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INTRODUCTION Un faux pseudo-platonicien ? La question de l’authenticité Lauthenticité de I’ Hippias majeur a été disputée, et cer- tains lecteurs modernes |’ont refusée, en demandant par- fois que l’on classe le dialogue parmi ces faux presque vrais auxquels on réserve le titre de dialogues « dou- teux » '. Cette condamnation pour faux ou ces doutes sont récents, puisque tous les lecteurs anciens, mais également tous les modemes jusqu’au XIx* siécle, admettaient pour leur part I’authenticité du dialogue. Le dialogue de Platon parait avoir été lu par Aristote ou plus tard par Plotin, et s’il «ne semble pas avoir connu une grande popularité dans |’Antiquité », comme le note B. Vancamp, il n’en demeure pas moins compté sans la moindre ambiguité parmi les ceuvres platoniciennes ?. 1. Nous devrions dire seulement certains lecteurs « contemporains », puisque les premiers éditeurs et traducteurs modemes n'ont pas de doute sur I'authenticité du dialogue. Sur Ia réception contemporaine, voir l’introduction de M. Soreth, Der platonische Dialog Hippias maior, p. 1- 4, puis Woodruff, p. 93-105. 2. B. Vancamp, « La tradition manuscrite de I’ Hippias majeur de Platon », p. 56 (voir les p. 56-59). Les textes anciens qui font écho a I’ Hippias majeur seront indiqués dans les notes. Le plus intéressant d’entre eux est celui qu’on trouve chez Aristote, dans les Topiques VI 7, 146a21-32, car Aristote ne se contente pas de faire allusion a la fin de I Hippias majeur, mais il en reprend, pour le poursuivre, le questionnement. Nous y revenons plus loin. 16 HIPPIAS MAJEUR Dés le début du xix* siécle, l’authenticité d’un certain nombre de dialogues a été remise en cause. Plusieurs qeuvres qui avaient vécu plus de deux millénaires sous le nom du philosophe se sont vu refuser cette paternité par des démonstrations philologiques dont la pertinence, aujourd’hui, ne semble pas toujours assurée. De vifs débats savants eurent toutefois lieu avant que la sévérité des philologues trouve a s’apaiser et que la plupart d’entre eux s’accordent pour reconnaitre ou refuser 4 Platon la paternité de tel ou tel dialogue. A ce partage, qui se fit pour l’essentiel a la fin du xix siécle et qui est encore en vigueur, quelques dialogues ont résisté ; voild ce qui leur vaut d’étre rangés dans cette méme catégorie des « dou- teux » od figurent aujourd’ hui, le plus souvent, le Minos et les Rivaux, qu’on lit peu, mais également l’Alcibiade « majeur » ou « premier », dont l’authenticité reste tou- jours disputée, et enfin |’Hippias majeur '. Le sort réservé a l’Alcibiade et a \'Hippias majeur n'est certes pas iden- tique : l’authenticité du premier divise toujours un grand nombre d’interprétes, alors que celle de I’Hippias majeur n’est que trés marginalement contestée aujourd’hui. Elle I’a été au début du xx° siécle, puis 8 son terme, mais plus marginalement cette fois, par quelques interprétes parmi lesquels figure C. H. Kahn *. Toutefois, le rappro- chement reste utile, parce que les interprétes qui voient dans I’ Hippias majeur un apocryphe avancent les mémes indices que ceux qu’on a fait valoir contre l’authenticité 1. L’authenticité de l"Alcibiade est défendue par J.-F. Pradeau, dans son introduction a la traduction du dialogue, dans cette méme collection (2000, pour la deuxiéme édition corrigée, voir les p. 24-29). Sur les « doutes » que suscite l'authenticité de I"Hippias, voir les remarques de O. Apelt, « Die beiden Hippiasdialoge », p. 112, et de P. Friedliinder, Plato, Il, p. 116, qui ont pour commune particularité de présenter le dia- logue et de le classer parmi les @uvres authentiques, tout en indiquant combien son authenticité les laisse toutefois dubitatifs. 2. C. H. Kahn, « The beautiful and the genuine », Afin de compléter le survol du débat modeme relatif au caractére authentique ou apocryphe du dialogue, nous avons concu un tableau, dans l’Annexe 1, en fin de volume, qui énumére les positions adoptées par les interprétes depuis le début du x1x‘ si¢cle. On peut rappeler ici que F. D. E. Schleiermacher, qui traduisit I'Hippias majeur en 1809, le tenait pour authentique, quand F Ast, qui le commentait sept ans plus tard, le dénongait déja comme un ouvrage apocryphe. INTRODUCTION 17 de l’Alcibiade. Il s’agit principalement de ; la qualité moindre de I’écriture du dialogue, qui souffrirait de la comparaison avec les autres oeuvres de Platon, des emprunts manifestes parce que trop ressemblants que le texte ferait 4 d’autres dialogues platoniciens, en les recopiant ou les résumant, et enfin du caractére invrai- semblable de certaines des théses défendues par le texte. Si les adversaires de I’authenticité de l’Hippias majeur se firent entendre dés le début du x1x* siécle, c'est bien plus tard, dans les années 1920, qu’un véritable débat sou- tenu les opposa a leurs contradicteurs. L’échange le plus édifiant, en l’espéce, est celui qui eut lieu entre les inter- prétes britanniques D. Tarrant et G. M. A. Grube, la pre- miére contestant I’authenticité que le second défendait, l'un et l'autre se répondant en développant les arguments pro et contra auxquels, pour |’essentiel, tous les lecteurs se tiendront par la suite '. Si les arguments que D, Tarrant fait valoir 4 l’encontre de l’authenticité du dialogue ne nous paraissent pas de nature 4 la remettre en cause, et si les quelques nouveaux éléments 4 charge apportés par C. H. Kahn n’altérent pas davantage ce jugement, il nous faut toutefois mentionner rapidement les principaux de ces arguments. Ils ne sont pas tous du méme ordre. Certains des arguments de D. Tarrant sont en effet particuligrement fragiles, sinon légers, comme |’ est cette preuve par défaut qui veut qu’ Aristote cite l’Hippias mineur en le désignant sous le titre Hippias, sans mentionner l’existence d°un deuxiéme Hippias, de sorte que l’authenticité de ce der- nier serait improbable *, D’autres arguments critiques sont plus intéressants. Comme la plupart des lecteurs, D. Tar- rant et les adversaires de I’ authenticité ont remarqué que le dialogue contient un certain nombre de ressemblances frappantes avec certains passages d'autres dialogues, comme si le faussaire avait voulu maladroitement forcer la ressemblance de son texte avec ses modéles platoniciens en leur empruntant tes littéralement des passages ou des 1. S’agissant des articles ou ouvrages de D. Tarrant et de G. M. A. Grube, voir également les titres que consignent la Bibliographie, en fin de volume. 2. D. Tarrant, The Hippias Major Attributed to Plato, p. 9-10.

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