Donner plus de sens au travail

Améliorer la motivation de ses salariés en donnant

plus de signification à leur travail

Avec la contribution de Jean-François Coget, professeur de ressources humaines

et management à HEC.

nos sources
Synthèse des idées publiées
idées clés
par les meilleurs experts, Comment aider les salariés à retrouver un peu plus d'enthousiasme pour
en particulier dans les publications
citées ci-dessous et dans leur travail ? C'est la question que se posent de nombreux dirigeants, face à des
les encadrés "en savoir plus". équipes souvent moroses et dont ils regrettent le manque de dynamisme et d'ini-
tiative. Et pourtant, lorsqu'ils prennent un poste, 95 % des salariés sont sincère-
ment enthousiastes. C'est au bout de 6 mois qu'ils commencent à s'interroger :
pourquoi tous ces efforts ? à quoi cela rime-t-il ?
Crise du sens,
défis du Les publications que nous avons retenues analysent pourquoi il est devenu
management plus difficile de donner un sens à son travail, et comment les entreprises peuvent
Olivier Vassal,
éd. Village Mondial,
aider les salariés à retrouver une motivation plus profonde. Il s'en dégage trois
2005, 294 pages. principaux messages :

- Pour être réellement motivés par leur travail, les salariés doivent y
voir plus qu'un simple moyen de gagner leur vie.

- L'entreprise peut y contribuer notablement en clarifiant sa raison

The d'être et sa vision, donnant ainsi un sens aux efforts collectifs.
Enthousiastic
Employee
David Sirota, - Elle peut aussi jouer sur l'organisation du travail, afin de favoriser ce
Louis A. Mischkind, qui permet à chacun de donner un sens à son implication individuelle.
Michael Irwin, Meltzer,
éd. Wharton School
Publishing, 2005,
266 pages.

Cette synthèse a été rédigée à partir

d’une analyse critique de publications
soigneusement sélectionnées. Il s’agit
d’une œuvre originale, et non d’un simple
condensé de ces publications. Elle ne peut
donc se substituer à la lecture de celles-ci.

Donner plus de sens au travail  m • N° 148a 

 analyse
1 Un réel besoin
de repères
Pour être motivé
durablement par un travail,
il faut pouvoir lui donner
un sens plus profond
qu'une simple nécessité
"alimentaire".
Toutes les entreprises savent que plus
leurs salariés sont motivés, plus elles
sont performantes. Non seulement la
productivité est plus importante, mais
les salariés sincèrement motivés par
leur activité font plus volontiers preuve
d'initiative, sont plus enclins à coopérer
avec leurs collègues, instaurent
des relations plus constructives et
satisfaisantes avec les clients, sont plus
fidèles à leur employeur, etc.
Contrairement à de nombreux dis-
cours dramatisants, notamment dans
la presse, on constate une plutôt bon-
ne satisfaction des salariés à l'égard de
leur travail. En France, une enquête
réalisée par le CSA en avril 2006 a
montré que 84 % des salariés avaient
"plutôt envie" ou "très envie" d'aller
au travail le matin, et que 96 % se sen-
taient "impliqués" dans leur travail.
Ces chiffres concordent avec les ré-
sultats des études réalisées aux Etats-
Unis depuis 30 ans par les auteurs de
The Enthusiastic Employee : plus des trois
quarts des salariés se disent satisfaits
de leur travail, un chiffre qui n'a pas
véritablement évolué depuis 1970 et
ne varie qu'assez peu entre différents
secteurs d'activités ou catégories de
salariés.
Mais satisfaction ne veut pas dire
enthousiasme. Or c'est là que le bât
blesse. Seul l'enthousiasme suscite
l'énergie qui permet de faire la diffé-
rence et se traduit en performance.
Et de fait, la proportion de salariés
enthousiastes reste modeste. Ainsi,
seuls 25 % des salariés interrogés par
le CSA ont répondu avoir "très envie"
d'aller au travail le matin.
Les différentes études réalisées sur
le sujet montrent qu'un aspect fonda-
mental de la motivation est la capacité
de "donner un sens" à ce que l'on fait.
 m • N° 148a
Le psychiatre Viktor Frankl a notam- du commercial stimulé par le dépas-
ment montré que la quête de sens sement de ses objectifs. Cette fierté
est la première source de motivation découlera pour d'autres de la maîtrise
dans la vie d'un homme : chacun sera toujours plus pointue de leur compé-
d'autant plus prêt à s'investir qu'il aura tence ou de leur expertise. D'autres
le sentiment que ses efforts répondent encore seront motivés parce que l'ex-
à une aspiration plus élevée que la sim- périence elle-même est enrichissante
ple survie. Tout comme celui qui fait la – ou bien encore parce qu'ils auront
cuisine parce qu'il apprécie la bonne le sentiment que leur activité est utile
chère ou pour le plaisir de recevoir des aux autres. Etc.
amis y met plus de cœur que celui qui
cherche simplement à se nourrir, le En dépit des multiples façons dont
salarié qui trouve un sens plus profond on peut donner un sens à son activité
à son travail que le seul devoir associé professionnelle, les experts soulignent
à son salaire a notablement plus ten- que les évolutions du monde du tra-
dance à s'investir. vail ont rendu cette quête de sens plus
Cette quête de sens peut prendre difficile. Ils mettent en évidence trois
différentes formes selon les person- grandes évolutions qui contribuent au
nes (figure A). Certains s'épanoui- manque d'enthousiasme dont beau-
ront parce qu'ils éprouvent de la fierté coup d'entreprises se plaignent :
pour ce qu'ils contribuent à réaliser
– sentiment souvent observé dans les • Un nouveau rapport à
entreprises à forte notoriété et bonne l'entreprise.
image. D'autres seront fiers d'avoir Le lien de quasi-filiation qui existait
relevé un défi, comme c'est le cas traditionnellement entre l'employeur
A
Des facteurs de motivation très variés
Edgar Schein, chercheur au MIT, a montré que les sources de motivation varient fortement d'un
individu à l'autre. Ainsi, chacun aura une façon personnelle de trouver ou non un sens à son travail.
Les grandes sources de motivation identifiées par Schein sont au nombre de huit :
"Mon travail me
permet d'exceller
dans ma spécialité." "Mon travail me donne
"Mon travail me permet l'occasion de me développer,
d'équilibrer vie personnelle en apprenant divers métiers
et vie professionnelle." La et en gérant des équipes."
compétence
technique ou
Le style fonction- La compétence
de vie nelle managériale
"Mon travail
"Mon travail me me donne la
fournit l'occasion L'autonomie/ liberté d'agir
Le défi sans contraintes
de me dépasser." l'indépendance
excessives."
Le sens La stabilité
La et la sécurité
du service créativité,
la possibilité
"Mon travail a de la valeur d'entreprendre "Mon travail me fournit un
parce qu'il me permet environnement prévisible
d'être utile à d'autres." et rassurant."
"Mon travail me donne
l'opportunité de créer
quelque chose."
D'après Career Anchors, discovering your real values, Edgar H Schein, éd. Pfeiffer, 1985.
Donner plus de sens au travail

