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Leçons de Mallarmé

Author(s): James Lawler


Source: Dalhousie French Studies, Vol. 52, Mélanges de littérature présentés á Paul Chavy á
l'occasion de son 85e anniversaire (Fall 2000), pp. 108-112
Published by: Dalhousie University
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/23459928
Accessed: 25-04-2018 13:58 UTC

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Leçons de Mallarmé
James Lawler

illallarmé nous provoque de façon continue ; il fournit à notre siècle un champ


de réflexions fertiles. Il n'est guère d'auteur moderne qui ne se réfère à lui ; et si
l'on pense de nos jours surtout à Yves Bonnefoy, combien d'autres sont-ils
depuis cent ans à vouloir saisir une poétique étrange. « J'ai aimé Mallarmé
comme le tigre aime la gazelle », observe Valéry ; encore : « J'ai adoré cet
homme extraordinaire dans le temps même que j'y voyais la seule tête — hors
de prix ! — à couper, pour décapiter toute Rome »'. Comprendre Mallarmé, ce
serait s'emparer de son art — peut-être de l'art tout entier ?
Mais cette œuvre ne se laisse pas facilement cerner. Je voudrais retenir deux
formules parmi bien d'autres, partielles mais suggestives. Celle d'abord de Paul
Claudel qui n'oublia jamais l'exemple de son maître et qui en résuma la leçon en
trois mots : « Un professeur d'attention » (510). C'en est fait du poète
hermétique : Mallarmé, pour Claudel, ne pratique pas une occultation mais
cherche un sens, une ultime simplicité qui requière des objets leur vouloir-dire,
comme d'un mot ou d'un texte. Il fait une découverte : « C'est que tout l'art,
toute la littérature — et qui sait ? — toute la science — actuelle aboutit à cette
question pour la première fois formulée par Stéphane Mallarmé : Qu'est-ce que
cela veut dire ? »2 Au lieu de trouver refuge dans un monde à part, le poète
regarde du côté de ce monde-ci pour mener à bien un questionnement intense.
Aucun autre mardiste ne réduit Mallarmé à ces termes, mais Claudel focalise ce
qui se lit tout au long de l'œuvre de la maturité touchant « l'explication du
monde » ou « la contemplation des objets », « les images s'envolant des
rêveries suscitées par eux » (Mallarmé 1945 : 869). Ainsi, dans Divagations, il
déclare avoir traité « un sujet, de pensée, unique » (1976 : 69) ; car l'enjeu
chez lui est toujours le même, celui de la beauté subjective en lutte avec le
destin. Rappelons-nous : « il n'est point d'autre sujet, sachez bien :
l'antagonisme de rêve chez l'homme avec les fatalités à son existence départies
par le malheur » (1945 : 300).
Dès 1866 il sait ce que cela veut dire (« Après avoir trouvé le néant, j'ai
trouvé le beau »3). Il faudra pourtant qu'il aille jusqu'au bout d'une crise de
quatre ans, à travers angoisse, trouble de la parole, hystérie, dépression qui
consumeront le moi de l'ancienne poésie, et les sentiments lyriques convenus, et
le langage traditionnel. Ce sera d'abord pour lui ruine, puis délivrance : « La
destruction fut ma Béatrice » (1959 :1: 246). Finalement, à l'âge de vingt-sept
ans, il entreprend une lucide descente aux enfers dont le but est d'épuiser son mal

1. Valéry 1729. Monod (voir Lawler).


2. Lettre au Père Daniélou, 13 juillet 1949 (Bulletin de la Société Paul Claudel 148
[1999] : 9).
3. 1959 : 220. Déjà, en décembre 1865, il écrivait au sujet d'« Hérodiade » : «En
un mot, le sujet de mon œuvre est la Beauté, et le sujet apparent n'est qu'un
prétexte pour aller vers Elle » (1959 : 193).

