ANSD. D’autre part, les entreprises enquêtées sont moins nombreuses que celles
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Malgré ces limites, cette recherche est une source de compréhension qui, à l’avenir, va aider,
nous souhaitons vivement cela, les actions et décisions des acteurs de l’Etat et des futurs
créateurs en faveur du financement de leur création d’entreprises ou en faveur de la promotion
de la création des toutes petites entreprises.
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