et ses salariés suffisait pour beaucoup
à donner un sens au fait de travailler :
on se dévouait à son entreprise parce
qu'elle assurait en échange la sécurité
d'un emploi à vie. A cela s'ajoutait le
fait que le travail était une valeur en
lui-même : on éprouvait de la fierté à
travailler.
Les évolutions économiques et
culturelles de la seconde moitié du
vingtième siècle ont modifié cette
conception du travail. Le sens que
conférait la relation d'appartenance
à l'entreprise s'est significativement
amoindri. De plus, l'émergence de
la société de loisirs et d'une culture
plus hédoniste a réduit la valeur ac-
cordée au travail : il faut aujourd'hui
"autre chose" pour pouvoir se sentir
épanoui.
Ne trouvant plus dans leur relation
à l'entreprise la raison d'une réelle mo-
tivation, beaucoup de salariés se sont
retranchés dans deux attitudes :
– De plus en plus nombreux sont
ceux qui estiment que la seule re-
lation saine avec une entreprise
est celle d'une transaction : "je tra-
vaille en échange de mon salaire ; je
n'attends rien d'autre de mon em-
ployeur, qui ne doit pas non plus
attendre de moi plus que le travail
pour lequel je suis payé". Ayant de
fait besoin d'autres sources de mo-
tivation dans leur vie, ces personnes
cherchent leur épanouissement en
dehors des heures de travail – une
attitude favorisée en France par la
réduction du temps de travail. Si
elle peut sembler satisfaisante pen-
dant un temps, on constate pourtant
que cette attitude conduit souvent à
une baisse de moral : la proportion
de temps éveillé consacrée au tra-
vail est trop importante pour que
l'on puisse réellement s'épanouir
en se contentant de la subir. Ces
salariés deviennent donc de plus en
plus passifs vis-à-vis de leur poste,
dans lequel ils trouvent de moins
en moins de satisfaction – ce qui se
traduit facilement en réactions de
cynisme, voire d'hostilité vis-à-vis
de l'entreprise.
– D'autres salariés ont tendance à se
replier sur leur métier. Ils trouvent
leur fierté et leur motivation dans
leur compétence professionnelle,
qu'ils pourraient exercer chez leur
Donner plus de sens au travail 
employeur actuel comme chez un
autre. D'un pur point de vue de pro-
ductivité et de performance opéra-
tionnelle, cette attitude n'est pas
problématique. En revanche, elle
ne favorise pas la coopération et
la transversalité dont de nombreu-
ses entreprises ressentent le besoin.
Elle explique en partie l'excès de
cloisonnement que beaucoup re-
grettent. De plus, le manque d'ad-
hésion aux objectifs de l'entreprise
ne favorise pas la cohérence des
initiatives que les uns et les autres
peuvent prendre, et présente donc
un risque pour la mise en œuvre de
la stratégie de l'entreprise.
• Une difficulté croissante à
visualiser les fruits de son travail.
Un facteur important de motivation
est d'être fier de ce que l'on réalise. Or
la façon dont le travail est structuré
aujourd'hui rend beaucoup plus diffi-
cile de visualiser ses réalisations :
– Une grande partie des tâches est
désormais dématérialisée. La part
des services est croissante, y com-
pris dans les métiers industriels.
Dans ces conditions, les salariés
peuvent moins facilement "toucher
du doigt" leurs réalisations, dont la
qualité est moins objective qu'elle
ne l'était auparavant.
– Le travail s'est décomposé entre un
nombre croissant d'intervenants,
par souci d'économies d'échelles ou
en raison de la complexité accrue
des tâches. Il est plus rare de pou-
voir éprouver le sentiment d'avoir
livré une prestation complète dont
on peut légitimement s'attribuer la
responsabilité.
– Dans un environnement où la ma-
chine se charge de plus en plus
souvent des tâches routinières,
l'homme n'intervient souvent plus
qu'en cas de problème. Beaucoup
trouvent ainsi frustrant de consa-
crer une part considérable de leur
temps à gérer des problèmes plutôt
qu'à "produire" – activité dont l'uti-
lité ne faisait aucun doute !
• Une plus grande distance entre
les individus.
Le développement du travail à dis-
tance, des équipes virtuelles ou multi-