Dalhousie French Studies 52 (2000)


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une fois pour toutes. « C'est un conte par lequel je veux terrasser le vieux
monstre de l'Impuissance... » (1959 : I : 313). Igitur trace une mise au
tombeau de lui-même, élaborée scrupuleusement, qui se résoud par coercition,
point par point, en toute conscience : « Le Néant parti, reste le château de la
pureté » (1945 : 443). Mallarmé se fait un imaginaire, «joyau intact sous le
désastre » (1945 : 302) ; son conte est la condition même du poète mûr.
On jauge son changement d'attitude lorsqu'en 1871 il quitte la province pour
Paris. Son grand poème de l'année suivante, « Toast funèbre puise dans
l'expérience d'Igitur. Il exprime sa foi fraîchement acquise : « O vous tous,
oubliez une croyance sombre. / Le splendide génie éternel n'a pas d'ombre »
(1945 : 55). La nuit est révolue ; l'art renferme la mort. Mallarmé donne
maintenant au poète le nom de voyant, mot qu'il prend chez Gautier, un an après
Rimbaud, pour désigner celui qui porte aux choses une attention conséquente, un
homme qui, « placé dans ce monde, l'a regardé, ce que l'on ne fait pas » (1945 :
1470). Donc, bien que nous soyons « captifs d'une formule absolue... n'est que
ce qui est » (1945 : 647), nous ne sommes pas sans force puisque tout ce qui
nous entoure invite à la poésie, « fêtes à volonté » d'une « imaginative
compréhension » (1945 : 647-48). Le beau est en nous, trésor des
réminiscences, que le voyant suscite avec son poème :

Le maître, par un œil profond, a, sur ses pas


Apaisé de l'Éden l'inquiète merveille
Dont le frisson final, dans sa voix seule, éveille
Pour la Rose et le Lys le mystère d'un nom.
(1945 : 55)

La Rose et le Lys font partie de l'hymne des relations entre tout, harmoniques de
la chaîne des métaphores.
C'est ainsi que faire attention à une fleur, une coupe de champagne, une
fenêtre ouverte où le voile de dentelle s'agite sous la brise, une chevelure de
femme, c'est s'engager dans une « mentale poursuite » dont la fin est de « s'y
mirer ». De même, quand il prend pour objet de son regard l'éventail dans la
main de sa fille, il découvre successivement une aile d'oiseau, une fraîcheur de
crépuscule, un baiser de l'espace, puis toutes les images bonnes et meilleures
cachées au fond de nous-mêmes à la manière d'un rire enseveli, enfin un couchant
rose et or :

Le sceptre des rivages roses


Stagnants sur les soirs d'or, ce l'est...
(1945 : 58)

Paul Valéry, jaloux d'une telle abondance, observa que Mallarmé « voyait bien
plus de choses [que lui] dans une même chose »4 ; mais ces choses-là sont

4. Voir «Le tigre et la gazelle» (note 1); en particulier, «moi après mort de
Mallarmé — douleur intellectuelle. Depuis que Socrate est mort, je ne sais plus qui
je suis ô —. Cette intelligence disparue qui était plus vaste que la mienne, qui
voyait bien plus de choses dans la même chose... ».

