Professional Documents
Culture Documents
Micro-conte
« L’explication est simple : il n’y en a pas. J’ai réellement entendu
une voix, en 1965, qui me disait : « Tu t’appelles Robert Pioche et
tu dois écrire les aventures de Robert Pioche » (Olivier Mathieu).
Na-poléon –
Est mort à Saint-Hélè-neu.
Son fils Léon –
Lui a crevé l’bidon !
2
Allusion à la phrase d’Olivier Mathieu, à cinq ans : « Je déclare la guerre ». Cette phrase, retrouvée dans un
cahier de 1965, a été reproduite, en fac simile, sur la couverture de l’un de ses romans (ce roman est épuisé).
3
Le « Dernier Carré » est également un roman – lui aussi épuisé - d’Olivier Mathieu (1993).
Robès4 ? ou Pierrot Bès ? ou Pierrot Bêche, puisque après tout, moi-
même, je suis une Pioche ? pense-t-il. Cette logique est presque
sans appel, ni pic, ni hie, ni dame. Quant aux demoiselles, elles ne
sont encore ici que de bien belles fées.
Donc si Pierrot bêche, mais sans être bêcheur, alors Olivier
pioche. Lui est un piocheur. Car, en ces temps passés, « trois
jeunes tambours s’en revenaient de guerre » encore ; et l’ennemi
héréditaire était intégralement auréolé de tous les malheurs du
monde. Les germains, les teutons, les prussiens n’étaient plus des
« derrières », mais étaient devenus entre temps des « Fritz », des
« frisés », des « fridolins », puis plus tard des « Chleuhs », et depuis
la fin du XIXe siècle des « Boches », surnom le plus courant en nos
jours encore5.
Mais une Tête de Pioche sans tête ne vaut pas mieux qu’une
pioche sans bras ni manche. Et les jours de dimanche, avec moi
sans tête, elle ne pourra pas se promener en ma compagnie,
maman, ajoutait le petit gars toujours et encore sans papa. Il
convient donc d’en adopter une. Une tête bien sûr, pas une
maman, j’en ai déjà une si gentille et triste. Ô, une tête, j’en vois
une toute trouvée ! Fouillons dans le panier d’osier, le grand panier
de boulanger du bon docteur Guillotin le moderne barbare, le
stakhanoviste avant l’heure des abattoirs à la chaîne,
l’Oppenheimer prémonitoire des grands mouroirs publics. Curieux
humaniste révolutionnaire, ce bon Joseph Ignace, ci-devant
professeur d’anatomie distingué, qui préconisa l’emploi d’une
machine pour décoller les têtes en un tour de bras. Par souci
d’humanité ! Il eut beau protester, il y gagna belle et triste
postérité.
Fouillons dans le panier : que de sang séché, desséché ! Et que
de têtes ! Charlotte, Marie-Antoinette, la duchesse de Lamballe ?
Impossible, ce sont des dames. Saint-Just ? Marat ? Babeuf ? Ou
mon André Chénier, mon poète aimé ? J’aimerais bien la tête de ce
dernier, mais ce n’est pas possible. Plus possible. Mon grand-père
André7, que je n’ai pas connu, est passé bien avant moi et lui a déjà
emprunté la sienne, de tête. Il a d’ailleurs conservé les stigmates
de la Terreur dans les yeux, les cheveux, la bouche. Et l’âme.
Non, je vais récupérer le chef de mon ennemi juré
L’Incorruptible. L’insensible anartiste assassin du prince des poètes.
Pierrot Bèche, mon Robespierre. Je l’ai déjà estropié8, d’ailleurs. J’en
ai fait un Robert. Aussi, après l’avoir mis en pièces, mangé son
cerveau et ses yeux de lapin chauds – du moins par la pensée – je
vais bien pouvoir lui emprunter sa caboche. À charge de revanche !
Et c’est ainsi qu’Olivier Tête de Pioche devint un jour, par
l’opération de quelque Geppetto Saint-Esprit laïc inconnu, le petit
7
Allusion à André Baillon, peut-être (???) le grand-père d’Olivier Mathieu.
8
Robespierre ; « rob-ès-py-er » mis en pièces, c’est une « py-ès » (pièce) d’un côté et un « ro-ber » (Robert)
de l’autre.
gars sans papa dénommé Robert Pioche. J’en mettrais ma main au
feu. Et que j’aille aux Enfers même si je mens.
Jean-Pierre FLEURY
L’AUTEUR. Jean-Pierre Fleury est né le 26 mars 1951, sur la côte sud
de la Bretagne. Il a obtenu un doctorat de sociologie, à Nantes en
1980 ; fier de ses origines ouvrières et paysannes, c’est un
chercheur indépendant, un polygraphe, un « en-dehors » libertaire.
Il est l’auteur de trois ouvrages principaux ; et de divers articles
spécialisés, plus ou moins amples, centrés sur l’étude de La Grande
Brière (son sujet de thèse, restée inédite), la Haute et Basse
Bretagne et l’Ouest de la France en général. Plus particulièrement
dans les domaines de la sociologie, de l’histoire locale, de
l’ethnographie et de la dialectographie, ou encore de la
lexicographie comparée des langues latines. Il pratique la
photographie, qui peut servir à illustrer ses ouvrages ; et, depuis
quelques années, il met des mélodies sur les vers de poètes
français méconnus ou anciens, mais sans rien en publier pour
l’instant. Du même auteur :
Ouvriers-paysans, ouvriers ruraux de Brière (thèse de sociologie),
Nantes, 1980.
Dame ! Notes pour une approche des mentalités libertaires et
bretonnes dans l’ouvrage collectif: Aspects culturels de la Haute-
Bretagne, Institut Culturel de Bretagne, 1987.
L'écomusée de la Pâquelais (Vigneux-de-Bretagne), dans la revue
Pihern, Guéméné-Penfao, Association Vantyé, 1993 et 1994.
Noms de Familles de Brière, 1e série, éditions Hérault, Cholet, 1998
La Grande-Brière, Casà cârtii de stiinsà, Cluj-Napoca, 2007.
Émile Boissier (1870-1905), poète idéalo-symboliste nantais (2009)
Préface au roman d’Olivier Mathieu dit Robert Pioche, « Le Passage
à niveau » (éditions des petits bonheurs, Nantes, 2008).
Articles de sociologie, histoire locale, linguistique, littéraire ; textes
littéraires dans plusieurs revues, recueils, livres d'artiste depuis
1980.
Plusieurs ouvrages (livres de poésie ; traductions du roumain ;
aphorismes) en préparation