sites, ainsi que le mouvement de mon-
en savoir plus
Crise du sens, défis
du management
Olivier Vassal,
éd. Village Mondial,
2 005.
Olivier Vassal entreprend d'analyser en détail
le lien entre les évolutions du monde de
l'entreprise au cours des dernières décennies
et la "crise du sens" qui semble prévaloir
aujourd'hui chez les salariés. Le tableau ainsi
dressé est indéniablement perturbant…
Les motifs de perte de sens s'enchaînent
rapidement, laissant un sentiment de malaise :
accélération du temps, montée de l'incertitude,
surcharge d'information, complexification des
formes de collaboration, production en juste-
à-temps, effondrement de la notion de pays,
transformation des règles du pouvoir, fin de la
valeur "travail", etc. Comment s'étonner que les
salariés soient en manque de repères ?
- Si vous éprouvez le besoin de mieux
comprendre les raisons profondes des états
d'âme de nombreux salariés, vous lirez avec
intérêt la première partie de l'ouvrage. Elle
aborde, de nombreux exemples concrets à
l'appui, les principales ruptures que le monde
du travail a connu ces dernières décennies.
- Vous vous dirigerez ensuite en priorité vers
la partie III, où l'auteur s'efforce de montrer
comment le leadership consiste justement à
créer du sens pour les salariés. L'entreprise doit
ainsi définir sa raison d'être (chapitre XIV), sa
vision (chapitre XV) et son projet (chapitre XVI).
Cette section de l'ouvrage repose sur des
descriptions très détaillées d'exemples
célèbres : Sony, Dell, Boeing, FNAC, Citroën, etc.
Elle servira d'inspiration aux dirigeants, mais
aussi aux responsables d'équipe qui cherchent
à insuffler plus de sens dans le travail de leurs
collaborateurs. Ils y trouveront une multitude
de conseils pratiques qui leur éviteront peut-
être de tomber dans les pièges qui guettent
les décideurs au moment de définir une raison
d'être ou une vision.
- La quatrième partie de l'ouvrage propose
quelques réflexions intéressantes, même si
elles sont parfois rapides, sur l'organisation du
travail et la difficulté de combiner autonomie,
contrôle et coopération. Vous y trouverez
probablement quelques pistes d'action utiles.
- La section II nous paraît moins essentielle.
Consacrée à une analyse des grandes
tendances du management ces 20 dernières
années, elle en présente les limites, mais peine
à proposer des solutions alternatives.
- Enfin, vous trouvez en épilogue quelques
convictions de l'auteur, sous forme de glossaire,
qui pourront stimuler votre réflexion sur des
sujets variés.
m • N° 148a 
 dialisation font qu'il est de plus en plus
fréquent de dépendre pour son travail
de personnes qu'on ne rencontre ja-
mais. C'est assez classiquement le cas
lorsqu'on se voit imposer des politi-
ques arrêtées par des décideurs éloi-
gnés – au siège de la multinationale
par exemple. Mais c'est aussi vrai pour
les décisions du quotidien, par exem-
ple lorsque la gestion de ses clients
dépend pour partie de centres d'appels
ou de centres de traitement adminis-
tratif délocalisés.
Une première implication est qu'il
est de plus en plus fréquent de devoir
appliquer des décisions prises par des
individus avec lesquels on a peu ou pas
d'occasions d'échange. Cela contribue
à créer la perception que les décisions
sont prises de façon arbitraire, sans te-
nir compte des connaissances ou idées
que l'on pourrait apporter – ce qui
fait chuter la motivation de ceux qui
valorisent dans leur travail le fait de
contribuer aux orientations prises.
Une deuxième implication est la
perte de notion de "collectif". Le man-
que de relations avec ceux qui impac-
tent son travail conduit facilement
à percevoir l'entreprise comme une
juxtaposition d'entités, sans lien de
solidarité ni de communauté d'intérêt.
On éprouve ainsi un sentiment d'ap-
partenance à son unité locale, mais
très peu d'attachement à la "grande
entité" dont celle-ci fait partie.
Enfin, plus grave, ce phénomène
rend beaucoup plus impersonnelles
les relations avec ses collègues de tra-
vail. Or, un levier de motivation très
important chez de nombreux salariés