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semblables aux notes d'une gamme, aux couleurs d'une palette, aux feux d'une
torche, puisqu'elles suggèrent ce que l'on espérait peut-être confusément sans se
l'avouer— qu'il existe un lien entre l'oiseau, l'espace, le couchant et nous
mêmes, comme une métaphore filée ou une « omniprésente ligne ».
« Quoi ! » lisons-nous dans Divagations, « le parfait écrit récuse jusqu'à la
moindre aventure pour se complaire dans son évocation chaste, sur le tain de
souvenirs, comme l'est telle extraordinaire figure, à la fois éternel fantôme et le
souffle ! » (1945 : 318). Une évocation chaste : combien est éclairante, à cet
égard, l'histoire de la composition de « L'après-midi d'un faune » qui, après
avoir été dans sa première version le poème du souvenir érotique (« œuvre
simple, qui n'eût causé le moindre émoi, produite sur la scène de l'Odéon »
[Valéry 669]), devient dix ans plus tard celui de la création ex nihilo grâce à des
réminiscences, à la façon véritablement dont une grappe de raisins vide, élevée au
soleil, captera une plénitude imaginaire.
Claudel adopta la méthode de Mallarmé dans Connaissance de l'Est, « mon
œuvre la plus mallarméenne », remarqua-t-il (Lefèvre 142), où le cocotier , le
banyan, le porc et la rizière s'expliquent par métaphores conjuguées ; et s'il dut
s'éloigner d'un poète pour qui « la Divinité jamais n'est que Soi » (Mallarmé
1945: 391), il resta fidèle à cette poétique de l'attention— «aile
indubitable » — qu'il reconnut chez Mallarmé.

On peut ainsi parler d'un unique sujet de pensée, tourné que fut tout uniment le
poète vers la transposition du fait à l'idéal et du rien au beau. Un professeur
d'attention qui simplifia le monde. Mais un poète d'une génération plus proche
de nous enrichit cette leçon en lui suppléant un trait capital. Peu adonné à la
critique, René Char écrivit un hommage à ses ancêtres littéraires, une « page
d'ascendants » où on lit : « Mallarmé est à la fois unique et conditionnel »
(711). On prêtera à cette phrase un sens plénier : unique par son sujet, ses
réflexions, ses formes, sa densité, l'œuvre mallarméenne écarte toute réduction
simpliste. Char était bien situé, de par sa fureur et son mystère, pour comprendre
le poète ; mais Mallarmé, avant lui, avait pesé le conditionnel en projetant
même d'écrire tout un développement poétique à partir des seuls mots si tu,
« pareils à deux doigts qui simulent en pinçant la robe de gaze une impatience de
plumes vers l'idée » (Claudel 15). Nous relevons chez lui les très nombreuses
subordonnées et modes conditionnels accompagnés d'une multitude
d'inversions — un ordre suspendant l'allure. Nous revient aussi en mémoire le
sonnet de 1885, « Victorieusement fui le suicide beau... », où, après l'évocation
du soleil couchant, l'image de la femme se profile comme un reflet lumineux ou
une naïve victoire sur l'ombre. Toutefois rien n'est solide ou certain : la
symétrie du soleil et du corps féminin tire sa force de n'être qu'esquissé, partant
hypothétique :

Comme un casque guerrier d'impératrice enfant


Dont pour te figurer il tomberait des roses.
(1945 : 68)