réside dans la qualité des interactions
que le travail leur permet d'avoir avec
d'autres personnes. L'accroissement
des distances conduit donc à minimi-
ser un facteur de "sens" essentiel.
Pour accroître la motivation de leurs
salariés, les entreprises doivent favori-
ser ce qui peut les conduire à donner
plus de sens à leur travail. Pour cela, el-
les peuvent intervenir à deux niveaux :
– clarifier la portée des efforts collec-
tifs, et donner ainsi aux salariés des
raisons d'être fiers d'y contribuer ;
– organiser les postes de travail de
façon à faciliter pour chacun le fait
de donner du sens à son implication
individuelle.
 m • N° 148a
2 Donner un - Formuler
sens au collectif la mission de
l'entreprise
Donner un sens à son travail revient
à avoir "une bonne raison d'être là". En exprimant sa raison d'être, sa
Nous avons vu que la seule exécution vocation, l'entreprise montre à ses
d'une tâche en échange d'une rému- salariés le dessein général auquel ils
nération ne suffit pas à motiver dura- participent (figure B). S'ils adhèrent à
blement la majorité des individus. Il cette ambition, celle-ci peut constituer
est bien plus porteur de se sentir partie une justification à leurs efforts du quo-
prenante d'un projet commun dans un tidien, et une source de fierté notable.
but partagé, susceptible de générer de Ainsi, la mission affichée par la FNAC
la fierté. depuis sa création en 1954 – "rendre
C'est la raison pour laquelle la plu- la culture et les loisirs accessibles au
part des entreprises consacrent des ef- plus grand nombre" – contribue à ce
forts importants à définir leurs valeurs, que les employés de ses magasins en-
leur mission ou encore leur projet. visagent leur travail non comme une
Ce faisant, elles déclenchent souvent simple activité de vente ou de logisti-
des sourires ironiques, voire cyniques, que mais comme une mission de plus
chez leurs salariés. Toute la difficulté grande portée.
consiste en effet à formuler l'ambition Pour être efficace, la mission doit
commune d'une façon qui touche les être formulée de façon à répondre à
salariés, serve de guide à leur action trois exigences :
quotidienne, et ne soit pas perçue
comme une rhétorique vide de sens. • Formuler une ambition qui
Pour cela, l'entreprise doit à la fois suscite l'adhésion.
exprimer sa mission – c'est-à-dire la La mission doit viser "plus grand"
raison pour laquelle l'entreprise existe que la seule réalisation d'un profit, qui
– et sa vision, c'est-à-dire ce vers quoi ne suffit généralement pas à motiver
elle souhaite aller à terme. durablement. Elle doit ainsi faire ré-
férence à des valeurs auxquelles les
salariés accordent de l'importance. En
B
Quelques exemples de missions d'entreprises
Toute entreprise peut revendiquer une raison d'être ou une vocation qui dépasse son simple rôle
capitaliste. L'auteur de Crises du sens, défis du management a identifié trois principaux registres
de telles raisons d'être :
"Reconstruire le Japon et élever la culture de la Nation par le
Sony développement d'activités dynamiques dans le domaine de la
"Changer technologie et de l'industrie"
la vie"
DuPont
"Le miracle de la science : amener la science aux hommes afin
de changer la façon dont ils vivent"
"Améliorer la qualité de vie des consommateurs du monde entier
en leur proposant des produits innovants et qui diminuent et
Seb
"Faciliter simplifient certaines corvées et tâches fastidieuses, ou qui leur
le quotidien" apportent plus de plaisir et de convivialité"
"Trouver des solutions innovantes aux problèmes de la vie
3M
courante"
"Mettre la Bourse à la portée de l'Américain moyen"
Merrill Lynch
"Rendre ("Bring Wall Street to the Main Street")
service FNAC "Rendre la culture et les loisirs accessibles à tous"
à ses
concitoyens" Danone "Apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre"
Merck "Notre vocation est de préserver et d'améliorer la vie humaine"
D'après Crise du sens, défis du management, Olivier Vassal, éd. Village Mondial, 2005.
Donner plus de sens au travail

définissant sa mission comme "Ap-
porter la santé par l'alimentation au
plus grand nombre", Danone inscrit
l'action des collaborateurs du Groupe
dans une ambition généreuse qui lui
donne un sens plus profond que la
seule vente de produits alimentaires.
• Etre liée à une conviction
fortement ancrée.
La mission doit refléter l'état d'es-
prit et les convictions profondes des
dirigeants. C'est pourquoi définir une
mission de façon participative est illu-
soire : elle doit représenter une "certi-
tude", que le caractère consensuel de
la réflexion participative risque fort
d'amoindrir. Sony s'est ainsi distin-
guée par l'ambition de ses fondateurs :
"Reconstruire le Japon et élever la
culture de la Nation par le dévelop-
pement d'activités dynamiques dans
le domaine de la technologie et de
l'industrie". Au moment de la créa-
tion de la société, une telle ambition
pouvait paraître démesurée, voire pré-
tentieuse. Mais Akio Morita et Masaru
Ibaka y croyaient sincèrement, et leur
conviction leur a donné l'énergie né-
cessaire pour convaincre leurs équipes
et permettre la légendaire croissance
du groupe.
• Trouver dans sa formulation un
juste équilibre entre précisions et
généralités.
La formulation de la mission est
toujours délicate : celle-ci doit être
suffisamment générale pour laisser
place à l'initiative et à l'inspiration in-
dividuelle, tout en étant suffisamment
spécifique pour refléter une véritable
identité, susceptible d'entraîner l'ad-
hésion. Pour cela, la simplicité est de
mise. L'enjeu est d'exprimer claire-
ment la raison pour laquelle l'entre-
prise existe, sans pour autant fournir
des détails excessifs qui brideraient
son développement. Des formulations
telles que "Notre activité est de préser-
ver et d'améliorer la vie humaine" pour
Merck ou "Amener le miracle de la
science sur le marché de façon à trans-
former la vie des gens" pour DuPont
répondent à ces exigences.
Ainsi formulée, la mission de l'en-
treprise contribue fortement à donner
un sens à l'action des collaborateurs :
Donner plus de sens au travail 
C
Bâtir une vision mobilisatrice
Pour remplir son rôle de création de sens pour les salariés, une vision doit respecter quelques
critères clés :
Tournée vers l'avenir
La vision doit proposer une
image de l'avenir et non une
prolongation du passé.
Réaliste
La vision doit pouvoir
se décliner en objectifs
concrets, qu'il est possible
d'atteindre.
Simple
Les mots et les phrases trop
complexes restreignent le
pouvoir émotionnel de la vision.
elle les aide en effet à formuler en quoi
leurs efforts quotidiens sont justifiés,
au-delà du simple fait de justifier leur
rémunération.
- Clarifier la vision
de l'entreprise
Pour entraîner l'adhésion, la mis-
sion ne peut se réduire à une simple
déclaration d'intention. Elle doit être
concrétisée par la formulation d'un
but commun clairement identifié, qui
oriente les initiatives et guide les ef-
forts de façon visible (figure C).
Les dirigeants doivent pour cela
formuler une vision qui précise l'avenir
que l'entreprise cherche à bâtir. Pour
parvenir à mobiliser durablement les
énergies, cette vision doit en particu-
lier respecter les critères suivants :
• Exprimer une vision personnelle
de l'avenir.
Pour donner un sens aux efforts de
chacun, la vision doit constituer un
but crédible, mais qui mérite d'être
atteint. Cela passe généralement par
l'expression d'une conviction sur la
façon dont son secteur d'activité va
évoluer, et la formulation d'une am-
bition sur la place que l'on souhaite
que l'entreprise y occupe (figure D).
Bill Boeing a ainsi construit sa vision
autour de l'intuition du développe-
ment de l'aviation commerciale, à une
époque où les avions étaient utilisés
essentiellement à des fins militaires. Il
a ainsi permis à ses collaborateurs de
Ambitieuse
La vision doit représenter un
défi susceptible de mobiliser
les énergies.
Exemple : Précise
"Un ordinateur sur La vision doit fixer une
chaque bureau, direction claire et ne pas se
dans chaque foyer" prêter à des interprétations
(Microsoft - 1985) divergentes.
Souple
La vision doit laisser de
la latitude dans la façon
d'atteindre le but fixé.
se projeter dans une vision d'avenir où
leur entreprise avait une chance de se
distinguer, ce qui a fortement stimulé
leur implication pour prendre pied sur
le marché des appareils de transport
de courrier, puis de passagers.
• Porter sur le long terme.
La vision doit contribuer à donner
des repères aux collaborateurs dans un
environnement inévitablement insta-
ble. Pour cela, elle doit définir claire-
ment ce que l'on vise à long terme,
tout en gardant ouverte la façon d'y
parvenir. En effet, il est difficile de pré-
voir ce qui va se passer à moyen terme :
il faut donc garder la latitude d'ajuster
sa stratégie aux évolutions de l'envi-
ronnement, sans pour autant devoir
renier sa vision. De fait, les entreprises
qui ont défini et maintiennent un cap
clair ont beaucoup moins de difficultés
à faire accepter les changements né-
cessaires, car ceux-ci s'inscrivent dans
une logique cohérente. A l'inverse,
si l'orientation de long terme n'est
pas claire, ces changements risquent
plus facilement d'être perçus comme
aléatoires, subis ou incontrôlés. Il faut
donc s'efforcer de combiner une vi-
sion stable, qui définit l'ambition de
long terme, avec une stratégie évolu-
tive, qui tient compte des évolutions
de l'environnement.
• Etre traduisible en projets
concrets.
De même que la mission doit être
traduite en une ambition concrète de
long terme – la vision doit faire l'ob-
jet d'un plan d'actions, qui montre
m • N° 148a 
 clairement qu'on ne se contente pas
de rêver, mais que l'on met effecti-
vement en œuvre les moyens néces-