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Il faut remonter une fois encore aux années 1865 à 1870 pour trouver les
origines du conditionnel. Après la diction parnassienne des premiers poèmes,
Mallarmé entreprend une série d'expériences syntaxiques — « Sainte », « Brise
marine », « Ouverture ancienne d'Hérodiade » —, chaque pièce méritant étude
non seulement pour ses motifs mais pour ce qui relève de l'arrangement
volontairement subtil des termes et des propositions. La syntaxe ici est une
finesse non moins imaginative que musicale, et le poète manie les relations de la
façon la plus déliée. Il en décrit les chemins : « Un balbutiement, que semble la
phrase... se compose et s'enlève en quelque équilibre supérieur, à balancement
prévu d'inversions » (1945 : 386). Au cours des années 1860 le génie syntaxier
de Mallarmé va en s'affirmant, avant d'aboutir, dans Igitur, à la conquête du
conditionnel (souvenons-nous : « ...et quant à sa famille qui, s'étant crue pure,
sortira de l'inconditionnel pour exister subitement... » [1998 : 475]). Les
phrases s'allongent, s'assouplissent, se retournent sur elles-mêmes pour contenir
à présent, dans leur argument comme dans leur forme, la dialectique du hasard et
de la nécessité. Mais aucune idée ne tranche sur les autres : le moi embrasse
l'ambigu — « momentané et double, à la façon du vol » (1945 : 333). Voici
Igitur : « À vrai dire, dans cette inquiétante et belle symétrie de la construction
de mon rêve, laquelle des deux ouvertures prendre, puisqu'il n'y a plus de futur
représenté par l'une d'elles ? Ne sont-elles pas toutes deux, à jamais
équivalentes, ma réflexion ? » (1945 : 349). Igitur ne choisit pas : il opte pour
garder en équilibre instable à la fois l'unique et le conditionnel — confrontation
mettant « en évidence et sous le vrai jour les mille imaginations latentes »
(1945 : 307). L'épithète latent, utilisée pour la première fois dans Igitur, revient
constamment dans les écrits ultérieurs, et jusque dans Les noces d'Hérodiade,
pour désigner le domaine mallarméen par excellence qu'est la « lueur de
l'équivoque virtuelle », du « si », « sinon », « excepté que ». Le pour et le
contre symétriquement s'adressent à notre esprit afin qu'il les transcende sans
trancher. Le poète ne fait pas mystère de ses moyens : « Instituer une relation
entre les images exacte, et que s'en détache un tiers aspect fusible et clair
présenté à l'imagination » (1945 : 333). De cette sorte les opposés ne
s'annulent pas mais— suivant la règle qui soustend Igitur— annulent la
négation (« L'idéal... issu de juxtaposition ») ; et il en est ainsi des œuvres qui
succèdent à Igitur. « Absolument moderne » au sens de Rimbaud, le poète
refuse de laisser prêter à son œuvre une seule signification ou une moralité
quelconque ; tout au contraire, il veut faire surgir en nous, conditionnellement,
notre beau. « Ces écrits si clairs qu'on n'y trouve que soi », observe encore
Valéry (165). De même, le second Faune reconnaît qu'il ne doit pas séparer les
deux nymphes, la sensuelle d'avec l'innocente, mais les rêver ensemble :

Couple, adieu, je vais voir l'ombre que tu devins...


(1945 : 53)

Le vide conditionne le plein, l'absence la présence : « Tout est vain en dehors de


ce rachat par l'Art » (1959 : XI : 34). La juxtaposition ouvre l'espace libre de
la poésie.

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Mallarmé « professeur d'attention » ; « unique et conditionnel ». On ne


demande pas nécessairement de leçons à nos auteurs, mais Mallarmé doue son
œuvre d'une armature intellectuelle, voire d'une pensée latente (1945 : 872).
Citons un mardiste : « Nous avons eu... la sensation qu'une manière de religion
eût pu naître, dont l'émotion poétique eût été l'essence » (Valéry 694). Je sais
gré à Claudel et à Char de formuler, chacun à sa façon, le bonheur du poète.

Paris

OUVRAGES CITÉS

Char, René. Œuvres complètes. Bibliothèque de la Pléiade. Paris : Gallimard, 1983.


Claudel, Paul. Œuvres en prose. Bibliothèque de la Pléiade. Paris : Gallimard, 1965.
Lawler, lames. « Le tigre et la gazelle ». Paul Valéry. Paris : Nizet, 1978. 85-116.
Lefèvre, Frédéric. Les sources de Paul Claudel. Paris : Lemercier, 1927.
Mallarmé, Stéphane. 1945. Œuvres complètes. Bibliothèque de la Pléiade. Paris :
Gallimard.
. 1959. Correspondance. Paris: Gallimard.
. 1976. Igitur, Divagations, Un coup de dés. Coll. « Poésie ». Paris : Gallimard.
. 1998. Œuvres complètes. Nouvelle édition. Bibliothèque de la Pléiade. Paris :
Gallimard.
Monod, Julien-P. « Questionnaire » (inédit). Bibliothèque Jacques Doucet.
Valéry, Paul. Œuvres complètes. Vol. I. Bibliothèque de la Pléiade. Paris : Gallimard,
1957.

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