saires pour progresser vers l'objectif.
C'est là qu'intervient le projet d'en-
treprise, qui définit les actions néces-
saires pour mettre en œuvre la vision
et oriente ainsi l'activité au quotidien.
Les auteurs de The Enthousiastic Employee
ont ainsi constaté que les entreprises
qui connaissent le moins d'écart entre
ce qu'elles affirment vouloir atteindre
et la réalité sont celles qui ont mis en
place de grands programmes – com-
me le TQM ou Six Sigma – qui ont
orienté de façon tangible l'action des
salariés sur la durée. C'est ainsi que
en savoir plus
The Enthousiastic
Employee
David Sirota,
Louis A. Mischkind,
Michael Irwin Meltzer,
éd. Wharton School
Publishing, 2005.
Dans le cadre de leur activité de conseil, les
auteurs ont étudié depuis 1972 les relations
des entreprises avec leurs salariés, leurs clients
et la société en général. Ils ont ainsi à leur
disposition une très grande richesse de données
quantitatives et qualitatives issues d'enquêtes
conduites auprès de nombreuses entreprises.
Leur propos est stimulant : la majorité des
salariés est en fait motivée par son travail. Et
si l'enthousiasme tend à décroître fortement
après quelques mois dans l'entreprise, les
leviers à la disposition des managers pour
rehausser le niveau de motivation semblent
atteignables : veiller à traiter les salariés de
façon équitable en matière de rémunération et
de sécurité de l'emploi ; leur permettre d'être
fiers de leur travail, de leurs réalisations et
de leur entreprise ; créer un environnement
qui facilite le développement de relations
chaleureuses et enrichissantes avec leurs
collègues.
Fortement teinté de culture américaine,
ce livre apportera au lecteur européen une
vision moins défaitiste et plus proactive de
la motivation au travail. Tous ces conseils
ne sont pas transposables, mais vous y
trouverez de très nombreuses pistes d'action,
en particulier sur la façon de formuler la
mission et la vision de l'entreprise (chapitre 6),
sur la responsabilisation (chapitre 7), sur
l'importance du défi (chapitre 8), du feedback
et de la reconnaissance (chapitre 9).
Un ouvrage que toute personne en charge
d'animer une équipe gagnera à parcourir.
 m • N° 148a
Fedex est parvenue à concrétiser sa les collaborateurs vivent leur activité
vision d'un service d'une exception- (figure E). Attention toutefois : en ré-
nelle qualité "100 % de clients satis- fléchissant à la façon d'organiser le tra-
faits, 100 % du temps" en définissant vail, il faut veiller à ne pas projeter ses
un projet d'entreprise suffisamment propres attentes sur celles des autres.
précis pour transformer l'objectif en En effet, nous avons vu que les facteurs
une réalité quotidienne. de motivation varient considérable-
ment d'un individu à l'autre. L'enjeu
La vision et le projet d'entreprise n'est donc pas, par exemple, que tous
sont ainsi des outils essentiels pour les postes de travail comportent un
permettre aux managers d'expliquer défi ou une dimension relationnelle
à leurs collaborateurs la cohérence, et importante. La clé est avant tout de
donc le sens, des différentes actions composer des postes qui correspon-
entreprises. dent au profil des salariés en place ou
de ceux que l'on souhaite recruter.
De manière générale, pour être vécu
3 Donner un comme enrichissant par la majorité
des individus, un poste doit être perçu
sens à l'action comme exigeant plus que la simple
individuelle exécution de tâches. Ainsi, attribuer
de façon claire la responsabilité d'une
Pour aider les collaborateurs à don- composante d'un processus peut être
ner du sens à leurs efforts, les entre- une façon de donner du sens au travail
prises peuvent aussi agir sur la façon effectué. Il est aussi fondamental que
d'organiser le travail – et cela princi- les salariés aient l'occasion d'exercer
palement selon trois registres : leur propre jugement, pour ne pas se
sentir agir comme des automates et
• Favoriser la richesse intrinsèque donc percevoir la valeur ajoutée de
des postes. leur implication. C'est pourquoi laisser
De nombreuses modifications en une part d'autonomie et d'initiative a
apparence mineures peuvent avoir un une réelle importance. On peut aussi
impact considérable sur la façon dont veiller à ce que le poste fasse appel
D
Permettre aux collaborateurs de se projeter dans l'avenir
Quelques exemples
Boeing Bill Boeing a été le premier à anticiper le rôle que jouerait l'aviation dans le
transport de courrier et de passagers. Dès 1925,il ouvre la première liaison postale
aérienne entre Seattle et Vancouver. Dès 1926, il crée la future United Airlines
dédiée au transport de passagers.
Citroën En 1919, André Citroën lance la première voiture produite en grande série en
Europe. Pressentant le rôle croissant de l'automobile dans la société, il s'efforce
de produire des véhicules au prix le plus bas possible en tirant parti de toutes les
innovations techniques.
Dell Michael Dell fait le pari de réussir à livrer dans des délais brefs des ordinateurs
exactement configurés aux besoins de ses clients, à un prix compétitif.
Renault A une époque où beaucoup de constructeurs automobiles misent sur la réduction
des coûts et sur la fiabilité, Renault fait le pari dans les années 1980 de miser
sur des "voitures à vivre" (Espace, Twingo, etc.). Autre exemple : dès 1998,
Louis Schweitzer annonce le projet d'une voiture à 6 000 $ alors que les autres
constructeurs préfèrent ne pas se risquer sur les marchés émergents.
Nokia En 1990, lorsqu'il prend la tête d'Ericson, Lars Ramqvist choisit de tout miser sur le
développement de la téléphonie mobile, et investit fortement pour y contribuer.
D'après Crise du sens, défis du management, Olivier Vassal, éd. Village Mondial, 2005.
Donner plus de sens au travail
à des compétences variées et valo- • Mettre en évidence la valeur du des messages descendants de la direc-
risées, ou qu'il soit l'occasion de les travail effectué. tion, mais constitue aussi un moyen de
développer. Les salariés ont besoin de sentir que valoriser le travail de chacun.
quelque chose a été accompli grâce
• Faciliter les relations entre à leurs efforts, et que cela est recon- •••
individus. nu par les autres. Donner du sens au
L'étude réalisée par les auteurs de travail, c'est donc aussi faciliter pour La motivation au travail dépend no-
The Enthousiastic Employee montre qu'une chacun la prise de conscience de la tablement de la capacité à "donner un
dimension fondamentale de satisfac- valeur ajoutée de sa contribution, et sens" à ses efforts, au-delà de la seule
tion est la "camaraderie" trouvée sur veiller à ce que cette contribution soit justification de sa rémunération. L'en-
le lieu de travail – c'est-à-dire l'oppor- reconnue et récompensée à sa juste treprise peut y contribuer non seule-
tunité de nouer des relations enrichis- valeur et de façon équitable entre les ment en explicitant le sens du travail
santes et constructives dans le cadre salariés. Clarifier les objectifs et met- collectif – à quelle mission crédible et
de son travail. Les auteurs citent ainsi tre en place des mesures de perfor- stimulante contribuons-nous collecti-
les réponses d'employés à qui l'on de- mance aussi objectives que possible vement ? – mais aussi en organisant le
mandait ce qu'ils appréciaient le plus peut constituer une réponse efficace travail de façon à ce que chacun puisse
dans leur travail : "Les gens avec qui à ce besoin. De même, plus on par- plus facilement trouver un sens à son
je travaille", "Mon équipe, composée vient à montrer à chacun en quoi sa implication – quels motifs de fierté ou
de personnes intelligentes et sympa- contribution personnelle a un impact de satisfaction mon travail personnel
thiques, qui travaillent ensemble et sur la qualité du résultat final, plus sa me donne-t-il ?
s'entraident", etc. A l'inverse, il ressort contribution aura de sens pour lui.
de ce que les salariés aiment "le moins" Diffuser les résultats détaillés d'une
le manque de coopération et de com- étude de satisfaction clients peut ainsi
munication, ou encore une concur- avoir un impact important sur la mo-
rence interne excessive. tivation des salariés de la logistique,
Il est souvent possible d'organiser le d'un centre d'appels ou même du ser-
travail de façon à favoriser les contacts vice comptabilité clients. Enfin, il est
entre individus plutôt que cloisonner important que l'entreprise reconnaisse
les activités : rapprocher physiquement visiblement comme utiles les contri-
les personnes susceptibles de travailler butions de chacun. L'attitude des di-
ensemble, concevoir les processus non rigeants est à cet égard importante :
comme une suite de tâches à effectuer les visites d'usines que pratiquent un
isolément mais en interactions, consti- grand nombre de dirigeants jouent un
tuer des groupes de projets variés qui rôle important pour cela. De même,
permettent de connaître de nouvelles il est essentiel que la communication en savoir plus
personnes, etc. interne ne porte pas uniquement sur Si vous souhaitez approfondir ce sujet,
nous vous recommandons aussi les lectures
suivantes :
E - Mobiliser autour d'une vision (Synthèse
Donner plus de sens au travail de chacun Manageris N° 123a)
Concevoir et diffuser une vision stimulante.
Il existe diverses façons de rendre plus porteur de sens le travail des collaborateurs. La check-list - Career Anchors, Discovering Your Real
suivante vous permettra d'évaluer la richesse des postes de travail dans votre organisation. Si Values, Edgar H. Schein, éd. Pfeiffer, 1985.
vous répondez par la négative à la majorité de ces questions, il est probable que le travail tel qu'il (Livre)
est organisé se limite trop à la simple exécution de tâches routinières pour être porteur de sens en Les huit piliers de la motivation.
lui-même.
- Le travail fait-il appel à des savoirs ou des compétences variés ? - Prisoners of Our Thoughts : Viktor
- Le salarié porte-t-il la responsabilité de la bonne exécution du travail ? Frankl's Principles at Work, Alex Pattakos,
- Le salarié doit-il faire appel à son initiative ou à sa capacité de jugement pour mener à bien sa éd. Berrett-Koehler, 2004. (Livre)
tâche ? La quête de sens, principale source de motivation
- Le travail permet-il au salarié de développer ses compétences ? de l'homme.
- Lui permet-il d'acquérir de nouveaux savoirs ? - How to get a handle on employee
- Lui donne-t-il l'occasion de faire des rencontres enrichissantes ? motivation, Harvard Working knowledge,
- Lui donne-t-il l'opportunité de se rendre utile aux autres ? oct. 2003. (Article accessible sur http://
- Le travail correspond-il aux compétences et aux aspirations du salarié ? hbswk.hbs.edu)
- Le salarié sait-il précisément ce qui est attendu de lui ? Comprendre ce qui motive ses collaborateurs et
- Le salarié peut-il visualiser les fruits de son travail ? s'y adapter.
- Le salarié peut-il percevoir sa contribution personnelle dans le produit final ? - Why your employees are losing
- Existe-t-il des critères d'évaluation objectifs qui permettent au collaborateur d'apprécier par their motivation, Harvard Working
lui-même la qualité de son travail ? knowledge, avr. 2006. (Article accessible sur
- L'impact du travail du salarié sur la performance de l'entreprise est-il clair ? http://hbswk.hbs.edu)
- La valeur du travail du salarié est-elle reconnue par l'entreprise ? Cesser de démotiver ses collaborateurs.

Donner plus de sens au travail  m • N° 148a 

 avis d’expert
Par Jean-François Coget, professeur de management et ressources humaines à HEC.
L
a crise du sens dont on
parle beaucoup aujourd'hui
dépasse largement le cadre
de l'entreprise et concerne
l'ensemble de la société
contemporaine.
Pour comprendre cette crise du
sens, il faut remonter avant même
l'ère industrielle. Une propension à
la myopie historique nous conduit
souvent à considérer que les boule-
versements du monde du travail sont
récents, mais l'essentiel de la question
remonte selon moi au siècle des lu-
mières. Cette époque a vu une remise
en cause très violente des paradigmes
qui permettaient aux individus de se
représenter le monde. Nous avons en
effet tous un paradigme, en général
non formulé, pas forcément ration-
nel ni même exprimable, et profon-
dément enfoui dans notre cerveau.
C'est ce qui permet de donner un sens
aux événements que nous vivons, et
qui, collectivement, s'exprime dans la
culture lorsque les individus se met-
tent d'accord sur un ensemble de va-
leurs pour pouvoir vivre en société.
Or l'avènement de l'ère industrielle
a profondément modifié la repré-
sentation du monde. Jusqu'alors, la
religion et la science étaient confon-
dues, le subjectif et l'objectif étaient
fusionnés. Les philosophes du passé,
comme Platon et Aristote proposaient
une vision complète du monde qui
comportait trois dimensions : le Vrai
(objectif), le Beau (subjectif esthéti-
que) et le Bon (subjectif moral). Au
siècle des lumières est apparue une
distinction majeure entre le subjec-
tif et l'objectif, très bien décrite par
le philosophe américain Ken Wilber.
Séparer ces notions, et en particulier
le religieux du scientifique, a été une
bonne chose, en partie parce que cela
a permis de faire progresser la science.
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 m • N° 148a
Mais il s'est développé aujourd'hui
une vision scientifique et capitaliste
du monde qui a occulté la valeur du
subjectif.
C'est de là que vient la crise du
sens actuelle : le vide laissé par la
dévalorisation du subjectif est vécu
comme déroutant et générateur d'an-
xiété. A cela, trois réponses possibles.
Résister et refuser d'admettre que le
monde a changé : une attitude patho-
logique. S'effondrer : pire encore ! Ou
s'adapter, et déconstruire sa vision du
monde pour en reconstruire une nou-
velle, quitte à réutiliser des éléments
de l'ancienne.
Pour réagir, la majeure partie des
individus a besoin d'un leader : un lea-
der charismatique et transformation-
nel qui articule une vision du monde
pour les autres. Le rôle du leader est de
créer une vision forte, qui permet aux
individus de se transcender, qui leur
propose des valeurs qui les dépassent.
Il a généralement un temps d'avance
sur l'évolution du paradigme, et incite
ceux qui le suivent à changer. En néga-
tif, Hitler s'est révélé un remarquable
leader à une époque où l'Allemagne
avait perdu ses repères. Il a su toucher
les cœurs et redonner un sens à la vie
des Allemands meurtris par la défaite
de 1918. En positif, Gandhi est re-
connu comme l'un des grands leaders
de ce siècle qui a su donner une raison
d'être à des millions d'Indiens, et faire
évoluer la vision du monde de la pla-
nète tout entière.
L'entreprise peut-elle et doit-elle
remplir ce rôle, traditionnellement
attribué plutôt à l'Etat ou à l'Eglise ?
Probablement, car elle occupe une
place de plus en plus omniprésente
dans la société. Certaines entreprises
ont désormais une influence supérieu-
Publication mensuelle composée de 2 synthèses,
éditée par Manageris, SA au capital de 47 689 E
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Dépôt légal à parution – Copyright 2006.
re à celle des Etats. Et la société attend
de l'entreprise beaucoup plus que
son seul rôle capitaliste, comme en
témoignent par exemple les attentes
concernant le développement durable
ou l'action de l'entreprise vis-à-vis de
la communauté.
Le capitalisme ne peut suffire com-
me créateur de sens, car il est canton-
né exclusivement au registre rationnel
et objectif. Pour répondre au besoin
de sens, il faut formuler une vision
qui touche les gens viscéralement. Le
leader doit donc avant tout écouter
ses passions et sortir de la logique. Il
doit enfin être humble : une vision est
quelque chose en quoi on croit, mais
dont on ne "sait" pas si elle est valide.
C'est pourquoi les visions des en-
treprises dépassent largement le ca-
dre de leur activité pour aborder des
notions plus globales : c'est la vision
des fondateurs de Sony, qui voulaient
"reconstruire le Japon". Parfois, ce
sont les situations de crise qui sont
de nature à créer du sens : pendant
la Deuxième Guerre mondiale aux
Etats-Unis, les ouvriers des usines
d'armement ont fait preuve d'un véri-
table enthousiasme pour un travail in-
trinsèquement peu passionnant, mais
dont ils voyaient de façon très claire
la portée à grande échelle.
Ainsi, donner du sens suppose de
s'intéresser non seulement à la face
émergée de l'iceberg que constitue
la dimension rationnelle, mais d'en-
glober un ensemble de dimensions
subjectives beaucoup plus larges.
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